samedi 26 juillet 2014

Editorial : Au royaume des aveugles…



Dans quelques jours, le 2 août précisément, le président Ould Abdel Aziz sera investi pour un second mandat. Le dernier, si l’on en croit la Constitution. La fête, qu’on veut grandiose, verra la participation d’une dizaine de chefs d’Etat du continent. Les préparatifs ont déjà commencé. L’entrée principale du Stade olympique, qui abritera la cérémonie d’investiture, est en train de faire peau neuve. Mais on ne sait toujours pas que fera la Communauté urbaine des milliers de tonnes de détritus qui jonchent les artères de la capitale, la rendant encore plus hideuse. Ni où hébergera-t-on tout ce monde. Il est vrai que les chefs d’Etat ne passent pas la nuit à Nouakchott. Sinon, ça poserait un problème pour le moins épineux puisqu’à part cinq villas destinées à recevoir les hôtes de marque, dans l’enceinte du Palais des congrès, Il n’y a pas un seul hôtel de luxe pour héberger des délégations d’un tel niveau.
Le putschiste de 2008, relooké démocrate et élu, une première fois, en 2009, est devenu fréquentable. Et même courtisé, puisqu’entretemps, il a été choisi, par ses pairs, pour présider aux destinées de l’Union africaine. Tous les présidents des Etats voisins vont ainsi accourir, excepté Bouteflika, pour des raisons de santé évidentes, et Mohamed VI, avec qui le courant n’est pas encore parvenu à passer. Ceux-ci se contenteront d’envoyer des représentants. Mais Macky Sall, IBK, Yahya Jammeh, Issoufou, Déby, Sissi, Zuma et Marzouki seront de la partie.
Beaucoup d’eau a, en effet, coulé sous les ponts depuis 2008, date du renversement du premier président démocratiquement élu de notre histoire nationale. Ould Abdel Aziz a pu gravir tous les échelons pour faire partie intégrante du « sérail », ce melting-pot de présidents africains où des démocrates sincères côtoient, sans se pincer le nez, des dictateurs faisant peu de cas des aspirations de leurs peuples. Forts de la caution de l’ancienne puissance coloniale, ils n’en font qu’à leur tête, se permettant de tripatouiller la Constitution, réduire leurs opposants au silence, parfois définitif, et d’instaurer une oligarchie familiale d’une vulgarité à toute épreuve. Nous recevrons le 2 août certains membres de ce club.
L’hospitalité mauritanienne recommande de ne pas dire du mal de l’hôte de passage, au moins jusqu’à son départ. Nous allons déroger à cette règle et des oreilles vont certainement siffler, au cours de la cérémonie. Ira-t-on jusqu’à classer ces messieurs par ordre de démocratie ? Ou, plutôt, de non-démocratie, vu la proportion de ces présidents disqualifiés, de facto et d’office, au tableau d’honneur du pouvoir populaire. Ainsi va l’Afrique et l’on comprend bien qu’en ces tristes occurrences, Ould Abdel Aziz puisse faire office de roi. Au royaume des aveugles… mais qu’on ne nous demande pas, par pitié, d’applaudir !
                                                                        Ahmed Ould Cheikh

samedi 19 juillet 2014

Editorial: Qui dit ''modèle''...

Depuis quelques années, la Mauritanie est classée en tête des pays arabes, en matière de liberté de presse, par l’ONG « Reporters Sans Frontières » (RSF). Une occasion rêvée, pour les pouvoirs publics et les media aux ordres, de vanter les mérites du « modèle mauritanien ». Oubliant, au passage – volontairement ? – ce que certains journaux et journalistes ont enduré, durant vingt années, pour que le pays en arrive là. De nouveaux visages font ainsi leur apparition, comme pour cacher les anciens et expliquer, en long et en large, ce que la Rectification a apporté au pays tout entier et à ses media, en particulier. Où étaient-ils, ces nouveaux chantres de la liberté, lorsque la presse se faisait censurer, interdire et malmener, en vertu du fameux article 11 liberticide ?
La presse, la vraie, celle qui a osé dire non, qui a soulevé les dossiers qui fâchent, qui a évoqué le passif humanitaire, lorsqu’il était encore tabou, qui a dénoncé l’esclavage, qui a mis à nu la démocratie de façade que nous vivons, depuis 1991, a toujours été – et reste encore – marginalisée. La situation que nous avons vécue, sous Ould Taya, et celle que nous vivons, présentement, sont sensiblement les mêmes, la censure en moins. Ostracisme, pressions en tout genre et exclusion étaient – et demeurent – notre lot quotidien. « Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir » s’appliquerait, transposé à la presse, parfaitement à notre situation. D’autant plus que, depuis quelques mois, un autre coup bas est en train de nous être asséné, en douce. On veut nous frapper là où ça fait le plus mal : au niveau du portefeuille. Comme si nous étions habitués à vivre dans l’aisance ! Des personnalités influentes, parfois haut placées, utilisent leur position dominante, pour faire pression sur des clients de certains journaux et sites parfois très peu tendres avec le pouvoir, pour les amener à ne plus traiter avec eux. On ne sait toujours pas, malgré plusieurs cas répertoriés et preuves à l’appui, s’il s’agit d’une manœuvre orchestrée du pouvoir ou l’excès de zèle de l’un ou l’autre de ses fonctionnaires qui confondent, aisément, (se) servir et sévir.
Dans le torrent d’autosatisfaction déversé, en hauts lieux, sur le « modèle mauritanien », on n’imagine pas, un seul instant, l’Etat reconnaître sa main sous ces sales combines. Mais, à défaut de (pouvoir) sévir contre elles – faudra-t-il déposer plainte devant la Haute Autorité de la Presse et sous quelle forme, pour mettre le pouvoir au défi de mettre de l’ordre dans ses troupes ? – il serait du meilleur effet qu’un pays prétendument démocratique s’engage à des actes positifs, précis et dynamiques, assurant la plus vaste pluralité possible d’expression des points de vue mauritaniens, dans toute leur diversité. Comment ? C’est une excellente question. Il ne manque plus que la décision d’en haut, tout en haut, pour qu’on en discute. Nous, nous y sommes prêts.
                                                                                                Ahmed Ould Cheikh

dimanche 13 juillet 2014

Editorial: La transparence, c’est quoi ?

Dans sa proclamation, le 29 juin dernier, des résultats définitifs des résultats de l’élection présidentielle, maître Sghair Ould M'Bareck, président du Conseil constitutionnel, nous a confirmé ce que le monde entier savait déjà, depuis belle lurette, hélas : le niveau d’études requis, en Mauritanie, pour diriger une haute institution de l’Etat ne dépasse pas l’école primaire. On bataillait sur l’année : cinquième ou sixième ? La saillie d’Ould M’Bareck nous oblige à revoir la question à la baisse. Ce serait, plutôt, entre troisième et quatrième année du Fondamental…
Preuve par neuf. Pour calculer le nombre de votants à une élection, on doit faire deux additions. Tout d’abord, celle des bulletins valides pour chaque candidat, qui donne le nombre des suffrages exprimés. Soit, en l’occurrence de l’élection du 21 juin, 580 062 + 61 757 + 31 381 + 31 245 + 3 453 = 707 898. Là, rien à dire, Ould M’Bareck s’en est tiré avec un 10/10 sans bavures et le maître pouvait s’éponger le front, en soupirant d’aise, après ce premier et brillant succès. La seconde addition consistait à ajouter, à ce nombre de suffrages exprimés, les bulletins nuls et les blancs : 707 898 + 32 442 + 10 853 ; afin d’obtenir le nombre de votants D’après Ould M’Bareck (1), cela ferait 751 163. Aïe ! Mouchkil ! Il en a oublié 30 en chemin !
Evidemment, deux additions successives, c’est beaucoup. Les neurones, à cet âge, ça fatigue vite ; il lui en manque aussi quelques-uns, c’est dans l’ordre des choses. Et puis, tout de même, il a réussi au moins une des deux opérations, notre expert national ! On lui mettra donc 10/20, il a la moyenne. C’est médiocre, bien sûr, mais tout-à-fait dans la norme de nos hauts cadres nationaux. Certes, ce résultat « définitif » - qu’on pourrait même qualifier d’historique, une vraie révolution arithmétique, à placarder dans toutes nos écoles, en illustration exemplaire du « Mouvement de la Rectification » – ce résultat, dis-je, vole, un chouïa, un taux de participation déjà fort chagrin. Les stratèges de la majorité s’interrogent : faut-il invalider le scrutin ?
Sans compter les petites bizarreries des différences entre les chiffres de la CENI et ceux du Conseil Constitutionnel. La CENI a compté 10 877 bulletins blancs. Par quelle magie 24 d’entre eux se retrouvent-ils comptabilisés dans les suffrages exprimés, par le CC qui ne décompte, lui, que 10 853 bulletins blancs ? La même question pour 758 bulletins réputés nuls, par la CENI, qui se retrouvent validés, par le CC… Rectification sainte, peut-être. Mais pas très saine, sûrement. On mangera donc du merle… En attendant que les processus de vérification, entre les résultats provisoires et définitifs, soient, enfin, élucidés, aux yeux du moindre citoyen. La transparence, c'est aussi cela...

                                                                                       Ahmed Ould Cheikh


(1) : http://www.ami.mr/fr/index.php?page=Depeche&id_depeche=27520
http://mauritanie-ouldkaige.blogspot.com/2014/06/non-coincidence-des-chiffres-publies.html

samedi 5 juillet 2014

Editorial : Rendez-nous notre RIM !



Dix jours après l’élection présidentielle qui a propulsé le président Ould Abdel Aziz à un deuxième mandat consécutif ; sept mois après les municipales et législatives qui ont permis, à son parti, de rafler la majorité des sièges ; où en est-on ? Quel visage offre notre démocratie ? Le tableau est, malheureusement, guère reluisant : une scène politique en lambeaux ; des partis qui se regardent en chiens de faïence ; aucune perspective ni possibilité de compromis à l’horizon ; un peuple hagard, pris en otage par sa classe politique et ne sachant plus sur quel pied danser. Face à des prix qui flambent sans arrêt, rendant la vie impossible, il ne sait plus où donner de la tête. Même la campagne électorale, naguère exutoire, moyen d’oublier un quotidien difficile et occasion de se faire un peu d’argent à moindre frais, n’est plus qu’un tonneau vide. Le nerf de la guerre en fut le plus grand absent, sauf pour quelques privilégiés. Dont la qualité première n’est pas le partage. D’où une démobilisation sans précédent. A qui la faute ? A l’opposition qui a refusé de jouer le jeu, en l’absence de garanties réelles ? Au pouvoir qui a refusé de lâcher du lest, au risque de porter un coup dur à notre démocratie ?
Certes, il serait aisé de renvoyer tout ce monde dos à dos. Et de faire sienne la formule « Un pour tous, tous pourris ». Cela nous sortira-t-il pour autant de l’auberge ? Va-t-on rester encore cinq ans dans cette situation de ni guerre ni paix ? Avec une opposition qui refuse de reconnaître le pouvoir mais sans aucun moyen de lui opposer quoi que ce soit ? Avec un pouvoir qui détient tous les leviers et un rapport de forces apparemment tout à sa faveur ? Débat ? Nul. Critiques ? Non avenues. Corrections ? Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et, s’il ne l’est pas, on fera comme si. Au p’tit bonheur la chance. Au pif, à l’esbroufe, à l’applaudimètre. Mais cinq ans, c’est trop ! Et pire, encore, si, derrière, il n’y a rien… Messieurs, trouvez-vous une formule pour dépasser vos divergences. Nous en avons assez de vos querelles byzantines. Mettez-vous au travail, afin que s’atténuent, réellement, nos difficultés quotidiennes. Ouvrez-nous une vraie voie – pas une promesse, pas un rêve – où nous ayons, nous, les citoyens qui vous font vivre, une autre fonction que ramasse-miettes de vos prébendes sur les richesses de notre pays. Politiciens, devenez de vrais politiques, de vrais artisans de la vie de la cité : rendez-nous, enfin, notre RIM !

                                                                                                             Ahmed Ould Cheikh