dimanche 10 février 2013

Editorial : Usé jusqu’à la corde



En 2004, au plus fort de l’affaire dite des « faux chiffres » communiqués aux partenaires techniques et financiers, tous les indicateurs économiques étaient au vert, selon les autorités de l’époque. Personne ne pouvait imaginer que notre Etat pouvait mentir à ses partenaires et à son propre peuple, tant l’argent coulait à flots. Mais la bulle, artificielle, finit par se dégonfler et la Mauritanie se retrouva obligée de jouer franc-jeu avec les institutions de Bretton Wood. Sans qu’on ne sache jamais comment elles ont pu gober ces faux chiffres et sans que des sanctions ne soient prises à l’encontre des contrefacteurs.
La situation que vit le pays aujourd’hui est un tantinet différente. Certes, les chiffres officiels font toujours état d’une situation macre-économique resplendissante, de réserves en devises au-delà du raisonnable, une balance des paiements excédentaire et tout le tintouin du « tout va très bien, madame la marquise... » Mais le panier de la ménagère n’a jamais été aussi vide, les prix ne cessent de flamber, les hydrocarbures atteignent des sommets – alors même que le prix du baril de pétrole dégringole – et l’Etat est toujours aussi mauvais payeur. C’est à se demander lesquels des chiffres sont faux. Ceux qui décrivent la richesse ou ceux qui constatent la misère ?
Christine Lagarde était, il y a quelques jours, à Nouakchott et n’a, certainement, vu que ce qu’on a bien voulu lui montrer (tout comme aux experts que son institution envoie). Mais elle est avertie. Il y a comme une évidence que ne sauraient cacher les chiffres : quelque chose ne tourne pas rond dans notre économie. Par quel subterfuge peut-on expliquer le fait que 80% des devises cédées par la Banque Centrale le soient en dehors du marché des changes, en violation des engagements pris devant le FMI, soit plus de 100 milliards d’ouguiyas rien que pour l’année 2012 ? Comment expliquer que la croissance ne profite qu’à une petite minorité, tellement jalouse de ses prérogatives et de ses avantages qu’elle veut écarter jusqu’à ceux qui ont eu l’outrecuidance de réussir avant elle ? Comment un Etat, censé jouer le rôle de régulateur, se transforme en opérateur économique, poussant des sociétés à la faillite, au lieu d’encourager les initiatives privées ? Comment peut-on procéder par élimination, dans l’attribution des marchés publics, de ceux qui n’ont pas encore assimilé la Rectification, avant d’honorer les plus bruyants fidèles à celle-ci ? Alors que nous sommes tous égaux devant la loi, par quel miracle peut-on opérer, au même moment, des redressements fiscaux visant plusieurs sociétés d’un même groupe, au prétexte subit qu’elles ne payaient pas suffisamment d’impôts ? Comment peut-on ordonner, aux sociétés publiques, de vider leurs comptes de la même banque, le même jour, et qu’on nous dise, en suivant, qu’il s’agit d’opérations normales ? En un mot, l’Etat a-t-il vocation à être instrumentalisé pour régler des comptes personnels ?
Que les experts du FMI ne viennent surtout pas nous chanter demain que l’économie se porte bien et qu’elle est bien tenue. Ils ne croient certainement pas si bien dire. Preuve ultime : quand la police chargée de la répression de la délinquance financière convoque un opérateur économique et, sans rien lui reprocher, confisque son passeport pour l’empêcher de voyager, ça s’appelle comment ? Abus de pouvoir ? Pratiques antédiluviennes ? On nous dit, pourtant, qu’on est en démocratie. Militaire, peut-être ? Que notre justice est indépendante. Jusqu’à ce qu’on l’oriente ? Et que l’Etat n’a pas de parti pris ? On n’en demande pas plus. Seulement voilà : les faits sont au moins aussi têtus qu’Ould Abdel Aziz. De vareuse en complet-veston, un despote reste despote. De commandements en recommandations, la justice marche toujours au pas. De PRDS en UPR, l’Etat défile itou, entre deux haies serrées de laudateurs qui élèvent toujours plus la voix, histoire de couvrir les grondements grandissants du peuple, derrière, usé jusqu’à la corde…  Prends garde aux cris de joie qui t’environnent: plus ils redoublent, plus irrésistible s’annonce le tsunami du ras-le-bol  qu’ils prétendent endiguer…   

                                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

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