samedi 29 juillet 2017

Editorial: Etat voyeur, Etat voyou

Depuis quelques jours, une nouvelle affaire, dite des « enregistrements Whats’app » attribués au sénateur Mohamed ould Ghadda, affaire aux relents de film de série B, ne cesse de défrayer la chronique, malgré l’actualité de la campagne référendaire, lancée par Ould Abdel Aziz himself. Le sénateur, farouche opposant au pouvoir en place et dont les téléphones avaient été confisqués, en Mai dernier, par la gendarmerie de Rosso, après un accident de voiture, a vu ses discussions étalées au grand jour. Les services de renseignements ont pris leur temps pour tripoter lesdits téléphones et en extraire des conversations où l’homme évoque, surtout, la fronde au Sénat et le rejet des amendements constitutionnels par cette haute chambre du Parlement. Rien que du très banal, pour un homme politique, engagé à fond dans une cause, qui affûte ses armes, mobilise les soutiens et cherche à rallier un maximum d’adhérents à sa cause. Qu’y a-t-il de mal à récolter des fonds pour soutenir des collègues, appuyer des partis d’opposition ou venir en aide à un(e) collègue, dans des circonstances déterminées ? Naguère général et pourtant alors soumis, lui, à une obligation de réserve, Ould Abdel Aziz ne suscita-t-il pas lui-même et soutint (en faisant appel à d’autres) un bataillon de parlementaires, pour mener la vie dure au seul président démocratiquement élu de notre histoire républicaine ? D’où obtint-il des fonds, pour maintenir la cohésion de sa troupe politicienne ? Peut-il reprocher, à quiconque, d’utiliser les armes dont il usa lui-même ? A la guerre, comme à la guerre…
Distillée au compte-gouttes, la publication de ces enregistrements, qui n’apportent rien de nouveau sur le fond, sauf, peut-être, qu’Ould Ghadda a joué un rôle-clé, dans le rejet, par le Sénat, des amendements constitutionnels, vise, en fait, un double objectif : occuper l’opinion et lui démontrer que les motivations des sénateurs n’étaient pas aussi désintéressées qu’ils l’ont affirmé. Mais la médaille a son revers. En violant le secret des correspondances, le pouvoir se met dans une inconfortable position. Cette Constitution qu’il veut amender et pour laquelle il mobilise les ministres, les hauts fonctionnaires, l’Administration, l’Armée et tous les moyens de l’Etat, ne stipule-t-elle pas, en son article 13 que « l’honneur et la vie privée du citoyen, l’inviolabilité de la personne humaine, de son domicile et de sa correspondance, sont garanties par l’Etat » ? A quoi sert une Constitution si, à la première occasion, on la piétine, en étalant, de surcroît, son forfait sur la place publique ? A quoi servent les lois, si ceux-là mêmes qui sont censés les faire appliquer, les violent impunément ? Qu’appelle-t-on un Etat qui saccage, au lieu de la  garantir, l’inviolabilité de la personne, de son domicile et de sa correspondance et ne s’en cache pas ? Un Etat-voyou, tout simplement. Qui ne recule devant rien, pour traîner ses opposants dans la boue, divulguer leurs correspondances et chercher le moindre prétexte pour les embastiller.
                                                                                           Ahmed Ould Cheikh

lundi 24 juillet 2017

Editorial: Amendements spirituels

Après le premier des ministres à l’Est, en Assaba et au Brakna, où il a tenu des meetings en faveur des amendements constitutionnels, c’est au tour du président de l’UPR – le parti-Etat, version PRDS, l’argent et les foules en moins – de prendre son bâton de pèlerin pour sillonner le Trarza, de long en large. Tout sourire, Ould Maham, accueilli, comme un chef d’Etat, à l’entrée des cités, ne boudait apparemment pas son plaisir.
Il passe en revue les cadres, accourus de Nouakchott, les notables et ceux qui le sont moins, en se délectant d’être à la tête d’un parti visiblement aussi populaire que ceux qui l’ont précédé. Et qui, pourtant, volèrent tous en éclats, à la première bourrasque emportant leur tête « pensante »…  Mais foin de mauvais augures ! Pour l’heure, le président de l’UPR veut profiter de l’instant présent. Cette foule qui l’acclame, ce micro qu’on lui tend, au milieu d’un tonnerre d’applaudissements, ce n’est pas donné à tout le monde.
Et le voilà, emporté par son élan, à faire preuve d’une mémoire étonnamment sélective : « Le Trarza, cette région qui a donné, au pays, tant d’oulémas et de savants, dont le rayonnement a dépassé nos frontières... ». Mais pas un mot sur l’émirat séculaire, la résistance à la colonisation, les dizaines de martyrs… Les traits rouges au drapeau pour lesquels il fait campagne ne sont-ils pas un hommage à cette même résistance ? Ne lui faisons pas porter le chapeau. Ould Maham n’est que la voix de son maître qui n’apprécie pas, particulièrement, cette région, du moins en certaines de ses composantes. Et il ne s’en cache pas.
Alors pourquoi le Trarza, alors qu’il n’a encore visité aucune autre ville de l’intérieur, pas même les chefs-lieux de région ? Qu’a-t-elle de plus que les autres pour expliquer ce putatif engouement envers les amendements constitutionnels ? Que lui vaut cet honneur ? Des ministères à la pelle, comme lors d’un passé récent ? Des secrétariats généraux de ministères, des directions d’établissements publics ou des ambassades ? Jamais, en effet, cette région n’a été aussi marginalisée et ses symboles si peu considérés.
Mais elle n’est pas la seule. Comme le reste du pays, le Trarza souffre d’un profond mal-être. Ses élites, qui refusent de s’abaisser à la flagornerie et au « lèche-bottisme », sont exclues. La seule route qui la relie au monde, et qui date des années 60, a été volontairement sabotée, au moment où d’autres, dont l’impact est quasi-nul, sont construites aux frais du contribuable. Les « grandioses » projets qu’on y lance, ne lui sont pas destinés. Ils servent, plutôt, à enrichir des intermédiaires à la moralité douteuse. Et s’il s’agissait, de surcroît, de la dépouiller d’une partie de son histoire, il n’y avait qu’un pas qu’Ould Maham a allègrement franchi à Rosso. Avant d’en franchir un autre,  beaucoup plus grave,  à Boutilimitt, en déclarant qu’Ould Abdel Aziz « a nourri ce peuple à sa faim et l’a protégé de la peur » (sic !), comme le fit Allah envers les Qoraichites. Révisionnisme et associationnisme en guise d’amendements spirituels ? L’appétit, il est vrai, vient en mangeant…
                                                                             Ahmed Ould Cheikh

lundi 17 juillet 2017

Editorial: ...Et la caravane passe

Troisième mandat ! Le mot qu’on croyait tabou est lâché et pas par n’importe qui. Par le premier des ministres en personne, lors d’un meeting à Bouratt, au milieu de ce qu’on a coutume d’appeler le Triangle de la pauvreté. Pourtant, on pensait que le débat était clos, depuis l’allocution prononcée, par Ould Abdel Aziz, en Octobre dernier,  lors de la cérémonie de clôture du dialogue organisé avec une partie de l’opposition. Notre guide éclairé avait alors déclaré, solennellement, qu’il n’était pas question, pour lui, de toucher les articles limitant le mandat présidentiel et qu’il plaçait l’intérêt du pays au-dessus du sien. Si la déclaration allait de soi, puisque les articles en question étaient verrouillés, ça irait « encore mieux en le disant », pour paraphraser Charles Maurice. Qu’est-ce qui a changé entretemps, pour que l’appétit revienne aussi vite ? En fait, très peu d’observateurs pensaient qu’Ould Abdel Aziz était sincère, dans son affiche respectueuse d’une Constitution qu’il a foulée du pied, allègrement et à plusieurs reprises, mais le contexte n’était pas favorable à une annonce qui risquait d’avoir des conséquences désastreuses pour son pouvoir. Il a donc joué « balle à terre », comme disent les footballeurs, en attendant que l’idée mûrisse et que l’occase de s’en délecter se présente. Un premier essai s’est révélé pourtant calamiteux, avec le refus des sénateurs de voter les amendements constitutionnels qui supprimaient leur Chambre parlementaire et lui permettraient d’avoir les coudées franches, pour passer toute modification à sa convenance,  par une assemblée nationale toute à sa botte. Une déconvenue qui chamboulait tous ses plans et qu’il a très mal prise. Il ne lui restait plus qu’à s’obliger, contraint et forcé, à un incertain referendum, anticonstitutionnel, de surcroît, puisque le refus des sénateurs en interdisait même le recours, selon le titre IX de notre loi fondamentale. Branlebas de combat et report, pour la troisième fois, de la date de clôture du recensement électoral, au constat de ce que ledit referendum n’intéressait personne. Des généraux, des ministres et des hauts fonctionnaires envoyés au charbon, pour sensibiliser les leurs. Un président de la République qui multiplie les audiences, parfois avec des sous-fifres incapables de mobiliser leur propre famille. Celui de l’UPR qui sillonne le pays, pour dire que la Mauritanie a encore besoin  de « son » président, pour parachever l’œuvre de construction nationale entamée en 2008. Et, last but no least, le Premier ministre qui lâche, enfin, le morceau. Après avoir déclaré, à Tintane, que le système en place ne quitterait pas le pouvoir en 2019, le revoilà qui précise son idée : Ould Abdel Aziz fera bien  un troisième mandat. Le parjure ne faisant apparemment pas partie de son vocabulaire, Ould Hademine fait fi du serment prêté, par son mentor, de l’inviolabilité des articles sur le mandat présidentiel et du danger que fait peser, sur le pays, une énième violation de la Constitution. Mais ne lui faisons pas porter un chapeau plus gros que sa tête. Il fut toujours fidèle exécutant. C’est ce qui explique sans doute sa longévité, sans le moindre état d’âme, au service d’un pouvoir qui en est encore moins pourvu. Ce qui ne les disculpe, ni l’un ni l’autre. Il arrivera bien un jour où il faut rendre compte et se cacher derrière le sacro-saint principe de l’obéissance aux ordres venus « d’en haut » ne prémunira pas l’auteur de tout acte contraire aux lois et textes en vigueur.
Mais, avant d’en arriver là, il faut sonner le tocsin. L’opposition, la société civile, les démocrates et les partenaires étrangers doivent coordonner leurs efforts, pour faire échec à cette nouvelle forfaiture en gestation. Nous ne sommes certes pas de ceux qui crient « Aux armes, citoyens ! » mais nous voilà debout avec tous ceux qui croient en la souveraineté du peuple, bien au-dessus de ceux qui ne s’emploient qu’à l’abuser. Les propos d’Ould Hademine sont volontairement provocants. Ils ne traduisent que l’aboi d’un pouvoir en mal-être.  Lève-toi donc, peuple mauritanien, et que ta caravane passe, majestueuse, au pas tranquille de tes chameaux !
                                                                     Ahmed Ould Cheikh

dimanche 9 juillet 2017

Editorial: Défaillances systématisées


Les Nouakchottois, du moins ceux qui habitent le quartier huppé de Tevragh Zeïna, ont été surpris, la nuit suivant la fête, par un promeneur un peu particulier.  A bord d’un bolide (de ceux que le Qatar avait gracieusement offerts, à notre pays, à l’occasion du Sommet arabe !), Ould Abdel Aziz longeait les rues, ce soir-là, accompagné de sa douce moitié, particulièrement celles de ce quartier chic (n’exagérons rien). Echangeant saluts avec les rares personnes qui croient encore aux vertus de la Rectification, il s’est arrêté aux feux, comme tout bon citoyen. Et, dans un accès subit de générosité, a même offert un billet de 5000 UM à un mendiant. La scène a été filmée et a fait le tour des réseaux sociaux. Ses soutiens y ont vu un président « humain, normal, sensible à la détresse de ses concitoyens ». Il n’y a pourtant pas de quoi se vanter. S’il avait réalisé le quart de ce qu’il nous avait promis, il n’aurait pas vu un seul homme ou femme se départir de tout orgueil, pour un billet de banque sans lequel ses enfants périraient de faim. S’il n’avait pas renvoyé Pizzorno, pour un problème personnel, et attribué le ramassage des ordures à des sociétés fictives, pour des raisons politiques, Nouakchott ne croulerait pas sous les ordures. A-t-il vu, de ses propres yeux, le laisser-aller, érigé en mode de gestion de cette vitrine que doit être la capitale ? A-t-il vu les étals sur les trottoirs et la chaussée, ne laissant, aux automobilistes, qu’un filet de route pour s’y faufiler?  Pourquoi n’a-t-il pas réagi alors ?
Il est vrai que Nouakchott est à l’image du pays : mal géré, sale et désorganisé. Si nos ressources naturelles étaient bien gérées, la pauvreté et le chômage auraient disparu depuis longtemps. N’est-il pas symptomatique que le dernier rapport du National ressource Gouvernance Institute (NRGI), mesurant l’indice de gouvernance des ressources naturelles dans 81 pays, classe la Mauritanie dans la catégorie des Etats dont la gouvernance est qualifiée de « défaillante », au même titre que le Zimbabwe ou l’Erythrée ? Où sont passées les dividendes du fer, de l’or, du cuivre et du poisson ? Où sont partis les 4 milliards de dollars que nous avons contractés auprès des bailleurs de fonds ?  S’il avait accordé les mêmes chances à tout le monde, s’il n’avait pas banni certains et mis un embargo sur leurs sociétés, le chômage n’aurait pas atteint de telles proportions. Si tout l’argent qu’on reçoit était réellement destiné au développement, le pays serait doté d’infrastructures dignes du nom. Si la planification avait droit de cité, on n’aurait pas besoin de démolir nos routes, pour les refaire à nouveau. Si, dès son arrivée, il y a 9 ans, il avait accordé un tout petit peu d’importance à l’enseignement, la « génération Aziz » serait, maintenant, au collège et sortirait ainsi d’un îlot de médiocrité. Si, en son temps, l’esprit mercantiliste n’avait pas pris le dessus, toutes les façades des maisons ne seraient pas transformées en boutiques et les écoles vendues pour devenir des marchés.  Rectification, en langage azizien, est bel est bien synonyme de systématisation des défaillances.
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh