samedi 26 août 2023

Editorial: Un quatrième pouvoir exsangue

Au beau milieu de la crise qui secoua la Côte d’Ivoire et la divisa profondément au cours des années 2000, le chanteur Alpha Blondy lança, à un journaliste qui lui demandait son avis sur la guerre qui ravageait son pays, la réplique suivante, devenue bientôt célèbre : « si quelqu’un vous a dit comprendre quoi que soit à ce qui se passe dans mon pays, c’est qu’on le lui a mal expliqué. » On pourrait dire la même chose de la presse en Mauritanie. Depuis l’avènement de la démocratie et la floraison des journaux privés (qui connurent un franc succès au départ, tant les lecteurs étaient avides d’entendre autre chose que la voix officielle) puis des sites électroniques, la situation n’a cessé d’empirer. Et l’État n’y est pas pour rien. Il a encouragé les agents de renseignements, les ignares et les moins que rien à se lancer dans l’aventure, leur donnant les moyens de concurrencer ceux qui avaient un minimum d’éthique professionnelle. L’opération a réussi au-delà de toute espérance. Au bout de quelques années, la presse est devenue un fourre-tout où le premier badaud venu se prétend journaliste ; elle a perdu toute crédibilité, si l’on excepte quelques titres qui essayent de surnager dans un océan de médiocrité. Certes l’État lui a enfin consenti un fonds de soutien mais celui-ci ne fait que brasser du vent, chaque année qui passe. Le montant qui lui est alloué est tout d’abord insignifiant, comparé à celui des pays voisins. Il est ensuite réparti entre des centaines de journaux et de sites web qui n’ont de presse que le nom. Chacun se retrouve ainsi avec la portion congrue. Et le manège se répète bon an, mal an, au grand désarroi de cette petite minorité qui essaye malgré tout de survivre et de remplir l’indispensable mission qui échoit à une presse digne de ce nom. « Si tu croises un journaliste, gifle-le », dit un jour l’essayiste français Emmanuel Ratier, « si tu ne sais pas pourquoi, lui le sait. » En Mauritanie, on devrait plutôt le faire à ceux, nombreux, qui le prétendent et qui ne font que prostituer ce noble métier. Ahmed ould Cheikh

dimanche 13 août 2023

Editorial: Admonestation publique suivie d’effets ?

La scène fait le buzz sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. On y voit un ministre, en l’occurrence celui de l’Hydraulique et de l’Assainissement, tancer vertement un prestataire de services qui a gagné un marché et n’a pas tenu ses engagements vis-à-vis de l’État. « Vous deviez mobiliser du matériel depuis deux semaines », [pour commencer les travaux et respecter ainsi le cahier de charges, NDLR], « et là je ne vois rien. Si vous continuez ainsi, on vous enlèvera le marché et on le donnera au Génie militaire », déclarait-il devant une assistance médusée. La vidéo a fait en quelques heures le tour du Net et a été unanimement appréciée. C’est la première fois en effet qu’on voit un ministre mauritanien s’emporter ouvertement devant la non-exécution d’un marché attribué par son département et qui n’a pas connu un début de réalisation. Tout le monde a encore en mémoire le pont d’El Hay Sakine dont l’entreprise adjudicataire chinoise et son représentant local ont pris la poudre d’escampette après avoir encaissé une importante avance dite de démarrage. Et la liste des sociétés défaillantes peut s’allonger à l’infini sans qu’on recense la moindre sanction : ni avertissement, ni retrait du marché, ni liste noire ; la vache laitière que constitue l’État pouvant être traite à outrance. Et chacun emporter sa part indue de gâteau. D’où le peu de bruit autour de l’irrespect par les entreprises de leurs engagements envers l’État. Cette vidéo illustrera-t-elle une jurisprudence « Ismaïl », le ministre de l’Hydraulique en question ? Nos responsables vont-ils enfin privilégier l’intérêt général au détriment de leurs intérêts personnels ? La suite de ce marché devrait être de nature à apporter un début de réponse à ces questions. On en attend donc impatiemment des nouvelles. Ahmed ould Cheikh