dimanche 28 février 2010

Messaoud Ould Boulkheir, président de la COD : ‘’Pourquoi Ould Abdel Aziz ne matérialise pas son programme ? Tout simplement parce qu’il n’en a pas’’

Le Calame: l’opposition vient d’achever sa restructuration ou sa réorganisation. Une coalition a été mise sur pied. Quelle est son ambition? En quoi la COD sera-t-elle différente du FNDD? Quels actes entend-elle poser pour infléchir le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz?
Messaoud Ould Boulkheir : Bien, d’abord, je vous remercie de m’interroger. La Coordination de l’Opposition Démocratique est différente du FNDD, en ce sens qu’elle est plus large, plus ouverte que le Front qui était un ensemble assez restreint de partis, actifs certes, mais il manquait certains, absents pour des raisons que vous n’ignorez pas. Aujourd’hui, la COD regroupe un panel de partis opposés au pouvoir d’Ould Abdel Aziz, qui ont décidé de mettre en place une telle coordination, plus large. Notre ambition, à travers ce cadre, est, d’abord, de rétablir l’unité de l’opposition car, lors qu’on est en face d’un pouvoir très peu démocratique, je le dis sans ambages, et qui, apparemment, est déterminé à faire de la politique, on est soumis à un rapport de forces où le plus fort écrase le plus faible. Cette situation nous contraint à rebâtir une opposition plus unie, mieux à même de fonder un nouveau rapport, pour inciter le pouvoir à beaucoup plus de compréhension et de retenue, dans la conduite des affaires de l’Etat. Nous avons donc mis en place cette coordination qui vient de se doter de structures appropriées et qui m’a fait l’honneur de la présider pour deux mois, c’est une présidence tournante. Une des conséquences de cet accord est que l’APP a décidé de mettre fin à sa réserve, vis-à-vis de l’institution de l’opposition démocratique, présidée par notre collègue Ahmed Ould Daddah. Jusque là, nous n’avions pas adhéré à cette structure mais, dans la dynamique de refonte de l’opposition et d’une structure unitaire plus solide, nous avons révisé notre position.
Quels actes entend poser la COD pour peser sur le pouvoir?
Très sincèrement, les actes que nous entendons poser ne seront pas plus que de mettre à nu les faiblesses du gouvernement. Il s’agit, comme vous le savez tous, des nombreux rendez-vous manqués du président, parce qu’en fait, le régime a développé, depuis sa prise de pouvoir, un discours tout à fait populiste, influençant le choix des populations qui n’ont jamais entendu de pareils propos de la part des gens qui les ont dirigés jusqu’ici. Cela va des promesses fallacieuses: distribution de terrains à usage d’habitation, satisfaction de tous les besoins «parce que le pays est riche, il a des moyens, il n’a pas besoin de l’aide des partenaires au développement», etc. Personne, avant Ould Abdel Aziz, n’avait jamais eu la maladresse de parler de la sorte aux citoyens. On peut développer un tel discours, pendant un bout de temps, mais ça finit, toujours, par s’estomper, on se rend à l’évidence qu’on est en train de tromper l’opinion, en lui donnant des rendez-vous qui ne seront jamais respectés. Et ça, ça use et déprime. Aujourd’hui, la grogne commence. En terme de distribution de terres, le problème reste entier, rien n’a été distribué aux nécessiteux. Moi, je fréquente le quartier Hay Saken dont Ould Abdel Aziz fait son cheval de bataille. La plupart de ceux qui ont obtenu des terrains n’en avaient pas du tout besoin. La preuve: ils sont en train de les vendre et la spéculation atteint des millions. L’injustice a été érigée en règle et il arrive qu’au sein d’une même famille, certains s’en sortent avec plusieurs lots, quand d’autres doivent se contenter de la portion congrue. J’ai discuté avec les gens: que d’injustices! Ceux qui avaient fermement soutenu Ould Abdel Aziz, président ou général, ça m’est égal, commencent à dénoncer les travers de son pouvoir. Ils dénoncent le manque d’équité et de transparence dans la distribution. Pour donner des terres aux proches du général, on a contraint d’autres à déguerpir.
En termes de pouvoir d’achat, la situation est loin d’être rose: les prix grimpent de façon exponentielle. Au lieu de réduire les charges des démunis, on en rajoute et je crains que le pays n’entre dans un cycle de d’émeutes, parce que tout devient trop cher, aujourd’hui. Trop de faux rendez-vous et de promesses mirobolantes, intenables, faites aux fonctionnaires de l’Etat et au peuple, alors qu’en réalité, la manne ne profite qu’à un cercle de proches. Les promesses de régler le problème des logements et de transport se sont révélées un fiasco, un coup fourré, une montagne accouchant d’une souris. Résultat, le front social bouge et se prépare à la grève, parce que ce qu’on leur propose ne correspond à rien du tout.
C’est comme la lutte contre la gabegie, contre les moufcidines, comme le général aime les appeler. Quand on observe de près, il n’est entouré, justement, que de moufcidines, c’est à se demander, même, s’il n’en fait pas partie. Je rappelle qu’il avait prétexté son coup d’Etat, en hurlant au retour des barons de l’ancien régime qui contribuait au retour de l’ancien président Maaouya. Mais tous ceux qui l’entourent, aujourd’hui, sont ceux-là mêmes qui entouraient, avec lui, Ould Taya. On ne voit donc aucun changement, ce sont les mêmes qu’on prend pour recommencer le même puzzle.
En matière de bonne gestion, on n’est pas, non plus, avancé. Lors de la déclaration de politique générale du PM, il a été exhibé une lettre, adressée au président de la commission nationale des marchés, l’enjoignant d’attribuer, de gré à gré, un marché de 7,2 millions de dollars, pour un investissement au niveau de l’hôpital national. Ce marché a ainsi été attribué à une société inconnue de la place, via un courtier proche du président ou du PM. Voilà les pratiques que le général dit combattre depuis son arrivée au pouvoir. Nous les dénonçons de façon démocratique et de manière suffisamment forte, pour montrer au peuple que le général est en train de le tromper. Il en va de même de son aversion au dialogue.
Lors de la conférence de presse marquant le lancement des activités de la COD que vous présidez, vous avez violemment critiqué le pouvoir d’Ould Abdel Aziz, alors qu’à l’ouverture de la session parlementaire 2009-2010, vous sembliez avoir tourné la page de la présidentielle. Certains y avaient vu, d’ailleurs, une main tendue au président Mohamed Ould Abdel Aziz, ce qui n’a pas manqué, naturellement, d’agacer vos partenaires de l’opposition, notant, par exemple, votre peu de cas de la détention arbitraire du journaliste Hanefi. Faut-il y voir une déception ou la volonté de l’opposition de marquer son territoire, au moment où le front social est en pleine ébullition: montée des prix et menace de grève?
Parfaitement. Il faut, cependant, faire la part des choses. Entre ma position, au perchoir de l’Assemblée nationale, et mon rôle de président d’un parti politique ou d’une coordination de partis politiques. En tant que président de la chambre la plus représentative de la République, je dois veiller et défendre les intérêts supérieurs de la nation, du pays; mes fonctions m’obligent, donc, je dois faire montre de modération, de retenue, pour ne pas être un pyromane. Effectivement, j’ai beaucoup dosé afin de montrer la voix à suivre pour solder, définitivement, la crise. Malheureusement, il n’y a pas eu de répondant, le président est resté sur sa position, celle de prendre le pouvoir par la force et de s’y maintenir par la force, auquel rien ne résiste. Il reste sur sa logique d’aplatir tout le monde; tout le monde doit venir faire des courbettes devant lui. Je trouve que ce n’est pas une bonne attitude. Bien que je ne regrette pas de m’être mis dans de telles bonnes dispositions, dans la peau qui est la mienne, celle de défendre les intérêts supérieurs du pays, j’ai tenu, dans les locaux de mon parti, radical et clair sur ses positions, à parler de façon tout à fait limpide. A l’APP, nous pensons que l’opposition n’a ménagé aucun effort pour faire montre de sa disposition au dialogue et sortir le pays de l’impasse politique mais, hélas, nous nous trouvons devant un mur et nous en tenons Ould Abdel Aziz pour responsable, puisqu’il est, ici, plus dans son rôle de général que de président de la République. Plutôt de choisir un clan ou de rester un dictateur, il devrait s’ouvrir beaucoup plus, parce qu’il préside un Etat, une nation. Nous avons besoin d’un chef vraiment impartial. Quant à nous, opposition, nous sommes, nous, dans notre rôle, nous critiquons toutes les tares, tout ce qui nous ramène en arrière, puisque c’est sur cette idée que le pouvoir a surfé pour justifier son coup d’Etat.
En terme de sécurité, nous avons enregistré plus de morts par faits terroristes, sous le règne d’Ould Abdel Aziz que sous celui du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. A l’époque, nous rappelions que c’était celui-là, le chef omnipotent, omniprésent, chef invincible de notre armée de terre, de l’air et de mer, des sous-marins, des souterrains, etc. On ne pouvait, à l’époque, procéder à une quelconque nomination ou affectation, sans son aval. Selon nos informations, il régentait tout, c’est donc Ould Abdel Aziz le responsable de ce qui est arrivé. S’il fut aussi remonté contre le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, lors de l’assassinat des quatre français ou des premières hausses des prix, il aurait dû, en suivant et en toute logique avec lui-même, démissionner, lors des autres rapts et massacres d’étrangers ou Mauritaniens, sans parler de la flambée interminable des prix. La différence entre nous, progressistes démocrates et lui, c’est que nous, nous croyons à ce que nous disons, si nous trouvons des solutions, nous allons les appliquer, tandis que son discours se contente d’endormir le peuple pour arriver à ses fins et quand il y arrive, il ne tient plus compte de rien.
Quelque sept mois après l’élection présidentielle, on ne note aucune amorce de dialogue entre le pouvoir et l’opposition, en dépit des accords de Dakar, ce qui n’a pas empêché les parrains desdits accords de reprendre leur coopération avec la Mauritanie. Aujourd’hui, avec un peu de recul, ne pensez-vous pas que l’opposition a été flouée par Mohamed Ould Abdel Aziz et la communauté internationale? Pourquoi avoir accepté d’aller à l’élection, alors que les dés étaient pipés?
Nous, nous sommes demandeurs de dialogue, parce que notre conviction est qu’il est l’ultime moyen de résoudre les problèmes du pays. Problèmes d’ordre politique, économique et sécuritaire. Mais, contrairement à ce que son entourage pense – le poussant à refuser tout dialogue, synonyme, pour eux, d’entrée de l’opposition au gouvernement, partage des responsabilités, réduction de leurs «parts de marché» – nous estimons que le dialogue ne signifie pas, nécessairement, la participation à la gestion des affaires de la République. L’objectif, pour nous, n’est pas d’entrer dans un quelconque gouvernement. Qu’ils se rassurent! Dialoguer signifie, pour nous, identifier, ensemble, les maux dont souffre le pays, afin d’y apporter des solutions, consensuelles, de s’entendre sur les modalités d’une cohabitation apaisée, entre l’opposition et le pouvoir, de se mettre d’accord, ensemble, sur les échéances électorales, sur les voix et les moyens de les organiser dans la transparence, sur les moyens adéquats pour éradiquer le terrorisme: en somme, comment faire fonctionner notre démocratie. A notre avis, pour juguler le terrorisme, par exemple, notre pays a besoin de l’apport de ses fils mais, aussi, de nos partenaires étrangers. Nous pensons que la voix suivie par le pouvoir n’est pas la meilleure parce que le chef de l’Etat est en train de mettre à mal plus puissants que nous, plus nantis que nous. Ce n’est pas en mettant, aux frontières, des forces armées sur le qui-vive ou en déployant nos maigres moyens qu’on arrivera à résoudre le problème terroriste; le terrorisme, il faut en prendre conscience et le partager avec tout le monde, majorité et opposition. Se donner la main pour défendre ce que nous avons de plus cher, de plus commun, à savoir notre pays.
A vous entendre, on a l’impression que le dialogue amorcé par le pouvoir et les islamistes de l’AQMI est inopportun?
Je ne le pense pas. On m’a posé cette question et j’ai donné mon avis. J’ai dit que je ne suis pas contre ce dialogue, je trouve même qu’il vaut mieux dialoguer que de rester sur des positions retranchées. Le dialogue est une bonne voie mais il ne doit pas rester exclusif, puisque c’est de l’intérêt national qu’il s’agit, ici. Les solutions au danger terroriste ne doivent pas sortir, exclusivement, du chapeau de celui qui a la charge des destinées du pays, il doit être le fruit d’une large concertation des partenaires nationaux, de tous ceux qui peuvent contribuer, de près ou de loin, à la recherche d’une solution durable. Mais décider, par soi-même, ou agir, sous la pression de tiers, ne résout pas le problème. S’il y a un reproche à faire, c’est sur le caractère unilatéral du décret de dialogue par le pouvoir, omettant d’y associer les autres acteurs politiques du pays, ceux de la société civile… Et tout de même: dialoguer avec des étrangers et des groupes qui ont dit non à la démocratie, et refuser de le faire avec des gens qui luttent pour celle-ci, la justice et l’égalité laisse perplexe.
D’où, peut-être, un accord au minima de cet amorce de dialogue?
Je ne suis pas un devin et loin de moi la volonté de spéculer là-dessus. Ce que je peux dire, c’est que, quel que soit le résultat auquel sont parvenus les protagonistes, ça ne peut pas résoudre le problème des otages, toujours aux mains de leurs ravisseurs qui demandent, en échange, la libération des détenus dans nos prisons. Au delà du problème des otages, il y a, aussi, celui des Mauritaniens massacrés, les gens décapités, les kamikazes, etc. Le dialogue ne doit pas passer en pertes et profits, pour libérer un ou deux otages. Ce qui ne veut pas dire, bien évidemment, que je suis contre leur libération. Ma compassion leur est toute acquise, je l’ai exprimée à l’Etat et au représentant de leur pays, que j’ai reçu, personnellement. Je lui ai dit, sans ambages, que nous sommes disposés à apporter notre appui pour contribuer à la libération des otages. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour qu’ils puissent retrouver les leurs, dans les meilleurs délais. Mais, je le répète, l’erreur commise, c’est que le dialogue a été sélectif, suscitant des frustrations et donnant des ailes au terrorisme.
Pour en revenir à la question du dialogue prôné par les accords de Dakar, quel geste le pouvoir devra faire pour que l’opposition accepte de s’asseoir autour d’une table?
Ce n’est pas parce qu’on invite des gens d’autres formations politiques auxquelles rien ne me lie, à une cérémonie d’ouverture ou de fermeture d’un forum que j’organise, en tant que chef d’un parti politique, que je suis ouvert à eux. La réflexion est interne, elle concerne les cadres du parti, non les autres. S’agissant, maintenant, des conditions minimales pour un dialogue politique sincère et franc, nous estimons qu’il faudrait un geste, solennel et fort, de la part du chef de l’Etat, invitant les partis concernés à s’entendre sur quelque chose. Comme j’ai eu à le dire tantôt, nous sommes demandeurs mais cela ne signifie pas, comme j’ai entendu dire un homme respectable de son camp, «le dialogue c’est entre l’opposition et nous». En ce qui nous concerne, le dialogue doit concerner le chef de l’Etat qui a pris le pouvoir, qui a mis le pays dans une situation bien déterminée et nous, à qui nous sommes opposés. A la limite, nous pouvons accepter des gens qu’il délèguerait, pour discuter, en son nom, avec nous, mais ni son parti ni sa majorité ne peuvent se substituer à lui, pour nous demander de dialoguer. Nous n’avons pas à discuter avec l’UPR, nous avons à discuter avec le chef de l’Etat, général Mohamed Ould Abdel Aziz ou président de la République, autour d’une table. Ce que nous attendons, donc, de lui c’est qu’il fonde un environnement propice au dialogue. Le dialogue ne peut pas se faire à travers le parti qu’il préside, c’est anticonstitutionnel: le président de la République est au-dessus des partis. Si, demain, je l’invite à une manifestation organisée par l’APP, il doit honorer, de sa présence, la cérémonie d’ouverture, parce qu’il est président de tous les Mauritaniens.
Le fait que vous ne l’ayez pas reconnu en tant que président de la République ne constitue-t-il pas un obstacle au dialogue?
On ne l’a pas reconnu en tant que chef de l’Etat élu démocratiquement mais nous avons, quand même, pris acte de la décision du Conseil constitutionnel qui l’a déclaré élu. C’est sur cette base que j’ai, personnellement, décidé de reprendre mes activités à l’Assemblée nationale que je boudais, depuis longtemps. Il s’agit, donc, d’une reconnaissance de fait, n’est-ce pas? Maintenant, si lui ne demande qu’à ce qu’on vienne se prosterner à ses pieds, comme un roi ou un empereur, c’est sans nous car nous faisons de la politique où chacun a ses positions. Il doit accepter cela comme tel: nous ne sommes aux bottes de qui que ce soit. Nous sommes libres de nos opinions, avons le droit, tout en travaillant avec le président de la République, d’exprimer des réserves, quant à sa légitimité, ça n’a rien d’antidémocratique. Il ne s’agit donc pas, ici, d’une affaire personnelle mais d’une question de positionnement. Je pense qu’on cherche le mal là où il n’est pas.
Sept mois après son élection, le gouvernement du président Mohamed Ould Abdel Aziz peine, malgré ses intentions affichées, à matérialiser son programme électoral. Qu’est-ce qui explique cette espèce d’immobilisme?
Parce que, tout simplement, Mohamed Ould Abdel Aziz n’a pas de programme électoral. Je pense que vous êtes en train de lui accorder des intentions qu’il n’a jamais eues. Son seul programme électoral consistait à se faire élire, d’une manière ou d’une autre. Son programme, c’était un discours populiste, dans lequel il a répété et répète encore que la Mauritanie n’existait pas, qu’il allait, qu’il est en train de la fondre, en revenant sur l’hymne national, le drapeau, les armoiries: bref, il veut une République azizienne. Il est même à craindre qu’il ne veuille la débaptiser. Si l’on peine à matérialiser quoique soit, c’est parce qu’aussi, il y a trop de promesses sans prise sur la réalité, raison pour laquelle personne ne sait pas par où commencer. Aux dernières nouvelles, les gens n’arrivent pas à travailler, si tant est qu’ils le veuillent réellement, parce que chacun attend les instructions du président qui, aussitôt que commence l’exécution, exige qu’on l’arrête. Résultat des courses: les responsables ne savent plus à quel saint se vouer. Je ne critique personne mais pour n’importe quel gouvernement, il faut un minimum de consensus, non la loi du plus fort. Il y a un général qui a obtenu, vrai ou faux, tel score et a été implanté, là, comme président, baguette magique soi-disant en main, afin de tout changer et réussir. Ce n’est pas de cette manière qu’on règle les problèmes. L’Etat se gère avec méthode, personne ne peut s’arroger le monopole de la vérité, il faut écouter les autres, se laisser conseiller par autrui, il y a tant de gens préoccupés par l’avenir de notre pays, ce ne sont pas tous qui courent derrière des portefeuilles, des avantages financiers ou électoraux. Il existe, aujourd’hui, une forte demande sociale et les gens s’impatientent, parce qu’ils espèrent voir leur pays se remettre sur les rails. Etre grand, c’est être large d’esprit, c’est accepter la différence.
Lors de l’ouverture de la session parlementaire, les journalistes ont été surpris que vous n’ayez pas dénoncé la détention arbitraire de leur confrère Hanefi Ould Dehah?
A l’Assemblée nationale, je traite les affaires de la République, non les questions de personne. Je ne suis l’avocat de personne, pas même de moi-même, mais, si je m’abuse, j’ai parlé d’un large éventail de problèmes liés à la justice et, dans mon discours de clôture de la session, je suis revenu sur la question, en disant que la démocratie suppose le respect des libertés et des décisions de justice. Je n’étais pas obligé de citer qui que soit, parce que je ne dois rien à personne. Personnellement, je suis contre l’arrestation arbitraire de Hanefi, comme je suis solidaire de toutes les victimes de l’arbitraire. On peut tout me coller sur le dos, sauf d’être un partisan de l’arbitraire, de la privation des libertés, etc. Mais, a contrario, je ne suis l’objet de qui que ça soit, personne ne m’a défendu, moi. En termes d’attaques ou de critiques des autorités et de la presse, je crois que je détiens le record et je n’ai jamais vu quelqu’un lever le petit doigt pour me défendre. Mais que Hanefi se rassure, que ses parents se rassurent, je pense à lui mais je ne suis pas obligé de le citer, dans mes discours, parce qu’il y a d’autres, comme lui, qui souffrent de l’arbitraire.
Depuis quelques mois, la question de l’esclavage réapparaît, de plus belle, à travers les sorties de Biram Ould Abeid, président de l’IRA, de l’ex-capitaine Breika Ould M’Bareck et la correspondance adressée par Samory Ould Bey à Ban Ki Moon, secrétaire général de l’ONU. Vous venez, vous-même, d’en parler avec la délégation de l’UE et de la Commission africaine des droits de l’Homme. Pour certains, l’esclavage persiste dans le pays, pour d’autres, il s’agit de «séquelles». Que pensez-vous de ce sempiternel débat ?
L’esclavage est toujours un problème national et son débat demeure d’actualité, en Mauritanie. On n’a pas donné à ce problème l’importance qu’il mérite. La responsabilité incombe, entièrement, aux autorités. Sous Sidi Ould Cheikh Abdallahi, l’Etat a pris des décisions courageuses, pour la résolution de ce problème. Une loi incriminant l’esclavage a même été votée, par les deux chambres du Parlement. Des journées de sensibilisation ont été organisées. Je rappelle que j’avais émis des réserves sur la manière dont elles se sont déroulées, parce qu’on a voulu escamoter le problème, et j’ai même boudé la cérémonie d’ouverture à la maison des jeunes. En tous les cas, on était là, pour la première fois, face à un Etat décidé à résoudre le problème, par la mise en place d’instruments appropriés, et c’est le minimum qu’on puisse demander. Il y a, certes, des insuffisances et il fallait travailler à les combler, par des instructions, fermes, aux représentants de l’Etat, aux préfets, chefs d’arrondissements, walis, chefs de brigade, commissaires de police, cadis, juges, en contact direct avec les populations. Il faut les amener à comprendre que l’esclavage est une affaire très sérieuse qui mérite un traitement en conséquence. Hier, j’ai reçu, ici, une esclave, elle venait d’Atar, avec «SOS Esclaves», de Boubacar Ould Messaoud; le ministre de l’Intérieur est au courant. Sa fille est restée là-bas, parce que, m’a-t-on dit, elle est mariée. Avec qui? Mystère. Le fait de que le ministre de l’Intérieur, censé connaître les arcanes de l’Administration, nous dise qu’on lui a laissé entendre que la fille était mariée est très léger; il ne doit pas se contenter de ce qu’on lui dit ou laisse entendre. Même si la fille est mariée, cela ne l’empêche, nullement, de venir avec sa maman, surtout si c’est un mariage fictif, comme on en connaît; en tout cas, le ministre a, vraiment, la possibilité de tirer les choses au clair. Mariée ou pas mariée, ce sont des faux-fuyants, comme chaque fois qu’un cas est révélé: c’est un parent, ce n’est pas un ou une esclave, le juge n’a jamais condamné personne, le commissaire de police n’a jamais indexé quelqu’un pour pratique esclavagiste, il est même le premier à prendre la défense de l’esclavagiste, etc. Idem pour le commandant de brigade. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que ces tares disparaissent? Un pouvoir véritablement progressiste, soucieux de l’avenir de ce pays, doit œuvrer pour l’éradication réelle de telles pratiques. On ne peut pas continuer à tromper les gens. Personne n’est dupe. Néanmoins, ce n’est pas une raison pour tomber dans la surenchère. Le combat a commencé en 1978, à la naissance d’El Hor, mais nous n’avons, jamais, cédé à la surenchère. Le premier responsable, c’est l’Etat qui n’a pas joué pleinement son rôle pour l’émancipation de cette couche de la population. Si l’Etat tape du poing sur la table et siffle la récréation, les choses vont rentrer dans l’ordre mais si c’est lui qui, par l’intermédiaire de ses représentants, se fait complaisant, ces pratiques persisteront. Nous ne sommes pas le seul pays où l’esclavage subsiste, mais le malheur des Mauritaniens c’est que les voies choisies, jusqu’à ces derniers temps, sont mauvaises et celles engagées sous Sidi Ould Cheikh Ould Abdallahi n’ont pas pu être concrétisées. Si l’on traduit en justice des esclavagistes, qu’on les condamne, fermement, cela servira de dissuasion, pour les autres. Mais je l’ai dit et je le répète: la solution passe par la voie pacifique, par l’éducation et la sensibilisation, non pas par l’hostilité des uns contre les autres ; nous n’avons jamais prôné cette solution, nous n’avons jamais prôné la division encore moins la vindicte ou la revanche. Cela n’a jamais été notre cas et cela ne le sera pas.
Ces messieurs vont plus loin que l’esclavage. Ils dénoncent ce qu’ils qualifient de «marginalisation des cadres Hartanis, dans l’administration, les forces armées et de sécurité», ce qui leur a valu de vives critiques et une espèce de droit de réponse de la part du gouvernement. Certains Mauritaniens seraient-ils insuffisamment mûrs pour accepter qu’on mette ce débat sur la place publique?
Le débat a toujours été posé, mais je pense qu’il ne faut pas l’exagérer, parce qu’il n’y a pas un lieu plus indiqué que l’enceinte de l’Assemblée nationale pour débattre de cette question. Maintenant, qu’il y ait des brebis galeuses, ici ou là, de la démagogie ou des blocages, au sein de ceux qui sont, en partie ou en tout, responsables de l’Etat, ce n’est pas exclu. Personnellement, j’ai lu des choses qui ne m’ont pas plu, comme j’ai vu des pratiques qui m’ont aussi déplu. L’Etat, comme je l’ai dit, doit assumer ses responsabilités régaliennes. Quant à la marginalisation des cadres Haratines, elle n’est un secret pour personne. De tout temps, cela a été dénoncé, je ne vois l’intérêt d’enfoncer une porte ouverte, d’autant plus que cela ne va pas se résoudre du jour au lendemain, c’est un combat de longue haleine. J’ai entendu, vu et lu des propos qui tendent à exacerber les tensions, mais, nous, à l’APP ou ailleurs, nous n’avons jamais tenus des propos de cette nature. Faire monter les enchères, attirer l’attention sur soi, ne produit aucun effet, ce nous cherchons, c’est le résultat, des avancées significatives sur la question, pas à saper les fondements d’une nation qui n’a que des choses en commun. En Mauritanie, d’ailleurs, les Haratines ne sont pas les seuls à être marginalisés. Faites le décompte, vous vous rendrez à l’évidence, c’est l’œuvre de clans, de gens qui se sont, jusqu’ici, partagé le pouvoir, cela continue à exister et cela continuera à exister, tant que les autres ne se seront éveillés, ne prendront pas conscience de leur pouvoir réel, de leur rôle et de leur place. Enfin, la marginalisation des Haratines n’est pas le seul fait de ceux qui ont intérêt à les marginaliser; ils sont, en partie, responsables de leur propre marginalisation, parce qu’ils n’ont que trop rarement confiance en leurs capacités, certains se conduisent en assimilés. Avant donc de jeter l’anathème sur les autres, il faut d’abord se remettre en cause. Cela a toujours été mon combat, personne ne m’a fait de faveurs pour que je devienne ce que je suis aujourd’hui. Il suffit de s’assumer, de s’imposer et de défendre ce qu’on croit juste, c’est tout.
L’opposition a organisé une marche pour soutenir les hommes d’affaires arrêtés dans le cadre de la lutte contre la gabegie. C’est quand même surprenant de la part d’une opposition qui prônait la lutte contre la gabegie et la corruption?
Qui les accuse de gabegie? C’est le pouvoir en place. Or, l’Etat ne doit pas s’ériger en juge et partie. Dans ce cas d’espèce, il s’agit d’un Etat dictatorial et, si nous nous sommes élevés contre lui, ce n’est pas pour défendre x ou y, mais pour dénoncer les dérives du pouvoir, défendre la justice et, ça, je l’ai dit au général Ould Abdel Aziz quand je suis venu le voir, à ce sujet, les yeux dans les yeux. Je pense que ceux qui étaient indexés constituent, pour l’essentiel, le tissu économique de ce pays. Les mettre dans une telle situation, c’est les mettre en mal avec leurs partenaires étrangers et porter préjudice à notre économie. J’ai aussi soutenu que, si ces gens ont profité des milliards de l’Etat, il fallait arrêter les responsables qui ont ordonné les virements, pas les bénéficiaires. Eux, à ce qu’on sache, n’ont pas perpétré de braquage à la BCM. C’est l’autorité de l’époque qui porte la responsabilité, pas eux. Ils n’ont rien à se reprocher, parce que, dans ce pays, chacun profite, à sa manière, de l’Etat et si l’on veut emprisonner tous ceux qui ont profité des largesses de l’Etat, rares sont ceux qui resteraient en liberté. Aussi considérons-nous que, si l’on doit lutter contre la gabegie, on doit l’étendre à tout le monde, pas s’y prendre de manière sélective. Voilà pourquoi nous avons manifesté, nous avons dit oui à la lutte contre la gabegie, mais non au règlement de comptes, c’est tout. Ce n’est pas en arrêtant deux ou trois personnes, aussi importantes qu’elles soient, qu’on combat un tel fléau. Je vous ai donné, tout de suite, un exemple avec les marchés de gré à gré. Il n’y a rien de plus «gabegique» que d’utiliser l’administration pour faire profiter ses proches; rien de plus «gabegique» que de nommer ou de démettre des gens sans expérience ni formation, simplement parce que ce sont des alliés politiques ou des parents; rien de plus «gabegique» que de dicter, à la Justice, la conduite à tenir. Nous n’avons aucune leçon à recevoir des auteurs de telles pratiques. Il faut atteindre un certain niveau de formation avant de prétendre donner des leçons aux autres. La politique, c’est notre job à nous, les partis politiques, pas celui d’un général qui gérait juste les comportements des hommes de son unité.
Que se passe-t-il dans les rangs de l’APP, pour que son président tape du poing sur la table, lors des journées de réflexion que le parti a organisées, il y a quelques mois?
Ce qui s’est passé, c’est que, comme ça arrive dans tous les partis, certains nagent à contre-courant des instructions ou tentent, même, de se substituer au président du parti où qui s’élèvent contre l’opposition de celui-ci au coup d’Etat. A un certain moment, quelques camarades et militants ont mal dirigé notre hostilité au coup d’Etat. Tout ce beau monde a voulu profiter des journées de réflexion pour semer la zizanie. On m’a mis la puce à l’oreille et j’en ai profité pour taper du poing sur la table, les rappeler à l’ordre. Je pense qu’aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre. Je ne fais rien pour exacerber les tensions dans les rangs du parti mais à un moment ou un autre, il faut savoir assumer, c’est ce que nous avons fait.
Permettez-moi de reposer ma question sur les accords de Dakar et leurs conséquences. Avec le recul, n’éprouvez-vous pas le sentiment d’avoir été floués? Pourquoi avoir accepté d’aller aux élections alors que les dés étaient déjà pipés?
Effectivement, nous avons été floués. Nous l’avons accepté, consciemment, en partie, parce que nous avons senti que les gens étaient essoufflés, que la population avait besoin d’une sortie de crise et c’est pour cela que nous avons accepté de parapher l’accord de Dakar. Personnellement, l’idée de me retirer m’a effleuré, je pressentais que c’était perdu d’avance. Si j’avais été le candidat du seul APP, je me serais retiré, sans aucun doute. Mais comme ma candidature était le fruit d’un consensus de plusieurs partis, de plusieurs courants et d’une certaine opinion, j’ai voulu m’oublier, un peu, pour répondre à un appel pressant pour que nous prenions part à cette élection. Et personne, au FNDD, ne voulait renoncer. Nous étions conscients que notre retrait n’allait pas, forcément, entraîner celui des autres candidatures, nos concurrents, pour ne pas dire nos adversaires. Pour toutes ces raisons, donc, nous sommes allés jusqu’au bout et je vous avoue que nous ne regrettons pas d’avoir pris part à ce scrutin, parce qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un jugement. On ne regrette pas ce qu’on a fait pour l’intérêt général.
Propos recueillis par DL et Sneiba

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