dimanche 31 mars 2019

Editorial: Il est où, le bout du tunnel ?

Deux blogueurs sont en garde à vue. Arrêtés vendredi dernier à midi, pour que le week-end passé entre les mains de la police chargée de la répression des crimes économiques ne soit pas comptabilisé, dans le délai légal de 48 heures, renouvelable, fixé à telle garde. Ils resteront donc encore lundi  et mardi, à la direction de la Sûreté, sauf si la police juge utile de les garder encore deux autres jours. Ce qui est plus que probable puisqu’il s’agit de faire payer, à ces deux lanceurs d’alerte, leur témérité. Ils ont pourtant été déjà entendus, en cette affaire de milliards de dollars réputés gelés aux Emirats arabes unis, sur injonction de l’oncle Sam.  Mais de quoi sont-ils accusés, nos blogueurs ? D’avoir insinué, sur leur page Facebook, que beaucoup d’argent « n’appartenant à personne » (sic !) aurait été gelé, récemment, aux E.A.U, sur demande pressante des U.S .A. Et qu’un membre du « clan » aurait été alpagué, par les services émiratis,  et interrogé sur des déplacements répétés et inexpliqués, entre ici et là-bas, ainsi que sur l’origine « douteuse » de certains fonds. Les Américains, ont laissé entendre les deux blogueurs, seraient désormais très pointilleux lorsqu’il s’agit de virements vers ou à partir de la Mauritanie.
Il n’en fallait pas plus pour susciter l’ire présidentielle. Interrogé sur cette affaire, lors de son inutile sortie à une réunion  du comité chargé de gérer, provisoirement, l’UPR, Ould Abdel Aziz a jugé sans objet de la démentir, « personne ne (le) croira ». Aurait-il oublié qu’il est notre Président et qu’il doit être cru sur parole ? Il lui suffit juste de rester au-dessus de la mêlée. Ce qui, par les temps qui courent, n’est apparemment pas très aisé. Cela dit, négliger de démentir ne signifie pas se désintéresser. Pour preuve, dès le lendemain, avec un branlebas de combat à péter le feu. L’alerte est donnée. Les deux blogueurs et deux journalistes sont convoqués par la police économique, sommés de dévoiler leurs sources. Si les journalistes sont vite libérés, c’est au défi de  toute logique, alors qu’ils ne sont pas cités comme témoins et qu’aucune charge ne pèse encore contre eux, que Cheikh ould Jiddou et Abderrahmane ould Weddady sont priés de donner leur passeport et carte d’identité. Une mesure qui ne peut intervenir, normalement, qu’en cas de contrôle judiciaire ordonné par un juge. Comme dans l’affaire Ould Ghadda où des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes furent traînés en justice, tout simplement parce que certains d’entre eux avaient bénéficié de la générosité d’un mécène, le pouvoir (ab)use encore de ses pouvoirs.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est d’argent qu’il s’agit. Mais quoi, notre guide éclairé aurait-il des problèmes avec la thune ? Pourquoi, malgré les multiples outrages dont il a été l’objet, n’a-t-il jamais porté plainte contre quiconque ? Il doit bien avoir une susceptibilité, quelque part. Un bon psychologue ne serait pas de trop, pour nous expliquer cette relation si particulière à l’argent. L’évoquer le rend-il à ce point furieux qu’il ne s’embarrasse plus d’aucune procédure, quitte  à écorner, un peu plus, l’image d’un pays plusieurs fois épinglé par les organisations des Droits de l’Homme ? Et ce n’est pas le refoulement à l’aéroport de Nouakchott, la semaine dernière, d’une délégation d’Amnesty International qui redorera un blason terni par ce genre de pratiques. L’ouverture par la justice de dossiers vides, le placement sous contrôle judiciaire pour des raisons futiles, la convocation devant les juges pour intimider, la mise au secret, autant de manœuvres dilatoires qui portent préjudice à un pays censé démocratique. Mais la démocratie, ce n’est pas seulement une presse libre et des élections organisées, de temps à autre, mais un état d’esprit, des procédures, des lois et des institutions à respecter ; un exécutif responsable, n’empiétant pas sur les autres pouvoirs, une justice véritablement indépendante et un pouvoir législatif jouant son rôle sans complaisance. A y voir de près, on en est encore loin. Jusqu’à quand resterons-nous les derniers de la classe ? Vingt-huit ans que nous nous battons pour l’avènement d’une vraie démocratie, nos efforts n’ont-ils finalement abouti à rien ? On ne voit toujours pas le bout du tunnel et il est fort à craindre que cela dure encore longtemps.
                                                                     Ahmed Ould Cheikh

dimanche 17 mars 2019

Editorial: Boucles de bourdes

On l’avait peut-être enterré un peu tôt. Ould Abdel Aziz renaît, tel le phénix, de ses cendres. Depuis le communiqué, publié en catastrophe depuis les Emirats, où il demandait, aux députés, d’arrêter l’initiative visant à modifier la Constitution pour lui permettre de briguer un troisième mandat, notre guide éclairé faisait profil bas. Jusqu’à sa dernière sortie, à l’occasion de l’inauguration de quelques kilomètres de route bitumée, où le revoilà à s’emporter devant un journaliste lui demandant s’il présentait, effectivement, Ould Ghazwani à la future présidentielle. « Je ne l’ai pas présenté, il se présente lui-même », s’agace-t-il, sur un ton désinvolte, comme pour signifier qu’il en a assez de cette situation. La vidéo fait le tour du Web en quelques minutes. Les réseaux sociaux s’en emparent. La presse en fait ses (feuilles de) choux gras. Perceptible malaise. Sentant, après coup, la maladresse commise que « son » candidat risque de n’apprécier que très modérément, Ould Abdel Aziz cherchait une occasion de « se racheter ». Profitant d’une visite de l’UPR, pour assister à la réunion de la commission mise en place, à l’issue de son dernier congrès, pour assurer la gérance du parti, en attendant la désignation de ses prochains dirigeants, il est revenu sur ses déclarations de l’avant-veille. Exactement comme feu Ely ould Mohamed Vall, alors chef de l’Etat, déclarant, en 2006, devant un palais des Congrès médusé, que, pour la continuité de la Transition, il suffisait, aux Mauritaniens, de voter blanc à la présidentielle. La déclaration avait fait l’effet d’une bombe et les militaires, qui géraient le pays avaient failli en venir aux mains. A tel point que le lendemain, au micro de RFI, le colonel fut obligé de revoir sa copie. Quant au nouvel Aziz, « Ould Ghazwani est bien son candidat et celui de la majorité ». Si j’ai dit qu’il se présente lui-même, « c’est qu’il peut le faire et nous le soutenons ». Couleuvres, couleuvres…
A propos des deux milliards de dollars gelés aux Emirats, selon divers sites électroniques et bloggeurs,  Ould Abdel Aziz s’est contenté d’annoncer que « les jours à venir verront éclater la vérité ». Quarante-huit heures à peine plus tard, deux bloggeurs et deux journalistes sont convoqués par la police chargée de la répression des crimes économiques, longuement interrogés sur leurs sources, avant d’être relâchés. Passeports et cartes d’identité leur sont confisqués, en attendant que leur dossier soit transféré à la justice. Comme dans l’affaire Ould Ghadda lorsque des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes furent privés de leur liberté de mouvement pendant une année entière. L’instruction de leur dossier achevée depuis plus d’un an et demi, ils n’ont toujours pas été jugés. L’histoire est un éternel recommencement ? En sa version azizienne, elle ondule plus précisément entre bourde et rabâchage de bourde, en boucles.
                                                                                                  Ahmed ould Cheikh

dimanche 3 mars 2019

Editorial: Requiem de l'opposition mauritanienne?

L ‘accouchement est en cours. Dans la douleur. Une césarienne sera probablement nécessaire. Rassurez-vous : vous n’êtes pas dans une maternité mais dans une réunion du comité, désigné par l’opposition, pour dénicher l’oiseau rare : le candidat unique qui portera ses couleurs, lors de la présidentielle de Juin prochain. Inutile de le ressasser : les débats sont longs, parfois houleux. On pose la question qui tue : Le candidat doit-il être issu d’un parti d’opposition ou non, s’il a la capacité de rassembler ? Les critères de sélection sont passés en revue et les candidats au peigne fin.  Des noms émergent. On élimine certains, on en garde d’autres sous la main. Les infos fuitent avec parcimonie. Ahmed ould Daddah étant hors-jeu – limite d’âge… – on parle de Mohamed ould Maouloud qui serait, dit-on, intéressé. L’homme n’a plus rien à prouver, sur le plan du combat politique pour une véritable démocratie en Mauritanie mais il n’arrive pas à réunir le consensus pour porter l’étendard de l’opposition réunie. Les islamistes rechignent, en effet, à soutenir un homme de gauche. Mahfoudh ould Bettah ? Il n’a pas de grand parti derrière lui ni beaucoup de moyens pour financer sa campagne. Un temps pressenti, Mohamed Mahmoud ould Mohamed Saleh, un brillant professeur de Droit, proche du RFD dont il fut le directeur de campagne, lors de la présidentielle de 2007, a poliment décliné l’offre.  Cheikh ould Hannena, le leader des sénateurs frondeurs ? Issu du grand Est, il peut être un bon cheval mais n’a pas une grande expérience politique.  Et pour arriver en tête, dans une course aussi serrée que la présidentielle, il faut avoir, non seulement, du souffle mais, aussi, une solide assise financière. Sidi Mohamed ould Boubacar ? Deux fois Premier ministre (1992-1996 et 2005-2007), plusieurs fois ministre et ambassadeur, il a, incontestablement, une grande expérience et peut, sans doute, mobiliser des moyens. Mais il a l’inconvénient d’avoir servi, jusqu’à sa chute, un régime  que cette opposition a combattu. Sa gestion remarquable de la transition 2005-2007 lui vaudra-t-elle absolution ? Le fait qu’il ait toujours gardé le silence, face aux dérives du pouvoir actuel, ne joue pas en sa faveur. Certains militants de l’opposition commencent, d’ailleurs, à lui en faire reproche. Mieux vaut tard que jamais, pourrait-il leur répliquer : juste à côté de nous, Macky Sall fut ministre puis Premier ministre de Wade, avant de prendre ses distances vis à vis de son mentor et le défier, lors de la présidentielle de 2012. L’opposition sénégalaise avait flairé le bon coup et misa sur lui, en le soutenant au second tour. Vu l’enjeu, elle ne s’embarrassa ni  de considérations partisanes ni de sentiments.
Bref, qui d’autre de cette liste, pourrait-il être cette arlésienne de candidat unique ? Mohamed ould Bouamatou ? Le nom de l’homme d’affaires, devenu opposant pur et dur, subissant, depuis plus de sept ans, les affres du régime, a été également cité. Doté de solides relations, à l’extérieur et à l’intérieur, qu’il peut activer à bon escient, il a, en outre, l’énorme avantage de pouvoir financer, lui-même, sa campagne électorale. A condition, bien sûr, qu’il accepte d’entrer dans la danse et que l’opposition unanime le désigne. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. L’homme garde toujours le silence sur ses intentions et l’opposition arrivera difficilement à s’entendre. Or le temps presse. L’autre camp commence déjà à fourbir ses armes. Et, comme en 2007, 2009 et 2014, l’opposition risque fort rater encore le train. Par sa seule faute mais, cette fois, la goutte risque de faire déborder le vase. Ainsi gira une opposition auto-noyée dans ses atermoiements ?
                                                                         Ahmed ould Cheikh