dimanche 25 avril 2021

Editorial: Imposture

 L’art de l’interview, c’est le choix des questions. Dans celui concocté tout récemment avec Ould Abdel Aziz, par une « Jeune Afrique » dont nul n’aura oublié le singulier entrain à rafistoler, au cours de la décennie passée, l’image de notre putschiste national, on retiendra d’abord le message subliminal de leur agencement : fanfaronné opposant dès l’entame de l’entretien, l’ex-Président ne se voit plus situé, à son terme, qu’en sa relation, unique, avec l’actuel tenant du pouvoir. Exit donc les procédures pénales devant l’évidence de la seule alternance viable : c’était moi, c’est lui, ce sera moi demain, même si « ce n’est pas mon souhait » mais « je  veux simplement que les choses changent »…

Pour faire éclore une telle burlesque suggestion, il aura fallu tout de même vingt-huit questions et autant de réponses dont le surréalisme, parfois, ne semble guère avoir ému Jeune Afrique. En commençant par zapper allègrement « la » vraie question des modalités du démentiel enrichissement d’Ould Abdel Aziz. Réduite à la portion (in)congrue : « Avez-vous déclaré votre patrimoine ? » ; celle-ci s’est vue liquidée tout aussi hâtivement par un « Oui, en arrivant et en partant » que la suivante, relative à la nature des quarante-et-un milliards d’anciennes ouguiyas récupérées par le Procureur, a délayé dans un magma de « biens appartenant aussi à de tierces personnes » et le couvert de ce qu’aucune de  ces propriétés « ne porte juridiquement mon nom ».

Convention avec Arise au détriment des Mauritaniens ? « Tout ce qui a été dit de ce dossier passé plus de dix fois en Conseil des ministres, et à chaque fois perfectionné, est faux ». Caisses de l’État auditées, SNIM dont l’Inénarrable réduit abruptement la gestion à celle de sa société d’assurances :« aucune irrégularité » ; « s’il y en eut, comme dans tous les pays du Monde », […] « les responsables ont été sanctionnés ». Coups d’État ? « Tout était fermé […] j’y ai été obligé […] pour aider à ancrer la démocratie dans mon pays. » Valises bourrées d’argent au départ de Nouakchott pour Istanbul ? « Je n’ai même pas emporté un seul dollar […] tellement  j’étais pressé de laisser le nouveau président s’occuper de son pays ! »

On va donc pleurer beaucoup sous les tentes. Mais consolez-vous, braves gens ! Il ouvrira son cœur,« le président parfait et modèle lors de sa sortie » (une éloge dont Son Emportée Boursouflure aurait cependant certainement mieux fait de laisser à ses lèche-bottes le soin de lancer)! « Je ne veux pas me barricader  derrière l’article 93 ! », clame-t-il haut et fort,« Oui, je parlerai devant la justice ! »C’était donc cela le scoop de Jeune Afrique ? Quoiqu’il en advienne, s’il s’intéresse à la vie des puissants et aussi douteux soit le premier milliard – voire les suivants… – du Nabab, « cela ne veut pas dire que je ne m’intéresse pas à la vie de mes bergers ! », rappelle inextremis l’incorrigible opportuniste. Accourez au parti : le « Président des pauvres » remonte en selle ! Peut-être le sauverez-vous de la potence…

                                                             Ahmed ould Cheikh

dimanche 18 avril 2021

Editorial: Gonflé à bloc

 Soumis par un juge d’instruction à un contrôle judiciaire strict, après avoir été inculpé pour : blanchiment d’argent, corruption, enrichissement illicite, obtention d’avantages indus et obstruction au déroulement de la justice, entre autres – excusez du peu… – Ould Abdel Aziz, dont une grande partie de la colossale fortune qu’il a amassée vient d’être gelée, ne s’avoue pas vaincu. Après une première tentative d’OPA sur un minuscule parti, le voilà à tenter un nouveau mariage contre-nature avec Ribat. Dirigé par Saad ould Louleïd, un membre fondateur d’IRA qui n’hésitait pas à traiter Aziz de dictateur et connut un séjour mouvementé en prison, avant de retourner sa veste contre quelques marchés substantiels, ce groupuscule fit chou blanc lors des dernières élections, ne réussissant pas à obtenir même le moindre conseiller municipal.

Se rêvant de Gaulle – Ah, la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf… – Ould Abdel Aziz cherche à enfiler la tunique du sauveur. Et de brosser, dans le communiqué annonçant ses fiançailles, un sombre tableau de la situation du pays… mais sans un mot sur la procédure judicaire qui le vise avec douze de ses anciens collaborateurs et parents, ainsi  que l’origine des montants faramineux qui ont tant choqué l’opinion publique. Florilèges de cette étonnante stratégie : « L'état de déclin et de recul que le pays connaît aujourd'hui menace l'unité nationale et les réalisations ; […] cette situation s'est traduite par un déclin significatif du niveau moral et éthique, l'abandon des principes et un net déclin de l'état des libertés individuelles et collectives. […] L'état de régression et la dégradation constatés au niveau  administratif et financier ne se sont pas arrêtés à ce point seulement, mais l'ont dépassé jusqu'à l'éviction de la simple main-d'œuvre nationale des moyens de subsistance naturels nationaux grâce aux richesses minérales, maritimes et agricoles. […] Les services administratifs sont dans une situation catastrophique car l'administration est revenue une époque antérieure marquée par le laisser aller et  la corruption […] Les marchés de complaisance et l'emploi sur des bases politiques et familiale ont refait surface […] L’opposition et l’Assemblée nationale dans le même sac, elles ne jouent plus aucun rôle ». Signé Ould Abdel Aziz.

Le ‘’président symbole’’, comme l’appellent ses rares soutiens (sans préciser de quoi au fait) n’imagine sans doute pas qu’il a brillamment décrit la situation qu’il nous a fait endurer pendant une décennie.

 Si, si, j’ai vérifié, ce n’est pas un fake new ! Vraiment gonflé, l’ex-Président ! Arrête, arrête, tu vas finir par éclater ! C’est « un peu » (beaucoup trop !) l’hôpital qui se moque de la charité.

                                                           Ahmed ould Cheikh

lundi 12 avril 2021

Editorial: Pignon tribal sur rue

 Saisissantes, les images parlent d’elles-mêmes. Saisissantes... et désespérantes, pour reprendre le qualificatif du professeur Lô Gourmo. La dernière visite du président de la République au Hodh Charghi a dévoilé une nouvelle fois le visage hideux d’un pays qui n’arrive toujours pas à se départir du carcan du tribalisme, dans toute sa laideur. Des banderoles affichant ouvertement les noms des tribus et/ou des familles, le long du parcours présidentiel souhaitaient la bienvenue à l’illustre hôte. Alors qu’on croyait la tribu, cette entité abstraite, en net recul, là voilà qui s’affiche à nouveau sans vergogne. Pour faire valoir ses valeurs morales, dans une saine compétition avec ses consœurs ? Loin de là, hélas ! Comme le dit si bien Lô Gourmo, la tribu est ici réduite à « un lobby, un groupe de pression, une force de frappe qui dérègle le fonctionnement normal de l'État et alimente les mécanismes des exclusions (des autres "tribus", ethnies et races) autant que ceux des usurpations (d'argent, de compétences, de titres, etc.) ».  Est-ce de n’avoir su lui donner un statut cohérent et lisible, dans le développement de la modernité, l’abandonnant ainsi à ses pires dévoiements ? Ou de n’avoir pu lui substituer un contrat social assez conséquent pour convaincre les porteurs de pancartes et de banderoles de l’attrape-nigauds où les confinent les sangsues de la chose publique ? Toujours est-il qu’en cette période de vaches faméliques, la tribu a pignon sur rue. Et il y a sans doute mieux à faire qu’à jouer aux Cassandres ou aux autruches…

                                                                                     Ahmed ould Cheikh

dimanche 4 avril 2021

Editorial: Primauté du bien commun

 La facilité déconcertante avec laquelle un individu a pu déjouer les règles de sécurité, en se  faufilant jusqu’au tarmac et  prendre possession d’un avion- heureusement vide, en dit long sur la situation qui prévaut dans un aéroport où rien ne doit être laissé au hasard. Imaginez si cette personne était armée ou tenait par devers  elle une bombe, même artisanale. Ou l’avion bondé de monde. Certes rien de tout cela ne s’est produit mais l’alerte a été chaude et doit servir de leçon pour éviter que l’irréparable ne se produise. Des questions se posent : Comment ce monsieur a-t-il pu atteindre le tarmac ? A-t-il enjambé le mur ? Pourquoi les caméras de surveillance ne l’ont-elles pas repéré ? N’y en avait-il tout simplement pas ? Comment a-t-il pu entrer dans l’avion ? Parla passerelle ? Que faisait-elle alors là, puisque l’avion était au parking ? Il est un secret de Polichinelle qu’il règne, sur le plan sécuritaire, une belle pagaille à l’aéroport Oum Tounsi dont les premiers responsables ne sont autres que ceux censés veiller à sa sécurité. N’importe qui peut s’introduire jusqu’à la salle d’embarquement sans être inquiété, pourvu qu’il soit bien épaulé.

Tout le monde garde encore en mémoire l’histoire du policier qui avait apporté, il y a quelques années, une arme à un apprenti terroriste à l’intérieur d’un avion qu’il tenta de détourner sur Las Palmas avant d’être maîtrisé par le commandant de bord et quelques passagers. Le policier fut révoqué… avant d’être réintégré.

Il paraît nécessaire de confier la sécurité à une société privée qui a déjà fait ses preuves ailleurs et qui appliquera, à tout le monde sans distinction, de strictes et rigoureuses mesures. La tâche ne lui sera pas aisée, on lui mettra beaucoup de bâtons dans les roues. Mais aussi vitaux puissent paraître, à certains, les intérêts économiques que touchera une telle décision, ils ne le seront jamais autant que celui, tout simple et décisif, de la survie de tous : un voyage en avion n’est pas une promenade à dos d’âne… Le bien commun n’est pas une vue de l’esprit : c’est d’abord une réalité concrète dont la primauté doit s’imposer à tous.

                                    Ahmed Ould Cheikh