jeudi 23 décembre 2021

Editorial: Exquis

 Jusqu’à quand les Mauritaniens continueront-ils à boire le calice – pardon, le thé… – jusqu’à la lie ? Cette boisson nationale que nous buvons du berceau au tombeau nous sera-t-elle interdite quand nos décideurs finiront par prendre le taureau par les cornes ? Il y a, en tout cas, de quoi tirer la sonnette d’alarme. Commandée par le Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés (CCME) et réalisée par un laboratoire français de renommée internationale, une étude sur le thé vert utilisé localement ne laisse plus de place au doute. Ingurgitant des quantités astronomiques de thé, comme nous savons si bien le faire en toute occasion, nous nous contaminons tous les jours à petit feu et risquons toutes sortes de maladies. Selon l’étude en question, « vingt-six pesticides ont été détectés au sein des dix échantillons de thé vert analysés. Parmi ces vingt-six molécules, huit sont présentes à des taux qui dépassent la Limite Maximale de Résidu autorisée (LMR), ce qui devrait leur interdire l’accès au marché européen. » Et non mauritanien, apparemment, puisqu’elles y circulent en toute liberté. Négligence et irresponsabilité dans toute leur splendeur... Mais le laboratoire ne s’arrête pas là : trois pesticides (chlorpyrifos, cyhalotrine et tolfenpyrad) sont présents dans dix échantillons sur dix, à des taux compris entre 200 et 11.000 % (!!!) de la LMR. De quoi devenir fou dans tous les sens du terme. Et, tandis qu’on ne se salue plus que du poing, Omicron exige, c’est à domicile et au bureau que se mijotent, à petit feu, disais-je, mais très aimablement tout de même, nos hépatites et autres cancers inexpliqués. Ainsi additionné de tant de chimies, n’est-il pas exquis, le goût de notre modernité si progressiste ?

                                               Ahmed Ould Cheikh

dimanche 19 décembre 2021

Editorial: Masochistes, les Mauritaniens?

Le Président s’en est affligé à Ouadane : « notre héritage culturel est terni […] par les survivances de l’injustice » générée par le système des castes dont les couches réputées « inférieures » furent – et demeurent à l’ordinaire – « les bâtisseurs de la ville et les artisans » de toute ingénierie, à l’instar, au Sud du pays, des producteurs agricoles. En bas de l’échelle sociale, « alors que le bon sens voudrait qu’elles en fussent à la tête », s’est-il insurgé, « acteurs de développement  à l’avant-garde des bâtisseurs de la civilisation ».

Ces mains étaient censées n’avoir pas de tête personnelle. 10% de nobles, guerriers ou zawayas, dépourvus, eux, de bras, pensaient pour elles. Et le système fonctionnait, profondément, viscéralement inégalitaire. Avec l’arrivée du principe « un homme, une voix », ces inégalités auraient dû logiquement disparaître. Or elles ne cessent de reprendre du poil de la bête, comme en témoigne la refloraison actuelle des « expressions tribales », notamment à chaque visitation présidentielle. Masochistes, donc, les Mauritaniens ? Ou tout simplement prosaïques ?

C’est que le vieux système avait ceci de protéger un tant soit peu tous ses membres, leur assurant au minimum la survie dans un milieu naturel des plus difficiles. C’est à cela que l’État de Droit prétend aujourd’hui, pour tous les citoyens, sans « privilège ni devoir sur la base d’une appartenance quelconque autre qu’à celui-là », a rappelé avec éloquence notre Président. Le rappeler, c’est bien ; le réaliser, c’est beaucoup mieux. Et l’impuissance à contrôler les hausses continuelles des prix des plus élémentaires nécessités, tout comme celle à établir un système universel réellement efficace de sécurité sociale, prouvent tout le contraire. « Si chacun aujourd'hui comprend, plus ou moins précisément », disait déjà l’un de mes amis lors de la Transition de 2005-2007, « l'impérieux devoir de l'État à assurer la cohésion nationale, l'intelligence de celui-ci, de ses plus éminents responsables à ses plus humbles exécutants, consiste à donner aux forces populaires suffisamment de coudées franches pour qu'une symbiose puisse se réaliser entre toutes ». Où en est-on, quinze ans plus tard ?

                                                                             Ahmed ould Cheikh

dimanche 12 décembre 2021

Editorial: Tribus hors-la-loi

 Feu Habib appelait « visitations » les visites du président de la République à l’intérieur du pays. Et ne cessa, tout au long de ses fameuses « Mauritanides », de les tourner en dérision ainsi que le cirque qui a les toujours accompagnées. C’était au temps de Maaouya, de la Direction nationale éclairée et du PRDS omnipotent. Seize ans après le départ de celui à qui il ne manqua que d’être intronisé roi, on n’est pas sorti de l’auberge. Que ce soit avec Aziz ou Ghazwani, les mêmes scènes se répètent inlassablement. Lors des derniers déplacements présidentiels à Timbédra ou Rosso, la république a montré son visage le plus hideux. Où le tribalisme règne encore en maître. Malgré une récente circulaire du ministère de l’Intérieur interdisant toutes réunions à caractère tribal, les tribus ont bravé l’oukase, en se réunissant au grand jour, amassant des fortunes, louant force voitures pour se déplacer en masse et assister à l’accueil. C’était la course à celle qui mobiliserait le plus de monde pour être la mieux « vue ». Un spectacle affligeant au 21èmesiècle dans un pays qui se prétend démocratique. Et l’on ne risque pas d’en sortir, tant que l’État n’aura pris le taureau par les cornes en sévissant contre ce genre de pratiques malsaines. Comme l’avait fait feu Mokhtar ould Daddah lorsqu’il limogea d’un coup des dizaines de fonctionnaires ayant assisté à une réunion à caractère tribal. Un coup de massue qui avait presque sonné le glas de cette entité. Avant que les militaires et leur démocratie de façade ne lui redonnent une seconde vie. Et à ce rythme, elle n’est pas près de s’éteindre…

                                                                                                                  Ahmed ould Cheikh

dimanche 5 décembre 2021

Editorial: Rentable, le ridicule?

 Après avoir ouvert un compte Facebook en son nom, l’ex-président Ould Abdel Aziz, entre autres poursuivi pour enrichissement illicite, blanchiment d’argent et détournement de deniers publics – excusez du peu – et placé en  détention préventive, l’a supprimé quelques semaines après. La faute sans doute au peu d’enthousiasme que cette page a suscité auprès des désormais rares soutiens de l’ancien guide si peu éclairé. Féru de réseaux sociaux, il s’est cependant rabattu sur Twitter et a commencé à l’inonder de messages, à l’instar du clown Trump (son modèle ?). Tous plus virulents les uns que les autres vis-à-vis du gouvernement à qui il ne pardonnera sans doute jamais de l’avoir déplumé et envoyé en taule. Un jour, c’est la loi des symboles qu’il fustige, lui qui symbolisait pourtant et plus que jamais l’omnipotence et qui envoya en prison tous ceux qui n’avaient pas l’heur de lui plaire. Un autre, c’est la hausse des prix  qui intéresse celui qui n’a jamais autant mérité, en son temps, le titre de « président des pauvres ». L’augmentation du budget de la Présidence et des salaires des députés ont eux aussi eu droit à des tweets rageurs. C’est à croire que celui dont l’exercice du pouvoir s’apparente à la casse du siècle, si l’on en croit les cavernes d’Ali Baba découvertes un peu partout, se soucie désormais du sort de ses concitoyens. L’hôpital qui se moque de la charité, serait-on tenté de dire… À l’instar de Trump, disais-je tantôt. Il est certes vrai que le ridicule ne tue pas. Mais serait-il rentable ? Quand on connaît la frénétique avidité des deux pitres, on s’interroge, tout de même…

                                                            Ahmed Ould Cheikh

mercredi 1 décembre 2021

Editorial: Seigneur de miséricorde, abrège nos souffrances !

 Le document faisant état de malversations à la banque Centrale de Mauritanie au temps d’Ould Abdel Aziz, que l’ex-conseiller du ministre de la Justice affirmait détenir par devers lui et qui lui valut d’être interpelé pendant deux jours par la police, a été divulgué par l’Observatoire du Civisme et des Libertés. Et il n’a dévoilé qu’une infime partie de ce que tout le monde savait déjà, un petit morceau d’un énorme iceberg de prévarication et de gabegie, une symphonie savamment jouée par tout un clan. Où la BCM joua allègrement sa partition, comme toutes les autres institutions de l’État. Comment aurait-il pu en être autrement, d’ailleurs ? Quand, dans un pays qui se dit islamique, son raïs reconnait avoir lui-même trempé dans des affaires louches avant même d’arriver à la tête de l’État, il faut s’attendre au pire une fois qu’il aura toutes les cartes en main. Et l’on n’a pas été déçu. On aura tout vu en une décennie. Même la banque Centrale, dont les méthodes de gestion et les procédures étaient systématiquement frappées du sceau de la rigueur – n’exagérons toutefois pas outre mesure… – n’a pas échappé à la boulimie ambiante. Elle s’est transformée en passoire où les principales devises se retiraient ou s’échangeaient en toute opacité. La suspecte N°1 dans l’affaire dite de la BCM déballa tout aux enquêteurs. Le procureur de la République en fit rapport à sa tutelle. C’est de cela que parlait Ould Haroun. Mais il n’y eut jamais de suite : pouvait-on, de fil en aiguille et d’aveux en dénonciations, inculper toute la république ? Il ne s’agit pas de couper un doigt gangrené ; la main, le bras – la tête ? – sont pourris. Y a-t-il donc une chance de sauver notre Nation ? On se prend parfois à souhaiter que le Jour Dernier vienne au plus vite…

                                                               Ahmed ould Cheikh