mercredi 26 janvier 2011

Editorial : Lettre de Ben Ali à Ould Abdel Aziz

«Cher frère d’armes, je me permettrai de tutoyer, étant plus âgé que toi et ton ancien, au grade de général, dans la fonction de chef de l’Etat et dans celle de président de la République. Nos parcours ont plusieurs points communs et tu fus, de plus, le dernier président à me rendre visite. Trois jours, seulement, après ton départ de Tunisie, le compte à rebours, pour le mien, a commencé. Nous avons, tous les deux, intégré l’Armée sur le tard, ce qui ne nous pas empêché de gravir si vite les échelons que les mauvaises langues prétendent que si nous avons atteint le grade de général, c’est plus par complaisance que par mérite. Nous avons gravité autour du pouvoir et dans ses palais dont les lustres nous ont tellement attirés qu’on a fini par succomber à leurs charmes. Nous avons accompli deux coups d’Etat, médical, pour moi, et militaire, pour toi, qui ne seront jamais cités comme de hauts faits d’armes. Nous avons, en effet, renversé deux vieux présidents qui n’avaient ni garde rapprochée, ni sécurité présidentielle, sauf celles que nous avions, nous-mêmes, placées à leurs côtés. Nous avons utilisé les mêmes arguments, à 21 ans d’intervalle, pour justifier leur mise à l’écart, et nous avons suscité autant d’espoir, à notre arrivée au pouvoir. Nous avons fait les mêmes promesses: démocratie, liberté, égalité, justice, progrès et tout le tintouin qui n’engage que celui qui y croit. J’ai été le premier à les oublier. Et, d’après les échos que je reçois de la Mauritanie, tu n’es pas loin de prendre le même chemin.
Mais il n’est pas trop tard: tu peux encore te rattraper, avant que tes carottes, comme les miennes, ne soient cuites pour de bon. Tu as besoin de conseils, mon frère. Et je vais t’en donner à gogo. Instaure une vraie démocratie, dans ton pays. N’écoute pas ceux qui te disent que les Etats arabes et africains ne sont pas mûrs pour celle-ci. Laisse ton peuple s’exprimer, librement, dans la presse écrite et audiovisuelle, ne censure rien, ne brime pas et n’emprisonne pas ceux qui se battent pour la liberté. Garantis le droit d’association et de réunion. L’oppression, les brimades et la terreur n’engendrent que la soif de délivrance et, quand un peuple veut prendre son destin en main, la meilleure police du monde ne peut en venir à bout. Les Tunisiens l’ont démontré. Je pensais, pourtant, que rien ne leur manquait. D’après les informations que me faisaient parvenir mon parti, le gouvernement et les dizaines de services de renseignements que j’ai mis en place, le peuple me prenait pour un génie dont il ne pouvait plus se passer. Un bon conseil: n’écoute pas ceux qui te répètent, à longueur de journées, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils ne veulent que plaire, pour conserver leurs postes et leurs avantages. Ecoute, plutôt, le pouls du pays, diversifie tes sources d’informations et ne crois pas, un seul instant, que tu es le meilleur, comme essaient de t’en persuader, chaque jour, les flagorneurs et les laudateurs. Organise des élections libres et transparentes et, même si tout le monde te réclame, ne dépasse pas deux mandats. Evite, comme la peste, l’omnipotence d’un parti/Etat. Ne laisse pas les prix des denrées de base augmenter au-delà du raisonnable, par la faute des commerçants et des spéculateurs. N’écrase pas trop ton opposition, pour qu’il y ait une alternative, au cas où les choses tourneraient mal, et ordonne, à la police, de n’avoir ni la main lourde ni la gâchette facile, lorsque des manifestants réclament plus de justice et d’équité. Ne laisse jamais ta famille, proche ou lointaine, profiter de ta position dominante pour s’arroger des avantages. Il n’y a pas plus dangereux qu’un peuple aigri, qui subit des injustices et voit d’autres profiter, indûment, de ses richesses, parce qu’ils bénéficient d’opportuns liens de parenté.
Je ne finirai pas cette missive sans te rappeler le cas de celui que tu as longtemps côtoyé et qui est désormais mon voisin au Qatar, l’ancien président Ould Taya qui, comme moi, n’a rien vu venir. Tu as encore la possibilité de ne pas finir comme nous. Saisis-la, avant qu’il ne soit trop tard.
Ton ancien, Zine El Abidine Ben Ali.
Ahmed Ould Cheikh

mardi 18 janvier 2011

Editorial : En attendant la prochaine secousse…

Le président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali a pris la fuite, pour aller se terrer, comme d’autres dictateurs avant lui, dans un pays du Golfe et un exil doré, laissant son pays à feu et à sang. Sous la pression de la rue et malgré trois discours en moins d’une semaine, au cours desquels il aura tout promis, le président tunisien a quitté le navire, avant qu’il ne sombre. Le comble de la lâcheté pour un capitaine. Pourtant, il y a un mois, personne ne pouvait imaginer que le peuple tunisien, façonné par près de cinquante ans de dictature et de pouvoir personnel, dont plus de vingt sous la botte d’un régime de terreur, pouvait se lever, comme un seul homme, et dire : ‘‘Non ! On en a assez !’’ Les images de manifestants, bravant les balles, les matraques et les grenades lacrymogènes d’une police rompue à toutes les techniques de répression, diffusées en boucle par les chaines satellitaires et à travers le Net, ont démontré, comme si l’a si bien dit le grand poète Abou El Ghassem Chaabi, que si le peuple veut vivre, les chaînes, inéluctablement, se briseront.
Maintenant qu’un dictateur est parti, à qui le tour? Le moins qu’on puisse dire est que les candidats ne se bousculent pas au portillon. Mais de ça, le peuple n’en a cure. Les ingrédients d’une nouvelle explosion populaire ne manquent, malheureusement, dans aucun pays arabe. La prise du pouvoir, par un coup d’Etat militaire ou médical, des élections n’ayant de démocratique que le vernis qui les entoure, l’injustice sociale et la délation, instaurées en méthode de gouvernement, les méthodes policières, le flicage des opposants, l’enrichissement des proches, grâce aux leviers du népotisme et du favoritisme, le chômage des jeunes, la hausse des prix et la démission de l’Etat, face aux gros bonnets de la finance et du commerce, sont autant de facteurs d’instabilité potentielle.
Toute ressemblance avec la Mauritanie est, évidement, fortuite. Notre pays n’a jamais connu de coup de force pour porter son auteur au pouvoir; sa démocratie est parfaite, à tout point de vue; aucun commerçant, grand ou petit, ne peut y augmenter les prix à sa convenance; notre police (a)politique n’a jamais fait de mal à une mouche; une véritable justice y règne, les jeunes trouvent du travail dès la fin de leurs études; aucun proche de notre guide éclairé ne peut se prévaloir de ce titre pour bénéficier de la moindre promotion, marché ou faveur quelconque. La majorité qui nous gouverne le fait tellement bien qu’elle n’a pas le temps de verser dans les discours du genre: l’opposition, «un groupe d’adeptes de la surenchère et de la désinformation» qui «privilégie le mensonge» et fait de «la politique politicienne, en insistant sur la flambée prétendument vertigineuse des prix».
Des individus malintentionnés, évidemment de mauvaise foi, viendront nous dire que ce qui s’est passé en Tunisie est contagieux. Avec autant de «bonnes» choses et de réalisations «grandioses», la Mauritanie peut dormir sur ses lauriers et son président, sur ses deux oreilles. En attendant la prochaine secousse…
Ahmed Ould Cheikh

mercredi 12 janvier 2011

Editorial : Les faits sont têtus

Avec la fin de la session parlementaire, au cours de laquelle les députés de l’opposition et d’autres, peu nombreux, il est vrai, de la majorité, ont fait feu de tout bois, fustigeant l’action du gouvernement, on croyait que la tension allait baisser un peu. L’intervention du Premier ministre, lors de la dernière journée de cette session, le vendredi 7 décembre, et la sortie d’Ahmed Ould Daddah, au cours d’une conférence de presse tenue une journée auparavant, ont remis le feu aux poudres. Selon le chef de file de l’opposition, entre autres problèmes dont souffre le pays, «l'absence d'une politique économique rigoureuse a conduit à une anarchie libérale, à l'issue de laquelle les prix sont montés et le chômage a augmenté». Pour toute réponse, le gouvernement demande aux commerçants de monter au créneau. La fédération du Commerce, affiliée au Patronat, tient un point de presse. Tous ses adhérents, ou presque, étaient là, s’apitoyant sur leur sort, les mines patibulaires, l’air tellement sérieux qu’on croyait à un enterrement. Pour nous déclarer, sans honte, qu’ils se saignent aux quatre veines, pour continuer à approvisionner le marché national, que les marges bénéficiaires sont tellement réduites qu’ils en perdent, presque, de l’argent et que les prix de nos denrées sont plus bas que dans les pays voisins. L’éternelle litanie que tout le monde répète à l’envi, pour justifier nos malheurs, oubliant de comparer, avec ceux de ces pays, nos niveaux de salaire, la qualité de nos systèmes éducatif et de santé pour ne citer que ces exemples.
L’intervention du Premier ministre, venu à l’Assemblée pour répondre à une question écrite du député RFD, Yacoub Ould Moine, sur le recul de la Mauritanie, dans le dernier rapport de l’ONG Transparency International, fut l’occasion, pour Ould Mohamed Laghdaf, de prononcer un discours à la Castro, monotone comme pas un, qui a fait dormir aussi bien les députés présents que les téléspectateurs et les auditeurs. Sur le registre classique «Nous avons fait et nous ferons», il a parlé de tout, sans donner réponse à la question sur laquelle il a été interpellé. Et évitant, même, de donner la réplique à ceux, parmi les représentants du peuple, qui l’ont interrogé sur certains points.
Une sortie que les députés de l’opposition n’ont que très modérément appréciée. Selon eux, quoiqu’en dise Ould Mohamed Laghdaf, les faits sont têtus: Entre 2006 et 2010, la Mauritanie a reculé de 60 points, si l’on en croit le dernier rapport de Transparency International sur la corruption dans le monde, malgré le discours officiel sur la lutte contre la gabegie qui, selon le premier de nos ministres, a donné des résultats «probants». En envoyant certains prétendus gabegistes en prison pour laisser d’autres plus libres de leur mouvement?
Plus grave encore, aucun rapport d’audit du Fonds pétrolier n’a été publié, concernant la gestion postérieure à 2006, malgré les efforts, louables, déployés par la Coalition mauritanienne «Publiez ce que vous payez», qui n’a cessé d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de poursuivre le devoir de transparence en ce domaine. En outre, ni l’exercice 2007 ni celui de 2008 encore moins de 2009 n’ont fait l’objet d’un audit indépendant, sur les industries extractives, d’où les inquiétudes exprimées, dans la page consacrée, à notre pays, sur son site web (www.eitransparency.org), par le secrétariat international de l’Initiative de Transparence des Industries Extractives, au sujet des retards observés depuis 2007, dans le processus de mise en œuvre de l’Initiative en Mauritanie.
Pour toute réaction, l’UPR vous dira, demain, dans un communiqué, que cette Initiative fait partie de la coalition de l’opposition et refuse de voir les «réalisations grandioses» accomplies, depuis le mouvement rectificatif du 6 août 2008, avec, à sa tête, le président des (de plus en plus) pauvres.

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 5 janvier 2011

En lisant le général Mohamed Ould Abdel Aziz…

La Tribune rend deux services aux Mauritaniens.
1° par la présentation qu’elle donne de l’actuel détenteur du pouvoir d’Etat,
2° en condensant le florilège de la manière exclusive et discrétionnaire dont est exercé ce pouvoir,
et 3° elle permet de faire un bilan de trente mois.



L’apologie du coup est une nouvelle fois publiée : « Il n’y aura pas un coup d’Etat, ce qui sera entrepris respectera la Constitution » ! Autiste vis-à-vis des faits, Mohamed Ould Abdel Aziz l’est aussi vis-à-vis des personnes. Il est incapable de distinguer dans l’histoire et la politique du pays qui que soi d’intéressant, a fortiori d’exception. Si, depuis l’inauguration d’une avenue Moktar Ould Daddah en Novembre 2008 et l’affichage électoral de sa photo, aux côtés de celle du président fondateur, il laisse faire un parallèle complaisant entre ce dernier et lui, et serait censé avoir « décidé la réhabilitation de Ould Daddah au rang de Père de la Nation », il n’y fait toujours pas référence lui-même : tout simplement parce qu’il n’a pas la moindre idée sur le grand homme et qu’en revanche, il continue de dater de cinquante ans les maux du pays, gabegie et autres.
Le journaliste qui l’interroge – et publiera sans doute une seconde fois l’entretien obtenu en 1995 du président Moktar Ould Daddah – ose traiter le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, de « candidat sorti d’on ne sait où » alors que celui-ci fut le principal collaborateur des grandes décisions économiques de 1972 à 1974, émancipant et structurant la Mauritanie face aux investisseurs et à l’ancienne métropole. Il ose aussi caricaturer le colonel Eli Ould Mohamed Vall « pérorant sur le vote blanc », et lâche des contre-vérités à propos du coup de Juin 2003 : le chef d’état-major national et le commandant en second du Basep sont bien morts mais pas de la main des insurgés, le rétablissement de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya ne doit rien à Mohamed Ould Abdel Aziz mais beaucoup à une reprise en main personnelle par le président du moment et à des soutiens étrangers pas encore prouvés mais présumés généralement. Et de ses propres collaborateurs, à commencer par le Premier ministre, il n’a rien à dire. Sinon que



« même des membres du gouvernement sont venus se plaindre du rythme que je leur impose » et que le général doit constater « le manque de confiance des nôtres ». Mais « ils vont finir par incarner ces valeurs … Je crois qu’il est plus juste de laisser les ministres s’adapter à la personnalité du Président, à son rythme pour chercher à harmoniser l’action en vue de la réalisation des objectifs prédéfinis ». La référence n’est pas le pays mais le détenteur du pouvoir.
Quant aux ralliés, déjà dupés à Dakar et s’y reprenant depuis l’été dernier, ils sont prévenus une énième fois : « Pour ce qui est de l’ADIL, je dirai que tous les Mauritaniens sont égaux devant nous ». … « Nous acceptons donc de discuter tous les problèmes mais pas de partager la prise de décision qui revient de droit à celui dont le programme a convaincu la majorité du peuple mauritanien ». Le « dialogue inclusif » inscrit dans l’accord de Dakar et réclamé par les partenaires de la Mauritanie reste du genre des « états-généraux de la démocratie » tenus en Décembre 2008-Janvier 2009 : « Je suis prêt à discuter de tous les sujets. Le cadre pourrait être celui d’une ou de plusieurs journées de réflexion qui pourraient se tenir à la demande soit de la Majorité soit de l’opposition. Et là tout peut être l’objet de discussions. Mais il y a l’Assemblée nationale qui est aujourd’hui un espace de dialogue permanent ». Aimable oubli du Sénat et précédent peu convaincant des journées de la majorité présidentielle tenue en Janvier 2010. « Ce ne sont pas les soutiens de première ou de dernière heure qui me feront changer de cap ».



L’urbanisation absurde, les « quelques riches hommes d’affaires qui ont des concessions rurales de plus de 20.000 ha à Nouakchott » sont des thèmes évidents, comme celui de la sécurité, du terrorisme, des « frontières poreuses », mais pourquoi ne pas les traiter ? « Tout cela par ce que les moyens ont été dilapidés, détournés par des particuliers ?» Non ! parce que les forces armées ont été dévoyées depuis plus de trente ans par une partie de leur hiérarchie. Aïn Ben Tili fut réoccupé après le sacrifice de Soueïdatt Ould Weddad, « l’aéroport international de dégagement » à Lemreya sera-t-il une base étrangère ? Le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi se perdit dans l’esprit de « l’aile militaire du pouvoir » en affirmant au journal Le Monde que la Mauritanie n’est pas une terre d’élection pour le terrorisme. Voici le général Mohamed Ould Abdel Aziz affirmant que « dans notre pays il n’existe aucune base de terroristes, aucun camp d’entrainement … Aujourd’hui nous estimons que nous avons le strict minimum pour assurer la sécurité du pays et protéger ses frontières ». Soit !
L’éducation, la justice, affaire de formation ? Certes mais surtout de résolution des problèmes que le général ne mentionne pas même : le passif humanitaire, le retour des réfugiés, l’éradication de l’esclavage. Alors même qu’un fait avéré mobilise l’opinion depuis un mois, que l’on met en prison les anti-esclavagistes et laisse libre la marâtre. Le « problème des langues », y compris de la langue arabe, est la question de la dignité de tous les Mauritaniens, bien plus encore que de l’identité de chacun. A quand, enfin, l’enseignement critique et consensuel (c’est possible) de l’histoire contemporaine du pays ? Il reste interdit pour compter… de l’indépendance.
Sans le savoir, mais en retrouvant des mots anciens, le général Mohamed Ould Abdel Aziz reprend la problématique de « l’homme mauritanien nouveau », de « la mentalité à changer, à rendre plus rationnelle, plus portée sur l’intérêt général, plus dynamique, plus confiante ». C’était la dialectique de la période fondatrice. Pourquoi l’avoir brisée en Juillet 1978, pourquoi, au lieu de soutenir une démocratie renaissante en 2006-2007, en avoir raillé puis détruit les prémices dès Août 2008. L’outil n’est toujours pas retrouvé.
Bertrand Fessard de Foucault