lundi 30 janvier 2012

Editorial : Délabrement ?

Depuis quelques temps, un large front semble se dessiner contre le pouvoir en place. La COD-canal historique ne tient plus en place. Elle sillonne le pays pour prêcher la bonne parole, mettre à nu le discours du régime, dénoncer ses promesses non tenues et s’attirer la sympathie d’une population mise à rude épreuve par le renchérissement du coût de la vie. Biram, lui, court dans tous les sens. Sous prétexte de lutte contre l’esclavage et ses séquelles, il affiche des ambitons politiques et veut s’affirmer en leader de cette frange des haratines que Messaoud a laissée en rade, pour se jeter dans les bras d’Ould Abdel Aziz. Le président de l’IRA s’est même permis le luxe d’apporter son soutien, ici et au Burkina, à la bête noire du régime, Moustapha Ould Limam Chafi. Lequel multiplie les déclarations incendiaires et en appelle à la chute de l’ex-général qui a échoué, selon lui, à tous les niveaux. Convaincus qu’ils ne peuvent s’entendre avec ce dernier, après avoir longtemps tenté de l’adouber, les islamistes sont, eux aussi, rentrés en scène, en se positionnant en fer de lance de la contestation. Echaudés par les expériences tunisienne, égyptienne et marocaine qui ont vu les islamistes modérés gagner les élections législatives, les barbus mauritaniens sont persuadés que l’actuel hôte du palais gris constitue un obstacle à la volonté populaire. Et qu’il faut l’abattre. Mais comment? Une révolution? Un pourrissement de la situation, à coups de grèves ou d’émeutes estudiantines?
En tout état de cause, l’état de grâce, si tant qu’il y en ait eu, est bel et bien fini. La lutte contre la gabegie s’est vite révélée un slogan creux et un épouvantail contre ceux qui n’auraient pas compris le sens de la ‘’Rectification’’. Se nourrir relève du parcours du combattant. L’école et la santé ont, depuis longtemps, baissé pavillon. L’administration n’existe plus que de nom. C’est consciente de cette situation que la COD-canal historique s’est fendue d’une nouvelle cellule interne, dénommée ‘’foyers de tension’’. Pour allumer la mèche? Faut-il voir, pour autant, un lien de cause à effet, entre ce tintamarre et le départ d’Ould Hadi, de la direction de la Sûreté nationale ? Celui qu’on présentait comme une des éminences grises du pouvoir actuel a fini de manger son pain blanc, avec tous les dossiers accumulés qui se sont, finalement, révélés désastreux pour le pouvoir: «Touche pas à ma nationalité», IRA, Ould Chafi, AQMI… A sa charge, du point de vue du Palais, – ou à décharge, au regard de la démocratie – Ould Hadi n’a pas réussi à mettre en place un service de renseignements véritablement efficace, à l’image de celui qui put maintenir, plus de vingt ans, Ould Taya au pouvoir. La Révolution, dit-on, mange ses enfants et c’est, paradoxalement, ce qui l’épuise. Si la Rectification commence à en faire autant, est-ce le signe avant-coureur de son délabrement?

Ahmed Ould Cheikh

dimanche 22 janvier 2012

Editorial : Que Dieu nous garde!

Ça y est! Les parlementaires de la majorité sont, enfin, sortis de leur torpeur maladive. C’était à l’occasion d’une conférence de presse, tenue, jeudi dernier, dans les locaux de l’Assemblée nationale. Parmi le parterrre choisi pour flinguer l’opposition, figuraient trois députés ayant soutenu, corps et âme, le coup d’Etat du 6 août 2008 et un transfuge sur le tard, plus zélé, aujourd’hui, que ceux-là mêmes qui ont applaudi le renversement d’un président démocratiquement élu. Tous n’avaient qu’un seul mot à la bouche: l’opposition ne veut pas voir ce que le pouvoir a réalisé et en arrive, même, à inciter à la violence. El Khalil Ould Tiyeb, qui sait de quoi il parle, s’en est pris à ceux qui cherchent des intérêts limités et n’ont pas de principes fixes. Lui, en tout cas, ne poursuit jamais ses propres intérêts, comme lorsqu’il se battait, becs et ongles, pour que Messaoud rallie Sidioca, en 2007, au détriment du candidat de l’opposition, ou lorsqu’il a quitté l’APP dont les voix l’avait, pourtant, élu, pour rejoindre l’UPR. Pour les beaux yeux d’Ould Abdel Aziz, peut-être?
Mais la question, essentielle, qui taraude tous les esprits, sur la légalité ou non de l’actuelle session parlementaire, alors que le mandat des députés a expiré, n’a eu droit qu’à quelques mots. Pour un de nos trois larrons, «la prolongation, jusqu’en avril prochain, du mandat du Parlement a été avalisée, par le Conseil constitutionnel, et, si les députés de l’opposition contestent cette légalité, pourquoi continuent-ils à percevoir leurs salaires?». Notre valeureux député n’a, peut-être, pas eu connaissance de l’avis, sur la question, de l’éminent juriste qu’est Lô Gourmo, lors du colloque organisé, récemment, par l’institution de l’opposition. Selon ce spécialiste en droit, «le Conseil constitutionnel ne pouvait donner mandat, à l’Exécutif, de modifier le calendrier électoral. Aucune autorité ne peut inciter une autre à violer la Constitution. Ensuite, encore faut-il, pour donner son avis, que le Conseil constitutionnel en ait la compétence. Cet avis ne change rien a l’inconstitutionnalité, il n’a pas l’autorité d’une décision constitutionnelle [...] Lorsque le mois de novembre arrive et que les élections n’ont pas été organisées, les pouvoirs de l’assemblée expirent». Et l’article 51 de la constitution stipule: «est nulle toute délibération hors du temps des sessions et hors des lieux de séances».
En principe, ce n’est pas parce qu’on est soutien d’un pouvoir qu’on peut fouler la Constitution en vertu de laquelle on est élu. Le mandat du Parlement est a-che-vé, qu’on se le dise, une bonne fois pour toutes. On aura tout vu, dans cette Mauritanie nouvelle! Un militaire qui renverse un président parce que celui-ci ne veut plus lui confier sa sécurité. Des parlementaires qui soutiennent un putsch. Un président qui reconnait avoir violé la loi de finances, en autorisant des dépenses extra-budgétaires. Un Premier ministre qui refuse de répondre aux questions des députés. Un Trésor public qui fait main basse sur les fonds de la Communauté urbaine, sans autre forme de procès. Des militants anti-esclavagistes qu’on jette en prison, parce qu’ils ont dénoncé des pratiques punies par la loi. Et la liste n’est pas exhaustive. Chacun pourra y mettre du sien. Pourtant, on n’en est qu’à trois ans et demi. Que serons, alors, dans sept ans et demi, à l’issue du deuxième mandat d’Ould Abdel Aziz? Que Dieu nous garde!
Ahmed Ould Cheikh

jeudi 12 janvier 2012

Editorial : Les leçons d’une visite

La visite de quelques heures qu’a effectuée, jeudi dernier, à Nouakchott, l’émir du Qatar a-t-elle fini en queue de chameau? Pourquoi n’a-t-il pas eu droit au cérémonial marquant le départ de tout visiteur de marque? Depuis qu’il a quitté le sol mauritanien, les supputations vont, en tout cas, bon train. Certains voient, dans son départ précipité, une prise de bec avec Ould Abdel Aziz à qui il aurait donné quelques conseils modérément appréciés. D’autres croient savoir que Cheikh Khalifa, superstitieux, n’aime pas trop les cérémonies de départ et préfère filer à l’anglaise. Anguille sous roche. Et questions en suspens. L’émir aurait fait tout ce chemin pour assister, seulement, à la signature, par les ministres des Affaires étrangères des deux pays, d’un document-cadre de coopération? Pourquoi est-il resté deux heures d’horloge, à peine? Etait-il porteur d’un message et de qui? Ou voulait-il juste honorer, à moindre frais, une invitation aimablement adressée?
Depuis l’intrusion d’Al Jazeera sur la scène médiatique internationale et le rôle, de plus en plus important, qu’elle a joué lors des révolutions en Tunisie, Egypte et Libye, le Qatar veut, désormais, jouer dans la cour des grands. Et contester, à l’Arabie Saoudite, la position de leadership qu’elle occupait, au Golfe et, au-delà, dans le monde arabe. Le petit Poucet s’est, soudain, découvert des ailes et, fort de l’impact de sa chaîne satellitaire, se mue en donneur de leçons. Selon les analystes, il voulait surtout mettre en garde la Mauritanie contre un rapprochement trop poussé avec l’Iran avec lequel le pouvoir de Ould Abdel Aziz flirte ostensiblement depuis 2008. Tout le monde sait que les pays du Golfe, dont le Qatar veut être le porte étendard, veulent contenir l’Iran, le priver de soutiens et l’empêcher d’avoir une place dans le concert des nations. Et ils voient d’un mauvais œil ses relations avec la Mauritanie. Ils seraient même prêts, dit-on, à mettre la main à la poche. D’où la signature de ce cadre de coopération sus cité, qui peut facilement se transformer en espèces sonnantes et trébuchantes. Si tout rentre dans l’ordre. L’émir aurait aussi profité de son séjour pour donner à son ‘’ami’’ quelques conseils pour une meilleure gouvernance démocratique. Sur le ton le plus amical possible. Une façon de noyer le poisson iranien.
Le Cheikh, assis sur une des plus grandes réserves du monde de gaz naturel et protégé par les GI’s, se croirait-il tout permis? Oubliant, très volontairement, de balayer, d’abord, devant sa porte. Le Qatar, n’en déplaise à Al Jazeera, n’est pas une démocratie, loin s’en faut. A part cette chaîne, qui ne dit jamais du mal de ce pays qui l’héberge et qui la finance – un gros boulet, évidemment – aucun journal n’est libre et personne ne peut se permettre de critiquer l’archaïque système politique qu’entretient le petit émirat. Dont l’actuel souverain s’est permis de renverser son père, pour prendre sa place. Et à qui il faut rappeler que le fait d’être riche, de disposer d’un média puissant ou de soutenir des révolutions n’est pas un gage de respectabilité. A quoi sert la richesse, si l’on est incapable d’aider son prochain? Depuis Ould Taya, la Mauritanie et le Qatar entretiennent de très bonnes relations. Pourtant ce pays, qui ne sait plus quoi faire de son argent au point d’acheter le Paris Saint Germain, n’a construit qu’un dispensaire à Boutilimit. S’en glorifier, en pavanant, sous les grands airs d’un riche qu’on courtise, promettre monts et merveilles et, au détour d’une phrase, donner un ou deux conseils d’ami, il n’y a qu’un pas que notre émir a franchi. Il aurait été, donc, sèchement rabroué? Bien mérité, alors.
Accordons-lui, cependant, des circonstances atténuantes. Il ne savait pas à qui avait-il affaire. Le langage diplomatique a ses codes, pour tout dire sans rien dire. Et vice-versa. Nos deux militaires – Cheikh Khalifa fit, lui aussi partie de la corporation, pour ceux qui ne le savent pas – en maitrisent si peu les subtilités que leurs discussions peuvent, aisément, se transformer en un dialogue de sourds. Vivement le printemps qu’on leur lave les oreilles! On qu’on les leur coupe… avant de nous en choisir de plus attentives.
Ahmed Ould Cheikh

mercredi 4 janvier 2012

Editorial : Petites misères consulaires

Nous espérions, il y a peu, que la France prît modèle sur l’Espagne, dans les procédures d’accès aux services de son consulat. Rappelons, pour mémoire, qu’il faut débourser 3.000 UM et appeler une société sénégalaise, basée à Dakar, pour obtenir un rendez-vous au consulat français et y déposer une demande de visa. On espérait, disais-je, la modération de la simplicité ibérique sur l’excessive passion des Hexagonaux pour la complication procédurière. Las! C’est le contraire qui a prévalu! L’Espagne vient, en effet, d’adopter le même système, en octroyant le marché à une société indienne basée à… Nouakchott. Cette fois, c’est la société qui reçoit les dossiers pour les transmettre à l’ambassade. Et constituer, ainsi, sa propre base de données sur les demandeurs de visas… Mais pourquoi indienne? Manquerions-nous de sociétés locales sérieuses, pour exécuter ce genre de travail? Certes, la corruption, les passe-droits et autre gabegie sont notre lot quotidien. Mais, tout de même: notre pays n’est pas totalement exsangue, ni de vertueux, ni de compétents et ce n’est, en tout cas, pas en les négligeant qu’on favorisera leur prolifération. Ne comptons pas plus sur nos valeureux députés: aucun d’entre eux n’a jugé bon d’interpeler, la semaine passée, le ministre des Affaires étrangères, sur ce problème. Il faut excuser leur ignorance. Tout comme l’incurie de notre diplomatie qui n’a jamais rien exigé de ces consulats qui malmènent les Mauritaniens, sans respect pour personne, dépensant des milliards pour se terrer, comme des rats, dans des blockhaus inexpugnables, et réduisant, en conséquence, à ce point leurs effectifs qu’ils en deviennent incapables de gérer leurs plus minimales prétentions au prestige international. Vous me direz, les visas et la Mauritanie, dans le concert des nations… C’est vrai mais c’est pourtant dans les petites choses que se construisent – et se détruisent – les grandes…
AOC

dimanche 1 janvier 2012

Editorial : Quel filigrane sous les bisbilles?

Lorsque Le Calame, se basant sur des faits précis, écrivait, il y a trois semaines, qu’entre la Mauritanie et le Maroc, rien n’allait plus, l’éditorial en question, intitulé «bisbilles mauritano-marocaines», faisait l’objet de démentis officieux. Une source autorisée de l’ambassade du Maroc en Mauritanie et une autre de notre diplomatie nous signalaient que tout n’était qu’imagination de journalistes et que le ciel des relations, entre les deux pays, était au beau fixe. Moins de deux semaines plus tard, Ould Abdel Aziz s’envolait pour l’Algérie, en visite officielle, et ouvrait une nouvelle page, dans nos relations avec ce puissant voisin méridional. L’Algérie avait, pourtant, très mal pris l’intrusion de la France, dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, par Mauritanie interposée, et critiquait, ouvertement, le paiement de rançons aux jihadistes, pour la libération des otages espagnols. Mais, pas rancunière pour un sou, elle a accueilli Ould Abdel Aziz à bras ouverts, espérant le libérer de ses contraintes vis-à-vis d’un Maroc qui avait, pourtant, soutenu très tôt celui-là. Mais le président mauritanien n’avait-il pas, lui-même, commencé à s’en défaire, petit à petit ? Le diable est dans les détails, dit-on, et ce sont, justement, de petits détails, mis bout à bout, qui ont assombri les relations entre les deux Etats. Le dernier en date est l’expulsion du correspondant de la très officielle agence Maghreb Arab Press (MAP), pour avoir mené des «activités incompatibles avec sa fonction de journaliste». La Direction de la Surveillance du Territoire (DST), qui l’a fait persona non grata, n’a pas donné plus de détails. Mais tout le monde pense que la mesure a, d’abord, une connotation politique. La presse marocaine ne s’y est pas trompée, d’ailleurs, en accusant la Mauritanie de vouloir régler un problème politique, en s’en prenant à un journaliste. Si ce ne sont des bisbilles, de quoi s’agit-il, alors? La question saharaouie est-elle encore un facteur de modération, dans la stratégie marocaine vis-à-vis de la Mauritanie? Ould Abdel Aziz exploiterait-il l’argument, dans d’éventuelles négociations, commerciales ou autres, avec le royaume chérifien? Le Maroc s’est beaucoup (trop?) rapproché de nous, avec le goudron de la route Nouadhibou-Nouakchott. Serait-il temps de prendre quelque distance? Beaucoup de possibilités, on le voit donc, pour la lecture du filigrane, sous «l’imagination des journalistes»…

Ahmed Ould Cheikh