samedi 29 juillet 2023

Editorial: Petit peut-être mais mur toujours

Lors de son interrogatoire dans le procès de l’ex-président Ould Abdel Aziz, Yahya ould Hademine qui fut son Premier ministre et l’un des exécutants de ses basses œuvres nous offrit une des perles dont il a le secret et dont il pouvait bien se passer, puisqu’elle ne glorifie en rien le pouvoir qu’il a (mal) servi. « Nous avons supprimé dans tous les budgets les chapitres abonnement et publicité », déclara-t-il à la Cour, « ce qui nous a permis d’économiser chaque année 1,5 milliard d’anciennes ouguiyas placées dans une caisse ». Une caisse sans doute trouée, comme toutes les autres, personne n’ayant pu déterminer où est parti tout cet argent annuellement « préservé ». De son temps, ce qu’on appelle le Fonds d’aide à toute la presse (écrite, électronique et audiovisuelle), aux associations et à la formation n’a jamais dépassé les 200 millions MRO. Une goutte d’eau dans un océan de besoins. Au moment où tous les pays du monde, même les plus pauvres, soutiennent la presse à bras le corps pour lui permettre de jouer son rôle, un ancien Premier ministre mauritanien se permet de se vanter de lui avoir fermé les vannes. Jamais en effet la presse n’aura autant souffert qu’au temps du tandem Aziz/Hademine qui avait décidé de l’étouffer pour la contraindre à marcher au pas. Ils devaient pourtant savoir que depuis Maaouya et les censures à répétition, il en était qui n’avaient jamais plié l’échine. Nos deux bourreaux ont fini par se rendre compte que, malgré tout ce qu’ils nous ont fait subir, nous sommes restés debout. Et les voilà, eux, dans le box des accusés pour des crimes et délits que la presse avait, en son temps, dénoncés. Yahya n’avait-il pas autre chose pour se défendre des graves accusations qui pèsent sur lui que de s’attaquer au « petit mur » qu’est la presse ? Ahmed ould Cheikh

dimanche 23 juillet 2023

Editorial: Recyclage avant quelle révolution?

Le recyclage, il y a quelques jours, d’anciens hauts fonctionnaires valorisés sous le harnais au temps d’Aziz et la permutation d’ambassadeurs ont fini de persuader les plus sceptiques d’entre nous que le changement tant attendu n’est pas pour demain. Pourtant nommément cités dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire, certains ont été blanchis d’un trait de plume et réhabilités. La palme d’or revenant bien entendu à Mokhtar Ould Djaye qui hérite du poste ô combien prestigieux de ministre-directeur de cabinet du président de la République. Une façon de lui dérouler le tapis rouge. Un vrai mutant, disent ceux qui le connaissent. Mais il n’est apparemment pas le seul. Ceux qui ont, comme lui, servi Ould Abdel Aziz et se sont pliés en quatre pour le faire changer d’avis à propos du troisième mandat n’ont pas hésité à retourner leur boubou lorsqu’ils ont senti le vent tourner. Faut-il leur en vouloir ? Il s’agit tout de même là du sport favori des Mauritaniens et cela oblige à tempérer les jugements. Mais aussi banal soit-il, il n’en reste pas moins condamnable… Certes la formation du nouveau gouvernement la semaine dernière a permis d’insuffler du sang neuf avec la cooptation de technocrates à des postes importants mais la tendance générale demeure inchangée : la révolution attendra. Surviendra-t-elle enfin après la présidentielle de 2024, lorsque Ghazwani n’aura plus un nouveau mandat en ligne de mire et pourra donc gouverner à sa guise, en choisissant ses hommes à lui ? Et gérer en douceur la fin du système militaro-politique à l’horizon de son cinquantenaire ? Voilà qui serait sage : blanchir ne signifie pas remettre à neuf et entretient l’hypothèse de plus troublantes conclusions… Ahmed ould Cheikh

dimanche 16 juillet 2023

Editorial: Du nouveau et du réchauffé

Après les élections municipales, législatives et régionales de Mai dernier qui ont rendu un verdict sans appel : déroute mémorable pour l’opposition classique et majorité confortable pour le parti du pouvoir ; on n’attendait plus que la traditionnelle présentation de la démission du Premier ministre au président de la République. Ce qui fut fait la semaine dernière. Et la formation d’un nouvel attelage : après Bilal I et Bilal II, voici maintenant Bilal III. Avec une caractéristique majeure : onze nouveaux ministres ! Un chambardement dont on avait perdu l’habitude, au moins depuis l’arrivée de Ghazwani au pouvoir en 2019. En effet, le marabout-président a toujours procédé par doses homéopathiques lors des derniers remaniements. Lors de la formation de sa première équipe, au lendemain de la présidentielle qui le porta au pouvoir, il reconduisit même plusieurs ministres de « la Décennie », pourtant loin d’être blancs comme neige. On se dit alors que la page Ould Abdel Aziz avait encore de beaux jours devant elle… Et voilà la tendance confirmée avec ce nouveau gouvernement qui consacre le retour en force de Mokhtar ould Djay, l’âme damnée de l’ancien Président, au poste ô combien important de ministre-directeur de cabinet de Ghazwani dont il sera les yeux et les oreilles. Une sorte de Premier ministre bis qui ne reculera devant rien pour servir son maître du moment. Avant de le trahir dès que le vent tournera ? Comme il s’y employa si bien avec MOAA, en dévoilant aux enquêteurs tous les secrets qu’il avait pris soin d’amasser pour assurer ses arrières. Tapi dans l’ombre depuis près de trois ans, il fourbissait ses armes pour rebondir. Occasion lui a été offerte lors des élections qui l’ont vu diriger la campagne d’INSAF à Nouakchott. Certains croient qu’il aurait ainsi permis à ce parti de gagner toutes les mairies de la capitale. Il n’en est pourtant rien : c’est bel et bien l’opposition qui a offert Nouakchott sur un plateau d’or à l’INSAF en acceptant le principe de la proportionnelle. Et ouvrant ainsi cette ultime question : que peut apporter un homme tant décrié dans l’opinion publique et dont la fidélité n’est pas la qualité première ? Ghazwani finira bien par s’en rendre compte un jour. Prions pour lui que cela ne soit pas trop tard. Comme cela le fut pour un certain Ould Abdel Aziz… Ahmed ould Cheikh

samedi 8 juillet 2023

Editorial: Une déroute salutaire?

Les élections municipales, législatives et régionales ont vécu. Et, comme celles qui les ont précédées, ont apporté leur lot de tintamarre, vacuité des discours, promesses intenables, alliances contre-nature, achat des consciences, fraude à ciel ouvert et autre parti pris flagrant de l’Administration au profit de qui vous savez. Elles ont donné lieu également à d’énormes surprises : des partis de rien se sont retrouvés, par un de ces miracles dont seules les élections en Mauritanie ont le secret, avec plusieurs députés, tandis que des formations politiques ayant accompli toute leur « carrière » dans l’opposition n’ont pu décrocher le moindre strapontin. Un véritable tsunami électoral dont on n’a apparemment pas pris toute la mesure. À qui la faute ? À une relation apaisée, sinon complaisante, avec le pouvoir en place depuis 2019, après avoir été extrêmement tendue avec celui qui l’a précédé ? À un discours jugé trop modéré au moment où les citoyens s’attendaient à de franches prises de position face aux problèmes de l’heure ? À une érosion naturelle de l’électorat désormais plus réceptif à des discours plus virulents véhiculés par les réseaux sociaux? À l’éclosion de nouveaux pôles de l’opposition ? Il y a sans doute un peu de tout de cela dans la déroute de l’opposition traditionnelle à qui il ne reste plus, non pas à se faire hara-kiri, mais à se remettre en cause, « faire son autocritique », pour reprendre une formule chère aux Kadihines des années 70. Et peut-être à inventer, enfin, la démocratie spécifique à la Mauritanie ; un système viable, compréhensible à tous et toutes, vraiment révolutionnaire en ce qu’il serait vraiment respectueux de nos plus profondes traditions… Ahmed ould Cheikh