mercredi 29 décembre 2010

Editorial : Sans décentralisation, pas de développement

L’échec des régimes communistes ou collectivistes l’a prouvé. Les pays dits développés le démontrent chaque jour. Les deux mamelles d’une croissance économique soutenue sont le libéralisme économique et la décentralisation. Or, c’est exactement le contraire qui est en train de se produire en Mauritanie. L’Etat est en train de prendre pied dans le tissu économique après s’en être désengagé, conformément aux directives des institutions de Bretton Woods. Et de revenir, à grands pas, sur la décentralisation, après l’avoir encouragée. Le transport terrestre et aérien, la réalisation et le contrôle des travaux publics, la commercialisation du poisson et, bientôt, le système bancaire, l’Etat étend ses tentacules dans l’économie, au risque d’engendrer des éléphants blancs que la mauvaise gestion transformera, à coup sûr, en gouffres financiers. L’histoire récente regorge d’exemples de sociétés publiques tombées en déshérence, du fait de l’incompétence de leurs dirigeants et du laisser-aller, dans leur administration.
La décentralisation, aussi, n’est pas en reste. Selon l’encyclopédie Wikipédia, ‘’la décentralisation consiste en un transfert de pouvoirs de l'État vers des personnes morales de droit public distinctes de lui. Ces dernières disposent d'une autonomie plus ou moins grande, selon le degré de décentralisation, et d'un budget propre, tout en restant sous la surveillance de l'État, autorité de tutelle’’. A présent, qu’est-ce qui se passe? Après avoir concédé une partie de ses prérogatives aux mairies, l’Etat est en train de faire comme si la loi instituant les communes n’avait jamais existé. L’exemple de la communauté urbaine de Nouakchott est, à ce titre, édifiant. Dirigée par un président, issu du RFD, qu’Ould Abdel Aziz n’a jamais porté dans son cœur – parce qu’il a refusé de le soutenir, comme d’autres maires de l’opposition, parce qu’il n’est pas docile ou les deux à la fois? – la communauté urbaine est, désormais, une coquille vide. Le gouvernement construit des routes sans même demander son avis et utilise, à sa guise, le patrimoine foncier de la ville. L’Agence de Développement Urbain (ADU) et le ministère de l’Habitat font comme si la CUN n’existe pas. Petit exemple, parmi tant d’autres: le contrat de nettoyage de Nouakchott, signé avec la société Pizzorno, qui la concerne, pourtant, au premier chef, est géré par d’autres.
Mais les maires ne sont-ils pas des élus, forts d’une légitimité populaire et constitutionnelle incontestable? Ils n’ont pas eu besoin d’un coup de force pour arriver là où ils sont. Ils ont été choisis par les citoyens, à l’issue d’élections transparentes, pour gérer leur quotidien. Et il n’est pas normal que les pouvoirs publics s’arrogent leurs pouvoirs, empiètent sur leurs compétences et fassent main basse sur leur patrimoine. Mais que peuvent-ils faire ? Baisser les bras, gérer les affaires courantes et attendre la prochaine élection, sans chercher à faire des vagues, dans l’espoir d’être reconduits pour un nouveau mandat qui risque être aussi pauvre que ceux qui l’ont précédé? Ou se battre, pour faire, des communes, de véritables structures décentralisées, dotées de moyens? La majorité de nos élus a choisi la première voie. La minorité reste consciente que, sans décentralisation, il ne peut y avoir ni développement local, ni développement tout court.

PS : Au chapitre de l’interventionnisme abusif de l’Etat, la fondation de MAI, la nouvelle compagnie mauritanienne de transports aériens, risque de sonner le glas de Mauritania Airways (MA). Edifiée grâce à un partenariat mauritano-tunisien, celle-ci nous a rendu, pourtant, de bons et loyaux services, au cours des trois dernières années. Reliant la Mauritanie à l’Afrique noire, à l’Espagne et à la France, elle a investi 350 millions d’UM, pour assurer le handling à l’aéroport de Nouakchott, avant de se voir signifier, par le ministère de tutelle, qu’elle ne pouvait le faire que pour ses propres avions. Durant la dernière campagne électorale, MA a sillonné le ciel du pays, transportant les différents candidats, et, lors de l’attaque mauritanienne contre AQMI, elle a, non seulement, évacué morts et blessés mais, aussi, approvisionné en kérosène les avions militaires, cloués au sol à Tombouctou. Malgré tout, elle n’aura eu droit à aucune reconnaissance et ses factures, impayées, sont perdues dans les dédales de l’administration…

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 22 décembre 2010

Editorial : Pourvu que ça dure !

La montagne a accouché d’une souris. Le remaniement ministériel, que la rumeur donnait pour imminent depuis…plusieurs mois et que l’opinion publique demandait de tous ses vœux, tant l’attelage gouvernemental a montré ses limites, est, finalement, intervenu la semaine dernière. Alors qu’on pressentait celui-là suffisamment large pour faire entrer au gouvernement ce nouveau venu dans la majorité présidentielle qu’est ADIL, Ould Abdel Aziz a pris tout son monde à contre-pied. Trois objectifs semblent avoir guidé son action: rassurer ses soutiens de l’UPR dont le secrétaire général hérite, enfin, d’un portefeuille ministériel; démontrer, à ses nouveaux amis, qu’il faut être patient; et sanctionner trois ministres – pourquoi eux, seulement? – dont le bilan est globalement mitigé, pour ne pas dire négatif. Deux d’entre eux sont, néanmoins, parachutés en charge de mission à la Présidence. Conformément à la politique de recyclage chère à Ould Taya. Le troisième se retrouve à la rue. Il faut dire que Camara Seydi Moussa, l’ancien ministre de l’Equipement, a réussi l’exploit de mettre la Mauritanie sur la liste noire des transporteurs aériens interdits en Europe. Malgré les mises en garde répétées de l’OACI, le ministre, plus à l’aise dans son rôle de pitre de la République que dans celui de décideur, n’a rien fait avant que le couperet ne tombe. Pourtant, même au plus fort de l’anarchie et du laisser-aller qu’a connus le pays, jusqu’à une date récente, jamais il ne fut «blacklisté» par l’Union européenne. Au même titre que des Etats en guerre ou des pays de non-droit. Il faut, à présent, tout reprendre à zéro et instaurer d’efficients mécanismes de contrôle, pour que les avions de nos compagnies aériennes puissent, à nouveau, survoler l’Europe. Et dire que tout cela advient par la faute d’un ministre qui n’a jamais compris, du premier au dernier jour à son poste, ce qu’il venait faire dans cette galère.

Si l’on exclut ces trois exclus, qu’a apporté ce remaniement, sinon une injustice? Deux ministres, qui traitaient d’égal à égal avec un de leurs collègues, se sont retrouvés sous ses ordres. Les ministres de l’Enseignement Fondamental et de la Formation Professionnelle sont, désormais, placés sous la tutelle de leur ancien collègue de l’Enseignement Supérieur, devenu ministre d’Etat à l’Education Nationale. Sous d’autres cieux où l’on respecte un semblant de forme, on aurait choisi de nouveaux ministres car personne n’y accepterait de se retrouver dans cette posture, pour le moins inconfortable. Mais, en Mauritanie, nous avons pris l’habitude d’avaler tellement de couleuvres et de s’aplatir, devant le chef du moment, que plus rien ne surprend, désormais. Le président peut faire ce qu’il veut de ses ministres, ces derniers ne placeront pas un mot plus haut que l’autre. Conserver son maroquin, seule lubie du haut cadre: fermement cadré, donc…Et sa seule devise est : Pourvu que ça dure !

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 15 décembre 2010

Editorial : Hommage à un Président

Dans le flot d'informations véhiculées par Wikileaks, l'une d'elles n'a pasretenu l'attention. Elle est, pourtant, lourde de significations. Du moins pour nous, Mauritaniens. Lorsque le conseiller de l'ambassade des USA est venu voir Sidi, exilé à Lemden par la junte, pour lui exposer l'idée, défendue par certains de ses soutiens, d'éjecterOuld Abdel Aziz par la force, Sidioca aurait répondu, selon le rapport du diplomate: «Mon combat est démocratique et pacifique». Dans sa situation de l’époque, personne n’aurait, pourtant, crié au scandale s’il n’avait, à tout le moins, pas rejeté l'idée qui lui aurait permis de reprendre son fauteuil ou de rendre, au minimum, le mal qu’on lui avait fait.
C’est dans le même esprit, très certainement, que, recevant, il y a quelques jours, une délégation d'ADIL – le parti qu'il mit sur les fonts baptismaux – venue discuter de la possibilité de rejoindre la majorité présidentielle, l'ancien président rétorqua: «Laposition que vous voulez prendre servira-t-elle le pays et la démocratie? Personnellement, jecrois que non». Un point de vue dont ses interlocuteurs ne semblent pas avoirtenu compte. «Un vieux, couché, peut voir ce que n'apercevra pas un jeune, debout», dit un dicton bien de chez nous.
Parmi les hommages injustement oubliés, lors du cinquantenaire, celui à Sidi Ould Cheikh Abdallahi constitue le plus sûr signe de l’immaturité du pouvoir actuel. A l’instar d’autres grands chefs d’Etat, l’homme n’a jamais accepté de s’effacer devant le coup de force mais il a su le faire devant la nécessité nationale, confiant en l’épanouissement futur de la démocratie. Grande leçon de courage, d’abnégation et de service de la patrie. Témoignage, également, de la confiance en Dieu et dans le peuple mauritanien. Allongé sur son tapis de prières, notre premier président démocratiquement élu contemple, aujourd’hui, un avenir qui nous paraît, à nous les jeunes gambadant dans l’arène, bien incertain. J’ai le sentiment, en ce soir paisible, que celui-là lui donnera, en définitive, amplement raison. Et Dieu, certes, est Le Savant.

AOC

mercredi 8 décembre 2010

Editorial : Le syndrome de Stockholm

Ce qu’on pressentait, depuis quelques temps, est arrivé, la semaine passée. Après plusieurs mois d’atermoiements et de louvoiements, le Pacte National pour la Démocratie et le Développement (PNDD ou ADIL, en arabe) – parti fondé sous la houlette de l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, pour encadrer «sa» majorité – a, officiellement, rejoint la majorité présidentielle, du moins si l’on en croit son président, Yahya Ould Ahmed El Waghf. Passé l’effet d’annonce, plusieurs questions restent en suspens. Cette décision a-t-elle été prise par le conseil national de ce parti, son bureau politique ou son congrès? A-t-elle fait l’objet d’un vote ou d’un consensus? Qu’a-t-il ou que va-t-il obtenir, en échange? A-t-il signé un document d’entente, avec le parti au pouvoir, prévoyant un raffermissement de la démocratie, une prise en compte de son programme politique ou une participation au gouvernement? Sur quoi s’est basé Ould El Waghf pour amarrer le parti à la majorité, alors que le dernier congrès de celui-ci avait décidé d’inscrire son action dans le cadre de l’opposition démocratique? Visiblement, aucune procédure n’a été respectée et rien de tout cela n’a été obtenu. Ni vote ni consensus encore moins de mémorandum, rien qui justifie qu’on range ses principes au placard, pour un aléatoire morceau d’un gâteau, déjà si peu alléchant.
Pressé d’annoncer la «bonne» nouvelle, Ould El Waghf se serait basé sur les résultats d’une réunion du conseil national au cours de laquelle la majorité des intervenants s’est déclarée en faveur de cette option. Les autres, ceux qui sont contre et qui n’ont pas été bavards ou absents, seraient-ils minoritaires? Le cas échéant, pourquoi ne pas passer au vote, comme le prévoient les textes? La décision serait alors inattaquable et l’on y verra, plus difficilement, la main du pouvoir pour affaiblir l’opposition et démontrer qu’elle est incapable de résister aux appels des sirènes. Mais on a essayé de l’extirper au forceps et cela a ouvert la voie à toutes sortes d’hypothèses.
Certains membres du PNDD, parmi les plus chauds partisans de ce «retour aux sources», seraient-ils atteints du «syndrome de Stockholm»? Qui voit le prisonnier ou l’otage finir par éprouver de la sympathie pour son bourreau. N’ont-ils pas été évincés du pouvoir, jetés en prison, traînés dans la boue, accusés de vol et de détournement, par Ould Abdel Aziz? Celui-là même pour lequel ils ont, à présent, les yeux de Chimène. Et, au rythme où ils vont, sans même respecter les formes, ils ne sont certainement plus loin de lui trouver des qualités supérieures, non seulement à Sidioca – cela va dire – mais aussi à Ould Taya – ce qui serait presqu’un comble, si l’on ne les connaissait pas..
L’opposition est un interminable cheminement qui exige des convictions fortes, un souffle de longue haleine, une capacité à supporter brimades et vexations et un rythme de vie qui exclut l’ostentatoire et le superflu. Les hommes nantis de ces qualités se font, malheureusement, de plus en plus rares, dans le pays. Contrairement à ceux, nombreux, qui sont prêts à applaudir à tout vent, à se tordre de rire, à danser du ventre, à se plier en quatre pour plaire au prince du moment. Lequel éprouve le plus grand plaisir à les voir picorer les quelques grains qu’il consent à leur jeter, de temps à autre. La démocratie à la mauritanienne est ainsi faite. Elle est partie, dès le départ, sur une mauvaise piste. Et gageons que ce ne sont pas les militaires, avec ou sans ADIL, qui la remettront sur les rails.

Ahmed Ould Cheikh

jeudi 2 décembre 2010

Editorial : A grands pas

La Mauritanie a soufflé, ce 28 novembre, sa cinquantième bougie. Nous nous sommes félicités, avons applaudi, défilé, rendu hommage aux fondateurs. Nous aurions dû, pourtant, pleurer, devant tant de gâchis, d’occasions ratées, de dilapidation de nos maigres ressources, de dévoiement de nos volontés. Nous aurions dû passer en revue le chemin parcouru, nous remettre en cause et tirer les leçons du passé. Au lieu de se tresser des lauriers. Un sport national que nous maitrisons parfaitement bien. Certainement le seul. Si l’on exclut la flagornerie.

Cette année encore, nous n’avons pas dérogé à la règle. A écouter nos organes de presse officiels, nous vivons dans le meilleur des mondes, depuis un certain 6 août 2008. Si l’on s’en tient à leur raisonnement, le pays est né le 28 novembre 1960, s’est plus ou moins développé durant 18 ans, avant d’hiberner, en l’attente d’Ould Abdel Aziz. 30 ans de coma profond au cours desquels le «malade» aura tout connu: gaspillages, détournements, mauvaises gestions, népotismes, pillages de ses ressources.

Même Ould Abdel Aziz y est allé de son couplet, dans son discours du 20 novembre: «Nous avons engagé une dynamique […] dans l'espoir de renouer avec l'éthique et la morale dans la vie publique. Mais le changement des mentalités reste un parcours long et difficile […] qui requiert, [au-delà de la punition des] auteurs des crimes de détournement des deniers publics et de pratiques étrangères aux traditions de notre société musulmane, la contribution de tous les citoyens. […] Cette politique de rigueur a permis de réaliser, en un court laps de temps, de nombreux et importants projets de développement, notamment dans le domaine routier, éducatif et sanitaire, en plus de nombreuses autres infrastructures, vitales pour le pays.[…]»

Que faut-il en déduire? Que notre pays avance, à grands pas, vers le progrès? Qu’à ce rythme, Ould Abdel Aziz va, incessamment, hériter du titre de «bâtisseur de la Mauritanie nouvelle»? Que tout ce que dit l’opposition n’est que médisance? Que la gestion des finances publiques n’est pas entourée de la plus grande opacité? Que les contrats de partage de la production minière sont transparents? Que la fondation de sociétés publiques de transport terrestre et aérien, au moment où, partout ailleurs, l’Etat se désengage de l’économie, n’est pas une occasion rêvée de jeter l’argent public par la fenêtre? Que la gabegie n’est plus autorisée qu’à certains, triés sur le volet?

Les lampions sont éteints, la fête est finie. Les grandes avenues redévoilent leur crasse et l’inachèvement de leurs travaux hâtifs. L’autocar, bondé, de la ligne 5 stoppe à un arrêt étrangement désert, malgré, ou, peut-être, à cause de la bonne demi-heure d’attente entre deux bus. C’est qu’à quinze mètres de là, trône le cadavre boursouflé d’un âne… Les passagers se bouchent les narines. «Il paraît que le kilo de sucre à 300UM, c’est pour la fin de l’année», se lamente une ménagère. «Et attendez », renchérit un autre, «vous n’avez pas vu le gasoil… » Mais «la politique de rigueur n’a-t-elle pas permis, en un court laps de temps…», et patati et patata? A grands pas, Ould Abdel Aziz, à grands pas, militaires toujours, tambours et trompettes, parfois… Nous avons applaudi quels lendemains?

Ahmed Ould Cheikh