samedi 19 août 2017

Editorial: N'en jetez plus, la cour est pleine

Le referendum, (anticonstitutionnel, il faut le souligner) auquel notre guide éclairé tenait tant, pour tenter de se débarrasser d’un Sénat qui risquait de contrecarrer ses (noirs) desseins, appartient désormais au passé. Mais à quel prix ? D’énormes moyens ont été déployés, des meetings organisés un peu partout, des ministres envoyés au charbon, un pays à l’arrêt pendant deux semaines, une administration territoriale au garde-à-vous, pour arriver à un taux de participation qui s’annonçait, avant gavage de divers « bons » offices et le douteux concours de la CENI, rachitique. Dans les grandes villes, la désaffection des bureaux de vote fut manifeste. Une victoire tant entachée d’irrégularités, que les vainqueurs ne l’ont que peu ou prou fêté. Triomphe bien modeste, pour une fois. Le communiqué sanctionnant le conseil des ministres suivant n’a pas lâché un seul mot sur la consultation. Contrairement aux usages, on n’a félicité ni la population, ni les organisateurs, ni les forces armées et de sécurité qui ont « permis le bon déroulement du scrutin ». Le Président, dit-on, serait fort mécontent de son gouvernement, de son parti, de son staff de campagne et de « ses » hommes d’affaires qui n’ont pas mis la main à la poche. Bref, l’atmosphère, au Palais gris, tourne, ces temps-ci, au délétère. Et, pour corser le tout, l’homme des mois d’Août n’a pas trouvé mieux que de kidnapper et jeter, encore une fois en prison, le sénateur Ould Ghadda, alors que celui-ci est encore couvert par son immunité parlementaire, le Conseil constitutionnel n’ayant toujours pas proclamé les résultats du référendum. Et même s’il le faisait, cela ne changera pas grand chose. Bien avant le referendum azizien, le pouvoir considérait que le Sénat n’existait plus. Ni le premier ministre, ni quatre membres de son gouvernement n’ont daigné répondre à ses convocations. Mais pour nombre de citoyens, pour l’opposition, pour les démocrates, le sénat restera toujours la chambre haute du parlement qui s’est levé un jour pour dire  Non à la violation de la Constitution.
 Dans sa guerre sans merci contre le pouvoir, Ould Ghadda vient de démonter, grâce au témoignage d’un sous-officier présent au moment des faits, la version officielle de la « balle amie » de Tweyla, et a promis de dévoiler les dessous de l’affaire Senoussi. Il est devenu plus que gênant. Tout comme certains opposants à qui le pouvoir s’apprêterait à intenter un procès au pénal.
Le climat serait-il donc au politico-policier ? Ministre de la justice et président de la Cour suprême, sous la supervision directe d’Aziz, sont sommés de nettoyer les boubous de l’Etat. Ils ont en effet du pain sur la planche : Ghanagate (où l’inamovible Coumba Bâ est empêtrée) ; rançon de Senoussi ; argent de Khadafi ; monnayage de positions diplomatiques (un jour avec l’Iran et le Soudan, un autre avec le Qatar, une nuit avec la Saoudie, une attaque en règle contre l’Europe) ; Polyhondong exonéré de taxes et de rapatriement de devises, pendant 25 ans ; 7 milliards de dollars de la SNIM 2010-14 partis en fumée ; minerais bradés ; écoles, stades et ancien aéroport vendus à des privés triés sur le volet ; ATTM et ENER croulant sous la mauvaise gestion ; dette du pays propulsée à plus de cinq milliards de dollars ; centrales électriques ; avions de la MAI ; l’usine de montage des avions qui n’a jamais vu le jour malgré le déblocage de sommes faramineuses ; terres du fleuve, droits de douanes compromis ; fausses quittances du Trésor ; marchés de gré à gré et cession  monnayée d'une partie du territoire : les armoires du pouvoir sont emplies de cadavres… Et il n’est pas du tout certain qu’en s’en prenant à ceux qui n’en supportent plus l’odeur, on élimine celle-ci. Bien au contraire. Le peuple mauritanien s’est certes habitué, en quarante années de développement militarisé, à toutes sortes de pestilences. Mais les estomacs les plus rustiques finissent, tôt ou tard, par se révulser. N’en jetez plus, général, la cour est pleine…
                                                      Ahmed Ould Cheikh

dimanche 13 août 2017

Editorial: 53% d’honneur : à emporter ou à consommer sur place ?

Ould Abdel Aziz a finalement (dés)organisé « son » referendum. Après le coup de sabot lancé, aux amendements constitutionnels, par le Sénat, les renvoyant, sans autre forme de procès, à leur expéditeur, notre guide éclairé tenait à cette consultation populaire,  pour « laver son honneur » terni par une bande de « corrompus », comme il se plaisait à appeler les honorables de la Chambre haute. Malgré son caractère anticonstitutionnel (l’article 38 qui lui sert de base juridique ne peut être invoqué, s’il s’agit de toucher la loi fondamentale de notre République), son coût (on parle de six milliards) et la levée de boucliers qu’il a suscitée dans la rue, le referendum a été bâclé, samedi dernier 5 Août. Août ? Tiens, tiens… Le choix n’est pas aussi fortuit que cela. Après les coups d’Etat du 6… Août 2008 et 3… Août 2005, contre des présidents, nous avons, désormais, celui du 5… Août 2017, contre le pays, sa Constitution et ses symboles. Jamais deux sans trois. Dans une atmosphère de fraude sans précédent, qui rappelle, étrangement, les premiers balbutiements de notre « démocratie militaire », lorsque le bourrage des urnes était la règle d’une administration juge et partie. Elle a été, cette fois encore, mise à contribution, après avoir été reléguée aux oubliettes, lors des consultations précédentes. Chaque hakem a, en effet, reçu la rondelette somme de 17 millions d’ouguiyas pour « organiser » le scrutin comme il se doit. Et ils ne se sont pas fait prier pour faire du « bon » boulot. C’étaient eux, en fait, les véritables directeurs de campagne. À tourner et retourner, sensibiliser sur la nécessité – que dis-je, l’obligation ! – d’un oui massif, à défaut d’être franc, promettre et menacer, même, ceux qui n’étaient pas « chauds ». L’essentiel était d’obtenir le meilleur score possible. Il faut dire que l’absence des représentants de l’opposition, dans les bureaux de vote, leur a grandement facilité la tâche. On a vu des bureaux voter oui à 100% d’inscrits, des absents et des morts accomplir leur devoir civique, des votes multiples, voire multi-multiples, des enfants voter comme des grands et des votants plus nombreux que les inscrits. Parallèlement, on a vu des villes « mortes » et des bureaux de vote déserts. Un hiatus énorme, entre les agglomérations urbaines – là où y a le plus de votants, où le degré d’éveil est important et dont les habitants ont dit non aux amendements – et certaines localités de l’intérieur où les notabilités ont encore leur mot à dire. Dès les premières heures de la matinée de samedi, on s’est rendu compte que le taux de participation, dans les grandes villes, serait, sinon catastrophique, du moins très bas. Et la tendance ne s’est inversée à aucun moment de la journée. Si bien qu’à Nouakchott, on évoquait un taux qui ne pouvait guère dépasser les 10%. Grosse panique dans les rangs de la majorité. Mais où est donc passée la marée humaine qui accueillit Ould Abdel Aziz, lors de son « super méga-meeting » de clôture de la campagne ? N’étaient-ils là que parce qu’ils étaient obligés ? La ferveur du jeudi soir a rapidement cédé à l’abattement. La fête organisée, à grands frais, au Palais des congrès, pour fêter la victoire, a fini en queue de poisson. Ould Abdel Aziz s’est retiré bien avant la fin du show, énervé, dit-on, par la faible mobilisation des électeurs et le rendement plus que médiocre de certains directeurs de campagne qui l’ont, aurait-il dit, « roulé dans la farine ». L’arroseur arrosé…
La balle était à présent dans le camp de la commission électorale. Allait-elle proclamer les résultats véritables, au risque de fâcher ? Ou prendre ses aises avec les chiffres, pour les rendre plus « présentables » ? Tout au long de la journée de dimanche, on évoquait de profondes divergences, entre ses membres dont plusieurs auraient refusé de tripatouiller les calculs. Il n’en était rien, puisqu’à 22 heures sonnantes, son président annonce un taux de participation de… 53%. Logique, s’il parlait du… Sénégal voisin qui vient d’organiser des élections législatives. Mais, en Mauritanie, au seul vu du déroulement du scrutin et malgré la fraude, il est impossible que ce chiffre atteigne de telles proportions. Ah, vieillesse ennemie, se lamentera donc le plus propre des sept «metteurs en CENI » de cette triste mascarade, que n’ai-je donc vécu que pour cette infamie ? Le vieux peut en effet se lamenter. Entendez-vous glousser les rires, partout dans nos villes ? Hé, m’sieur l’président, vos 53% d’honneur, c’est pour emporter au Palais ou vous consommez sur place ?
                                                                                            Ahmed Ould Cheikh

lundi 7 août 2017

Editorial: La fatwa de Trump

Au Pakistan (pas en Mauritanie, qu’à Dieu ne plaise !), la Cour suprême a décidé, vendredi dernier, de destituer le Premier ministre, Nawaz Sharif, pour corruption, après la publication, au printemps 2016, de documents du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, démontrant que ses enfants détenaient des sociétés et des biens immobiliers, par l’intermédiaire de holdings offshore. Une commission d’enquête, nommée par la Cour Suprême, avait constaté une « importante disparité », entre les revenus de la famille Sharif et son train de vie. La fortune de Nawaz a, en effet, connu une « hausse exorbitante », entre 1985 et 1993, soit lors de ses premières années au pouvoir. Sa fille Maryam est également propriétaire de luxueux appartements londoniens.
La ressemblance avec la Mauritanie est frappante. La fuite programmée des enregistrements Whatsapp attribués au sénateur Mohamed ould Ghadda et la contre-attaque fulgurante qui s’en est suivie, dans les media, ont étalé, au grand jour, le problème de la fortune de notre Nawaz Sharif national, qui a connu, elle aussi, une « hausse exorbitante », forte de luxueux appartements parisiens, si l’on en croit le leader de la fronde sénatoriale. Ould Ghadda a cité, entre autres, les marchés de gré à gré (qui ont généré d’énormes commissions), les immeubles, les sociétés, les terrains et deux appartements très bien situés à Paris. Et  il faut  s’attendre, dans les jours qui suivent, à ce que la liste de ses biens, ceux de sa famille  et de ses prête-noms à l’étranger (comptes bancaires et biens immobiliers notamment) s’allonge dangereusement.
Il n’en faut pas plus pour que les internautes s’emparent de la question. Un de ces appartements, celui de la rue Lauriston (dans le 16ème arrondissement, le plus chic de Paris, non loin du siège de la Gestapo française), propriété de l’une de ses filles, est aussitôt déniché. Sa photo fait le buzz sur les réseaux sociaux.
Malheureusement, nous n’avons, en Mauritanie, ni justice indépendante, ni Cour suprême autonome mais une démocratie de façade, des institutions de pacotille et une fâcheuse tendance à s’engraisser sur le dos de la bête. Sinon, comment le Président pourrait-il s’abstenir de déclarer, comme la loi l’y oblige, son patrimoine ? Pourquoi les déclarations d’une extrême gravité d’Ould Ghadda n’ont suscité aucune réaction officielle ? Si, comme on veut nous le faire croire, le judiciaire n’est pas aux ordres de l’exécutif, pourquoi un juge ne s’autosaisit-il pas  et ordonne une enquête, pour séparer le bon grain de l’ivraie ? Il n’est en rien logique, dans un pays « normal », qu’un président accusé de telles turpitudes reste de marbre. Comment, dans ces conditions, peut-on demander, à l’opposition, de respecter la loi, si le premier responsable, celui qui doit veiller à son application, la transgresse ouvertement ? Au rythme où vont les choses, quand la parentèle du chef se permet de tirer, à balles réelles, sur des citoyens ou de gifler des hommes de loi impunément, plus personne ne respectera rien dans ce pays.
Donald Trump a vu juste,  pour une fois, en déclarant, récemment, qu’il n’y a pas de raccourci vers la maturité et que les dirigeants africains changent les constitutions, en leur faveur, pour demeurer président à vie. Des propos qui sonnent, pour nous, comme une prémonition. Avec les amendements constitutionnels en cours d’accouchement, il est fort à craindre qu’Ould Abdel Aziz se donne les coudées franches, pour s’attaquer au verrou qui hante ses nuits, celui de la limitation des mandats. Franches, c’est tout de même beaucoup dire. Car, franchement, c’est sans aucune vergogne qu’il tend, désormais, à dévoiler sa roublardise…
                                                                           Ahmed ould cheikh