dimanche 29 mars 2020

Editorial: Si fragile Mauritanie

Coronavirus par ci, coronavirus par là... Depuis quelques semaines, on ne parle plus que de ce maudit virus et des dégâts qu’il occasionne à travers le monde : hôpitaux débordés, morts par centaines, villes confinées, populations déprimées. Et il y a de quoi. Jamais depuis les pandémies des siècles passées, le monde n’a connu une telle catastrophe sanitaire. Alors qu’on le croyait à l’abri d’un tel scénario grâce aux progrès de la science, le voilà incapable d’arrêter la propagation d’un virus. Qui ne cesse de faire des ravages. Avec seulement deux cas positifs, notre pays est jusqu’à présent épargné. Les mesures prises par les autorités dans ce cadre (mise en quarantaine des voyageurs en provenance des pays à risque, fermeture des aéroports et de la frontière avec le Sénégal et le Maroc, couvre-feu à partir de 18 heures) sont particulièrement appréciables. Prions pour que la promiscuité dans les marchés, les transports urbains et interurbains, les mosquées, les bureaux, les domiciles ne nous joue pas un seul tour. Que la situation reste sous contrôle jusqu’à la fin de la pandémie. Et qu’aucun des confinés ne soit porteur du virus. Le ministre de la Santé et ses équipes n’auront en tout cas ménagé aucun effort. Ils sont encore au four et au moulin. Et c’est comme ça à chaque fois que la compétence prend le pas sur les autres considérations dans les nominations. Le docteur Nedhirou en est en tout cas  la preuve formelle. Mais il lui reste bien des chantiers. Cette crise a mis à nu la situation des hôpitaux publics qui ne disposent pas du minimum vital : cinq lits de réanimation respiratoire (contre mille six cents au Maroc et sept mille en France), cinq respirateurs à circuit ouvert, quatre médecins pneumologues, aucune radio ou échographie mobile au lit du patient et la liste des carences est encore longue. Quand on sait que les malades atteints de Covid 19 ont  besoin d’être intubés en cas de détresse respiratoire, il y a de quoi avoir des sueurs froides. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Les milliards que nos hommes d’affaires ont généreusement offerts à notre pays doivent, en plus d’aider  ceux dont la crise a compromis les activités et, donc, leurs moyens de subsistance, servir à équiper nos hôpitaux. Nous ne pouvons pas rester les bras ballants face à la moindre urgence sanitaire. La santé, dit-on, n’a pas de prix… mais elle a un coût. Des hôpitaux ont certes poussé au cours de la dernière décennie mais ils n’ont servi, pour le moment, qu’à donner des marchés à des proches. Très mal construits, faute de contrôle sérieux, sous-équipés et surdimensionnés, ils commencent à tomber en ruines dès les premières années d’exploitation. Les exemples ne manquent pas. Nedhirou sait à présent à quoi s’en tenir, une fois cette crise dépassée. Il faut sauver l’hôpital public, si l’on ne veut pas aller au devant de grandes désillusions. Espérons que cette alerte soit sans frais et qu’elle nous serve de leçon pour l’avenir. Seigneur Dieu des bons enseignements, sauve la Mauritanie ! Elle est si fragile...
                                                                              Ahmed Ould Cheikh

dimanche 22 mars 2020

Editorial: Sans liberté de jugement....

Mohamed Ould Bouamatou est rentré au pays la semaine dernière. Après dix ans d’exil auquel l’avait contraint l’ex-président Ould Abdel Aziz. Mohamed ould Debagh et Moustapha ould Limam Chafii le suivront incessamment. Les trois hommes, dont les mandats d’arrêt internationaux émis à leur encontre ont été retirés par la justice, retrouveront les leurs avec beaucoup de bonheur. On ne peut que s’en réjouir. Une criante injustice a été enfin réparée. Le président Ghazwani, auquel l’opposition avait demandé, dès son accession au pouvoir, de mettre fin aux poursuites engagées contre les trois hommes pour des raisons politiques, a ordonné l’annulation desdits mandats. À cette même justice qui les avait émis par le seul fait du prince. Une justice à laquelle on ordonne de juger et de se déjuger. Une justice à laquelle certaines robes portent un grave préjudice. Qu’est-ce qui a changé entre 2011, 2017 et 2018, dates de l’émission des mandats d’arrêt, et 2020, celle de leur annulation ? De nouveaux éléments disculpant les trois hommes ont-ils été versés aux dossiers ? De nouveaux juges ont-ils été chargés de ceux-ci ? Quels changements, nonobstant le départ d’un Président qui instrumentalisa la justice au point d’en faire épée de Damoclès au-dessus de la tête de ses opposants ? Si les juges qui ont annulé les mandats étaient déjà certains, en leur intime conviction, de la vacuité des dossiers, pourquoi ne l’ont-ils pas fait plus tôt ? Pourquoi attendre une décision politique ? Pour une affaire qui a connu un heureux dénouement, combien d’autres attendent  dans les méandres de la justice qu’un juge reçoive l’ordre de les vider ?
Il est clair qu’à l’instar de l’éducation et de la santé, la justice est un chantier sur lequel le nouveau devra plancher au plus tôt. Trouvez-vous normal qu’en un pays qui se veut démocratique et dont la Constitution garantit la séparation des pouvoirs, la promotion ou la déchéance des juges dépendent encore de l’Exécutif dont le chef préside le Conseil supérieur de la magistrature ? Comment refuser un ordre inique, sachant qu’en un seul trait de plume, on peut briser votre carrière ? Certes des efforts ont été fournis pour améliorer les conditions matérielles des juges mais reste le plus important : leur garantir une indépendance effective. Sans elle, point de justice efficiente. Cela fait plus de trente ans que nous répétons la même rengaine. Et les pouvoirs qui se suivent, eux, les mêmes promesses. « Sans justice, vous n’aurez jamais la paix », scandaient les manifestants de Juillet dernier à Paris, à l’occasion du troisième anniversaire du décès d’Adama Traoré dans les locaux de la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise en France. On y fera précéder, en Mauritanie, ce tout aussi évident constat : « Sans liberté de jugement, pas de justice ». Et par voie de conséquence, pas de fraternité… ni encore moins d’honneur.
                                                                                              Ahmed ould Cheikh