dimanche 28 mars 2021

Editorial: Duel de menaces

Inculpé la semaine dernière pour, entre autres, blanchiment d’argent, corruption, enrichissement illicite, obtention d’avantages indus et obstruction au déroulement de la justice, Ould Abdel Aziz a été placé sous contrôle judiciaire strict et obligé de se présenter trois fois par semaine devant la police pour signer. Malgré cette humiliation, il a refusé de se départir de la ligne de défense que lui ont conseillée ses avocats depuis le premier jour : pas un mot à la police économique, devant le juge ou le procureur. L’article 93 dont il se prévaut lui garantissant, selon eux, une immunité pour tous les actes commis dans l’exercice de ses fonctions. Mais voilà que subitement l’un de ses conseils jette un pavé dans la mare : Aziz va parler et il faut s’attendre à un tsunami. Chiche ! La menace à peine voilée s’adresse à qui ? À ceux qui ont partagé le pouvoir avec lui et qui sont encore aux affaires ? Que pourrait-il dire qu’on ne connaît déjà ? S’est-il enfin rendu compte que son silence n’est pas un argument juridique et que, quoiqu’il fasse, son sort est scellé ?

Certes, l’homme a sûrement encore des capacités de nuisance. En onze ans de pouvoir, il a sans doute glané beaucoup d’informations, éventuellement compromettantes, sur ses amis et adversaires. Le démantèlement, il y a quelques mois, d’un réseau de policiers qui lui fournissaient des écoutes illégales – certaines fuitèrent sciemment… – invite à la plus grande prudence. Même les saints ont une ombre… Mais la médaille a son revers et un effet boomerang n’est pas à exclure. La loi sur la cybercriminalité est désormais en vigueur. Rien n’interdit à un juge d’ouvrir une nouvelle procédure pour diffusion de fausses informations, diffamations, violation de la vie privée, voire outrage au chef de l’État. Aziz a donc tout intérêt à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. La menace est pire que l’exécution, dit une célèbre sentence du jeu d’échecs. Serait-ce que celle-là puisse suffire à contrer celle qui pend au nez de notre ex-Président et dont l’exécution semble autrement plus argumentée et lourde, en conséquence, pour l’issue de la partie ?

 

                                                                                          Ahmed ould Cheikh

samedi 20 mars 2021

Editorial: Mardi gras

 Après plus d’un an de procédures entre la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, ses investigations et observations, la rédaction de son rapport et son envoi à la justice, le travail acharné de la police chargée des crimes économiques et financiers, le dossier de la corruption, dont on commençait à désespérer, refait surface. Et pas n’importe quel jour ! Un Mardi gras, tant la cueillette est bonne. L’ex-président Ould Abdel Aziz, deux anciens Premiers ministres, des ex-ministres, des hauts fonctionnaires et des hommes d’affaires sont de nouveau convoqués ; mais cette fois devant la justice. Ils passeront tous durant trois longues journées entre les fourches caudines du procureur de Nouakchott-Ouest et d’un pool de juges chargés de la lutte contre la corruption. Comme à son habitude, Ould Abdel Aziz est resté muet comme une carpe, se prévalant de l’article 93 de la Constitution qui lui garantirait l’immunité pour tout acte commis dans l’exercice de ses fonctions. Ce qui n’a pas empêché le procureur de l’inculper pour dix chefs d’accusation ; notamment : blanchiment d’argent, corruption, enrichissement illicite, octroi d’avantages indus et obstruction au déroulement de la justice (excusez du peu !). Il écope d’un contrôle judiciaire renforcé à l’instar de douze autres prévenus, en l’attente de leur procès. Le bon sens aurait voulu qu’ils aillent tous dormir dans la citadelle du silence. D’autres sont allés en prison pour beaucoup moins que ça mais la justice a parfois ses raisons que la raison ignore. Pour amortir le choc et charger sans doute un peu plus la mule, le procureur a donné certains détails croustillants qui donnent une idée de l’ampleur de la prévarication dont a été victime le pays au cours de la dernière décennie. Ould Abdel Aziz avait pourtant fait de la lutte contre la gabegie son principal cheval de bataille. Une gabegie sélective, apparemment. Vingt-neuf milliards d’anciennes ouguiyas ont en effet été saisis dans ses comptes et neuf autres dans ceux de son beau-fils. Sans compter les terrains nus, les villas, les voitures, les camions, les citernes, le matériel de BTP et les comptes à l’étranger. Une véritable caverne d’Ali Baba qui n’en finit pas de nous surprendre. Quoique nous n’ayons cessé de le répéter : le pays était en coupe réglée. Rien n’a échappé à la boulimie de ce clan vorace. Jamais dans notre histoire, un Président n’a fait preuve d’autant de cupidité, se permettant de reconnaitre ouvertement qu’il est immensément riche et que sa fortune continuera à croître. Une déclaration pour le moins osée. Il ne pensait sans doute pas, à ce moment-là, que celui qui fut son alter ego irait jusqu’à fouiner dans son patrimoine. Oubliant sans doute qu’il s’était emporté, un jour dans l’une des déclarations tonitruantes dont il avait le secret, à asséner que l’ère de l’impunité était révolue et qu’on ne pouvait pas continuer à piller ce pauvre pays sans avoir à rendre comptes. Il ne croyait pas si bien dire… Toutes proportions gardées, il faut tout de même le reconnaître : malgré des faits accablants et aussi bizarre que cela puisse paraître, des hommes d’affaires et de hauts responsables sont passés entre les mailles du filet, quand d’autres ont été inculpés pour des faits moins graves. Comment des dossiers d’une extrême gravité, comme la liquidation de l’ENER et de la SONIMEX, ont-ils pu passer par pertes et profits ? Certes, tout comme la stricte application, en Mauritanie, du code de la route réduirait à néant la circulation des automobiles et, partant, les affaires, on aurait à préserver un certain nombre d’affairistes « compétents » pour éviter un tel dépérissement. Le « deux poids, deux mesures »serait-il donc… mesuré ? On se souviendra, ici, que le « Mardi gras », chez les chrétiens, est suivi, dès le lendemain, par le « Mercredi des cendres » ouvrant le Carême où tout un chacun est tenu de « manger maigre »…

                                                                               Ahmed Ould Cheikh

samedi 13 mars 2021

Editorial: Quoi de neuf sous le soleil africain?

 Depuis le 26 Février, l’ouverture d’un procès pèse sur les épaules de Vincent Bolloré. Il a reconnu avoir contribué financièrement à la communication du candidat Faure Gnassingbé, lors de la présidentielle en 2010, en échange d’avantages dans la concession du port de Lomé. Un aveu « spontané » dont il espérait l’arrêt du processus judiciaire à son encontre. Une sorte de règlement à l’amiable, en somme. Las, la justice a conclu, au terme de l’instruction du dossier, à un pacte de corruption scellé entre la direction du groupe Bolloré et l’actuel président du Togo, réélu pour un quatrième mandat en Février 2020, après déjà cinquante-trois ans de règne de sa famille sur le pays.

Une première qui, on l’espère, fera tâche d’huile. Les milliardaires français, qui ont fait de l’Afrique leur chasse gardée, flirtant avec les dictatures en place, se sont toujours considérés en territoire conquis. Avec la bénédiction bienveillante de l’ancienne métropole. La témérité du juge qui poursuit Bolloré finira-t-elle par payer et permettre de lever un coin du voile sur les relations mafieuses que cet homme d’affaires et ses semblables entretiennent avec les Gnassingbé, Bongo, N’guesso et compagnie ?

Balayons devant notre porte. La concession portuaire accordée par Ould Abdel Aziz à la société Arise au cours des derniers mois de son règne entre-t-elle dans ce cadre ? En échange de quoi autant de facilités furent concédées à une entreprise loin d’être leader en ce domaine ? Fort bizarre, la précipitation d’Ould Abdel Aziz de finaliser cette convention en catimini, réunissant sept ministres le même jour à la même heure pour la signer ! Il est à peu près certain qu’il y a une grosse anguille sous roche mais malgré les efforts louables de la commission d’enquête parlementaire, l’écheveau n’a pu être démêlé. D’autant moins que l’alerte a obligé de beaucoup plus gros intérêts – requins sous l’anguille ? –  en l’occurrence Méridiam, un groupe français – encore ! Mais on devine, sous le 100% tricolore, de plus internationales combines… –  ne fassent irruption, acquièrent la majorité de la concession et multiplient les démarches (Macron a été appelé à la rescousse) pour que la convention ne soit pas abrogée. Bolloré en Guinée et au Togo, Elf au Congo, Total au Sénégal, Méridiam en Mauritanie, tous dans le même panier de la France-à-fric dont les africains ne seraient pas près de sortir ?

Peut-être mais on remarquera tout de même au moins une nuance de taille entre tous ces manipulateurs. Fondée en 2005, Méridiam fait en effet partie de cette nouvelle génération d’entreprises dites « sociétés à mission » qui se donnent statutairement une finalité d’ordre social ou environnemental en plus du but lucratif. Simple façade ou volonté réelle de promouvoir un monde plus juste, donnant du sens à la technique ? Auquel cas le remue-ménage de notre CEP aurait eu cet insigne effet de promouvoir une nouvelle approche du partenariat international public-privé… Wait and see : il reste à Mediapart de le prouver.

                                                                 Ahmed Ould Cheikh

dimanche 7 mars 2021

Editorial: Métastase?

 Le dossier de la corruption où sont impliqués l’ex-président Ould Abdel Aziz, des Premiers ministres, des ministres et d’anciens hauts responsables fait de nouveau parler de lui. Pas dans les dédales de la justice devant laquelle il devrait répondre depuis belle lurette mais sur les réseaux sociaux qu’il n’a d’ailleurs jamais quitté. Cette fois, c’est une information – distillée à dessein ? – qui fait état de pressions qu’aurait exercées la France sur la Mauritanie pour qu’Ould Abdel Aziz ne soit pas jugé. Certains chefs d’État africains qui trouvent toujours une oreille attentive en l’ancienne métropole – il faut bien des corrupteurs pour qu’il y ait des corrompus et ceux-là ont, eux, souvent plus que des oreilles auprès des États riches… – craignent que cette affaire ne fasse tâche d’huile. Il n’en faut pas plus pour que la toile s’enflamme. Certes l’information apporte de l’eau au moulin de ceux qui ont toujours pensé que le dossier finirait en queue de poisson mais les anti-Aziz n’en démordent pas pour autant. Une année de labeur : commission d’enquête parlementaire, experts désignés à cet effet, police chargée des crimes économiques et financiers… ;  ne peut pas passer, sans coup férir, par pertes et profits. Ce serait la confirmation de facto que rien n’a changé sous nos cieux, que la France a toujours son mot à dire et qu’on n’est pas sortis de l’auberge. Pire : que le loup est toujours dans la bergerie. Qu’on nous prouve le contraire ! Une tâche ardue – impossible ? Une éventualité alors doublement probante, donc, de l’iniquité incrustée au plus haut–avec le recyclage tous azimuts d’hommes ayant fait leurs (mauvaises) preuves au cours de la décennie tant décriée. Une métastase dont on n’aurait plus qu’à attendre le funeste dénouement ?

                                                                                                                             Ahmed ould Cheikh