En 2004, au plus fort de l’affaire dite des « faux
chiffres » communiqués aux partenaires techniques et financiers, tous les
indicateurs économiques étaient au vert, selon les autorités de l’époque. Personne
ne pouvait imaginer que notre Etat pouvait mentir à ses partenaires et à son
propre peuple, tant l’argent coulait à flots. Mais la bulle, artificielle,
finit par se dégonfler et la
Mauritanie se retrouva obligée de jouer franc-jeu avec les
institutions de Bretton Wood. Sans qu’on ne sache jamais comment elles ont pu
gober ces faux chiffres et sans que des sanctions ne soient prises à l’encontre
des contrefacteurs.
La situation que vit le pays aujourd’hui est un
tantinet différente. Certes, les chiffres officiels font toujours état d’une
situation macre-économique resplendissante, de réserves en devises au-delà du
raisonnable, une balance des paiements excédentaire et tout le tintouin du
« tout va très bien, madame la marquise... » Mais le panier de la
ménagère n’a jamais été aussi vide, les prix ne cessent de flamber, les
hydrocarbures atteignent des sommets – alors même que le prix du baril de
pétrole dégringole – et l’Etat est toujours aussi mauvais payeur. C’est à se
demander lesquels des chiffres sont faux. Ceux qui décrivent la richesse ou
ceux qui constatent la misère ?
Christine Lagarde était, il y a quelques jours, à
Nouakchott et n’a, certainement, vu que ce qu’on a bien voulu lui montrer (tout
comme aux experts que son institution envoie). Mais elle est avertie. Il y a comme
une évidence que ne sauraient cacher les chiffres : quelque chose ne
tourne pas rond dans notre économie. Par quel subterfuge peut-on expliquer le
fait que 80% des devises cédées par la Banque Centrale le
soient en dehors du marché des changes, en violation des engagements pris
devant le FMI, soit plus de 100 milliards d’ouguiyas rien que pour l’année
2012 ? Comment expliquer que la croissance ne profite qu’à une petite
minorité, tellement jalouse de ses prérogatives et de ses avantages qu’elle veut
écarter jusqu’à ceux qui ont eu l’outrecuidance de réussir avant elle ? Comment
un Etat, censé jouer le rôle de régulateur, se transforme en opérateur
économique, poussant des sociétés à la faillite, au lieu d’encourager les
initiatives privées ? Comment peut-on procéder par élimination, dans
l’attribution des marchés publics, de ceux qui n’ont pas encore assimilé la Rectification, avant
d’honorer les plus bruyants fidèles à celle-ci ? Alors que nous sommes
tous égaux devant la loi, par quel miracle peut-on opérer, au même moment, des
redressements fiscaux visant plusieurs sociétés d’un même groupe, au prétexte
subit qu’elles ne payaient pas suffisamment d’impôts ? Comment peut-on
ordonner, aux sociétés publiques, de vider leurs comptes de la même banque, le
même jour, et qu’on nous dise, en suivant, qu’il s’agit d’opérations
normales ? En un mot, l’Etat a-t-il vocation à être instrumentalisé
pour régler des comptes personnels ?
Que les experts du FMI ne viennent surtout pas nous
chanter demain que l’économie se porte bien et qu’elle est bien tenue. Ils ne
croient certainement pas si bien dire. Preuve ultime : quand la police
chargée de la répression de la délinquance financière convoque un opérateur
économique et, sans rien lui reprocher, confisque son passeport pour l’empêcher
de voyager, ça s’appelle comment ? Abus de pouvoir ? Pratiques
antédiluviennes ? On nous dit, pourtant, qu’on est en démocratie.
Militaire, peut-être ? Que notre justice est indépendante. Jusqu’à ce qu’on
l’oriente ? Et que l’Etat n’a pas de parti pris ? On n’en demande pas
plus. Seulement voilà : les faits sont au moins aussi têtus qu’Ould Abdel
Aziz. De vareuse en complet-veston, un despote reste despote. De commandements
en recommandations, la justice marche toujours au pas. De PRDS en UPR, l’Etat
défile itou, entre deux haies serrées de laudateurs qui élèvent toujours plus
la voix, histoire de couvrir les grondements grandissants du peuple, derrière,
usé jusqu’à la corde… Prends garde aux
cris de joie qui t’environnent: plus ils redoublent, plus irrésistible
s’annonce le tsunami du ras-le-bol qu’ils
prétendent endiguer…
Ahmed Ould Cheikh
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