Lorsqu’ils ont pris le pouvoir en 2005, les
militaires, dont l’écrasante majorité appartenait au cercle proche du président
renversé, ont décidé, unilatéralement, de faire fi du passé. Et de ne
poursuivre personne, ni parmi les auteurs d’exécutions extrajudiciaires et
autres exactions illégales, ni parmi les grands prédateurs qui écumaient la République. Ils ne
voulaient pas, disaient-ils, ouvrir la boîte de Pandore. On
les comprenait, tant ce dévoilement risquait de les éclabousser. Aucun
d’entre eux n’était blanc comme neige et tous avaient, à un niveau ou un autre,
goûté aux délices du fruit interdit. La classe
politique et même le petit peuple, à qui l’on ne demandait
pourtant pas l’avis, ont applaudi la mesure, plus soulagés de voir la fin
d’un régime qu’empressés de réclamer une chasse aux sorcières dont
les chances d’aboutir étaient proches du zéro. On tira, du coup, un
trait sur un pan peu glorieux de notre histoire récente. Et l’on
assista, ainsi, à l’émergence d’une première jurisprudence dont on
n’est pas prêt de se départir. Chaque régime qui chutait passait par pertes et
profits. Ould Abdel Aziz, encore fraichement embarqué sur son cheval de
justicier, essaya d’ouvrir certains dossiers qui l’avaient précédé, comme ceux
d’Air Mauritanie ou du riz avarié, mais ne tarda à les refermer.
Désormais ceux qui traînaient les plus impressionnantes batteries
de casseroles pouvaient attendre la fermeture
de la (longue) parenthèse du pouvoir qu’ils avaient servi, pour se pavaner
en de plus encore somptueuses cuisines. Une fâcheuse tendance,
préjudiciable au pays, à sa réputation et à son économie et qu’il n’est plus
possible de laisser perdurer. Comment peut-on, par exemple, laisser
impunis des hommes qui ont exécuté des ordres
illégaux, voire inhumains, au motif qu’ils ne faisaient
qu'obéir aux ordres venus d’en haut ? Le gouverneur actuel de la Banque centrale, Sid’Ahmed
Ould Raiss et son collaborateur Cheikh El Kébir Ould Chbih, qui
violent, tous les jours, la loi bancaire, pour mettre la GBM à genoux, ne devront-ils
pas répondre, un jour, de leurs actes ? N’y a-t-il pas de clause
de conscience, en ce pays, autorisant de désobéir, quand les
ordres ne sont pas conformes à la loi? Quand finira-t-on par comprendre
qu’une république n’est pas un bataillon où l’on s’exécute d’abord
et l’on se pose des questions ensuite ?
On n’en finirait plus d’énumérer les épuisantes
illustrations de cette aberration : policiers qui trafiquent
les procès-verbaux, procureurs qui défèrent les innocents, sur simple
commande du prince, juges d'instructions qui travaillent aux ordres
du « Parquet », alors qu'ils appartiennent à la
magistrature assise, directeurs des impôts qui sanctionnent
les « rebelles » au pouvoir du général défroqué, députés et
sénateurs qui continuent à « légiférer » pour le compte du
Palais, en dehors de tout mandat... Tant qu’on fonctionnera sur ce régime, le
n’importe quoi et le pire resteront possibles, pour peu que l’un ou l’autre,
voire les deux, agréent au maître, hors de toute loi, morale ou religion. Mais
cela ne peut durer éternellement. Tôt ou tard, rendre compte deviendra la
norme. Chacun réfléchira à deux fois, avec sa propre conscience, à la portée de
ses actes. Et je suis prêt à parier que tout le monde se portera,
alors, beaucoup mieux, y compris les professionnels de la courbette…
Ahmed Ould Cheikh
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