dimanche 23 février 2014

Editorial: Une pente à gravir….

La formation du gouvernement – 4, 5 ou 6, tant indéboulonnable est devenu Moulaye Ould Mohamed Laghdaf – a réussi un tour de force : redonner du sens à une expression plus que galvaudée. La montagne a bel et bien accouché d’une souris. Cette naissance, on l’a attendue une bonne dizaine de jours, on a tout raconté et son contraire, donné tel ministre partant, tel président de parti entrant, promis un gouvernement élargi, évoqué des compétences, proposé mille et une combinaisons possibles et imaginables, une équipe-choc, capable de préparer la plus offensive campagne électorale, pour la plus large victoire possible du guide éclairé.
Finalement, on a que ce qu’on mérite. La même équipe, agrémentée de quelques entrants dont aucun ne sort du lot. Aucune compétence particulière, aucun esprit supérieur, pas même une petite lumière. Des ministres à notre image. Exact reflet de ce que nous sommes devenus : l’ombre de nous-mêmes. Incolores, inodores et sans saveur, incapables de choisir les meilleurs d’entre nous, s’il en reste. Le parfait nivellement par le bas.
Un gouvernement où le dosage (ethnique, tribal, régional) est le premier, sinon le seul, critère présidant aux choix de ses membres. Selon une règle implicite, mais qui a fini par faire jurisprudence, chaque ethnie, chaque région et certaines tribus, numériquement importantes – une élection en cache toujours une autre – doivent être impérativement représentées au gouvernement. Le nouveau n’a pas dérogé à la tradition, il l’a, même, accomplie : tomber au ras des pâquerettes. A croire que ce pays est désormais maudit.
L’esprit avachi par plus de trente-cinq années de régime militaire, nous ne sommes, désormais plus, capables de la moindre réflexion. Notre pays part à vau-l’eau, on applaudit. On pille nos ressources, on hoche la tête. On nous prend pour des moutons de Panurge, on se laisse guider à l’abattoir. On nous fait avaler des couleuvres, on s’essuie la bouche sans l’ouvrir. On nous raconte des balivernes, on prend tout pour argent comptant. On nous promet la lune, on tend la main. Mais, rassurez-vous, ceux qui nous dirigent n’en sont pas mieux lotis. Un poil plus dociles, peut-être, un art un peu plus consommé de la courbette, une propension plus naturelle encore à s’aplatir, sinon de faire tapisserie…
Les montagnes, « tu les crois figées, alors qu’elles passent, comme les nuages », nous avait appris le Saint Coran. En notre Mauritanie de tous les vents, elles se sont, à force d’aller et venir, tant amenuisées que plus rien de grand, de noble, de généreux ne saurait en sortir. Fatalité du destin ? Peut-être. Mais il reste, tout de même, que la foi – et celle dont je parle ne limite, évidemment pas, à des considérations barbues – peut toujours les soulever. L’avons-nous assez en nous-mêmes, Mauritaniens, pour prendre lucidement conscience de notre avachissement et faire au moins l’effort de nous donner une pente à gravir ?  
                                                                                               Ahmed Ould Cheikh

samedi 15 février 2014

Editorial : Vase de nausées



Messaoud nous l’a encore fait. Ce qui n’était qu’une vague rumeur s’est confirmé, lors du vote pour la présidence de la communauté urbaine de Nouakchott. On évoquait, pêle-mêle, un accord entre le leader de l’APP et Ould Abdel Aziz, en vertu duquel les délégués de ce parti voteraient pour la candidate de l’UPR, au détriment de celui de l’opposition ; une reconduction au perchoir de l’Assemblée nationale ; des portefeuilles ministériels ; un grand poste honorifique… Rien que du très classique, dans ce genre de négociations où l’intérêt personnel prime sur celui de la collectivité ou du pays. Mais on avait, quelque part, un petit doute, celui qui vous empêche de croire au fait accompli. Ben, non, on avait tort : il l’a fait. Il a donné l’ordre, à ses conseillers, de voter UPR, dédaignant le poste d’adjoint que pouvait donner Tawassoul à son parti. Un nouveau coup de poignard dans le dos de l’opposition. Ce n’est pas le premier et ne sera, certainement pas, le dernier.
En 2007, alors que le pouvoir était sur le point de  tomber entre les mains de l’opposition, Messaoud fait volte-face et appelle à voter pour le candidat des militaires. Un coup de tonnerre que personne n’est parvenu à expliquer. Même une haine tenace ne pouvait justifier un tel revirement qui empêchait la Mauritanie de tourner, définitivement, la page des militaires et de s’orienter vers une démocratie civile et apaisée. Nous n’en avons pas toujours fini avec les conséquences de cette décision : candidat des militaires renversé, par ceux-là mêmes qui l’avaient fait roi, et pays coincé, depuis, dans un engrenage dont il n’est pas près de sortir…
Coup d’État de 2008. Messaoud s’oppose à Ould Aziz, avec une grande fermeté mais, depuis l’élection de 2009, quelque chose paraît s’être à nouveau brisé, en lui. Deux années aux côtés de l’opposition radicale mais position incompréhensible, lors du Printemps arabe. Il s’oppose au choix de la rue, pour renverser le pouvoir, au motif que la Mauritanie est faible et ne saurait supporter une révolution. En 2011, il coupe les ponts avec la COD et se lance, aux côtés de Boydiel, dans un dialogue avec le pouvoir. La lune de miel avec Ould Abdel Aziz est entamée.
En 2012, lors de l’absence prolongée de celui-ci, pour cause de « balle amie », Messaoud improvise, alors que l’opposition s’apprête à descendre dans la rue, une conférence de presse, pour déclarer qu’il a parlé, le jour-même,  avec le Président et qu’il se porte bien. Une façon de couper l’herbe sous les pieds de la COD et de démobiliser ses militants, convaincus, jusqu’alors, qu’Aziz était out. On se demandait, depuis, de quoi se mêlait le président du pouvoir législatif, censé être totalement indépendant de l’exécutif, mais pas exempté, il est vrai, de lui faire la cour.
Le vote à la communauté urbaine est la goutte qui fait déborder le vase des nausées. Mais elle semble, surtout, signer l’abandon de Messaoud de toute prétention à la présidence. Quels opposants au pouvoir actuel croiraient-ils, moins de six mois après ce coup de Jarnac, à l’alternative de l’ex-président de l’Assemblée nationale ? Sa candidature n’aura plus d’autre sens que de diluer le vote haratine, et encore… Messaoud hors-jeu, par quelle déliquescence la décomposition annoncée de l’opposition va-t-elle se poursuivre ? Mais le pouvoir, qui n’est certes pas, lui non plus, à l’abri de la corruption – c’est le moins qu’on puisse dire – doit-il s’en réjouir ? Car se profile, en filigrane, une bien plus préoccupante question : dans cette atmosphère de pourriture généralisée qui se propage au sein même du peuple, que va-t-il advenir de notre Nation ? 
                                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

samedi 8 février 2014

Editorial :Pitié pour notre image de marque !



Ils étaient tous là, ministres, hauts fonctionnaires, députés, applaudisseurs, simples citoyens. Venus accueillir Ould Abdel Aziz qui se pare, désormais, du titre de président en exercice de l’Union africaine, ils ont voulu partager, avec le peuple mauritanien, « ce moment de pur bonheur », pour reprendre les termes d’une applaudisseuse, lunettes noires et casquette vissée sur la tête. On la voulait imposante, la fête. Elle ne le sera que très peu. Le mot d’ordre, lancé aux citoyens (on ne sait toujours par qui) pour affluer vers l’aéroport, a été peu suivi. Très loin du rassemblement lors du retour d’Aziz après sa « balle amie ». La majorité de nos concitoyens ne sait, probablement, pas ce que l’Union Africaine veut dire, ni ce que sa présidence apportera à leur quotidien de plus en plus difficile. La tête n’était donc pas à la fête, sauf dans la presse officielle où l’événement a été traité en long et en large, en amont et en aval, comme dirait l’autre. On a invité un tas de monde, pour disserter sur la « portée historique » d’une telle présidence et l’on s’est même permis le luxe de la comparer à celle de Mokhtar Ould Daddah qui fut, pourtant, obtenue par mérite, elle, et non par défaut. A l’époque – le 23 juin 1971, très exactement – feu Mokhtar avait été élu, haut la main, par ses pairs  et ce n’étaient pas n’importe quels pairs. Membre fondateur de l’OUA, il avait porté la voix de l’Afrique et réussi la prouesse d’amener les Etats d’Afrique subsaharienne à rompre avec l’entité sioniste. Il s’était battu, avec force, contre l’Apartheid, avait demandé et obtenu que le Conseil de sécurité se réunisse à Addis Abbeba, spécialement pour débattre de cette question. Un petit pays comme le nôtre avait voix au chapitre et l’on n’était pas peu fiers d’avoir un président, qui avait fondé un pays ex nihilo et discutait, d’égal à égal, avec les grands de ce monde et les honneurs dus à son rang.
Quarante-trois ans après la distinction continentale du père de notre nation, notre bilan porte moins à bomber le torse : avalanche de coups d’Etat –  la plaie ouverte par celui de 2008, dernier en date, est toujours ouverte – qui ont fait, de notre pays, le détenteur d’un record très peu enviable ; succession de présidents militaires, plus préoccupés par des questions bassement matérielles que par le rayonnement de la Mauritanie ; affairismes et trafics en tout genre, népotisme et corruption banalisées, j’en passe, par respect pour vos narines et vos estomacs… Non, ce n’est pas une présidence de l’UA, obtenue parce qu’aucun autre président d’Afrique du Nord n’était présent au sommet de leurs pairs continentaux, qui fera avaler la pilule d’une image de marque passablement écornée, doublée d’une situation intérieure désastreuse. On priera seulement le Tout Miséricordieux pour que notre Rectificateur national ne fasse pas de l’Union africaine ce qu’il a fait de la Mauritanie…
                                                                                                              Ahmed Ould Cheikh

lundi 3 février 2014

Editorial: Stupéfiant

L’opium du peuple, disait Marx, c’est la religion. En Mauritanie, ce sont plutôt les élections. A peine les lampions se sont-ils éteints sur celles que nous venons de vivre  que les regards sont déjà braqués sur la présidentielle de juin ou juillet prochain. L’opposition veut en faire un thème de colloque, congrès ou autre chose de ce genre qu’elle convoquera dans les jours à venir. L’occasion de faire le bilan de son boycott des législatives et municipales et de discuter du sort qu’elle réservera à la prochaine présidentielle. Maintenir son mot d’ordre ? Décider de participer et à quelles conditions ? Choisir un candidat en son sein ou miser sur un outsider ? Autrement dit, comment faire vaciller un pouvoir qu’elle n’a pu dégager par la rue et qui, fort de tous ses leviers, devient de plus en plus difficile à déboulonner ? Dans un pays comme le nôtre où la conscience politique, encore faible, se rencontre surtout dans les grandes villes et où les notabilités et les chefs de tribus, négociant leur soutien à tout détenteur de pouvoir, ont encore leurs mots à dire, dans le vote de leurs « sujets », il est pratiquement impossible d’envisager la défaite du chef. 

Une occasion inespérée s’était présentée en 2007. Le chef de l’Etat de l’époque, Ely Ould Mohamed Vall, n’était pas candidat mais les divisions de l’opposition, mais surtout son opportunisme, l’ont empêchée de tourner définitivement la page des militaires. Et l’ont encore empêchée, en 2013, de négocier, avec le pouvoir, pour lui arracher les concessions nécessaires à des élections inclusives et transparentes. La présidentielle de 2014 ne dérogera pas à la règle. Messaoud et ses amis sont, déjà, dans une logique de participation, quel qu’en soit le prix, comme ils l’ont fait lors des élections de novembre dernier où ils n’ont, pourtant, récolté que des miettes. Traitant la commission électorale de tous les noms, ils en ont, malgré tout, accepté l’arbitrage. Contre toute logique. Comme si leur objectif premier était de participer dans le but, inavoué, de diviser l’opposition et de crédibiliser un scrutin qui n’aurait jamais pu être organisé sans eux. Dans le commerce de l’opium, la liste des trahisons et des coups bas est sans fin. Stupéfiant.

                                                                                             Ahmed Ould Cheikh