dimanche 24 février 2013

Éditorial : Inconcevable jurisprudence



Lorsqu’ils ont pris le pouvoir en 2005, les militaires, dont l’écrasante majorité appartenait au cercle proche du président renversé, ont décidé, unilatéralement, de faire fi du passé. Et de ne poursuivre personne, ni parmi les auteurs d’exécutions extrajudiciaires et autres exactions illégales, ni parmi les grands prédateurs qui écumaient la République. Ils ne voulaient pas, disaient-ils, ouvrir la boîte de Pandore. On les comprenait, tant ce dévoilement risquait de les éclabousser. Aucun d’entre eux n’était blanc comme neige et tous avaient, à un niveau ou un autre, goûté aux délices du fruit interdit. La classe politique et même le petit peuple, à qui l’on ne demandait pourtant pas l’avis, ont applaudi la mesure, plus soulagés de voir la fin d’un régime qu’empressés de réclamer une chasse aux sorcières dont les chances d’aboutir étaient proches du zéro. On tira, du coup, un trait sur un pan peu glorieux de notre histoire récente. Et l’on assista, ainsi, à l’émergence d’une première jurisprudence dont on n’est pas prêt de se départir. Chaque régime qui chutait passait par pertes et profits. Ould Abdel Aziz, encore fraichement embarqué sur son cheval de justicier, essaya d’ouvrir certains dossiers qui l’avaient précédé, comme ceux d’Air Mauritanie ou du riz avarié, mais ne tarda à les refermer. Désormais  ceux qui traînaient les plus impressionnantes batteries de casseroles pouvaient attendre la fermeture de la (longue) parenthèse du pouvoir qu’ils avaient servi, pour se pavaner en de plus encore somptueuses cuisines. Une fâcheuse tendance, préjudiciable au pays, à sa réputation et à son économie et qu’il n’est plus possible de laisser perdurer. Comment peut-on, par exemple, laisser impunis des hommes qui ont exécuté des ordres illégaux, voire inhumains, au motif qu’ils ne faisaient qu'obéir  aux ordres venus d’en haut ? Le gouverneur actuel de la Banque centrale, Sid’Ahmed Ould Raiss et son collaborateur Cheikh El Kébir Ould Chbih, qui violent, tous les jours, la loi bancaire, pour mettre la GBM à genoux, ne devront-ils pas répondre, un jour, de leurs actes ? N’y a-t-il pas de clause de conscience, en ce pays, autorisant de désobéir, quand les ordres ne sont pas conformes à la loi? Quand finira-t-on par comprendre qu’une république n’est pas un bataillon où l’on s’exécute d’abord et l’on se pose des questions ensuite ?
On n’en finirait plus d’énumérer les épuisantes illustrations de cette aberration : policiers qui trafiquent les procès-verbaux, procureurs qui défèrent les innocents, sur simple commande du prince, juges d'instructions qui travaillent aux ordres du « Parquet », alors qu'ils appartiennent à la magistrature assise, directeurs des impôts qui sanctionnent les « rebelles » au pouvoir du général défroqué, députés et sénateurs qui continuent à « légiférer » pour le compte du Palais, en dehors de tout mandat... Tant qu’on fonctionnera sur ce régime, le n’importe quoi et le pire resteront possibles, pour peu que l’un ou l’autre, voire les deux, agréent au maître, hors de toute loi, morale ou religion. Mais cela ne peut durer éternellement. Tôt ou tard, rendre compte deviendra la norme. Chacun réfléchira à deux fois, avec sa propre conscience, à la portée de ses actes. Et je suis prêt à parier que tout le monde se portera, alors, beaucoup mieux, y compris les professionnels de la courbette…
Ahmed Ould Cheikh

dimanche 17 février 2013

Editorial : Pendant ce temps-là…



Dans ‘’L’équipe du Dimanche’’, la célèbre émission sportive de Canal Plus, le présentateur Thomas Thouroude passe en revue et commente les matchs des différents championnats européens de football. Et, en guise de transition d’un championnat à l’autre, repasse à l’écran une sorte d’intermède ludique, intitulé ‘’Pendant ce temps-là’’.  Le journaliste, non dépourvu d’humour, montre alors des scènes risibles ou ridicules, pêchés un peu partout dans le monde. Comme quoi, pendant que des joueurs suent à grosses gouttes sur les terrains pour gagner leur pitance – et (beaucoup) plus, pour les plus doués – des insouciants, sur une autre planète, ont la tête ailleurs. En Mauritanie, nous ne sommes pas loin de ce cas de figure. Pendant que les différents pays du monde cherchent à assurer leur développement, font tout pour éviter les crises internes, veulent donner les mêmes chances à tout le monde, notre guide éclairé cherche partout la petite bête, en s’occupant du menu fretin que le moindre cadre de ministère rechigne à approcher.
Pendant ce temps-là, donc, le pouvoir intervient dans l’attribution des marchés, gère le budget de l’Etat comme une boutique, distribue les agréments bancaires à tour de bras, ne fait aucun pas en direction de l’opposition, pour dépasser la crise où l’on se débat depuis 2008, ne songe nullement à organiser des élections, alors que les mandats du Parlement et des mairies ont expiré depuis plus d’un an, joue au yoyo devant la crise au Nord-Mali et se prend pour le Messie sans lequel ce pays serait, depuis longtemps, déjà parti à vau-l’eau.
Pendant ce temps-là, aussi, Ould Abdel Aziz ou, plutôt, son maladif problème d’ego n’a pas trouvé mieux, pour occuper une opinion publique fatiguée des promesses sans lendemain, que de déclarer la guerre au groupe de Mohamed Ould Bouamatou, l’homme qui l’a fait roi, dans les conditions que tout le monde connaît, d’imposer arbitrairement ses différents sociétés, de chercher à diminuer les avoirs de sa banque, en ordonnant aux établissements publics d’en retirer leurs dépôts, d’envoyer en prison son collaborateur le plus proche, pour cause de faillite d’une compagnie aérienne où l’Etat n’avait, pourtant, pas mis un sou, et de geler des avoirs destinés à la Fondation de son cousin, qui remplit, bénévolement, une fonction que notre système de santé est incapable de remplir…
Inconscient des dangers que court son pouvoir, en se mettant à dos, non seulement, la classe politique mais, aussi, le capital, Ould Abdel Aziz ne semble avoir guère compris qu’une main de fer a besoin d’un gant de velours et qu’à force d’accumuler  les rancœurs contre soi, on s’expose à leur agglutination nauséeuse. Certes, la Mauritanie a l’estomac solide mais, pendant que la bile de son prince s’échauffe, l’ulcère s’agrandit… Un trou autrement plus fatal que les batifolages d’une balle amie…
Ahmed Ould Cheikh

dimanche 10 février 2013

Editorial : Usé jusqu’à la corde



En 2004, au plus fort de l’affaire dite des « faux chiffres » communiqués aux partenaires techniques et financiers, tous les indicateurs économiques étaient au vert, selon les autorités de l’époque. Personne ne pouvait imaginer que notre Etat pouvait mentir à ses partenaires et à son propre peuple, tant l’argent coulait à flots. Mais la bulle, artificielle, finit par se dégonfler et la Mauritanie se retrouva obligée de jouer franc-jeu avec les institutions de Bretton Wood. Sans qu’on ne sache jamais comment elles ont pu gober ces faux chiffres et sans que des sanctions ne soient prises à l’encontre des contrefacteurs.
La situation que vit le pays aujourd’hui est un tantinet différente. Certes, les chiffres officiels font toujours état d’une situation macre-économique resplendissante, de réserves en devises au-delà du raisonnable, une balance des paiements excédentaire et tout le tintouin du « tout va très bien, madame la marquise... » Mais le panier de la ménagère n’a jamais été aussi vide, les prix ne cessent de flamber, les hydrocarbures atteignent des sommets – alors même que le prix du baril de pétrole dégringole – et l’Etat est toujours aussi mauvais payeur. C’est à se demander lesquels des chiffres sont faux. Ceux qui décrivent la richesse ou ceux qui constatent la misère ?
Christine Lagarde était, il y a quelques jours, à Nouakchott et n’a, certainement, vu que ce qu’on a bien voulu lui montrer (tout comme aux experts que son institution envoie). Mais elle est avertie. Il y a comme une évidence que ne sauraient cacher les chiffres : quelque chose ne tourne pas rond dans notre économie. Par quel subterfuge peut-on expliquer le fait que 80% des devises cédées par la Banque Centrale le soient en dehors du marché des changes, en violation des engagements pris devant le FMI, soit plus de 100 milliards d’ouguiyas rien que pour l’année 2012 ? Comment expliquer que la croissance ne profite qu’à une petite minorité, tellement jalouse de ses prérogatives et de ses avantages qu’elle veut écarter jusqu’à ceux qui ont eu l’outrecuidance de réussir avant elle ? Comment un Etat, censé jouer le rôle de régulateur, se transforme en opérateur économique, poussant des sociétés à la faillite, au lieu d’encourager les initiatives privées ? Comment peut-on procéder par élimination, dans l’attribution des marchés publics, de ceux qui n’ont pas encore assimilé la Rectification, avant d’honorer les plus bruyants fidèles à celle-ci ? Alors que nous sommes tous égaux devant la loi, par quel miracle peut-on opérer, au même moment, des redressements fiscaux visant plusieurs sociétés d’un même groupe, au prétexte subit qu’elles ne payaient pas suffisamment d’impôts ? Comment peut-on ordonner, aux sociétés publiques, de vider leurs comptes de la même banque, le même jour, et qu’on nous dise, en suivant, qu’il s’agit d’opérations normales ? En un mot, l’Etat a-t-il vocation à être instrumentalisé pour régler des comptes personnels ?
Que les experts du FMI ne viennent surtout pas nous chanter demain que l’économie se porte bien et qu’elle est bien tenue. Ils ne croient certainement pas si bien dire. Preuve ultime : quand la police chargée de la répression de la délinquance financière convoque un opérateur économique et, sans rien lui reprocher, confisque son passeport pour l’empêcher de voyager, ça s’appelle comment ? Abus de pouvoir ? Pratiques antédiluviennes ? On nous dit, pourtant, qu’on est en démocratie. Militaire, peut-être ? Que notre justice est indépendante. Jusqu’à ce qu’on l’oriente ? Et que l’Etat n’a pas de parti pris ? On n’en demande pas plus. Seulement voilà : les faits sont au moins aussi têtus qu’Ould Abdel Aziz. De vareuse en complet-veston, un despote reste despote. De commandements en recommandations, la justice marche toujours au pas. De PRDS en UPR, l’Etat défile itou, entre deux haies serrées de laudateurs qui élèvent toujours plus la voix, histoire de couvrir les grondements grandissants du peuple, derrière, usé jusqu’à la corde…  Prends garde aux cris de joie qui t’environnent: plus ils redoublent, plus irrésistible s’annonce le tsunami du ras-le-bol  qu’ils prétendent endiguer…   

                                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

dimanche 3 février 2013

Editorial : Pourquoi tout cet acharnement ?



« Non de non et encore non ! », dénie, en substance, le directeur général des impôts, sur les ondes de la TVM, « Mohamed Ould Bouamatou n’est pas visé personnellement, le redressement qui touchent ses sociétés est également appliqué à toutes les autres, dans tous les secteurs, cimenteries, téléphonie mobile, banques ou autres ». On veut bien vous croire, monsieur le directeur, même si l’on a des difficultés à comprendre par quel fabuleux coup de baguette magique les affaires des trois sociétés visées où MOB est actionnaire ont pu être à ce point florissantes, par les temps qui courent, qu’on les somme de payer plus de 4 milliards de nos ouguiyettes… Il est vrai que la crise, c’est exclusivement réservé aux pauvres. Heureusement qu’ils ont un président, pour rétablir un peu les choses…
Car, si l’on veut bien croire le fidèle exécutant que ne manquerait surtout pas d’être monsieur le directeur général des impôts, on comprend, tout aussi bien, qu’il y a des choses qui le dépassent. Ce n’est évidemment pas lui qui aura subitement décidé toutes les sociétés d’Etat à vider, entre le 21 et le 23 janvier, leurs comptés à la GBM, au profit de la Société Générale. Tenez-vous bien : rien qu’à Nouadhibou, la SNIM a siphonné ses trois comptes, de la représentation régionale de la banque à MOB. L’un était créditeur d’un milliard cent quarante-cinq millions d’ouguiyas, le second de deux cent soixante-quinze millions et le troisième, « que » de soixante-douze millions. La société de Gestion des Installations Pétrolières (GIP) a retiré plus de trois cent millions, le Port Autonome de Nouadhibou, cent cinquante, et la Société Mauritanienne de Commercialisation du Poisson (SMCP), cent mille dollars et deux cent mille euros.
Même topo à Nouakchott. Le Port autonome, sept cent millions d’ouguiyas et l’Autorité de régulation, plus d’un milliard. Les SOMELEC, SONIMEX et SOMAGAZ ayant, quant à elles, reçu consigne de limiter, « au strict minimum », leurs relations avec cette banque. Et, tenez-vous bien, tout cet argent a atterri sur des comptes ouverts à la Société générale. Aucune autre banque nationale n’a eu droit à un centime de ce pactole. Certaines mauvaises langues croient savoir qu’il ne serait qu’en transit vers une banque en cours de création et dont au moins un actionnaire bénéficie de liens de parenté opportuns par les temps qui courent.

 D’autres indices sentent tout autant le soufre. Alors que la Banque centrale est tenue de fournir, aux banques qui en font la demande, des devises « dans la limite des disponibilités » – une variable propice à toutes sortes de variabilité – la GBM n’a reçu, au cours du mois en cours, que 600.000 dollars contre onze millions à la Qatar National Bank qui ne devrait, normalement pas, en manquer.
Voudrait-on amener la banque à fermer ou avoir, au moins, de grosses  difficultés de trésorerie qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et les coïncidences sont trop diverses, trop resserrées dans le temps pour douter de l’identité de cet « on » : qu’a donc fait MOB pour mériter les foudres de son cousin ? L’opinion publique veut savoir ce que celui-ci reproche à celui-là, au point de menacer un certain nombre d’emplois liés à ses activités. Une exigence plus que légitime : lorsque les affaires d’un seul homme ou d’un seul groupe financier mettent en jeu un grand nombre de gens, la république – la chose publique –  est en droit de demander des comptes à ceux qui remettent en cause ces liens. Tout particulièrement lorsque l’agresseur est censé présider la République. Une fonction élective qui ne met certainement pas à l’abri de l’accusation de délit d’initié. C’est aussi cela, la démocratie.
Ahmed Ould Cheikh