jeudi 26 avril 2012

Editorial : Mais où est donc or…

Litanie interminable, la mine d’or de Tasiast, exploitée, par les canadiens de Kinross, quelque part dans le désert, entre Nouakchott et Nouadhibou, n’arrête plus de faire parler d’elle. En mal. Tantôt, ce sont des employés qui meurent, sans raison apparente ; tantôt, des actions qui chutent, subitement, de 20%, à la bourse de Toronto, une dégringolade probablement liée à un report de quelques mois de l’extension de la mine et à la dépréciation de ce projet. Pourtant, Kinross semblait bien partie, en cet objectif, avec son étude de faisabilité « sérieuse », disait-elle. Bien que deux contre-expertises, distinctes, diligentées par deux sociétés spécialisées différentes, l’eussent jugée irréalisable. Une tripoté de sociétés étrangères avec qui Kinross-Tasiast a lié contrat d’exécution, pour cette expansion, sont inconnues du fisc et pas du tout concernées par la mauritanisation des postes. Les employés font grise mine et dénoncent un total irrespect des procédures, après celui relatif aux questions sanitaires. Ould Abdel Aziz s’était offusqué de ce que la Mauritanie ne percevait que 3% de la production d’or. En deux temps, trois mouvements, Kinross lui recrute deux cousins à des postes importants de responsabilité, grassement payés. Depuis lors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et notre « pauvre » président, que la seule promotion de ses proches suffit à convaincre de l’efficacité de sa mission envers les pauvres, ne perçoit guère l’environnement réel de cette affaire. Y a-t-il jamais eu, d’ailleurs, étude de son impact environnemental ? Si oui, pourquoi ne l’a-t-on pas vulgarisée ? Si l’on a jugé bon de mettre en place un service de relations avec les communautés vivant dans la zone, c’est qu’il y avait, probablement, autre chose à gérer que des subventions à des équipes locales de foot. Communication ou occultation ? Car tout de même : confier ce service à une expatriée qui ne connaît rien de la langue, de la culture et des coutumes autochtones, c’est officialiser un dialogue de sourds. Comment cette dame s’y prendra-t-elle pour faire avaler, aux gens et à leurs animaux, les poisons que l’exploitation de l’or ne manque jamais de charrier ? Jusqu’à quand continuerons-nous à être les dindons de la farce ? Kinross avait acquis, en 2010, la mine auprès de Red Minning, pour plus de sept milliards de dollars, et la Mauritanie n’y a vu… que du feu. En Guinée, une opération analogue, réalisée, au même coût, par deux sociétés différentes, a permis, à ce pays, d’engranger 700 millions de dollars, soit 10 % de la transaction. On veut bien croire qu’il y a eu, en Mauritanie, quelque dessous de table. Mais le malheur, chez nous, est que seul le dessus de nos tables, rares et systématiquement opaques, peut être public ; jamais le dessous, pourtant privé de rien. Nous avons le pétrole, le cuivre et l’or. Sommes-nous devenus plus riches pour autant ? D’ici quelques années, nous ne serons certainement pas plus aisés, ces richesses n’ayant profité qu’à des sociétés étrangères et à ceux qui sont entrés dans leur jeu, parmi les gouvernants et les gouvernés. Pour une meilleure répartition de ses richesses, le Koweït, dont les dirigeants sont loin d’être des parangons de vertu, s’est, tout de même, fendu d’un fonds pour les générations futures où est versée une partie de la rente pétrolière. Et nous, qu’allons-nous laisser à nos enfants, si ce n’est la pollution, sur terre et en mer, nos deux nourrices, si stupidement (di)lapidées ? Ahmed Ould Cheikh

samedi 14 avril 2012

Editorial : Charité bien ordonnée…

Parmi les slogans qu’Ould Abdel Aziz avait choisis, en 2008, pour justifier son coup d’Etat contre Sidioca et qu’il avait repris, en 2009, pour les besoins de sa campagne électorale, la lutte contre la gabegie figurait en bonne place. Il est vrai que la Mauritanie a connu, au cours des trentre dernières années, des sommets dans la prévarication, la mauvaise gestion et le détournement des deniers publics. Et personne ne s’est privé de sa part de gâteau. Militaires comme civils, tous ont mangé au même ratelier. A telle enseigne que celui qui refusait de faire sienne cette culture ambiante était considéré comme l’anormal qui justifiait la règle. On bouffait tout : le budget de l’Etat, les financements des projets, l’argent destiné aux infrastructures, l’aumône aux pauvres… La broyeuse travaillait à pleins temps et régime. Des richesses se faisaient en un jour, les villas cossues poussaient comme des champignons, les grosses cylindrées écumaient les rues et personne n’avait plus honte d’afficher, ostensiblement, sa fortune mal acquise. Ils sont légion, les nouveaux riches qui ont fait leur fortune sur le dos du pauvre citoyen. Notre société, hypocrite au plus profond d’elle-même, leur a, même, décerné des gages de respectabilité, au lieu de les vouer aux gémonies.
Arrive le coup d’Etat du 3 août 2005. Les nouveaux maitres du pays décident, alors et sans concertation avec qui que ce soit, de tourner la page du passé, sans inquiéter personne. Ils auraient pu, pourtant, demander des comptes, au moins aux symboles de cette période sombre de notre histoire. Mais eux non plus n’étaient pas tout-à-fait blancs. Et l’on comprend leur peu d’empressement à ouvrir la boite de Pandore.
Sidoca, non plus, ne voulut pas fouiller dans les poubelles. Pire, il s’entoura, quelques mois avant sa chute, d’hommes considérés comme de dangereux prévaricateurs, les fameux roumouz el vassad qui lui valurent une crise, ouverte, avec des députés de sa majorité, manipulés, en sous-main, par son futur tombeur. Du pain béni, pour Ould Abdel Aziz qui s’engouffra, comme un frelon, dans la brèche. Pour justifier sa rébellion contre un président démocratiquement élu, il lui fallait frapper fort. Chercher l’apppui de l’Occident, en se faisant le porte-étendard de la lutte contre l’immigration clandestine et le terrorisme à visage islamiste. Et, sur le plan intérieur, se choisir des thèmes considérés comme porteurs, dans un pays où les inégalités battent des records : président des pauvres et lutte contre la gabegie. Rebelle, certes, mais finaud, également.
Seulement, voilà, les slogans résistent rarement au temps. Certes, l’ex-général s’est assez occupé des pauvres pour en augmenter sensiblement le nombre. Mais ils n’ont jamais autant souffert que depuis 2008 et les gabegistes, surtout ceux de son camp, ont encore de beaux jours devant eux. En témoignent les récentes fuites de deux rapports de l’IGE, l’un sur la Société Mauritanienne des Hydrocarbures (SHM), dont Le Calame publie, cette semaine, de larges extraits significatifs, et, l’autre, sur le ministère de la Santé, prochainement dans nos colonnes, qui en disent long sur la gestion post-deux-mille-huitarde de notre pays. Les responsables de ces deux structures, au lieu de finir leurs jours à Dar Naïm où d’autres ont été envoyés pour moins que ça, ont été parachutés en des postes à peine moins juteux. Ils ont, manifestement, compris comment rester dans les bonnes grâces du Prince. Notre président sait être généreux. Avec l’argent des autres. Surtout celui destiné aux pauvres.

Ahmed Ould Cheikh

jeudi 5 avril 2012

Editorial : En attendant le printemps….

La semaine dernière, notre sous-région a connu deux événements d’une extrême importance : l’accession au pouvoir, par la voix des urnes, de Macky Sall, au Sénégal, et l’arrivée, par celle des armes, du capitaine Sanogo, à la tête de l’Etat malien. Le premier rappelle la Mauritanie de mars 2007 et le second celle d’août 2008. Autant le Sénégal a été encensé et sa démocratie citée en exemple, autant le Mali a fait l’objet de condamnations unanimes et été voué aux gémonies. Ces situations extrêmes, nous les avons, nous, paradoxalement réunies, passant, en quinze mois, du jour à la nuit. Notre général putschiste a eu, il faut le reconnaitre, plus de chance que le nouveau capitaine Dadis du Mali. Ce dernier a renversé une démocratie vieille de plus de vingt ans et un président qui s’apprêtait à rendre son tablier dans un mois. Notre militaire n’était, lui, jamais resté loin du pouvoir, sur lequel il lorgnait depuis 2005, et attendait l’occasion de le reprendre aux civils. Et, contrairement à Sanogo, le contexte lui était favorable. L’Europe, qui s’inquiétait beaucoup de l’immigration clandestine et de la montée en puissance d’AQMI, trouvait, avec lui, un chevalier servant et docile. Démocratie et élections libres ? L’Union africaine et son comité de paix et de sécurité pouvaient aller se rhabiller. Quand l’ancienne puissance colonisatrice se prononce, il faut se mettre au garde-à-vous. L’intérêt de l’Europe prime sur tout le reste.
Une realpolitik que ne semble pas avoir assimilée le chef de la junte malienne. Il aurait dû, d’abord, délier le cordons de la bourse, pour se faire, rapidement, des amis dans les centres de décision des pays qui comptent se présenter en champion de la lutte contre le terrorisme et jurer, par tous les saints, qu’il ne laissera plus passer un seul immigrant clandestin à travers son territoire. Les menaces de la CEDEAO et de l’UA ne tarderaient plus, maintenant, à se transformer en bravades sans lendemain. Et, d’une position de fermeté, on glisserait, tout en douceur, vers la recherche d’une « solution-garantissant-un retour-à-l’ordre-constitutionnel ». Un accord serait, ensuite, conclu, quelque part, débouchant sur une élection présidentielle à laquelle les militaires pourraient participer. Leur candidat gagne, la boucle est bouclée et le problème malien est évacué. CQFD. En attendant le prochain coup d’Etat.
Politique réaliste ? Voire de la réalité ? Certains croient, encore, que tout ce qui est réel est rationnel. Tout est, évidemment, une question de point de vue et l’on conçoit bien, hélas, qu’il y ait de sérieuses nuances entre celui de Sarkozy et celui de de Gaulle, par exemple. Se consolera-t-on en reconnaissant, comme Jean Cocteau, que «le vrai réalisme consiste à montrer les choses surprenantes que l'habitude cache sous une housse et nous empêche de voir »? Je n’en suis pas certain. En attendant, toujours et tout de même, notre Printemps mauritanien….
Ahmed Ould cheikh