dimanche 27 janvier 2019

Editorial: Processus occultes

Alors que l’initiative de certains députés de la majorité, visant à modifier la Constitution pour permettre, à Ould Abdel Aziz, de briguer un troisième mandat, battait son plein, la nouvelle tombe net, comme un couperet : un communiqué, signé du président de la République, pourtant en déplacement à l’étranger, remet les pendules à l’heure. Ould Abdel Aziz ne pouvait-il pas attendre son retour, pour arrêter cette mascarade ? Pourquoi n’a-t-il pas, tout simplement, donné ordre, aux députés, de surseoir à cette pièce de théâtre de mauvais goût ? Outre son caractère urgent, encore inexpliqué, le communiqué recèle une autre anomalie ; et pas des moindres. Il remercie les députés qui appelaient, ouvertement, au parjure et étaient sur le point d’enclencher un processus dont les conséquences pouvaient être dramatiques pour le pays, et… oublie, tout aussi ouvertement, ceux qui défendent une Constitution dont le président est censé être le garant. Un autisme politique inégalé. Ould Abdel Aziz réitère, une fois de plus, qu’il respectera la limitation des mandats. Comme s’il ne l’avait pas déjà dit, à plusieurs reprises par le passé, sans convaincre personne. Sa famille et son cercle proche n’ont-ils pas encouragé, pour ne pas dire pensé, l’idée des initiatives à caractère régional demandant un troisième mandat ? Ses cousins n’ont-ils pas démarché les députés, un à un, pour obtenir leur signature en vue de faire passer les amendements constitutionnels ? Ses flagorneurs, laudateurs et autres lèche-bottes n’ont-ils pas envahi les réseaux sociaux, dans une opération savamment orchestrée, comme pour préparer l’opinion à ce qui s’apparente à un coup d’Etat contre la Constitution ? Qu’on vienne ensuite nous dire que le Président est « étranger à toutes ces manœuvres » relève de la plus mauvaise foi. Dans un pays où le Président est tout (avant qu’il ne soit rien, une fois dehors), ce genre d’initiatives ne peut être mené sans son aval. Et, à quelques jours près, il était sur le point d’aboutir. Avant qu’un grain de sable, venu d’on ne sait où, ne vienne enrayer une machine déjà en branle. D’où une foultitude de questions : pourquoi un communiqué de la Présidence ? En quelle urgence ? Qu’est-ce qui a poussé Ould Abdel Aziz à faire volte-face ? L’Armée, qui commence à en avoir assez des agissements de certains « civils » n’hésitant plus à demander, aux généraux, de faire pression sur leurs alliés, pour soutenir les nouveaux amendements constitutionnels ? Les Occidentaux, qui avaient salué la décision d’Ould Abdel Aziz de ne pas se présenter en 2019 et dont les investissements ont besoin d’un climat social et politique apaisé ? Le risque de voir la majorité voler en éclats et le texte rejeté, comme les sénateurs l’avaient fait, en 2017 ? La menace de voir le peuple, affamé et sans plus rien à perdre, descendre dans la rue et tout balayer sur son passage ?
Ce qui est sûr, en tout cas, est qu’il y a anguille sous roche. Au plus fort de la crise ivoirienne, le chanteur Alpha Blondy avait trouvé une formule devenue célèbre : « Si quelqu’un », déclara-t-il à un media français, « dit qu’il comprend quoi que ce soit à ce qui se passe en Côte d’ivoire, c’est qu’on lui a mal expliqué ». D’avoir annoncé, depuis tant de mois, qu’il soutiendrait un candidat, Ould Abdel Aziz a-t-il sciemment fermé la porte à tout entendement de la situation ? Ou, tout simplement, mis en évidence les processus occultes qui font et défont le pouvoir, chez nous ?
                                                                    Ahmed ould Cheikh

dimanche 20 janvier 2019

Editorial: Jusqu'au jour où.....

Lors de la cérémonie de clôture du dialogue inclusif, en 2016, entre les partis de la majorité et une partie de l’opposition, Ould Abdel Aziz déclara, dans un discours très applaudi par l’assistance, qu’il n’était pas question de toucher les articles de la Constitution limitant les mandats présidentiels. Et que ceux qui le demandaient étaient des ennemis de la Nation dont ils cherchaient la perte. Il aura répété, plusieurs fois, à des organes de presse étrangers, qu’il respectera le texte fondamental et ne se présentera pas à un troisième mandat. Le pays tout entier, tant les partisans du généralissime que ses détracteurs, poussa un grand ouf de soulagement. Celui qui a mis le pays en coupe réglée va enfin passer la main. A n’importe qui. Pourvu qu’il parte. Pourtant, malgré le verrou constitutionnel et ces déclarations de bonnes intentions, il restait toujours beaucoup de gens persuadés qu’Ould Abdel Aziz ne céderait jamais le pouvoir de gaieté de cœur et ferait tout ce qui est en son pouvoir, pour y rester le plus longtemps possible. Et les faits, malheureusement, sont en train de leur donner raison. Des membres de son cercle proche et des députés de l’UPR se mobilisent, en effet, depuis quelques jours, pour obtenir un maximum de signatures de parlementaires en faveur d’amendements constitutionnels modifiant les articles limitant à deux les mandats du président de la République. L’initiative à laquelle Ould Abdel Aziz serait « étranger » (!) aurait déjà recueilli près de soixante-dix signatures mais elle rencontre, parallèlement une forte opposition de divers députés de la majorité. Rumeurs et contre-rumeurs circulent. N’ayant pu obtenir les voix des deux-tiers des députés et risquant, du coup, faire voler le camp du Président en éclats, l’initiative aurait, dit-on,  été abandonnée. Que nenni !, rétorquent d’autres sources, elle continue son petit bonhomme de chemin et ses soutiens ne cessent d’augmenter. Difficile, dans ces conditions, de démêler le vrai du faux. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que le pays est à un tournant. Des députés irresponsables sont en train de le mener vers des lendemains périlleux. Rarement une initiative n’aura été autant décriée et ses auteurs vilipendés, sur les réseaux sociaux. Comme si les Mauritaniens s’étaient donné le mot d’ordre que, cette fois, ils ne se laisseront pas faire et n’accepteront plus qu’on les prive de leur dernier espoir, qu’enfin ce pays se normalise, grâce à une alternance pacifique. La frustration et l’amertume seront d’autant plus grandes que ce pouvoir tant décrié se maintiendra, de longues années encore. Si elle aboutissait, l’initiative desdits députés serait-elle la goutte qui fera déborder le vase ? Elle laissera, en tout cas et à coup sûr, des traces. Lorsqu’il essaya, en 2011, de modifier la Constitution sénégalaise, le président Abdoulaye Wade dut faire face à une opposition déterminée. En tête de cortège, ses leaders s’enchainèrent aux grilles de l’Assemblée et ses militants affrontèrent, avec courage, les forces de l’ordre. Les amendements firent ainsi chou blanc, Wade annonçant, le soir même, qu’ils étaient retirés. Mais, chez nous, où en est notre opposition ? Continuera-t-elle à se contenter de communiqués de dénonciation… jusqu’au jour où il sera trop tard ?
                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

lundi 7 janvier 2019

Editorial: Surprenante énormité



Surprenante, c’est le moins qu’on puisse dire… L’image du Maroc en a pris un sérieux coup. Le royaume chérifien n’avait pas la réputation d’accepter qu’on lui dicte quelque conduite à tenir et ses amis en Mauritanie – ils  sont nombreux… – sont tombés des nues, après la publication du communiqué de son ministre des Affaires étrangères accusant – sans, évidemment, la moindre preuve – un homme de la trempe de Bouamatou d’avoir diffusé, sur le Net, des photos de passeports marocains présumés appartenir à Ould Abdel Aziz et à son fils.  Un jeu d’enfants que n’importe quel technicien maîtrisant un tant soit peu l’informatique peut aisément réaliser.
Rediffusé, devrait-on dire, puisque ces montages furent déjà publiées sur la Toile, il y a deux ou trois ans de cela, sans que personne ne leur accordât la moindre importance. Mais, aujourd’hui, le Maroc est engagé dans une course effrénée avec l’Algérie, pour obtenir les faveurs de notre potentat local. L’occasion était trop belle de montrer patte blanche, en tombant, à bras raccourcis, sur un opposant déclaré, quitte à l’accabler de la plus ridicule des accusations. L’avocat d’Ould Bouamatou n’a d’ailleurs pas tardé à réagir, indiquant que son client s’inscrit en faux contre ces allégations, déclare sans équivoque n’avoir jamais diffusé de telles images et défie quiconque de démontrer le contraire.
En le citant nommément, le communiqué du ministère marocain (qu’on pourrait mettre sur le compte de l’inexpérience du ministre) a cependant donné, à l’affaire, juste ce qu’il fallait de caractère officiel pour qu’Ould Abdel Aziz estime avoir obtenu gain de cause et que son ennemi intime soit désormais persona non grata sur la terre de leurs ancêtres communs. Bouamatou y a vécu plus de six ans, y a investi, y dispose d’un capital relationnel non négligeable et a toujours respecté ses lois. Opposant résolu et déclaré au pouvoir de Nouakchott, il s’est pourtant abstenu, durant son séjour marocain, de toute déclaration ou communiqué qui aurait pu nuire aux relations entre les deux pays. C’est depuis l’Europe qu’il a lancé, en Août dernier, un appel pour combattre la tyrannie d’Ould Abdel Aziz, après avoir décidé de quitter le sol marocain, afin de retrouver de franches coudées, dans sa lutte contre celle-ci.
La décision chérifienne va-t-elle permettre, aux relations entre les deux pays, d’enfin se décrisper ? Ou faire monter plus encore les enchères ? Car ce que prouve surtout cette pantalonnade, c’est que la Mauritanie est devenue très importante, pour son voisin septentrional, notamment du fait de sa position géographique – elle dispose de la seule route reliant le Royaume au reste du Continent – et pour la question cruciale du Sahara. Mais rien n’indique que cette course (Harwala pour reprendre un terme en vogue lors de l’établissement de relations diplomatiques de certains pays arabes avec Israël) portera ses fruits. L’Algérie veille au grain et ne se laissera pas doubler facilement.
On attend donc le prochain caprice de l’Azizanie. Et le nouveau pliage en quatre du Maroc, contraint à satisfaire l’orgueil démentiel de celui qui se veut l’alter ego de leur roi. Mais il est vrai que la honte ne tue pas. Elle est simplement plus dure – et beaucoup plus durable – que la pauvreté…
Ahmed ould Cheikh