dimanche 26 juin 2011

Editorial : Quand la Chine pêchera….

Depuis plus de trois semaines, on ne parle que d’elle. La presse en a fait ses choux gras. Le Calame lui consacre, cette semaine, une enquête fouillée. L’Assemblée en a débattu, de long en large, évoquant ses effets pervers et ses désastreuses conséquences. Avant de l’approuver, grâce à une majorité qui n’en finit pas d’avaler des couleuvres. Elle, c’est la convention de pêche que la Mauritanie vient de signer avec une société chinoise. Poly-HonDone Pelagic Fishery Co., c’est son nom, à qui l’Etat octroiera 60.000 mètres carrés, à Nouadhibou, pour ses installations, bénéficiera d’un quart de siècle de passe-droits mirobolants et d’énormes avantages, avec des garanties juridiques appuyées: exonération de l’Impôt Minimum Forfaitaire (IMF); déduction annuelle de 20% des investissements, pendant cinq ans, sur le bénéfice imposable; réduction de 50% de la Taxe de Prestation de Service (TPS), sur le coût des opérations bancaires contractées auprès des institutions nationales; exemption totale de patente ou tout autre impôt pouvant s’y substituer. En plus de la possibilité de pêcher, piller devrais-je dire, presque tout ce qui bouge dans nos eaux territoriales.

Du coup, Poly-HonDone constituera, grâce à ce sésame, une petite enclave chinoise de non-droit en Mauritanie. Tout ça pourquoi ? Parce que sa compagnie-mère vend des armes dont notre armée a besoin. Quitte à épuiser nos ressources halieutiques? A tuer tout un pan de notre économie? A envoyer des milliers de gens au chômage? A condamner, à terme, des sociétés nationales, des bateaux, des usines de transformation et de stockage, à mettre la clé sous la porte? Parce que notre armée, dont la seule vocation, depuis 32 ans, est de se maintenir au pouvoir, veut des armes, le pays peut être bradé. Le poisson, le fer, l’or, le cuivre, tout le budget de l’Etat, s’il le faut. Pourvu que nos soldats obtiennent ce qu’ils désirent. Et en dehors de tout contrôle, s’il vous plaît. L’inspection d’Etat, la Cour des comptes et la Police économique sont réservées aux civils. Nos chefs militaires sont soit étrangers – donc non soumis à la législation mauritanienne – soit tous honnêtes et n’ont pas besoin d’être contrôlés. Ne dit-on pas, à juste titre, que la Mauritanie est le seul Etat au monde où l’armée a son pays et en fait ce qu’elle veut?

Autre exemple de l’intrusion de l’armée dans le secteur de la pêche: la délégation qui négocie le nouvel accord avec l’Union européenne est dirigée par un lieutenant-colonel, retraité et parachuté conseiller du ministre des Pêches, et comprend un colonel en exercice, dont la fonction équivaut à un chargé de mission, au même département. Une entorse au règlement militaire et au statut de la Fonction publique. Le premier round des négociations, qui vient de se dérouler à Nouakchott, n’a été qu’une formalité. Notre négociateur en chef a demandé qu’on passe, directement, aux annexes, comme si les termes de l’ancien accord étaient reconduits tels quels, sans considération d’une quelconque évaluation. Seule «nouveauté»: certains bateaux européens seront, désormais, obligés de débarquer à Nouadhibou. Leurs produits ne seront, pourtant, ni traités ni stockés, dans cette ville, et leur vente ne passera pas par la SMCP. Ils paieront, juste, les frais d’accostage au port, en attendant que leur cargaison soit transbordée vers le navire qui l’amènera en Europe ou au Japon.

Les militaires et le poisson, la nouvelle idylle de l’été. Suivant l’exemple chinois. Mais nos képis étoilés doivent juste garder en tête que, quand la Chine pêchera, la ressource, à coup sûr, périra…

Ahmed Ould Cheikh

jeudi 16 juin 2011

Editorial : A chacun son souci

Après les éructations consécutives à la poussée de la jeunesse du 25 février, qui ont, apparemment, fait long feu – pour des raisons sur lesquelles il faudra revenir – la scène politique frémit à nouveau. C’est, d’abord, le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, qui jette un énorme pavé dans la mare, en affirmant qu’Ould Abdel Aziz est sincère, dans sa volonté de dialogue. Contrairement à ce que pense la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) à laquelle il appartient. Quelques jours après, il revient, de nouveau, à la charge, en déclarant qu’il est prêt à dialoguer avec le pouvoir, même si ses amis ne s’y résolvent pas. Stupeur et consternation, à la COD, dont certains éléments avaient, déjà, remarqué, depuis quelque temps, que le pourfendeur du coup d’Etat du 6 août 2008, celui qui tenait la dragée, si haute, à Ould Abdel Aziz, commençait à «flancher» dangereusement. Ce à quoi le vieux leader haratine réplique qu’il s’est opposé, quand il le fallait, et qu’à présent, il opte pour l’apaisement. Que récoltera cette main tendue? Un dialogue franc, sincère et honnête, sur les problèmes de l’heure, notamment les prochaines élections qui pointent à l’horizon? Ou, encore une fois, les désillusions d’une énième manœuvre d’Ould Abdel Aziz pour diviser l’opposition, renforcer sa position, en attendant le passage de l’orage du mécontentement populaire grandissant? Comme ce qui s’est passé avec Ould Daddah, pour qui le général avait les yeux de Chimène, après le coup d’Etat de 2008, et à qui il fit une cour, assidue, avant de le lâcher, avec fracas. Certes, rien n’indique qu’il fera la même chose avec Messaoud. Opposant échaudé devrait, pourtant, craindre l’eau froide. A moins que Messaoud ne veille faire payer, à Ould Daddah, son soutien à Ould Abdel Aziz, aux premières heures de la «rectification».

Autre pierre jetée dans le marigot: la déclaration d’Ould Daddah selon laquelle son parti ne serait pas concerné par les élections municipales et législatives prévues pour la fin de l’année en cours. Le chef de file de l’opposition a multiplié, ces derniers temps, les sorties, au vitriol, contre le pouvoir en place; qui ne fait pas grand-chose, en retour, pour maintenir le contact avec ceux de l’autre camp, gérant le pays de manière unilatérale. Même pour des élections aussi importantes que celles qu’il compte organiser, il n’a posé, jusqu’à présent, aucun geste, à l’endroit de partis pourtant concernés, au premier chef. Le code électoral n’a toujours pas été débattu, pas plus que la mise en place d’une CENI et autres dispositions liées à l’organisation matérielle du scrutin. Le pouvoir gagnerait, cependant, à associer tous les acteurs, ne serait-ce que pour éviter des contestations. Cela pourrait, surtout, permettre, à Ould Abdel Aziz, de tester, en amont, sa vraie popularité et de se rendre compte si la «vague» qui l’a porté au pouvoir croit, toujours, aux lendemains qu’il lui a promis. Mais est-ce là son principal souci?

Ahmed Ould Cheikh