samedi 30 octobre 2021

Editorial: Omerta, encore et toujours ?

 Il a été arrêté pendant deux jours puis libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Il, c’est Ahmed ould Haroun ould Cheikh Sidiya, ex-conseiller du ministre de la Justice qui a ravi la vedette à tout le monde après sa sortie tonitruante sur une télévision privée. Et pour cause : il y affirmait avoir en sa possession un document compromettant pour de hauts fonctionnaires dont certains sont encore aux affaires. Le document en question, photocopié au ministère de la Justice lorsqu’il y travaillait, fait état d’opérations en millions de dollars pour lesquelles le Parquet a demandé la conduite à tenir à son ministère de tutelle. Il aurait ensuite été transféré à la Primature et à la Présidence de la République où il a été mis sous le boisseau, dit-il. Il n’en faut pas plus pour que toute la République se mette en branle. L’homme est intercepté par la police au lendemain de son intervention et son ancien ministère se fend d’un communiqué rejetant des déclarations « politiques dégoulinant de mauvaise foi ».

En tout cas, l’homme reste droit dans ses bottes. Il détient bien le document, en montre une copie électronique aux policiers lors de son interrogatoire et promet de le diffuser en temps opportun. Mais le papier serait-il à ce point important pour justifier tout ce tapage? Si le gouvernement actuel n’a rien à se reprocher, puisque les faits sont antérieurs à son arrivée au pouvoir, pourquoi se met-il ainsi à découvert, en prêtant le flanc aux critiques qu’a suscitées cette arrestation ? Jusqu’à quand la loi du silence va-t-elle s’appesantir, chaque fois qu’on tente de dévoiler un pan d’une des multiples opérations qui ont saigné ce pays à blanc ?

Ould Abdel Aziz et son groupe sont entre les mains de la justice. Qu’elle suive son cours, à la bonne heure ! Mais il est inacceptable qu’elle soit sélective. Tous ceux qui ont mis la main à la pâte doivent répondre de leurs actes, quels qu’ils soient. La transparence qu’on nous a promise ne doit pas rester un vain mot, comme le fut le célèbre slogan de la lutte contre la gabegie dont Aziz fit son cheval de bataille. Avec le résultat qu’on sait.

                                Ahmed ould Cheikh

dimanche 17 octobre 2021

Editorial: Plus que quatre-vingt jours…

 « La presse se meurt, la presse est morte ». Combien de fois aura-t-on entendu cette litanie ? Depuis quelques années, en effet, la presse privée est au bord du gouffre. Si elle n’y est pas déjà. À la baisse des ventes – un phénomène mondial dû à la concurrence d’Internet –, l’absence d’une régie publicitaire capable de lui garantir un minimum de revenus pour faire face à des charges incompressibles, l’insignifiance du fonds d’aide alloué par l’État, la floraison de journaux-cartables encouragée par le pouvoir pour discréditer encore plus ladite presse libre, s’est ajoutée la décision inique concoctée par les âmes damnées du régime d’Ould Abdel Aziz – Ould Djay et Ould Hademine, pour ne pas les nommer – d’interdire à toutes les structures publiques et parapubliques de souscrire le moindre abonnement à celle-là. Une particulièrement cynique façon de les pousser à mettre la clé sous la porte. Et ils ont failli réussir.

N’eût été la volonté de fer affichée par les journaux les plus anciens de son paysage médiatique et grâce au soutien de quelques mécènes, notre pays allait se retrouver sans journaux indépendants, après avoir occupé plusieurs années de suite la première place du classement RSF pour la liberté de presse.
En quoi le changement de régime  a-t-il modifié la situation ? En pas grand-chose, serait-on tenté de dire. Certes la presse n’est plus diabolisée mais elle est toujours exclue des déplacements présidentiels et le Fonds d’aide, sur lequel elle fondait beaucoup d’espoirs, n’a pas dérogé à la règle au cours des deux dernières années. 2021 sera-t-elle meilleure ? En tout état de cause, ce ne sont pas les bonnes intentions qui manquent, au moins en paroles. Les actes ne valent que par leur intention, me direz-vous. Bien sûr. Mais que valent les intentions sans les actes ? À paver l’enfer, pour les meilleures d’entre elles ? Cela dit, 2021 n’est pas terminée : il lui reste encore quatre-vingt jours pour boucler son compte. Et l’on sera à mi-parcours du présent mandat présidentiel…

                                                      Ahmed Ould Cheikh

dimanche 10 octobre 2021

Editorial: La carotte, de préférence au bâton !

 « Expression violente d’un ras-le-bol populaire vis-à-vis d’une crise endémique à plusieurs facettes », comme les a qualifiés le professeur Lô Gourmo, c’est peu dire  que les évènements de R’kiz doivent nous interpeler. D’abord par leur rapidité, leur ampleur et l’écho qu’ils ont reçu. Réseaux sociaux aidant, l’information a fait le tour du Monde en quelques clics. Ensuite par le danger que fait peser sur la paix sociale ce genre de troubles à l’ordre public.

Enfin par la nécessité – Que dis-je ? L’urgence ! – de prendre à bras le corps les multiples difficultés auxquelles fait face notre peuple meurtri par des décennies de gabegie, laisser-aller et démission de l’État. La leçon sera-t-elle retenue ? Accusés de complaisance et laxisme dans la conduite de leurs services respectifs, les responsables du département ont certes été tous limogés sans ménagement et le ministre de l’Intérieur entamé une tournée de prises de contact dans toutes les wilayas.

Mais la gestion de la crise a été entachée par des pratiques dont le pouvoir aurait bien pu se passer. Selon des ONG se basant sur plusieurs témoignages, certaines personnes arrêtées auraient subi des tortures. Ce qui n’a fait évidemment qu’aggraver les choses. Ce genre de situation demande tout-à-la fois du tact et une application stricte de la loi. En rajouter ne peut qu’apporter de l’eau au moulin de ceux qui voient, dans le tout-répressif, la panacée et, dans la démocratie, un luxe. La solution est pourtant beaucoup plus simple : donner à manger et à boire ; autrement dit, préférer la carotte au bâton.

                                                                              Ahmed ould Cheikh

vendredi 1 octobre 2021

Editorial: Le bien commun

Kobenni  il y a quelques mois, R’kiz la semaine dernière, une autre ville dans quelques jours peut-être : jusqu’ici pratiquement inconnue sous nos cieux, la tentation de l’émeute commence à entrer dans nos mœurs. Des scènes d’une rare violence sont filmées et diffusées en boucle sur les réseaux sociaux. On y voit des jeunes – et des moins jeunes…  – dresser des barricades, brûler des pneus sur la chaussée, attaquer les édifices publics – et privés, comme à R’kiz… – et exprimer, invectives à l’appui, leur ras-le-bol face à la démission de l’État. Officiellement, les émeutiers protestent contre le manque d’eau potable et les délestages électriques. Mais, côté pile, le problème n’est-il pas plus profond ? Mal-être d’une jeunesse désabusée par le chômage et le manque de perspectives ? L’eau et l’électricité, qu’ils ont tout à fait raison de réclamer par ailleurs, ont-ils été la goutte (introuvable) qui a fait déborder le vase ou l’étincelle (tout aussi rare) qui a mis le feu aux poudres ?

Certes  il existe d’autres moyens – beaucoup plus civilisés… – pour se faire entendre mais nul n’est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. L’aspiration au changement tarde à se concrétiser alors que ce pauvre peuple pensait, après une décennie chaotique, qu’il allait enfin voir le bout du tunnel. Résultat des courses, son électricité est rationnée, il ne boit pas à sa soif et ne mange plus à sa faim, hausse vertigineuse des prix des denrées de première nécessité oblige. Et voilà qu’on lui demande en plus de rester calme ! Lorsque le gouvernement tunisien décida, en 1983, d’augmenter le prix du pain et des produits céréaliers, le peuple manifesta sa colère.  Malgré l’état d’urgence et le couvre-feu, les émeutes firent plus de cent quarante morts. Le prix de l’annulation des augmentations qui s’en suivit dans la foulée ? Mais nous qui subissons toutes sortes de hausses, dans un climat alourdi de suspicions et de rancœurs entre ethnies et castes, un tel scénario « optimiste » est-il seulement envisageable ? Les émeutes de Kobenni, R’kiz et consorts sont plus probablement des avertissements d’une tout autre ampleur de chaos. À moins de miser, a contrario, sur une telle aventure, il faut agir. Et vite, si l’on veut vraiment le bien commun.

                                          Ahmed Ould Cheikh