dimanche 30 novembre 2014

Editorial: Nécessité vitale

La maison Mauritanie va-t-elle brûler ? Entre des FLAM qui réclament l’autonomie pour lesgions du Sud, IRA qui en appelle à une refonte totale d’un système social bâti sur l’injustice, des maures « blancs » qui veulent, désormais, en découdre avec ceux qui rejettent l’ordre établi et un pouvoir qui laisse pourrir la situation, s’il ne souffle pas carrément sur la braise, il y a de quoi s’inquiéter pour la maison commune. La Mauritanie a certes connu beaucoup de secousses, par le passé, qui ont mis à mal sa cohésion et ont failli l’entraîner vers des lendemains plus qu’incertains. Mais elle a toujours fini par se rattraper, ce qui unit ses différentes composantes étant plus fort, et de loin, que ce qui les sépare. Les évènements de 66, les troubles scolaires qui faillirent dégénérer, en 1979 ; la déchirure de 1989, les plaies de 90/91 ont tous été, plus ou moins, dépassés. Non sans séquelles, il est vrai. Les multiples intrusions militaires et les manipulations électorales des civils ont été contenues et raisonnablement gérées, par la sagesse incommensurable d’un noyau de patriotes qui fait encore – mais pour combien de temps ? – prévaloir l’intérêt général sur les petits calculs personnels. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Et la mère du voleur ne continue pas toujours à « youyouter » … c’est connu. Le peuple mauritanien n’est pas exceptionnel. Rien ne le prémunit contre les débordements. Rien. Surtout que mes mêmes causes produisent, jusqu’à preuve du contraire, toujours les mêmes effets.
Jusqu’à quand va-t-on continuer à tirer sur la corde, avant qu’elle ne se brise ? Un élan national est nécessaire, une sorte de maïeutique socratique, pour que tout un chacun dise ce qu’il a sur le cœur. Pour qu’enfin l’abcès soit crevé. La Mauritanie est une et indivisible et elle a besoin de tous ses fils. Mais elle ne les rassemblera qu’autour d’un projet vraiment commun, juste, équitable. La réalité pigmentaire de notre nation est majoritairement noire, mais, tandis que nos médias nationaux s’acharnent à la blanchir à outrance – ouvrez un peu votre télé et constatez – la quasi-totalité des pouvoirs sont entre les mains d’une oligarchie qu’il n’est pas outrancier de qualifier d’arabo-berbère. Non pas que tous ceux-ci soient également pourvus, loin s’en faut. Mais il faut se rendre à l’évidence des déséquilibres, probablement plus statutaires que raciaux, au demeurant. Les constater, les reconnaître, proposer des remèdes efficaces. Autour d’une même table. Chacun conscient de ses particularités, chacun défendant sa part de gâteau, mais tous convaincus de former une même nation. Un pari insoutenable ? Non, une nécessité vitale, tout simplement.

                                                                                             Ahmed Ould Cheikh

dimanche 23 novembre 2014

Editorial : Le vent souffle partout



Depuis quelques jours, une rumeur insistante fait état d’un accord entre l’opposition regroupée au sein du FNDU et le pouvoir, pour décrisper une situation politique tendue depuis plus de six ans. Les négociations seraient à un stade avancé entre les deux camps. L’accord prévoirait une dissolution de l’Assemblée nationale, des élections législatives et municipales anticipées et un amendement constitutionnel visant la suppression d’un Sénat sur lequel personne ne verserait une larme, tant la chambre haute du Parlement paraît superflue, dans le contexte mauritanien où l’Assemblée suffit amplement à « applaudir » les lois. Vous aurez sans doute remarqué que tout le paragraphe est au conditionnel, puisque rien ne permet de dire, à l’heure qu’il est, qu’une éclaircie de quelque nature pointe à l’horizon. Qui a, d’ailleurs, la fâcheuse habitude de paraître de plus en plus bouché. Les exemples tunisien, égyptien, libyen et, plus récemment, burkinabé, n’ont apparemment pas fait réfléchir nos képis étoilés. « La Tunisie n’est pas la Libye », disait Kadhafi, après la Révolution de jasmin qui avait remporté Ben Ali. Quelques mois plus tard, c’était à son tour d’être emporté par une bourrasque dont les effets risquent, si l’on n’y prend garde, de déstabiliser, non seulement toute l’Afrique du Nord mais aussi tout le Sahara et le Sahel.
Ould Abdel Aziz ira-t-il jusqu’à paraphraser celui qui, alors président de l’Union Africaine, avait pris fait et cause pour le putsch mauritanien de 2008 ? Certes, le Burkina n’est pas la Mauritanie mais la ressemblance est quand même frappante. Aziz et Compaoré sont tous deux d’anciens militaires arrivés au pouvoir par coups d’Etat. Reconvertis en « démocrates », ils ont gagné des élections présidentielles taillées sur mesure, leur parti respectif régnant en maître sur la scène politique. Leurs clans ont fait main basse sur les maigres économies de leurs pauvres pays et ceux, parmi leurs opposants ou leur presse, qui refusent de courber l’échine n’ont pas voix au chapitre ; sont même diabolisés. Les deux pays caracolent en tête des nations les plus corrompues du monde et leur indice de développement humain ferait honte à la Somalie ou à la Syrie, pourtant en guerre.
Oui, la Mauritanie n’est pas le Burkina. Pas encore. Mais le vent souffle, ici et là. Que lui faut-il pour déraciner les arbres qu’on croit – ou qui se croient – les mieux enracinés ? Comment font ceux-là pour se prémunir, efficacement, contre ses bourrasques ? Voilà des questions très universellement saharo-sahéliennes, par les temps qui courent…

                                                                          Ahmed Ould Cheikh


lundi 17 novembre 2014

Editorial : Voyage, voyage…

Ould Abdel Aziz est parti ce lundi à Ouagadougou. Un voyage-éclair d’une journée. Pour porter la « bonne » parole et apporter le soutien de l’Union Africaine au processus en cours visant à instaurer une transition consensuelle. Notre ancien putschiste, reconverti en démocrate et bombardé président de l’UA, faute de concurrent, sait-il de quoi parler aux auteurs du coup d’Etat ? Qui n’en est pas un, en fait, puisque les militaires burkinabés, malgré une longue tradition de putschs, ont, cette fois, ramassé le pouvoir dans la rue. Notre rectificateur en chef a, lui, déjà deux coups d’Etat à son actif, en 2005 et 2008, sans avoir, à aucun moment, songé à mettre en place une transition consensuelle ou à remettre le pouvoir aux civils – si l’on exclut la parenthèse Mbaré qui n’a duré qu’à peine un mois. Les démocrates burkinabés pourraient d’ailleurs lui faire remarquer, à juste titre, qu’au moins sur ce point, il est mal placé pour donner des leçons. Ils ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en se tournant d’abord vers la CEDEAO dont trois présidents (véritablement démocrates ceux-là) ont débarqué au Burkina pour encourager les différents pôles à se mettre d’accord sur un processus garantissant le retour rapide à un ordre constitutionnel normal. Aziz ira donc prêcher en terrain conquis. Il aurait pu faire l’économie d’un voyage inutile. Surtout qu’il est à la veille d’un marathon qui le mènera jusqu’à la lointaine Australie, pour assister au Sommet du G 20, en tant que président de l’UA.
Voyage, voyage… Comme si tout se passait bien chez nous. Comme si tous les problèmes étaient derrière nous. Comme si le prix du fer n’avait jamais baissé. Comme si le poisson s’arrachait comme des petits pains. Comme si l’hivernage avait été bon. Comme si une petite minorité de privilégiés n’avait pas fait main basse sur nos maigres ressources, chacun s’appropriant un domaine : banques, BTP, importation de produits alimentaires, fournitures aux établissements publics, marché de gré-à-gré, taxes imaginaires (dont la plus célèbre demeure celle de 3% du prix de chaque produit débarqué au Port de Nouakchott, une sorte de prime d’assurance obligatoire, versée comme une obole à un favorisé qu’on ne nommera, puisque tout le monde le connaît).
Aux pauvres, « non-agréés », il ne reste que des miettes. Des sociétés, qui avaient, il y a peu, pignon sur rue, mettent la clé sous la porte. Cinq ans encore dans cette galère et il ne nous restera plus grand-chose. A moins que d’ici là, un voyage de trop… ou la rue… qui sait ?
                                                                      Ahmed Ould Cheikh
  

dimanche 9 novembre 2014

Editorial: Automne sahélien?

Le peuple burkinabé a parlé. Il s’est levé, comme un seul homme, pour dire non à une dictature imbécile. Il a donné l’exemple à toute une Afrique asservie par des tyrans accrochés à leur trône. En une journée d’émeutes et de bravoure, il a balayé un pouvoir, vieux de 27 ans, qui refusait de voir plus loin que le bout de son nez. Un régime qui voulait toujours plus. Un président assassin qui s’entêtait à vouloir changer la Constitution, pour briguer un troisième mandat et, pourquoi pas, un quatrième ou un cinquième. Et qui n’a pas compris, ou trop tard, que le monde a changé. Que la caution de l’ancienne puissance coloniale ne suffit plus pour se maintenir au pouvoir. Que la jeunesse africaine aspire, désormais, au changement. Que le printemps arabe a fait des émules au sud du Sahara.
Une journée, une seule, et voilà un pouvoir de plus d’un quart de siècle qui s’effondre, comme un château de cartes. Celui qui voulait apparaître, aux yeux du Monde, comme un « sage », un médiateur de tous les conflits, un militaire devenu démocrate, n’était, en fait, qu’un pompier pyromane, attisant la haine en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone, au Liberia et au Mali. Qu’un leurre, un fétu de paille que la première bourrasque a emporté.
Et les vautours, qui rôdaient dans les parages, n’ont pas tardé à entamer leur parade macabre. Les militaires, jusque-là tapis dans l’ombre, transis de peur, se proclament, chacun, calife à la place du calife. Le vaillant peuple du Faso devrait être plus vigilant, pour qu’on ne lui vole pas une victoire arrachée de haute lutte et au prix du sang. Un militaire qui s’arroge le titre de président de transition n’est jamais un bon signe. Demandez, aux Mauritaniens, ce qu’il est advenu de leur première transition. Les militaires ont, en effet, une déplaisante propension à prendre rapidement goût au pouvoir et à chercher, par tous les moyens, comment s’y incruster.
Les nouveaux-venus burkinabés y parviendront-ils ? Ou « l’automne sahélien » est-il l’annonce, enfin, de leur hiver ? Un peu de fraîcheur, après tant de canicules militaires, ne serait vraiment pas de trop. Peuple burkinabé, boutez-nous, une bonne fois pour toutes, cette galonnade à ses casernes !

                                                                     Ahmed Ould Cheikh

lundi 3 novembre 2014

Editorial: CQFD

Secret de Polichinelle : Nouakchott croule sous le poids de ses ordures. Depuis la rupture du contrat avec la société française Pizzorno, qui s’occupait, tant bien que mal, de la collecte et de l’enfouissement des tonnes d’immondices produites, quotidiennement, par la mégapole de bédouins qu’est devenue Nouakchott, la Communauté urbaine, à qui a été dévolue cette tâche dans l’urgence, ne sait plus où donner de la tête…Dépourvue de moyens humains et matériels, elle a été obligée de faire appel à des sociétés privées et à des particuliers, pour la location du matériel, et à l’Etat, pour financer une opération que son budget ne prévoyait pas. Mais bonne volonté ni efforts ne parviennent à venir à bout des détritus qui s’entassent, en un clin d’œil, à chaque coin de rue, causant de multiples désagréments aux citoyens, particulièrement ceux des quartiers périphériques où la rotation des camions de ramassage n’est pas aussi régulière que dans les zones huppées.
Dilemme pour le président de la République à qui l’on doit l’initiative de la rupture du contrat avec Pizzorno. Rappeler cette société et se renier publiquement ? Ou se coltiner la responsabilité de l’insalubrité publique ? Publiquement, public… Pourquoi ne pas renvoyer publiquement le public mauritanien à sa propre responsabilité ? Passer du « je suis responsable » au « vous êtes responsables » ? Et voici nos chargés de com’ présidentielle à plancher sur un nouveau coup médiatique…
On commencera, donc, par « nous sommes tous responsables ». Preuve à l’appui, avec la descente, sur le terrain, de notre guide, éclairé, de plus en plus souvent, à la loupiote du volontariat d’Haïdalla. Allez hop, tout le staff aux poubelles ! Samedi dernier, c’était ainsi branlebas de combat partout dans Nouakchott. Ministres, secrétaires et directeurs généraux, directeurs tout court, généraux et générales, personnel gradé et subalterne, tous en tenue de combat contre les ordures ! Pelle ou râteau à la main, regard furtif vers la caméra, histoire de s’assurer de la réalité du film, l’exemple à suivre est bel et bien donné d’en haut.
Après deux jours de labeur, certaines zones ont effectivement été nettoyées. Mais qui s’en occupera, demain, après-demain et après-après-demain, jour après jour, lorsque les ordures s’entasseront de plus belle ? Faudra-t-il que notre leader bien-aimé – lui qui se disait, il y a peu, obligé de s’occuper lui-même de tout – consacre, chaque semaine, un ou deux jours au nettoyage de notre vitrine nouakchottoise ? Allons, citoyens, laissez votre président présider, vous guider à vos pelles et râteaux, soyez, enfin, responsables ! CQFD.

                                                                       Ahmed Ould Cheikh