samedi 23 décembre 2023

Editorial: Au delà des faits

Beaucoup se sont étonnés du verdict rendu à l’issue du « Procès de la Décennie ». Il faut cependant entendre le caractère très relatif de cette « issue ». Le processus judiciaire peut en effet comporter deux autres étapes – l’appel et la cassation – susceptibles de modifier sensiblement le jugement prononcé en première instance. Il faut donc lire entre les lignes des réactions, notamment celles des avocats de l’accusation et de la défense dont nous avons publié la semaine dernière les interviews. Dans le sien, maître Lo Gourmo Abdoul insistait, sans présumer des suites à donner en appel aux autres fautes imputables aux divers accusés, sur le caractère « absolument incontestable » des deux seuls chefs d'accusation –l’enrichissement illicite et le blanchiment d’argent – retenus par le juge à l’encontre de Mohamed ould Abdel Aziz. Pour la défense de celui-ci, maître Taleb Khyar s’est attaché quant à lui à les contester, en invoquant des « charges fondées sur la seule rumeur » et « des témoignages émanant de personnes incultes en matière financière »… La balance – celle de la justice jugeant objectivement de faits – semble bel et bien pencher du côté de l’accusation et, à moins d’apporter des preuves irréfutables concernant l’origine de la fortune amassée par son client durant sa décennie de pouvoir, la défense risque fort n’avoir qu’à batailler pour ne pas voir la Cour d’appel élargir l’éventail des charges et des accusés finalement condamnés… avant de se rabattre, au dernier round, sur une hypothétique exhumation de vices de procédure pour faire relaxer son ou ses client(s). Une échappatoire qui porterait cependant un coup fatal à la crédibilité de notre justice aux yeux du peuple mauritanien aujourd’hui assez calme devant le verdict de la première instance… L’autre dimension de l’aboutissement de ce procès inédit concerne la jurisprudence. Sera-t-elle de nature à dissuader vraiment d’autres chefs d’État, notamment en Afrique, à se détourner d’écarts analogues à ceux retenus à l’encontre de MOAA ; ou, tout au contraire, à accentuer leur mainmise sur le pouvoir judiciaire et à s’appesantir sur le leur, en multipliant leur mandat jusqu’à plus soif ? Dans un contexte ouest-africain où la démocratie subit, régulièrement ces dernières années, les chocs d’interventions militaires, la question n’est pas anodine. La justice mauritanienne a jugé de certains faits mais il lui reste encore à faire… Ahmed ould Cheikh

samedi 16 décembre 2023

Editorial: En fidélité à nos pères...

Lorsque le président zaïrois Mobutu Sese Seko lui offrit un chèque de cinq millions de dollars pour changer sa garde-robe, feu Mokhtar ould Daddah ordonna au Trésorier général d’encaisser le chèque et décida de construire, avec ce montant, l’École Normale supérieure pour former des professeurs dont le pays avait tant besoin. Il n’en garda pas un dollar pour lui bien qu’il s’agît d’un don personnel. Qu’elle est loin cette période où l’argent n’était pas roi et où les pères fondateurs se souciaient d’abord de l’intérêt général ! Le dernier épisode du procès de la décennie qui vit Ould Abdel Aziz déclarer avoir reçu en don, juste avant de quitter le pouvoir, des valises contenant des millions de dollars et d’euros, indique, si besoin était, qu’on est à mille milles de la Mauritanie des bâtisseurs, celle où l’intégrité et le désintéressement étaient la règle et non l’exception. Quand un ex-Président reconnaît, devant l’opinion publique, les enquêteurs et la Justice, qu’il est immensément riche, il y a de quoi avoir des sueurs froides pour ce pays. Reconnaître, toute honte bue, qu’on a amassé une fortune à l’exercice d’une fonction où l’on se devait d’être exemplaire, c’est avouer combien bas l’on est tombé. Depuis que les militaires ont pris possession de ce pays, les fonctions publiques ne sont plus jugées qu’à l’aune de ce qu’on peut en tirer ; les détournements et la prévarication sont devenus la norme et l’argent, l’objectif de tout un chacun… jusqu’au plus haut sommet de l’État.« Le présent est pour les riches et l'avenir pour les vertueux », énonçait, en France au 17ème siècle, Jean de la Bruyère. Une désespérante sentence que lui dictait certainement le passé de son pays. Mais celui du nôtre ne nous convierait-il pas à penser résolument le contraire et tenter au moins de le vivre ? Car Dieu certes nous rémunérera en ce sens… Ahmed ould Cheikh

samedi 9 décembre 2023

Editorial: Jugement de Salomon?

Il a tiré à sa fin. Enfin, serait-on tenté de dire. Le procès d’Ould Abdel Aziz et ses douze co-accusés est entré dans sa dernière ligne droite depuis le jeudi dernier. Ce jour-là, la cour est entrée en délibération et a statué sans discontinuer jusqu’à l’annonce du verdict ce lundi 4 décembre. Après les plaidoiries des avocats et le réquisitoire du Parquet qui a demandé vingt ans de prison pour le principal inculpé, les accusés ont eu droit à la parole. Le plus attendu était incontestablement Ould Abdel Aziz. Après avoir réclamé en vain d’être jugé par une Haute cour de justice en tant qu’ex-Président, il a fini par faire contre mauvaise fortune bon cœur. Devant une assistance médusée et alors qu’il avait toujours refusé de dévoiler l’origine de son immense fortune, il a affirmé que son successeur lui a remis, juste avant qu’il ne quitte le pouvoir, deux valises remplies de millions d’euros et de dollars, ainsi qu’une cinquantaine de véhicules tout-terrain. Une nouvelle stratégie visant à noyer le poisson ? Une expression qui, selon le dictionnaire, veut dire, au sens figuré, « embrouiller les choses pour escamoter une question ou un objectif ». Pour un coup d’essai, ce fut pour cette fois un coup, non pas de maître, mais d’échec ; MOAA n’ayant avancé la moindre preuve à ce qu’il affirme. Et cela ne justifie toujours pas pour autant l’origine de l’énorme trésor de guerre qu’il amassé en onze ans de pouvoir et dont ces millions d’euros et de dollars – s’ils sont avérés – ne constituent qu’une infime partie. Le remède fut donc pire que le mal. Une conduite que ne lui ont certainement pas conseillée ses avocats. Sauf s’ils veulent le noyer. Comme le poisson. Au sens propre. Et ils n’ont réussi qu’à moitié puisque leur client n’a écopé que de cinq ans de prison mais assortis de la confiscation de tous ses biens ainsi qu’une amende de 50 millions MRU. Un verdict clément vu les charges retenues contre lui. Après un an d’un procès marathon, peut-on dire que la Cour a accouché d’un jugement de Salomon? Ahmed ould Cheikh

samedi 2 décembre 2023

Editorial: Au p’tit malheur la chance…

La nouvelle a fait les choux gras de la presse nationale la semaine dernière. Une partie du plafond de l’aéroport Oum Tounsy s’est effondrée, ne provoquant heureusement aucun blessé. Les images montrent de grands pans du faux-plafond à même le sol. L’information n’a suscité aucune réaction officielle, ni de la société MCE qui a construit celui-là, ni d’Afroport, l’entreprise émiratie qui gère cet aéroport. Sachant que l’édification de cette infrastructure fut confiée à une société dépourvue de la moindre expérience en la matière, on pense évidemment à un défaut de fabrication… Sinon de contrôle lors de la mise en place du plafond ? Ou un problème de maintenance de la part de la société qui le gère et dont la vocation première est plus d’encaisser de l’argent qu’autre chose ? Il y a en tout cas un problème et une enquête sérieuse devrait situer les responsabilités pour éviter ce genre d’incident ; non seulement à l’aéroport – une des vitrines de notre pays – mais aussi en d’autres infrastructures construites durant la décennie azizienne. Il est en effet de notoriété EdEdpublique qu’érigés à la hâte et sans contrôle sérieux, des immeubles abritant des institutions gouvernementales, des écoles, des routes et des barrages, entre autres, ne sont pas aux normes. Et la catastrophe n’est jamais loin quand les règles de sécurité ne sont pas respectées. Faudra-t-il attendre qu’elle se produise pour qu’on vérifie pour de bon le respect intégral des cahiers de charges et qu’on instaure un vrai suivi des bâtiments publics ? Un p’tit malheur, le faux-plafond d’Oum Tounsi… la dernière chance d’en éviter un gros, catastrophique lui ? Ahmed Ould Cheikh