samedi 24 octobre 2020

Editorial: Roche tarpéienne

 Le retour il y a quelques jours de du vice-président du groupe BSA, suivi le dimanche dernier de celui de Moustapha Ould Limam Chavi, l’homme qui murmure à l’oreille de plusieurs puissants de ce monde, indiquent, si besoin était, que la vie est précaire et qu’il ne faut jamais dormir sur ses lauriers. Après l’arrivée, en grandes pompes, en mars dernier de Mohamed Ould Bouamatou, il ne reste plus que Maaouya pour qu’Aziz boive le calice jusqu’à la lie. En voyant revenir au pays, accueillis comme des héros, ces hommes qu’il pourchassait hier et accusait de tous les maux, se permettant même de lancer des mandats d’arrêt internationaux à leur encontre, il ne doit sans doute pas se sentir à l’aise. Un euphémisme pour ne pas dire enragé, lui dont les soutiens se réduisent comme peau de chagrin. Il ne lui en reste d’ailleurs plus qu’une poignée dont rien n’indique qu’ils résisteront à la prochaine et imminente bourrasque.

Pourchassé par la police, interrogé des journées durant et interdit de quitter Nouakchott, son sort semble désormais scellé. L’enquête préliminaire, ayant suivi le rapport de la Commission d’enquête parlementaire, est bouclée et elle sera transmise dans les plus brefs délais au parquet qui délivrera à coup sûr des mandats de dépôt au chef de la bande et certains de ses plus proches acolytes. Comme quoi il ne fait jamais insulter l’avenir : la Roche tarpéienne demeure partout proche du Capitole. Une des conditions du pouvoir, c’est le risque de le perdre. Et, pire, soi-même avec….

                                                                                                                               Ahmed Ould Cheikh

dimanche 18 octobre 2020

Editorial: Jusqu'à quand?

La rapidité, pour ne pas dire la désinvolture, avec laquelle un journaliste a été condamné à un an de prison ferme et jeté au cachot rappelle, si besoin était, que notre combat pour une véritable liberté de presse a encore du chemin à parcourir. Au moment où des affaires autrement plus importantes dorment dans les dédales du palais de Justice, un délit de presse tout ce qu'il y a de plus banal est jugé à la vitesse grand V. Certes le plaignant n'est pas n'importe qui. Un patron des patrons, élevé ex nihilo (ou presque) par Ould Abdel Aziz qui fit la pluie et le beau temps pendant la dernière décennie et à qui l'on ne peut toujours rien refuser. Que reproche-t-il à Ould Lebatt ?

D'avoir dit qu'il a versé une importante somme d'argent à l'ex-Président. Quoi de plus normal ? C'est un secret de Polichinelle que les deux hommes étaient en affaire. Magnanime, il a fini par retirer sa plainte.

Au-delà de cette condamnation (un nouveau mauvais point pour le pays…), se pose le problème de la dépénalisation du délit de presse. Dans les pays de tradition démocratique, qui consacrent la liberté de celle-ci, la peine pour ce genre de délit est le paiement au plaignant d'une ouguiya (un euro ou un dollar) symbolique et la publication dans un journal à grand tirage de la sentence du juge. Jusqu'à cette condamnation, on pensait que notre pays faisait de cette élite, après trente ans de liberté de presse. Hélas non, malheureusement. Encore et toujours un combat à mener. Jusqu'à quand, Seigneur du courage ?

                                                                                                               AHMED OULD CHEIKH

dimanche 11 octobre 2020

Editorial: Deux questions

 La guerre des communiqués a repris de plus belle entre les avocats de la partie « civile » (c’est-à-dire l’État en tant que personne morale) et ceux de l’ex-Président, dans l’affaire désormais connue sous l’appellation « dossier de la corruption ». Si, pour les avocats de l’État, l’immunité dont se prévaut Ould Abdel Aziz devant les enquêteurs existe bel et bien dans les textes, elle ne lui est conférée durant son mandat que pour les seuls actes rentrant dans l’exercice de ses fonctions. « Or » , écrivent-ils, « les actes de corruption, ainsi que les nombreuses infractions assimilées, les crimes et délits de blanchiment, objets de l’enquête en cours, ne peuvent nullement être rattachés à l’exercice normal des fonctions du président de la République. Pour leurs confrères de l’autre camp, « les poursuites engagées contre leur client qui ne peut être jugé que pour haute trahison, en vertu de l’article 93 de la Constitution, ne se fondent sur aucune justification juridique ». Si l’on s’en tient à ce dernier raisonnement abscons, tout ce dont Ould Abdel Aziz s’est rendu coupable en onze années de pouvoir doit passer par pertes et profits. On doit donc lui offrir l’impunité sur un plateau, le laisser profiter des milliards qu’il a engrangés en toute illégalité ; faire, de l’article 93, une muraille infranchissable derrière laquelle tout Président peut désormais se cacher pour ne pas risquer la moindre poursuite, une fois son mandat expiré. Même si son registre de détournement de deniers publics, gabegie, prévarication est plus que plein ! Deux questions : l’objet de la restriction « ne peut être jugé que » serait-il de légaliser la corruption et les malversations au plus haut sommet de l’État ? Existe-t-il un seul juge, même mauritanien, une seule autorité internationale prête à s’exhiber publiquement en telle lecture ?

                                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

vendredi 2 octobre 2020

Editorial: Sous le déluge

 Il y a quelques jours, quelques dizaines de millimètres de pluie ont provoqué  un profond désarroi à Nouakchott, notre capitale censée faire vitrine sur l’extérieur. Routes inondées, automobilistes piégés, quartiers submergés, toujours le même spectacle de désolation à chaque hivernage. Il y a quelques années, pourtant, l’ex-président de la République inaugurait, en grandes… pompes qui auraient dû nous prévenir de la suite, un réseau d’assainissement qui a coûté la bagatelle de 15 milliards d’anciennes ouguiyas. Un réseau fantôme, à coup sûr, puisqu’aucune goutte de pluie n’aura jamais été évacuée par une quelconque canalisation. Il a fallu recourir à de beaucoup moins prestigieuses pompes pour vider les grands axes des quasi-lacs qui enclavaient les quartiers. Alors, où sont partis les 15 milliards ? Engloutis comme tout le reste

Comme les dizaines d’autres milliards que la police chargée des crimes économiques est entrain de pister et dont une partie a été retrouvée. Comme le foncier de Nouakchott et de Nouadhibou sur lequel on a fait main basse. Comme les dizaines de marché de gré à gré, qui ont, eux aussi, pompé des milliards sur lesquels personne ne pouvait lorgner, s’il n’était membre du clan. Mais toute chose a une fin, pas nécessairement heureuse. Ceux qui ont mis, dix ans durant, ce pauvre pays en coupe réglée, sont en train de rendre compte de leurs méfaits. Confrontés les uns aux autres, ils se rejettent une responsabilité que personne n’a le courage d’endosser. Comme des rats quittant un navire en perdition. Sous le déluge, l’arche d’Ould Abdel Aziz a choisi de se saborder. N’est pas Noé qui veut.

                                                                                                                                    Ahmed Ould Cheikh