dimanche 16 juin 2019

Editorial: Très, très courte vue

Lors d’un débat télévisé de la campagne électorale pour la présidentielle de 2007 en France, Arnaud Montebourg, un des leaders du parti socialiste de l’époque, fit une déclaration choc. Interrogé, par le journaliste, sur les chances de la candidate socialiste, Ségolène Royal, face à Nicolas Sarkozy, il se permit une pique dévastatrice. « Le seul problème de Ségolène, c’est son compagnon » ; qui n’était autre que François Hollande. Pour paraphraser cet homme politique français, peut-on dire que le seul problème de Ghazwani, c’est Ould Abdel Aziz ? Frappé par la limite constitutionnelle des mandats, notre rectificateur en chef ne veut rien lâcher, pas même la bride à son ancien compagnon d’armes. Présent à ses côtés, lors de l’ouverture de la campagne électorale à Nouadhibou, il lui a imposé, dans son staff, des ministres parmi les plus décriés du gouvernement et veut le voir assumer une partie du lourd héritage de ses onze années de pillage et de disette, à la tête de l’Etat. Un poids mort dont Ghazwani  voudrait bien se passer mais l’ombre tutélaire de son ami risque fort de hanter ses nuits, quelque temps encore. Si elle ne lui  vaut pas des déboires, elle ne le servira, en tout cas, sûrement pas. Très décrié, ce pouvoir qui a mis le pays en coupe réglée devrait plutôt faire profil bas. Le malheur est qu’Ould Abdel Aziz se croit encore populaire. Ses slogans de 2009 sur le président des pauvres et la lutte contre la gabegie ont fait long feu. Confrontées à la dure réalité, ils n’ont tenu que le temps d’une rose. Ce n’est qu’après avoir échoué dans ses tentatives d’arracher un troisième mandat qu’il s’est décidé à soutenir un candidat à la présidentielle qui ne pouvait être qu’un général défroqué, comme lui, proche parmi les plus proches et en qui il avait une totale confiance.  Cela lui vaudra-t-il élection pour autant ?
Argentine, Février 1946. Le docteur José Tamborini, de l'Union démocratique, semble le mieux placé et financièrement soutenu pour remporter l’élection présidentielle. Mais son adversaire le colonel Juan Domingo Perón, ancien ministre du Travail, dispose d’un réel soutien populaire. Aussi l'ambassadeur des États-Unis, Spruille Braden, très proche des milieux affairistes qui soutiennent Tamborini, décide-t-il de s’impliquer publiquement, en participant activement aux meetings de l’Union démocratique. Il publie même un pamphlet, connu sous le nom de « Blue Book », (Livre Bleu) accusant Perón de liens fascistes. Mais celui-ci va très habilement retourner ce trop voyant soutien de l’ambassadeur étranger. Répondant au « Livre Bleu » par son propre livre «Livre Bleu et Blanc » (les couleurs du drapeau argentin), il y développe son antagonisme à l'impérialisme des Yankees, s’attirant ainsi beaucoup de soutiens nationalistes. Avant de résumer l’élection par un lapidaire : « Perón ou Braden » ; réduisant définitivement le docteur Tamborini à l’état de marionnette des intérêts états-uniens. Résultat des courses : Perón est élu par 56% des votes malgré l'opposition des libéraux et des communistes. Cerise sur le gâteau, son parti travailliste devient majoritaire dans les deux chambres de l'Assemblée.
Ould Abdel Aziz parie, il l’a dit à Nouadhibou, sur un passage en force dès le premier tour, épargnant à « son » candidat tenu en laisse, les affres d’un tête-à-tête où l’adversaire unique de Ghazwani aurait beau jeu de résumer l’élection par un tout aussi lapidaire : « Aziz ou moi ». Chaque jour qui passe, maintenant, révèle la réalité de ce postulat, réduisant comme peau de chagrin la capacité de Ghazwani à démontrer qu’il existe indépendamment de son « maître ». Avec cette inconnue supplémentaire, bien plus redoutable : si, d’aventure, Ould Abdel Aziz réussissait son pari de forcer le premier tour, au prix des plus ubuesques manipulations du vote, quel avenir, pour la Mauritanie ? Le seul problème de Ghazwani, c’est peut-être bien Ould Abdel Aziz mais le seul vrai problème d’Ould Abdel Aziz, c’est très certainement, sa très, très courte vue.
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 9 juin 2019

Editorial; No future?

Une nouvelle fois, le régime fait parler de lui. En mal. Une opération de bradage d’une partie du patrimoine minier de la SNIM serait en cours. Si elle n’est pas déjà conclue, en catimini. La nouvelle fait sensation depuis quelques jours, sur les réseaux sociaux et les organes de presse. Le dernier bastion, qui échappait encore à la boulimie du clan (même si une grande partie de ses recettes, lors des années fastes, a déjà pris des chemins détournés), est en train de tomber. Après la pêche, cédée à une holding chinoise, dans une totale opacité ; l’aéroport de Nouakchott, dont la gestion est désormais confiée à une obscure société émiratie ; le port de l’Amitié qui tombera, dans quelques années, en l’escarcelle d’une entreprise singapourienne, le tout pour 25 ans.  Après les permis de recherche minière dont les plus prometteurs ne sont cédés qu’aux proches ; les quotas de poulpe dont une nouvelle vague vient d’être attribuée ; des zones entières de Nouakchott et de Nouadhibou, nouvellement loties et sur lesquelles « on » a fait main basse ; les marchés en tout genre, dans les domaines de l’électricité, de l’eau ou du BTP : le pays est désormais en coupe réglée. A son départ, dans quelques mois, Ould Abdel Aziz n’aura pas accompli deux mais six mandats successifs, puisque il a engagé le pays pour les vingt prochaines années, dans des opérations dont la rentabilité est pour le moins douteuse. Sauf pour certains. Mais, pour le pays, plus qu’hypothétique, hasardeuse.  Il y a quelques jours, raconte-t-on, le directeur d’un centre de recherches du Golfe rendait visite à un recteur d’une université maghrébine,  pour le renouvellement d’un mémorandum d’entente sur la coopération académique entre les deux institutions, sans aucun engagement financier de l’université en question. Poliment, le directeur s’excuse, au motif que son mandat finissait dans quatre mois et qu’en conséquence, il ne pouvait, pour des raisons d’éthique, signer un document qui engagerait son successeur. Aurions-nous donc si peu d’éthique pour avoir l’outrecuidance d’engager, non seulement, un futur président mais tout un pays, pour 20 à 25 ans, alors que le présent mandat présidentiel touche à sa fin ? En Mauritanie, l’insolence  n’a plus de limite, sitôt que le gain est à portée de main. A quelle fin ? Qu’a récolté le pays, de cette décennie dont on nous chante les résultats ? Jugez par vous-mêmes : dette, 105 % du PIB ; 68% de la population vivant avec moins de 2 dollars par jour ; qualité de l’enseignement, 128ème sur 130 pays ; services de santé, 133ème  sur 136 pays ; taux de chômage des jeunes, 35% ; armée, 129ème  sur 131 pays ; sociétés d’Etat, en faillite ; poids des taxes, 3ème pays au monde ; etc., etc. La culture du bout du nez, de l’immédiateté du profit, de l’opportunité reine était peut-être inscrite dans nos gènes, travaillés par tout un passé de précarité bédouine. Mais, par son avidité insatiable, le régime en a fait une autrement plus implacable loi d’existence, en détruisant, non plus seulement, notre présent mais, aussi, notre avenir.
                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh