dimanche 25 décembre 2016

Editorial: Suivez mon regard!


Il était une fois, dans une lointaine contrée, des hommes et des femmes, convertis à l’islam, dont le souhait le plus ardent était, pour chacun(e) d’entre eux, d’accomplir, au moins une fois, le pèlerinage à La Mecque, cinquième pilier de leur sainte religion. Mais l’éloignement et la faiblesse des moyens, combinés aux dangers de la route, rendaient toute tentative extrêmement périlleuse. Un, parfois plusieurs, coupeurs de routes écumaient la zone, délestant les candidats au voyage de tout ce qu’ils possédaient, s’ils n’attentaient pas, tout simplement, à la vie des récalcitrants. En fin de compte, plus personne ne se hasardait à braver le danger. Mais un jour, un homme, intrépide, las d’attendre d’hypothétiques compagnons, décida de partir seul, contre vents et marées, et tenter de passer entre les mailles du filet. Malgré les conseils, il prend son baluchon, quelques provisions et le peu d’argent qu’il réussit à économiser et se lance dans l’aventure.
Après une semaine de route, le voilà affalé, exténué, au pied d’un arbre, le temps de souffler, avant de traverser la zone de tous les dangers. Et le prévisible s’accomplit : un homme trapu déboule, sabre au poing, le déleste minutieusement de ses provisions et de la petite somme d’argent qu’il détenait. Ne sachant plus quoi faire, notre voyageur infortuné demande au brigand de l’héberger au moins pour la nuit, le temps de voir un peu plus clair dans une situation qui ne s’annonce pas sous de bons auspices. Bon prince, le voleur accepte. Les voici dans sa cabane et une conversation s’engage. De fil en aiguille, on en vient à parler religion, bonnes et mauvaises actions, et miracle : le bandit se prend de contrition ! « Le temps du repentir est arrivé », se dit-il et, au petit matin, il réveille son hôte pour l’informer de sa décision de l’accompagner à La Mecque.
Quelques semaines plus tard, ils arrivent dans une belle et rayonnante ville. Alors qu’ils en franchissent le seuil, une nouvelle se répand comme une traînée de poudre : le roi est mort ! Avec cet extraordinaire corollaire : sans descendance, il a formulé le vœu que ce sera le premier entré dans la ville après son décès qui sera automatiquement proclamé roi. Or ce sont précisément nos deux voyageurs qui sont entrés, de concert, en derniers dans la cité : il faut donc choisir l’un d’entre eux. Le premier candidat au pèlerinage décline poliment l’offre : Il est sorti de chez lui avec un objectif précis, il lui faut à tout prix l’accomplir, et propose que son compagnon, dont il a cependant pris soin d’informer les sages du village de son parcours très peu orthodoxe, soit intronisé. Conformément à la volonté imprescriptible du défunt roi, le voilà souverain alors que rien en l’y préparait.
Après avoir accompli le pèlerinage et séjourné quelques années en Arabie, l’honnête voyageur prend le chemin du retour, en passant par la ville de son ami. Mais, avant d’entrer au palais royal, il prend la peine de demander aux passants ce qu’ils pensent de leur nouveau roi. Tous lui en disent le plus grand mal. Heureux de retrouver son ancien compagnon, le monarque le reçoit cependant avec tous les égards et le couvre de présents. « Mais pourquoi », lui demande celui-ci avant de prendre congé, « tes sujets te vouent-ils tant d’aversion, te considérant comme le plus mauvais roi que la ville ait connu ? – Ils n’ont eu que ce qu’ils méritent », répond le brigand, sourire en coin, « si ces gens avaient été plus sensés et pourvus de la moindre capacité de discernement, ils t’auraient préféré à moi. »
                                                                                    Ahmed Ould Cheikh

lundi 19 décembre 2016

Editorial: Rectificateur ''flagorné''?

 A Akjoujt – cité abritant, pourtant, la société MCM qui (sur)exploite un énorme potentiel minier – la situation de l’unique lycée est dramatique. Quatre classes, construites au début des années 80, ne peuvent plus recevoir d’élèves : leur toiture est partie au vent. Deux laboratoires ont donc été transformés en salles de classe. Cette année, il a fallu délocaliser les trois cents nouveaux élèves reçus au concours d’entrée en sixième. Les voilà logés en dehors du lycée, à l’école 2, faute de places. A quelques kilomètres de là, Bénichab a été doté, lui, d’un collège flambant neuf. Qui n’a pu être ouvert. La faute à qui ? Aux élèves. Il n’y en avait, tout simplement, pas assez. Dans quelques semaines, lorsqu’Ould Abdel Aziz foulera le sol d’Akjoujt, il se trouvera des hommes, leaders, chefs de partis et intellectuels qui prendront la parole pour lui dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Que le lycée n’a aucun problème, que les populations se portent comme des charmes. Que l’eau coule à flots. Que les délestages d’électricité ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Que la route est bonne. Que les produits de première nécessité se bradent à vil prix. Que l’hôpital régional offre les meilleurs soins. Et que ceux qui disent le contraire sont des ennemis de la Nation et de la…Rectification. Un discours ouï en plusieurs régions et qui vient de nous être réchauffé au Tagant et en Adrar. Où le conseiller politique du Premier ministre (la voix de son maitre ?), accessoirement professeur d’université, s’est fendu d’une déclaration qui sent la flagornerie à mille lieues, invitant le Président à ne pas « nous abandonner ». Allusion à peine voilée à ce troisième mandat dont on n’a toujours pas fini de parler. Malgré la mise au point qu’Aziz a lui-même établie, lors de la clôture du dernier dialogue, mais à laquelle ses soutiens ne croient apparemment pas beaucoup. A moins qu’ils ne veuillent être des premiers à avoir enfourché ce cheval, si leur guide éclairé se décide à changer d’avis. Seule bonne note, au cours de ces deux visites carnavalesques : une jeune fille d’Atar est allée complètement à contre-courant, démentissant tous ceux qui, avant elle, avaient pris la parole pour brosser un tableau reluisant de la situation. En quelques mots, et devant une assistance médusée par tant de courage, elle a mis le doigt sur non pas une mais plusieurs plaies : l’eau, l’école, la santé, les prix, le chômage… Un discours qui devait être la règle mais qui est devenu l’exception, tant les éloges, les dithyrambes, les envolées si peu lyriques, les mensonges et les bêtises ont fait florès devant ces visitations. En quelques jours, Khdeija mint Kleib, c’est son nom, a fait un tabac sur les réseaux sociaux. Elle est devenue le symbole de cette Mauritanie qui souffre en silence et qu’Ould Abdel Aziz, pourtant élu sous le slogan « président des pauvres » ne veut, désormais, ni voir ni entendre. Que nous disait-il, en 2009, lors de sa première campagne électorale : « En Mauritanie, quand un président est élu, il fait un mandat puis deux. Les flagorneurs lui font alors croire qu’il est devenu indispensable et que le pays ne peut plus se passer de lui. Et le voilà à s’incruster au pouvoir, avec les conséquences que l’on sait ». Sept ans plus tard, « flagorné » ou pas, l’irremplaçable Rectificateur ?
                                                         Ahmed Ould Cheikh

mardi 29 novembre 2016

Editorial: Trop tard pour bien faire?


Après une trêve de quelques mois, due, entre autres, au Ramadan, au Sommet de la Ligue arabe et au (mini)-dialogue, notre guide éclairé a repris ses visitations régionales, avec le Tagant. Au pas de charge : le tour de la wilaya en trois jours, pour visiter une école et un hôpital, inaugurer une extension du réseau électrique et prendre un bain de foule qui lui manquait, apparemment, beaucoup. Rien que du très classique et qui ne justifie nullement un tel déplacement présidentiel. Inutile d’aller si loin et mobiliser autant de moyens, pour se rendre compte de l’état de l’enseignement et de la santé. Deux secteurs parmi les plus mal en point et dont la situation va de pis en pis, à mesure que notre rectification prend de l’âge. L’école n’est plus qu’un tableau noir et la santé est à l’agonie. Seuls ceux qui disposent de gros moyens peuvent offrir, à leurs enfants, un enseignement de qualité (et encore) ou se soigner, de préférence, à l’étranger. Devenus de véritables mouroirs, nos hôpitaux ne reçoivent que ceux sans autre choix.  Mais, de tout cela, Ould Abel Aziz n’en a cure. Il veut voir le monde se bousculer et se donner des coups, pour toucher l’auguste main présidentielle, il lui faut entendre la voix de la Mauritanie des profondeurs – elle lui est si chère… – se pâmer devant tant d’éloges et de dithyrambes, venant de citoyens « sincères », obligés par les si « grandioses réalisations » de leur Raïs. Et celui-ci a été servi. Le spectacle qu’on croyait pour de bon révolu et qui nous a été, malgré tout, proposé, à l’aéroport de Tidjikja, fut à la hauteur de son personnage central : d’une sottise aussi affligeante qu’indescriptible. Tout comme la réunion des « cadres » où la bêtise était le maitre-mot. Avec, par exemple, cet intervenant proposant, « au nom du peuple », de modifier la Constitution pour permettre à son Président adulé, d’accomplir non pas deux mais six mandats. Ould Abdel Aziz a souri, en apparence ravi de ce que quelqu’un mette le doigt sur une plaie à laquelle lui-même n’a pas encore pu trouver de remède-miracle. Malgré un dialogue organisé au forceps, les appels du pied de certains dialoguistes, missionnés à demander, avec insistance, le déverrouillage des articles relatifs aux mandats, et les vaines tentatives de son parti, pour imposer une nouvelle Constitution, la pilule n’a pu passer. Les pressions de la rue, des oppositions participante et boycottiste, des partenaires étrangers et, sans doute, de l’Armée ont fini par avoir – provisoirement ? – raison de son appétit de pouvoir. Qu’on se détrompe ! Rien n’est encore joué. Ces visites sont, peut-être, une belle occasion de prendre le pouls du pays profond, se convaincre qu’après lui, ce sera le déluge et tenter une ultime manœuvre pour faire sauter un verrou qui hante, désormais, ses nuits. Le danger nous guette. Soyons vigilants. Ce n’est pas parce qu’Aziz a dit qu’il ne touchera pas à l’article 28 qu’il faut dormir sur nos fragiles lauriers. Tant que des élections consensuelles, libres et transparentes ne seront pas organisées, où ni le pouvoir ni l’Armée n’auront parachuté de candidat, la scène politique ne connaîtra jamais l’apaisement. Et l’on continuera à vivre la même crise… jusqu’au jour où les sans-abri, les laissés-pour-compte et les affamés renverseront tout sur leur passage. Il sera, alors, trop tard. Mais il est encore toujours temps, aujourd’hui, pour bien faire…
                                                                             Ahmed ould Cheikh

dimanche 13 novembre 2016

Editoral: la seule force qui vaille


A la suite du dernier dialogue, organisé, par le pouvoir, sans l’opposition, le Conseil des ministres a approuvé le projet de loi portant révision de la Constitution, lors de sa réunion hebdomadaire de jeudi dernier. Une réforme qui supprimera le Sénat, fondera des conseils régionaux et introduira des amendements constitutionnels tendant à « accentuer le caractère patriotique » (sic), en modifiant l’hymne national et le drapeau. Notre guide éclairé décide, ainsi, d’interpréter l’article 99 de la Constitution, en faisant fi du Parlement qui n’aura pas son mot à dire dans cette réforme qui le concerne, pourtant, au premier chef. Il faut dire que respecter la procédure à la lettre était risquée. Les sénateurs, qui ne ratent plus une occasion d’exprimer leur mécontentement, n’allaient, en aucun cas, accepter, à une majorité de deux-tiers, une réforme constitutionnelle qui les réduit à néant. Ould Abdel Aziz va donc consulter directement le peuple. Un referendum dont ni lui, ni le pays n’a besoin, dans les circonstances actuelles. La situation est autrement grave, il serait loufoque de s’écharper pour un poème ou la couleur d’un morceau de tissu, fussent-ils hymne ou drapeau nationaux. A l’heure qu’il est, l’urgence est ailleurs. Le pays part en vrille. L’économie est exsangue. Les indicateurs sont au rouge, quoi que dise Ould Djay. La dette atteint des records mondiaux. Le contribuable est pressuré au-delà du raisonnable. Le secteur privé bat de l’aile. Les sociétés publiques sont à l’agonie. Les investisseurs étrangers rechignent à se faire arnaquer. Un cartel a fait main basse sur toutes les opportunités. Les affaires de drogue ne sont plus l’exception mais la règle. Les marchés publics, désormais l’apanage d’une petite minorité. A quoi donc peut bien servir un referendum, dans ces conditions ? Nous permettra-t-il de sortir de l’auberge ? Va-t-il régler la crise politique où nous nous débattons depuis 2008 ?
Imaginez, un instant, que le referendum soit organisé unilatéralement, les réformes approuvées et les élections législatives et municipales organisées, l’année prochaine, en l’absence, encore une fois, de l’opposition… En quoi cela va-t-il changer notre situation actuelle ? Ould Abdel Aziz ne dispose-t-il pas déjà d’une confortable majorité à l’Assemblée nationale ? Nous aurons, au bout du compte, dépensé quelques milliards, pour organiser des consultations qui ne nous avanceront en rien. Des milliards qui auraient pu, en la disette présente, servir à quelque chose de beaucoup plus utile. N’aurait-il pas été plus sage de s’abstenir d’organiser un dialogue sans toute l’opposition, un referendum sans consensus national et des élections sans la participation de tous ? Mais, à tant s’acharner à tout édicter, diriger, commander, comment notre forcené national saurait-il entendre, si près de la fin de son dernier mandat, que « la sagesse, c'est passer de l'affirmation à l’effacement de soi » (P. Bartherotte) ? Et que c’est là, en fin compte, la seule force qui vaille.
                                                                                     Ahmed Ould Cheikh

lundi 7 novembre 2016

Editorial: la marche de l'Histoire


L’opposition a marché. Le 29 Octobre dernier. Deux marches qui ont fini par n’en faire qu’une. Gigantesque. Pour dire non à un dialogue unilatéral. Non au tripatouillage de la Constitution. Non à l’injustice et aux arrestations arbitraires. Non à la cherté de la vie et à la paupérisation galopante. Non au chômage et au népotisme érigé en système de gouvernement. Non à l’enrichissement illicite d’une petite minorité et à l’exclusion de la grande majorité. Non à la tutelle de l’Armée et à la prise en otage de l’Etat par une oligarchie. Les marcheurs ont crié leur ras-le-bol d’une démocratie tronquée, d’une crise politique qui perdure et de la gestion chaotique du pays.
Moins de deux semaines après la clôture d’un dialogue, qui fut plus un monologue qu’autre chose, au cours duquel fut présentée la réforme constitutionnelle voulue par le pouvoir, l’opposition, dans toutes ses composantes a décidé de frapper fort. Pour démontrer qu’elle peut encore mobiliser et démentir, par les faits, ceux qui veulent l’enterrer un peu tôt. Malgré l’annonce d’Ould Abdel Aziz qu’il ne touchera pas l’article 28 de la discorde, celui qui limite les mandats à deux – une façon de couper l’herbe sous les pieds de l’opposition, alors qu’elle avait déjà annoncé son rassemblement – celle-ci n’a pas accepté de prendre cette déclaration pour argent comptant. Déjà roulée dans la farine à plusieurs reprises, elle a tenu à envoyer un signal fort, en mobilisant au maximum ses troupes. Et a réussi son challenge. Reste, maintenant, à maintenir la pression, pour contrer les desseins inavoués d’un pouvoir qui a décidé de faire cavalier seul et de mener ses réformes en dehors de tout consensus politique. Réussira-t-elle à l’empêcher d’organiser « son » referendum? Le fera-t-elle plier ? Ould Abdel Aziz finira-t-il par comprendre que l’unilatéralisme n’est ni dans son intérêt, ni dans celui du pays et qu’il est plus que hasardeux de s’aventurer dans cette voie ?
A moins qu’il ne veuille nous conduire vers des lendemains encore plus incertains, le Président doit tirer rapidement la leçon, inviter l’opposition à un dialogue sincère, en lui donnant toutes les garanties, et s’assurer, ainsi, une sortie honorable. Tout le monde y trouvera son compte. Sauf peut-être ceux qui, en coulisses, le poussent à triturer la Constitution (comme l’ont déjà tenté Compaoré et Tandja) ou à jouer les prolongations à la Kabila. Ceux-là n’ont rien compris. La rue a démontré, samedi dernier, qu’elle ne se laissera plus faire. Un vent nouveau s’est levé. Ne lui opposer que du vent ne fera que l’accroître. Tout comme, d’ailleurs, prétendre seulement s’y opposer: la marche de samedi est celle de l’Histoire. En route vers l’avènement, enfin, d’une vraie démocratie, marquée par de vraies alternances, responsables, dans la conduite des affaires publiques.
                                                                                Ahmed Ould cheikh 

lundi 31 octobre 2016

Editorial: Acte III, scène 1

Le dialogue national « inclusif » s’est achevé jeudi dernier. En « apothéose ». Après trois semaines de palabres, ponctuées par le retrait de l’un des deux partis de l’opposition qui prenaient part à cette « conférence tam-tam », la surprise du chef est venue, telle une cerise sur le gâteau.  Ould Abdel Aziz s’est, en effet, invité à la cérémonie de signature des conclusions de la rencontre. Pour prendre la parole en dernier et nous asséner quelques « vérités » bien senties. Tendu – il l’est souvent pour moins que ça – anxieux et tentant de sourire pour évacuer son stress. Comme à son habitude, le voici à décocher quelques flèches à l’opposition, s’en prenant violemment à Messaoud, sans pour autant le citer. Il n’est pas question de toucher à l’article 26 qui fixe l’âge des candidats à la présidentielle, une demande formulée par le vieux leader d’APP (qui n’a pas encore fait son deuil de la Présidence) et qui reçoit, ainsi, une fin de non recevoir. Attendu au tournant, sur l’article 28, fixant les mandats successifs d’un président définitivement à deux – et, donc, non susceptible de discussions, de révision ou d’abrogation, quoi qu’on dise – notre guide éclairé a décliné – provisoirement ? – l’offre avancée par ses ministres, son parti et ses laudateurs, de le déverrouiller, afin de lui permettre de postuler à un troisième mandat. Il aurait pourtant pu y « consentir », lui qui s’est vanté d’avoir, à deux reprises par le passé, modifié la Constitution à sa guise. Une prouesse qui n’est, cette fois, pas dans l’intérêt du pays, si l’on en croit notre rectificateur en chef des constitutions. Ce n’est certainement pas l’envie qui lui manque. Depuis 2005 et son premier coup d’Etat, l’homme a pris goût au pouvoir, aux avantages et plaisirs qu’il procure et pourra difficilement s’éloigner des lambris dorés de la République. Si les réformes constitutionnelles en cours ne toucheront pas l’article 28, c’est contraint et forcé qu’il le reconnaît. L’échec d’un dialogue qui s’apparente plus à un monologue qu’à autre chose, l’unité dont a fait preuve l’opposition, les pressions extérieures et le risque de voir la rue s’embraser ont eu raison de l’appétit du pouvoir.
Malgré cet effet d’annonce, rien n’indique qu’Ould Abdel Aziz ait dit son dernier mot. Après le referendum qui doit, pour qu’il soit organisé, être validé par les deux tiers de l’Assemblée et du Sénat – ce n’est pas gagné d’avance, lorsqu’il passera devant la Chambre haute, tant les sénateurs sont remontés contre une réforme qui les dissout – Aziz aura les coudées plus franches, pour décider, unilatéralement, de consulter le peuple, sans s’en référer au Parlement. Et, là, tout devient envisageable. Après 2011 et 2016, un troisième tripatouillage de la Constitution ne peut être exclu. Il suffit de lui préparer le terrain, construire, sinon, profiter d’une crise, une situation d’instabilité, une attaque terroriste… et nous la rejouer sauveur de la Nation. Bref :  le début de l’acte III n’exclut, nullement, un nouveau coup… de théâtre. 
                                                                                              Ahmed Ould Cheikh

dimanche 23 octobre 2016

Editorial: Bas les masques!


Voilà deux semaines qu’il a commencé, notre dialogue national « inclusif ». Deux semaines de palabres, de discussions stériles et, parfois, d’invectives, entre une fournée de partis, dont à peine quatre ou cinq existent réellement, des syndicats, des ONG et une coalition de formations se réclamant de l’opposition. Deux semaines au cours desquelles on aura discuté de tout et de rien. Du changement de l’hymne national à l’ajout de deux bandes rouges au drapeau national, en passant par la suppression du Sénat, du Haut conseil islamique et autres institutions tout aussi inutiles que coûteuses. Des quatre ateliers, celui consacré aux réformes constitutionnelles fut, sans conteste, le plus couru. L’UPR, le parti/Etat, voix de son maître, s’il en est, y a sorti la grosse artillerie, en proposant des amendements à la pelle, carrément une Constitution-bis où, bizarrement, les articles relatifs à la limitation des mandats se sont volatilisés. Sentant le coup fourré, l’opposition participante a essayé de rattraper le coup, pour se donner bonne conscience. L’APP de Messaoud a suspendu sa participation aux ateliers et El Wiam, par la voix de son président, a réaffirmé son refus de tout déverrouillage des articles limitant les mandats. Ils ont peut-être oublié, ces braves gens, qu’ils n’ont été cooptés que pour faire de la figuration, mettant le doigt dans un engrenage dont cette « conférence tam-tam » n’est que la partie visible. Ils se trompent aussi, s’ils croient, un instant, que leurs états d’âme feront fléchir un putschiste invétéré qui, malgré ses déclarations mielleuses, n’aveugle plus personne. Qu’il répète, à l’envi, qu’il ne se représentera pas en 2019, qu’il crie, à tue-tête, qu’il respectera la Constitution, tout le monde est persuadé qu’il ne lâchera pas le pouvoir de son plein gré. Mais il ne sait, toujours pas, comment trouver la bonne formule pour s’y maintenir sans casse. Il a tout fait pour convaincre le RFD et le FNDU d’avaler de nouvelles couleuvres, après « l’énaurme » de Dakar, accord pourtant signé devant la Communauté internationale et qu’il fut le premier à dénoncer. Il a envoyé émissaire après émissaire, à Ahmed ould Daddah, pour le faire fléchir, avec, à la clé, la promesse de satisfaire toutes ses exigences. Echaudé par les expériences passées, le président du RFD a juré qu’on ne l’y reprendrait plus.
A défaut de grives, notre guide, dont les batteries ne semblent plus guère en mesure, non seulement, d’aveugler, comme on l’a dit tantôt, mais, même, d’éclairer qui et quoi que ce soit, s’est donc contenté de Boydiel, Messaoud et Ould Moine, pour un bal dont le final tient en trois mots : bas les masques ! La réponse, lumineuse, elle, des vrais démocrates, ne devrait pas tarder : bas les pattes ! Qui en sera? Certes, les paris semblent encore ouverts mais leurs guichets ne devraient pas tarder à fermer… Avis à la population.
                                                                                                        Ahmed Ould Cheikh

dimanche 16 octobre 2016

Editorial: Un homme averti...


Alors qu’il devait durer dix jours et finir lundi, le dialogue national « inclusif » a été « prolongé » de trois jours. Il s’achèvera donc le jeudi 13 courant. Non que les parties prenantes n’aient réussi à trouver un terrain d’entente sur les modifications à apporter à la Constitution, mais il faut « laisser le temps au temps », tenter d’effacer la pénible impression que les ateliers n’ont été que foires d’empoigne où tout et son contraire (y compris le plus aberrant) ont été dits. Essayer de faire passer, en douce, la proposition de l’UPR visant à modifier certains articles du texte fondamental et qui n’est, en fait, qu’un habillage pour une nouvelle Constitution où la limitation des mandats disparaît, comme par enchantement. Malgré les vociférations de l’opposition de velours, dite dialoguiste, qui refuse, sans trop de conviction, qu’on touche auxdits articles, le fait est bel et bien accompli. Et le forfait en passe d’être commis. Donnant, a posteriori, raison aux boycottistes qui ont refusé d’être pris pour les éternels dindons d’une farce de mauvais goût. Ceux qui ont participé à ce dialogue et cautionné un nouveau coup d’Etat contre la Constitution répondront de leurs actes, un jour ou l’autre, au moins devant l’Histoire. On ne peut pas continuer à passer, indéfiniment, par pertes et profits les forfaits en tous genres commis parce qu’on avait peur de désobéir. Qu’ils se mettent tous en tête que le pays a voté pour une Constitution et le président prêté serment qu’il va la respecter. Un point, un trait, on ne peut transiger là-dessus. Un des pères de ce texte fondamental, le professeur Mohamed Lemine ould Dahi, disait, l’autre jour et à juste titre, qu’un président en fin de mandat n’a plus à se préoccuper d’amendements constitutionnels. Il a, en principe, d’autres chats à fouetter. A moins qu’il n’ait des idées derrière la tête. La suppression du Sénat, du Haut conseil Islamique ou de la Médiature de la République, objet du présent dialogue, n’est, en fait, qu’un prétexte pour déverrouiller des articles empêchant le Président de se présenter à un troisième mandat qui hante, désormais, ses nuits. Mais ce qu’il ne peut (ou ne veut) pas comprendre et que ses conseillers juridiques (s’il en a) devraient lui mettre en tête est que, nouvelle Constitution ou pas, il ne peut pas se présenter à la future élection présidentielle. Déjà au pouvoir, il a la force avec lui et il peut s’asseoir sur le Droit, comme il l’a déjà en 2008. Du coup, le risque est grand de le voir faire le forcing, pour tenter le tout pour le tout et se maintenir au pouvoir, mais plus grand encore d’ouvrir la boîte de Pandore. Se rend-il compte du danger qu’il court et fait courir au pays, en tripatouillant la Constitution ? A-t-il la moindre idée de l’imprévisible dont ce peuple frustré peut devenir capable, si on le titille trop ? Continuera-t-il d’accepter, notre guide aveuglé, que les laudateurs et flagorneurs, qui en ont perdu d’autres, lui masquent indéfiniment la réalité ?
Pourtant et comme le dit si bien l’adage, nul n’est indispensable. A tout vouloir garder, on perd facilement tout, alors qu’une alternance pacifique évite bien des désagréments. Blaise Compaoré du Burkina et Mamadou Tandja du Niger, qui ont tenté tant d’acrobaties, pour rester au pouvoir au-delà de leurs mandats, en savent quelque chose. Un homme averti en vaut combien ?
                                                                                                               Ahmed ould Cheikh

lundi 10 octobre 2016

Editorial: Peuple uni jamais vaincu

Le dialogue politique « inclusif » est enfin lancé. Jeudi dernier, au Palais des congrès, c’était la grande ruée. Les partis de la Majorité présidentielle, du plus grand au plus petit, des partillons, des syndicats, des ONG microscopiques et des opposants assoiffés de soupe, tous se sont bousculés au portillon. Le Guide éclairé devait présider la cérémonie d’ouverture. Il fallait être présent, pour rien au monde ne rater cet instant mémorable. Les applaudisseurs et les troubadours ont accouru de partout et réussi, sans trop de difficultés, à accéder à la salle, contrairement aux journalistes venus faire leur boulot et qui n’ont, soit, tout simplement, pas été invités, soit empêchés de franchir la porte d’entrée dudit palais. Ils n’ont pas raté grand-chose : des discours à n’en plus finir ; des slogans creux ; des rappels sur les vertus du dialogue ; des appels du pied à l’opposition, pour prendre le train en marche. Seul Bâ Alassane Hamady dit Ballas, le président du parti Arc-en-ciel est sorti des sentiers battus. Il a jeté un énorme pavé dans la mare, en évoquant les inégalités économiques entre les communautés nationales, les injustices sociales, au détriment des Négro-mauritaniens et leur absence de tous les centres de décision. Brouhaha dans la salle. Cris et salves de réprobation. Pourtant Bâ n’a dit tout haut que ce que beaucoup pensent tout bas. La Mauritanie est, plus que jamais, divisée. Et ce dialogue ne fait qu’accentuer la division, au lieu de contribuer à apaiser les tensions. Premier responsable de cet état de fait, le pouvoir. Au lieu de répondre favorablement aux requêtes de l’opposition – une simple réponse écrite à son mémorandum… – pour rendre le dialogue véritablement inclusif, il maintient sa logique d’entêtement. Il gagnerait, pourtant, à avoir tout le monde autour d’une table, pour discuter de la situation du pays et trouver une issue à la crise qui le secoue depuis 2008.
A moins qu’il ne veuille siennes les devises « Après moi, le déluge » ou « Diviser pour régner ». Si le Soudan est désormais scindé en deux, c’est parce qu’on a mal géré ses particularismes. Prions pour que ce dialogue, qui a déjà mal commencé, ne soit pas le début d’un engrenage fatal. Et que notre pays ne prenne pas le chemin de la Somalie. Où le président Siad Barré, après avoir entrepris, avec sa parentèle, un pillage systématique des ressources de son pays, a mis le feu aux poudres, en provoquant une guerre civile. Sa famille, bien à l’abri, à l’étranger, continue à profiter de cette manne, loin de la violence et des soubresauts qui jalonnent désormais la vie de leurs concitoyens. Certes, il aura fallu, à ces partitions, le soutien des bousculades internationales géostratégiques, notamment entre la Chine et les USA, pour prendre corps. La Mauritanie serait-elle à ce point dépourvue de matières premières pour espérer rester ignorée des grandes manœuvres mondiales ? Dialogue, inclusion, islam, comme honneur, fraternité, justice… Va-t-on enfin entendre que ce sont les actes quotidiens, têtus, inébranlables, et non pas les slogans, qui fonde l’unité d’un peuple ? Le rendant, ainsi, invincible, comme le dit si bien la chanson…
                                                                                Ahmed Ould Cheikh

lundi 3 octobre 2016

Editorial: L'espoir fait vivre?

Le dialogue va démarrer. Enfin, direz-vous. Depuis le 3 Mai dernier (et même bien avant), lorsque notre guide éclairé annonçait, depuis Néma, son lancement dans trois à quatre semaines (avec ceux qui seront présents), on n’attendait plus que ça. D’une cour, assidue, aux partis politiques, au débauchage de certains opposants en rupture de ban, en passant par les yeux, plus gros que doux, aux leaders historiques de cette même opposition, le pouvoir n’a ménagé aucun effort pour rendre son futur dialogue plus ou moins viable. Mais il a, semble-t-il, échoué. Aucun poids lourd de l’opposition n’y prendra part, pas plus le RFD que le FNDU n’acceptant de se faire rouler, une nouvelle fois, dans la farine. Ce sera donc, au mieux, un dialogue au rabais, comme en 2011, ou une conférence tam-tam, comme celle de 2015 qui finit en queue de poisson. On ne dérogera pas à la règle : sans l’opposition véritable, point de dialogue fiable. Selon certaines sources, beaucoup de thèmes y seraient abordés, dont une nouveauté : la fondation d’un poste de vice-président de la République. Logique de la suppression du Sénat… et/ou façon, pour Ould Abdel Aziz, si l’information est avérée et s’il ne compte vraiment pas modifier les articles relatifs à la durée du mandat présidentiel, de sortir par la grande porte… pour revenir par la fenêtre. En faisant élire, au moins pour un mandat, un président potiche. Du poutinisme à la mauritanienne. Ce ne sont, certes, que des supputations mais dans une démocratie militaire, rien n’est impossible et le pire est, peut-être, devant nous : un président-empereur, façon Bokassa ; un président à vie, genre Idi Amin Dada ; ou un président omnipotent, comme Bouteflika. Ou, encore, roi de l’invective et de l’insulte. Car, à y voir de près, rien n’indique qu’Ould Abdel Aziz quittera le pouvoir de sitôt. Il usera de tous les subterfuges possibles et imaginables, pour ne pas lâcher prise. L’homme s’est fait, en effet, tellement d’ennemis, à l’intérieur et à l’extérieur, qu’il lui sera difficile de passer le témoin sans casse. Il lui reste, en tout cas, deux ans pour arrondir les angles, trouver un terrain d’entente avec ses opposants et permettre, à notre pays, de connaître, enfin, une alternance apaisée. Gageons, plutôt et hélas, qu’il n’en sera rien. L’homme n’est pas du genre à faire des concessions ou preuve de la moindre once d’humilité. Il se croit tout permis. Le pouvoir, il l’a conquis au bout de son fusil et la classe politique, il la tient pour du menu fretin. A contrario, comprendrait-il, d’ici la fin de son deuxième – et dernier ? – mandat, que les temps ont changé ? A défaut d’y gager la moindre ouguiyette, comme on vient de le dire, on peut, tout de même, l’espérer. L’espoir ne fait-il pas vivre ?
                                                           Ahmed Ould Cheikh

mardi 27 septembre 2016

Editorial: Aberrant…


Le baron Pierre de Coubertin en fit la devise des Jeux Olympiques : « L'important, c'est de participer ». En Mauritanie, on respecte, à la lettre, la célèbre maxime. A chaque olympiade, nous participons… sans préparer nos athlètes et sans mobiliser des moyens… puisque là n’est pas l’important. Cette année, Rio n’a pas dérogé à la règle. Ce n’est que grâce à la Solidarité Olympique que deux de nos athlètes ont pu concourir. Au Sénégal voisin (auquel notre gouvernement ne manque pas une occasion de nous comparer), c’est le Président Macky Sall himself qui a remis le drapeau de son pays à une délégation de trente personnes, après avoir ordonné qu’on leur débloque huit cent millions de FCFA, pour la préparation et le séjour au Brésil.  Et nous, combien avons-nous donné à notre Comité National Olympique (CNO) et aux fédérations pour préparer nos athlètes : zéro ouguiya. Vous avez bien lu : zéro ouguiya. En 2012, pour les Jeux de Londres, le ministère des Sports avait fourni un petit effort, en remettant, au CNO, un chèque de sept millions d’ouguiyas mais… il était sans provisions ! Comment voulez-vous, dans ces conditions, qu’on gagne ou qu’on obtienne des médailles ? A cause d’une prise en charge financière partielle, notre pays a raté les Jeux africains de la jeunesse (2010), les Jeux de la Francophonie, les Jeux islamiques (2013), et à nouveau les Jeux africains de la jeunesse avant les 2ème Jeux olympiques de la jeunesse (2014). Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent. Le ministère des Sports a un budget de plus d’un milliard d’ouguiyas, le lotissement d’une partie du Stade olympique et sa vente à des « mécènes », en guise d’aide au sport, devraient, normalement, rapporter plus de deux milliards, s’ils se sont tous acquittés de leur redevance, ce qui ne semble pas être le cas. 1% de recettes douanières rapporte, depuis 2011, plus d’un milliard chaque année. De quoi donner un bon élan à notre sport, comme ce fut le cas pour le football, lorsque l’Etat décida d’y mettre les moyens. Mais le docteur Mohamed Mahmoud ould Mah, le président du CNO, traîne un vice rédhibitoire : il n’a pas soutenu la rectification, en 2008, pas plus qu’il ne l’a fait pour le candidat Old Abdel Aziz en 2009 et 2014. Et comme notre guide éclairé veut tout politiser, faisant sienne la devise « Qui n’est pas avec moi est contre moi », Ould Mah, tout comme Ahmed ould Hamza, lorsqu’il dirigeait la Communauté urbaine, ou maître Ahmed Salem ould Bouhoubeyni, à la tête de l’Ordre des Avocats, ne sont plus que des ennemis à abattre. Le Comité Olympique a fait, il y a quelques mois, l’objet d’une tentative d’OPA, de la part du gouvernement, pour y parachuter un homme-lige mais la manœuvre a lamentablement échoué. Auparavant, le ministère des Sports avait introduit un projet de révision de la loi stipulant que le mandat de quatre ans du président du CNO serait renouvelable une fois, avec effet rétroactif. La ficelle était trop grosse et la Direction de la Législation a renvoyé le projet à son expéditeur, avec la mention : « Aberrant ».
Le concept d’aberration aurait-il quelque avenir, en Mauritanie, pour rectifier, également, les budgets inadaptés ? A cet égard, le CNO serait peut-être bien inspiré de présenter, à l’opinion publique et surtout, à l’Inspection Générale de l’Etat, un dossier précis de la participation mauritanienne aux Jeux de Rio. En y distinguant la préparation, depuis ceux de Londres ; avec les montants, aussi nuls soient-ils, alloués par le ministère des sports. Proposés à un exercice beaucoup plus positif de leur fonction – dynamiser le budget – nos organismes de contrôle de l’usage des deniers de l’Etat s‘engageraient-ils à relever la gestion totalement aberrante du ministère des Sports ? Cela nous permettrait-il de voir notre nation un peu mieux préparée aux prochains Jeux, en plein respect de la Charte olympique ? « Tous les Etats sont tenus de mettre à la disposition de leurs citoyens les sports de leur choix », ainsi que nous l’enseigne ses principes. Il est vrai que le seul sport national où nous excellons et qui ne nécessite ni moyens ni préparation n’est malheureusement pas encore homologué par le CIO : applaudir à tout rompre. Aberrant ? Non… si peu…
                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

mardi 13 septembre 2016

Editorial: Ça n’ira plus

Après deux semaines de repos bien mérité (vous ne trouvez pas, chers lecteurs ?), Le Calame rempile. Nous voilà de nouveau sur scène. Qu’avons-nous raté au cours de cette quinzaine ? Le dialogue politique ? On nous l’avait promis dans trois à quatre semaines, début Mai passé. Il n’a toujours pas pointé le bout du nez. Mais il a bel et bien démarré, oui, ça ira, ça ira, si l’on en croit le ministre porte-parole du gouvernement qui ne cesse de répéter la même rengaine, chaque semaine que Dieu fait. Il ne parle probablement pas de la Mauritanie mais de la Guinée dont le président et chef de file de l’opposition viennent d’administrer, au monde entier (et à l’Afrique surtout), une belle leçon de démocratie et de sagesse. A la décharge de notre ministre, n’est pas Alpha Condé qui veut. Quand les peuples ont la liberté de choisir librement leurs dirigeants, la compétence et l’expérience prennent, à l’ordinaire, le pas sur l’ignorance et l’inconséquence.
L’affaire des engrais de la Sonimex ? On connaissait les vertus explosives de ces produits mais on ne pensait pas qu’il en avait d’autres, sélectives celle-là, épargnant ceux qui n’ont cessé de les manipuler et emportant ceux qui n’avaient, a priori, d’autres soucis que d’éclairer notre lanterne sur des manigances déjà vieilles de plusieurs années. Les deux inspecteurs d’Etat chargés du dossier ont, en effet, été subitement défenestrés. Que leur reproche-t-on, au juste ? D’orienter l’enquête dans le sens de la vraie justice ? De ne pas avoir été dociles ? De mouiller ceux qui, dans la République azizienne, ne sont pas « mouillables » ? L’affaire n’a, en tout cas, pas dit son dernier mot. Mais gageons qu’à l’instar de celle du Trésor qui vient de s’achever en queue de poisson, elle ne fera, elle non plus, guère long feu. Les trésoriers régionaux, accusés d’avoir détourné quelques milliards d’ouguiyas et à qui notre champion national de lutte contre la gabegie promettait l’enfer, s’ils ne remboursaient pas jusqu’à la dernière ouguiya, ont été, soit libérés, soit condamnés à des peines légères et des amendes insignifiantes. Une façon de clore un dossier devenu gênant depuis que les tribus des concernés s’y sont investies. Quand un Etat se fait détrousser, insulter, piétiner et finit par céder à la pression tribale, il y a comme une dangereuse pente... Après l’abîme, les abysses ?
Les dirigeants et militants d’IRA qui n’ont, eux, pas détourné la moindre ouguiyette, n’ont pas eu droit à une telle clémence. Relation de cause à effet ? Ça coûte combien, la clémence ? A moins que prendre carte d’IRA signifie perdre sa tribu… Auquel cas, évidemment, l’investissement des tribus… Hein, que dites-vous ? Le problème de ces audacieux militants, ce serait un peu des deux : pas d’argent, plus de tribu ? Ça se monnaye donc aussi, l’investissement tribal ? Mais il ne va rien leur rester, à ces pauvres trésoriers ! Rejoindront-ils, alors, les rangs d’IRA ? Ah, ça ira, ça ira, ça ira mais, un jour ou l’autre, tout de même, ça n’ira plus ! 
                                                                                                     Ahmed Ould Cheikh

jeudi 1 septembre 2016

Editorial: Manipulateurs d'humeurs

Rien ne va plus entre le Maroc et la Mauritanie. Du moins, entre leur pouvoir respectif. Malgré un soutien, actif, au coup d’Etat du 6 Août 2008, le royaume chérifien, qui avait usé de tout son entregent diplomatique, auprès de ses amis et alliés, pour leur faire avaler la « félonie », dixit Ely ould Mohamed Vall, considère qu’il n’a pas été payé en retour. A juste titre. Et il n’est d’ailleurs pas le seul en cette situation. Ould Abdel Aziz a, en effet, la fâcheuse manie de considérer qu’il n’est redevable de rien à personne, que tout lui est dû, tombé du ciel. Pas plus le Maroc que quiconque ne fait exception à la règle.
Certes, les relations, entre nos deux pays, ne furent jamais au beau fixe. Mais l’escalade – ou la dégringolade, selon un point de vue plus lucide – n’a réellement commencé qu’il y a trois ans, lorsque la Mauritanie a refusé de désigner un ambassadeur, pour remplacer Mohamed ould Maaouya parti à la retraite. Pire, elle a ramené sa représentation diplomatique à la plus simple expression, en nommant le premier conseiller ambassadeur à Bamako et demandé, en même temps, le remplacement de l’actuel ambassadeur du Royaume à Nouakchott. Une requête chassée dédaigneusement par le Maroc, invoquant sa souveraineté nationale. Depuis, les petits gestes d’énervement se multiplient, de part et d’autre. Le Maroc a très mal apprécié que la Mauritanie se départisse, petit à petit, de sa neutralité dans le conflit du Sahara, en prenant fait et cause pour le Polisario, comme lorsque ould Abdel Aziz envoya message de condoléances à la RASD ou quand notre parti-Etat dépêcha délégation, dirigée par un ancien ministre, à l’investiture du nouveau président sahraoui. La goutte qui a fait déborder le vase fut, probablement, l’affiche du dernier sommet de la Ligue arabe où la carte du Maroc est parue «amputée » du Sahara occidental. Feu de tout bois de la presse marocaine, fustigeant, en termes parfois très peu amènes, le comportement de notre guide éclairé. Même le site le360.ma, dont tout le monde sait qu’il appartient à un conseiller du roi Mohamed VI, s’est mêlé de la partie. En publiant un portrait au vitriol : «Mohamed ould Abdel Aziz ou l’art de se faire des ennemis », qui tire, à boulets rouges, sur l’homme du 6 Août. Revenant longuement sur le parcours de l’ex-étoilé, de sa naissance au Sénégal à son accession au pouvoir, le site évoque les nombreuses affaires d’argent qui ont émaillé son régime, avec force termes qui en disent long sur le degré de détérioration des relations entre les deux pays. Gageons que d’autres lui emboîteront le pas et que la presse mauritanienne aux ordres ne restera pas les bras croisés devant un tel déferlement de haine. Hier, c’était avec une guerre, aussi stupide qu’inutile, à nos voies ancestrales d’échanges vers le Nord. Quel demain nous concocte-t-on ? Sans présumer des convoitises, aussi internationales qu’excitées, sur nos richesses minières et pétrolières, faut-il présumer que nous soyons assez imbéciles, Marocains et Mauritaniens, pour laisser cet « on » manipuler les humeurs de nos infatués chefs?
                                                                                  Ahmed ould cheikh

dimanche 14 août 2016

Editorial: L'art de ramper à l'usage des courtisans

« Le courtisan », disait Paul Henri Thiry, baron d’Holbach, « est, sans contredit, la production la plus curieuse que montre l’espèce humaine. C’est un animal amphibie dans lequel tous les contrastes se trouvent communément rassemblés ». Il n’existe probablement pas une définition aussi précise ni aussi significative du laudateur bien de chez nous que celle du célèbre baron. Ils ont applaudi Moktar ould Daddah et porté ses tombeurs aux nues, glorifié Ould Taya et cautionné sa chute, voté Sidi ould Cheikh Abdallahi, pour le vouer, ensuite, aux gémonies. « Un homme si étrange est difficile à cerner », ajoute le baron. « Loin d’être connu des autres, il peut à peine se connaître lui-même ;  cependant il paraît que, tout bien considéré, on peut le ranger dans la classe des hommes, avec cette différence, néanmoins, que les hommes ordinaires n’ont qu’une âme, au lieu que l’homme de Cour paraît sensiblement en avoir plusieurs […] Un bon courtisan ne doit jamais avoir raison, il ne lui est point permis d’avoir plus d’esprit que son maître ou que le distributeur de ses grâces, il doit bien savoir que le Souverain et l’homme en place ne peuvent jamais se tromper ».
Les voilà donc, nos caméléons nationaux, tout courbettes pour le Général du 6 Août. Certes plus discrets mais avec une capacité de nuisance toujours intacte. Malgré les humiliations que leur fait subir leur champion, ils s’entêtent à rester debout, lui faisant miroiter l’idée qu’après lui, ce serait le déluge. Fervents partisans du dialogue avec l’opposition, ils n’y voient qu’un moyen, pour leur idole du moment, de rester un peu plus au pouvoir. Dans quelques mois, on les verra, probablement, multiplier les initiatives implorant des amendements constitutionnels, en nœuds visqueux de vipères sifflantes et grouillantes. Il suffit de le leur demander. « Un bon courtisan » rappelle encore le baron, « est tellement absorbé dans l’idée de son devoir, qu’il s’enorgueillit, souvent, de faire des choses auxquelles un honnête laquais ne voudrait jamais se prêter ». Mais il vrai que les laquais se doivent de marcher, au pas cadencé parfois, quand les courtisans n’ont, eux, juste besoin que de ramper.
                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

lundi 8 août 2016

Editorial: Le coût des choses...

Le Sommet des Etats arabes a finalement eu lieu, la semaine dernière, en grandes pompes. Et s’est achevé en petits souliers. Les « grands », sur lesquels notre guide éclairé misait beaucoup, pour rehausser le niveau de la rencontre, ont fait faux bond. Ni roi d’Arabie saoudite, ni président égyptien, encore moins des Emirats Arabes Unis n’ont fait le déplacement de Nouakchott. Alors qu’au moins deux d’entre eux en avaient fait miroiter l’idée. Mais, bon, le Sommet s’est tenu. Tambour battant. Au pas de charge, pour ne pas dire de fuite : moins on n’est de fous, plus on s’ennuie. Aussi quelques heures d’horloge ont-elles suffi, à nos dirigeants, pour pondre un communiqué qui n’apporte, il est vrai, rien de neuf. Comme si la question palestinienne, le problème irakien, les imbroglio syrien et libyen ou le terrorisme pouvaient être réglés d’un trait de plume. Mais c’est désormais une habitude : les sommets des Etats arabes n’ont jamais réglé le moindre problème. Ils se réunissent juste pour se réunir. Et celui de Nouakchott n’a pas dérogé à la règle. Il a juste permis d’embellir une petite partie de la ville et à des « chanceux » de rafler quelques juteux marchés. Ça valait bien un sommet, aussi riquiqui fût-il.
Ite missa est, donc. Mais à peine sortis de l’euphorie et de l’autosatisfaction, voilà que la réalité rattrape nos arabophiles nationaux. Amère. Le dialogue politique, cette Arlésienne dont on parle toujours et qu’on ne voit jamais, refait, à nouveau, parler de lui. Témoin, s’il en est, que la crise politique que nous vivons, depuis 2008, n’a toujours pas de solution en vue. La gabegie, qu’on combat, pourtant, depuis plus de huit ans, refait surface. Encore plus flagrante. Après les trésoriers régionaux, qui ont piqué des milliards et dont une fournée attend toujours de connaître son sort, c’est au tour de la Sonimex d’être projetée sous les feux de la rampe.  Son directeur régional au Trarza a pris la poudre d’escampette, avec plus d’un milliard de nos ouguiyettes dans son escarcelle. Branlebas de combat. Ould Abdel Aziz pique sa fameuse crise de « Comment quelqu’un d’autre que moi ou mien ose-t-il toucher aux deniers publics ? ». Une commission d’enquête, composée de l’IGE et de la Gendarmerie, est envoyée sur place. Elle aurait, dit-on, découvert un vaste réseau de distribution et de vente d’engrais. De « grosses » têtes tomberont-elles ? Le cas échéant, ce ne seront que les hors « grandes » tribus, familles ou autres généraux, seules carapaces à peu près résistantes à la cyclothymie azizienne. Peut-être que tout cela finira en eau de boudin, sachant que, si « Paris vaut bien une messe », comme le disait l’huguenot Henri IV, la paix du système vaut bien un milliard… Ne pas se représenter en 2019 ne signifie, évidemment pas, négliger l’avenir. Et l’avenir, c’est comme les choses : ça coûte…
                                                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

lundi 1 août 2016

Editorial: Sommet...

Le Sommet arabe s’est enfin tenu à Nouakchott. Euréka ! Notre guide éclairé a réussi son pari : recevoir, en grandes pompes, nos « frères » arabes et leur démontrer que nous sommes tout aussi arabes qu’eux, sinon plus. Le vieux complexe de l’arabité des centaines de tribus berbères qui peuplèrent nos contrées a refait surface, encore plus fort. Depuis plus d’un an, radios et télés (aussi bien publiques que privées) n’ont cessé de nous rabâcher les oreilles avec cette arabité dont tout le monde se prévaut désormais. Le temps d’un Sommet. Dont la principale raison était bassement mercantile. La cueillette des fonds a marché à… fond. Surtout pour certains pour qui l’argent a coulé à flots. Certains « bien-nés » ont ainsi tiré leur(s) épingle(s) du jeu et tout raflé sur leur passage.  Qui des lignes blanches, continues ou discontinues, sur les routes nouvellement aménagées, qui la peinture des trottoirs, qui quelques arbustes en bordures de chaussée ou quelques fleurs sur des ronds-points.  Des centaines de millions se sont ainsi évaporés. Comme quoi le Sommet a fait, au moins, quelques heureux. La grande masse, celle dont on fait tout en son nom, pourra tout juste contempler des avenues élargies, les rutilantes voitures de la Gendarmerie, de la Garde ou de la Police qui y ont englouti les ressources qui leur étaient destinées. Ils pourront se dire qu’après tout, ils ont un « bâtisseur » à leur tête. Un homme qui a donné, à « notre » arabité, ses lettres de noblesse. Comme si être arabe était une fin en soi. Il n’y a pourtant pas de quoi être fier. A quoi sert-il d’être arabe, quand vous croupissez dans la misère au moment où vos « frères » planquent des milliards de dollars que les banques occidentales font fructifier ? A quoi sert-il d’être arabe, quand on est incapable de s’entendre ? A quoi sert-il d’être arabe, quand, au moment même où vous prônez l’unité, vous travaillez à semer la haine et la division ? A quoi sert-il d’être arabe, quand on est encore colonisé et incapable de prendre des décisions souveraines ? A quoi sert-il d’être arabe, quand on forme et qu’on arme des terroristes pour tuer ses propres frères arabes ? Dans la hiérarchie des sommets, où se situe donc le sommet arabe ? Il est à craindre, hélas, que ce ne soit pas si loin de celui de la bêtise… Et que celui de Nouakchott ne nous rapproche un peu plus de la Roche Tarpéienne.  
                                                                         Ahmed Ould Cheikh

lundi 25 juillet 2016

Editorial: Un prêté pour un rendu

On ne parle plus que de ça. On renvoie tout à plus tard. Le monde, le nôtre bien sûr, semble s’arrêter. La date fatidique du 25 juillet approche à grands pas, celle qui verra les rois et chefs d’Etat arabes fouler, pour la première fois, notre sol national. Le Sommet arabe ! Le mot est lâché. Plus rien d’autre ne semble intéresser nos dirigeants.  Le Dialogue (avec un grand D) que notre guide éclairé nous avait promis « dans trois à quatre semaines, tout au plus » (c’était, s’il vous plaît, le 3 Mai dernier) ? Il n’est plus à l’ordre du jour, les promesses n’engageant que ceux qui y croient, selon la vieille formule chère aux politiciens. Ceux qui ne croient pas aux vertus du dialogue peuvent aller se rhabiller. Ould Abdel Aziz les a invités, ils ne sont pas venus, ils ont, du coup, raté le train. Ce n’est pas tous les jours qu’on est invité à venir discuter avec celui qui fut président de l’Union Africaine et s’apprête à se voir coiffer de la toge de Leader/Sauveur du Monde Arabe. N’est-ce pas lui qui a décidé de recevoir un sommet dont personne ne voulait ? N’est-ce pas lui qui va essayer de recoller les morceaux d’une ligue arabe dont les leaders s’observent en chiens de faïence, quand ils ne se vouent pas une haine tenace ?  L’intention est certes louable mais, comme il n’y a pas de petit profit, l’organisation d’une telle messe (inutile, soit dit en passant), par un petit pays aussi pauvre que le nôtre, donne généralement lieu à de nombreux soutiens, de toute nature. Et cette fois, on n’a pas dérogé à la règle. L’argent a coulé. Nouakchott – Tevragh Zeïna, pour être plus précis – est transformé, depuis quelques mois, en immense chantier. La route menant à l’aéroport et les principaux axes de ce quartier chic ont été élargis, refaits, éclairés. Les gros œuvres ont été confiés à ATTM et ENER. Le reste, c'est-à-dire l’éclairage solaire, la peinture des trottoirs, le tracé des lignes continues et discontinues sur le bitume, a été confié à un cercle restreint de proches et ils ne s’en cachent pas. Certain(e)s d’entre eux(elles) supervisent même les travaux, au vu et au su de tout le monde.
Et il y aura, certainement, encore beaucoup à vendre. Quoique… N’a-t-il pas, notre président des pauvres, déjà tout vendu ? La terre, le ciel, la ceinture verte, les mines, les relations diplomatiques, le poisson, le fleuve, un jour l’Iran, un autre, le Qatar ou l’Arabie Saoudite, l’Algérie, Kadhafi… Ah si, justement, reste le nom des rues. La rue Kadhafi, inaugurée en grande pompe, en 2008, lorsque le leader libyen appuyait le mouvement de rectification, est, désormais, rebaptisée Cheikh Zayed. En échange de quels services ? Un prêté pour un vomi, dit le dicton. N’y aurait que les déguerpis de la gazra  en face de la Fondation Bouamatou, pour en éprouver quelque nausée, là-bas, en cette désolation si dérisoirement drapée du prestigieux nom de Dubaï ?  
                                                                                     Ahmed Ould Cheikh

lundi 18 juillet 2016

Editorial: Leurre tragique

« La vie », disait Shakespeare, « est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ». Entre nous, cela ne ressemble-t-il pas, un peu, à ce dialogue dont on nous bassine les oreilles, depuis quelques années ; que le pouvoir appelle, du bout des lèvres, de tous ses vœux ; qu’une opposition dite de velours réclame et qu’une autre, prétendue radicale, rejette systématiquement ? Pourquoi tant de bruit et de fureur, pour un dialogue qui ne signifie… rien ? Que signifie d’ailleurs dialogue, dans une démocratie « normale » ? A-t-on jamais entendu un président français ou américain appeler son opposition à venir discuter autour d’une table ? De quoi donc parler ? D’une modification de la Constitution ? De la limitation des mandats ? De l’âge des candidats à la présidentielle ? Il est vrai que notre prétendue démocratie n’a rien de normal. Un exemple parmi tant d’autres : il y a quelques années, le président de l’Assemblée nationale et le maire de la plus grande ville du pays étaient membres de l’opposition. Aujourd’hui, tout est aux couleurs du parti/Etat : écrasante majorité de députés, sénateurs et maires, ministres, secrétaires généraux et directeurs systématiquement tenus à émarger au parti présidentiel, mafia politico-militaro-affairiste qui fait main basse sur le pays et veut réduire au silence toutes les voix discordantes….
Dans ces conditions, comment et avec qui dialoguer ? Et, bien avant que de politique, ne doit-on pas, d’abord, causer éducation, santé, justice sociale, partage équitable des ressources et poser, sur la table, les problèmes qui touchent la vie réelle des citoyens ? En quoi nous concernent les chamailleries des politiciens autour d’un dialogue qui n’est, tous comptes faits, qu’un leurre, un trompe-l’œil jeté en pâture à l’opinion, pour l’occuper et lui faire oublier un quotidien de plus en plus difficile ?
Crise ? Mais ce même pouvoir, à qui le dialogue paraît, soudain, la panacée pour sortir le pays de la tourmente, ne refusait-il pas, hier encore, de reconnaître ne serait-ce que l’ombre d’un nuage ? Il faut bien que le peuple s’amuse et, s’il lui faut des nuages pour cela, ma foi, se sera-t-on dit, là-haut, entre la poire et le fromage, qu’on lui en donne ! Le ciel est noir, dit l’opposition. Peignez-le en bleu, ordonne le Prince, avec quelques nuages, blancs. Mais n’est-ce pas de s’être tant persuadé que « la vérité est unechienne qu'on doit laisser au chenil », que le cœur du pauvre roi Lear se brise, au final, et avec lui, son peuple ?
                                                                                  Ahmed Ould Cheikh

samedi 9 juillet 2016

Editorial; Retour de bâton

Le Sénat, le Patronat, Mauritel, Tasiast, Mattel, Chinguitel, MCM… Quels liens entre une institution parlementaire, une organisation patronale, des sociétés de téléphonie et autres entreprises exploitantes de mines d’or et de cuivre ? Un seul : Elles ont, toutes, maille à partir avec le pouvoir actuel. Qui a décidé d’initier une réforme constitutionnelle visant à supprimer le Sénat, « inutile et coûteux ». Ce que les sénateurs n’ont apprécié que modérément et l’ont fait savoir, en refusant de recevoir des ministres et de répondre à une convocation du président de leur parti. Avec l’Union Nationale du Patronat, la guerre est déclarée depuis quelques mois déjà, Ould Abdel Aziz tenant à obtenir, à tout prix, la tête du président sortant.
Quant aux autres fronts, ils n’ont été ouverts qu’il y a quelques jours… avec une maladresse qui frise l’enfantillage. Subitement et sans crier gare, le ministère du Travail se réveille d’une longue hibernation et demande, à ces sociétés, d’appliquer, à la lettre, la réglementation sur le travail des étrangers. Sans concertation et sans donner le moindre délai de grâce qui leur permettrait de prendre les dispositions nécessaires au remplacement de dizaines, voire de centaines d’expatriés, dont certains occupent des postes sensibles. La décision passe mal, même au sein de l’opinion publique qui n’y voit qu’une volonté du pouvoir de régler des comptes. Comment expliquer autrement cette décision subite de faire appliquer une loi qui date de quelques années, et même de  décennies ? Pourquoi la déterrer maintenant ? Populisme, démagogie, préférence nationale ? Un peu de tout ça ?
Quoiqu’il en soit, le résultat des courses est bel et bien acquis : Tasiast a décidé de fermer son usine. Déjà éprouvée par la chute des cours de l’or, les coûts d’exploitation élevés et une grève de plusieurs semaines qui lui a fait perdre beaucoup d’argent, l’entreprise était déjà sur les nerfs. Assez pour jeter illico l’éponge, lorsque les inspecteurs du Travail ont débarqué, histoire de vérifier la situation du personnel étranger – plusieurs n’étaient effectivement pas en règle – et brandi la menace de fortes sanctions, si les fautifs poursuivaient leurs activités. Allez, hop ! Les étrangers, direction Las Palmas, par avion, et les mauritaniens, au chômage technique ! En fin de Ramadan et à quelques jours de la fête, voilà qui risque fort de leur créer bien des difficultés. Gageons qu’ils ne manqueront pas de l’exprimer…
C’est tout de même curieux, cette propension du pouvoir à se mettre à dos tout le monde… Plutôt que des décisions à l’emporte-pièces, pour ne pas dire l’arrache-clous, une opération en douceur, après mise en garde et délai de grâce, par étapes raisonnablement mesurées, aurait certainement eu des effets autrement moins désastreux. Bastonnez, bastonnez, soldats, c’est bien connu : à l’aller du bâton, la route se dégage. Mais qui finit toujours par dégager, au retour ?
Ahmed ould Cheikh

dimanche 26 juin 2016

Editorial: Dictature à petit feu

Depuis quelques mois, le patron des patrons mauritaniens, Ahmed Baba ould Azizi, est dans la ligne de mire du pouvoir. Fervent soutien de la Rectification d’Août 2008 et l’un des contributeurs des campagnes électorales du guide éclairé, Ahmed Baba est entré en disgrâce pour des raisons que même lui n’arrive pas à élucider. Petit à petit, il s’est retrouvé exclu des marchés publics et, s’il lui arrive d’être moins disant, comme pour la centrale électrique duale de Nouakchott ou la route Méderdra-R’kiz, il est systématiquement éliminé, au profit d’une entreprise pourtant beaucoup plus chère ou du Génie militaire (hé oui, ça existe…). Et, comme pour couronner le tout, le pouvoir décide de lui enlever le seul titre qui lui existe, président de l’Union du patronat, après avoir demandé, officiellement, à l’Italie, de lui retirer celui de consul général honoraire en Mauritanie (Il est le seul au monde qui peut se prévaloir de ce titre, ce qui constitue une grande marque de confiance de la part d’un Etat aussi important que l’Italie pour un citoyen mauritanien). Devant sa volonté de ne rien céder, le Premier ministre convoque les présidents des fédérations affilées au patronat et leur intime l’ordre de tenir un congrès pour choisir un nouveau président. Or, il se trouve, en vertu des textes, que le congrès ne peut être convoqué que par le président sortant lorsque toutes les fédérations seront à jour dans leurs cotisations et auront produit leurs rapports d’activité. Une contrainte légale sans laquelle le vote ne pourra pas avoir lieu. En attendant, la résistance s’organise. Syndicats et partis d’opposition ont condamné cette ingérence manifeste du pouvoir dans le renouvellement des instances dirigeantes d’une organisation n’ayant rien à voir avec l’Etat. Une ingérence qui a commencé dès l’année dernière, avec le parachutage d’un colonel à la retraite, à la tête de la fédération des éleveurs et la tentative, avortée, d’imposer un général défroqué, à celle de l’Agriculture. Après l’Association des maires de Mauritanie, dont les postes de président et secrétaire général sont, désormais, occupés par des colonels retraités, la militarisation des corporations s’accentue. Plus rien n’échappe à la boulimie de nos « vaillants » militaires, actifs ou retraités. On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ne cherchent-ils pas à imposer un des leurs à la tête du patronat. Un célèbre chroniqueur a proposé que ce poste revienne au président de la République, devenu premier homme d’affaires du pays. Et qui refuse de voir cette structure dirigée par quelqu’un d’insoumis à sa volonté. C’est que l’homme est d’une haine tenace, voit des ennemis partout et veut tout régenter, jusqu’au plus petit détail. Non content d’avoir ruiné une personne à qui pourtant il ne reproche rien, il veut également la priver des honneurs et des titres symboliques. Ceux qui observent cette situation sans lever le petit doigt devraient bien méditer cette citation du pasteur Martin Niemöller : « Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Lorsqu'ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Et, lorsqu’ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester… »

                                                                                         Ahmed ould Cheikh

dimanche 19 juin 2016

Editorial: Nouvelle Constitution?


En 2014, voulant couper court à une rumeur, persistante, sur sa volonté de tripatouiller la Constitution, pour briguer un troisième mandat, et alors que les braises de la révolution burkinabée, qui avait chassé Compaoré du pouvoir, étaient encore incandescentes, le président béninois, Yayi Boni, trouva une formule choc : « Plus jamais vous ne verrez mon nom sur un bulletin de vote ! ». La tension baissa subitement. La classe politique savait à présent à quoi s’en tenir, les partenaires étrangers étaient désormais rassurés : l’alternance se passerait sans heurts. Et il en fut ainsi.  L’ennemi juré du Président sortant, un homme d’affaires qui avait connu les procès et l’exil, remporta l’élection, haut la main. Le Bénin et ses dirigeants donnaient, ainsi, le bon exemple à une Afrique où l’alternance pacifique au pouvoir n’était l’apanage que de quelques vieilles démocraties. Une Afrique sur laquelle déteint encore l’image, désastreuse, d’un Nkurunziza, d’un Sassou N’guesso, d’un Kabila ou d’un Mugabé qui s’accrochent, désespérément, au pouvoir. Une Afrique où les modifications des Constitutions sont devenues monnaie courante.
A quelque trois ans de la fin de son deuxième – et dernier ? – mandat, notre guide éclairé prendra-t-il le chemin de Yayi Boni ou celui de l’un des quatre larrons ? La question ne devrait normalement pas se poser. La Constitution prévoit deux mandats, au plus. Le titulaire de la charge suprême devrait, normalement, passer la main à l’issue du second. Mais notre génie national a le don d’entretenir le suspense. Pour trancher le débat et dans une dernière tentative de ramener l’opposition à de meilleures sentiments, il n’a pas trouvé mieux que de déclarer – à des journaux étrangers, comme si les Mauritaniens, pourtant premiers concernés, comptaient pour du beurre… – qu’il respecterait le serment juré, à deux reprises, de ne pas « modifier » la Constitution… sans dire clairement qu’il ne se représenterait pas à la future présidentielle. Il y a nuance. On peut respecter son serment de ne pas toucher la Constitution ou, au moins, les articles relatifs à la durée des mandats, et proposer au peuple, par voie référendaire, une nouvelle loi fondamentale, toute emballée, prêt-à-porter pour une dix-de-der ! C‘est ce qui explique, peut-être, son empressement à organiser, à tout prix, un dialogue, même avec n’importe qui, pourvu que ça passe. Il reçoit, à tour de bras, des formations politiques qui lui sont acquises, comme El Wiam et APP, pourtant étiquetés opposition, ainsi que des opposants en rupture de ban et autres minuscules partis qui ne représentent pas grand-chose. Vision exagérément fataliste et injustement persuadée du machiavélisme azizien ? Peut-être ; mais en l’attente d’une déclaration aussi nette et claire qu’un « Plus jamais vous ne verrez mon nom sur un bulletin de vote !», elle tient, malheureusement, toujours la route… 
                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

dimanche 12 juin 2016

Editorial: Boomerang?


Jeudi dernier, des centaines d’hommes et de femmes, pauvres, pour la plupart, sinon tous, se regroupent dans une enceinte où un riche homme d’affaires de la place a décidé de leur distribuer sa zakat (aumône religieuse) annuelle. A l’arrivée du convoyeur de fonds, c’est la ruée. Une énorme bousculade s’en suit. Piétinées par la foule, huit personnes rendent l’âme sur le champ. Des dizaines d’autres sont blessées, certaines grièvement. Un spectacle de désolation dont on entend que cris, pleurs et gémissements. Jamais, de mémoire de Mauritanien, la pauvreté n’a tué autant de monde. Jamais l’appât du gain n’a été aussi fort. Jamais, pour mille ou deux mille ouguiyas, on ne pouvait risquer sa vie, à ce point désespéré qu’on n’ait plus rien à perdre. Mais la misère a atteint un tel degré que le pire peut désormais être envisagé. Des nuées de pauvres, hagards et en haillons, squattent les principaux carrefours de la capitale, en quête d’un hypothétique donateur. Aveugles, estropié(e)s et bien portant(e)s s’accrochent aux vitres des voitures à longueur de journée, espérant pièce ou billet. Et, lorsque la petite rumeur annonce qu’un homme aisé va ou a déjà distribué quelques miettes, c’est la course. Ce n’est plus exceptionnel de voir des gens à faire le guet, en grappes, devant une maison cossue, des heures durant, sous un soleil de plomb, parfois. C’est ce qui s’est passé jeudi dernier. Cette fois, personne n’a pu contenir la foule et le bilan est catastrophique. Comment en est-on arrivé là ? Comment, dans un pays d’à peine trois millions et demi d’habitants, pourvu de tant de richesses naturelles, on peut ne plus avoir en ligne de mire que le petit billet qui assurera la pitance d’une journée, au maximum ? Comment expliquer cette dualité pays riche, pauvre population ?
Arrivé au pouvoir en 2008, Ould Abdel Aziz avait officiellement fait de la lutte contre la gabegie son principal cheval de bataille. Ce n’est pas normal, clamait-il, qu’une petite minorité soit à piller le pays, privant les autres citoyens de ressources censées profiter à tout le monde. L’idée fit son petit bonhomme de chemin et nombre d’esprits naïfs y crurent. Plusieurs affaires éclatèrent, des dossiers furent même déterrés, des gens envoyés en prison. Mais, rapidement, la bulle crève. Tout n’était que slogan et manœuvres pour régler des comptes à ceux qui avaient choisi le « mauvais » camp. La gabegie reprend des couleurs, sous une nouvelle forme. On pique, désormais, directement dans la caisse, sans autre forme de procédure. Des trésoriers régionaux s’emparent de milliards dont on se demande comment ils ont atterri dans des perceptions qui ne devraient pas, en principe, brasser autant d’argent. Des caissiers de la SOMELEC se servent directement. Des comptables de l’Armée « prêtent » des centaines de millions. De hauts responsables et des directeurs de sociétés publiques attribuent des marchés évalués à des milliards à de « bien nés », un crime économique imprescriptible et traduisible devant juge pénal, dans tout Etat de droit. C’est désormais une autre petite minorité qui a repris le pillage à son compte. Et de façon systématique. L’argent public, le domaine foncier de l’Etat, les marchés de gré à gré ou enrobés dans un semblant de légalité, les dons en provenance de l’extérieur, les postes sensibles, rien n’échappe à leur voracité. Certes, aucun de ces dilapidateurs frénétiques n’était présent, lors du drame de jeudi dernier. Mais s’ils n’ont physiquement piétiné personne, c’est bel et bien eux qui ont impulsé le mouvement de la foule. Jusqu’à revenir, tôt ou tard, à l’envoyeur ?
                                                 Ahmed Ould Cheikh