lundi 30 avril 2018

Editorial: Combien d'anguilles sous la roche?

Un premier pas vers des élections non apaisées et non consensuelles a été franchi, la semaine dernière, par le pouvoir, avec la mise en place d’une commission électorale qui est tout sauf représentative. La commission de désignation, composée d’éléments provenant de la majorité et de l’opposition dite dialoguiste, n’a pas lésiné sur les… liens de parenté.  Priorité donnée au frère, au neveu, au beau-frère, au cousin. Ne dit-on pas, à juste titre, que charité bien ordonnée commence par soi-même ?  Et l’on veut ensuite nous faire gober que cette CENI sera impartiale, à équidistance de tous les candidats. Le vivier où l’on pouvait puiser était pourtant énorme : le pays regorge de cadres, retraités ou en activité, capables de relever le défi. Mais qui s’en soucie ? Qui a intérêt à ce que les futures élections se déroulent dans la transparence ? Pas le pouvoir, en tout cas, qui a, sciemment, sabordé les négociations secrètes avec l’opposition, pour l’amener au boycott, comme en 2013, lorsqu’elle lui a laissé le champ libre, faisant élire une assemblée à sa botte  et à qui il fait avaler toutes sortes de couleuvres. Avec quelques députés de Tawassoul et de l’opposition modérée s’efforçant de faire entendre leur voix, sans beaucoup de succès.
Mais la manœuvre, cette fois, a échoué. L’opposition – moins le RFD, certes –  telle que regroupée au sein du FNDU, a annoncé qu’elle participera aux futures consultations. Contre vents et marées et qu’elle ne se laissera plus faire. De chaudes empoignades donc en perspective entre le pouvoir, dont le bilan ne plaide guère en sa faveur, et une opposition qui ne lui fera aucun cadeau. Les hostilités ont d’ailleurs déjà commencé. Sur Twitter, Facebook et autres déclarations à la presse. Les deux camps s’accusent mutuellement d’avoir fait fuiter l’information, pour faire échouer des négociations secrètes sur le point d’aboutir.
Sentant le danger que lui fera courir la participation de l’opposition, si les élections se déroulent normalement, le pouvoir a voulu prendre les devants. En décidant de lancer l’opération de redynamisation et d’implantation de son parti, Ould Abdel Aziz joue sur deux fronts. Activer son parti, en battant le rappel de ses troupes, et disposer d’un outil capable de lui faire gagner les futures élections, avec le concours de l’Etat, de l’Armée, des fonctionnaires, de l’administration territoriale et des notabilités, sous les yeux d’une fantomatique CENI qui n’a d’autre rôle que de cautionner la mascarade. Convaincre, ensuite, les récalcitrants, ceux qui ont pris ses déclarations sur son départ pour argent comptant, qu’il a encore beaucoup d’idées derrière la tête et qu’il faut compter avec lui, après 2019. Comment ? La question que tout le monde se pose.  Va-t-il changer d’avis entretemps, s’il obtient une majorité confortable à l’Assemblée nationale, d’où l’idée d’activer son parti ? Compte-t-il en prendre la tête et garder ainsi son mot à dire, dans la gestion du pays ? Ou ne s’agit-il que de manœuvres, pour préparer le terrain au successeur qu’il se sera choisi ? Il n’y a donc pas qu’une anguille, sous la roche…
                                                                                          EDitoirAhmed Ould Cheikh

dimanche 22 avril 2018

Editorial: Black is black, il n’y a plus d’espoir ?

Plusieurs mois durant, des émissaires de la Majorité et deux représentants de l’Opposition ont mené des tractations secrètes, en prélude à un nouveau dialogue national. Entourées d’une totale opacité, elles ont finalement échoué, après plusieurs rounds de négociations au cours desquelles aucune des parties n’a accepté de transiger sur les points qu’elle considère « essentiels » à des élections transparentes. Pouvait-il en être autrement ? Échaudée par tant d’expériences désastreuses, l’opposition devait garder en ligne de mire la plus probable des donnes : depuis les accords de Dakar qu’il piétina allègrement, dès la fin de la présidentielle 2009, le pouvoir tient ses contradicteurs pour de la menue monnaie. Et ce n’est pas à moins d’un an de la fin de son dernier mandat, alors qu’il est obligé de lâcher les rênes, qu’Ould Abdel Aziz doit devenir « fréquentable ». L’opposition a consenti trop de sacrifices et mis à nu les pratiques du régime pour accepter de se fourvoyer dans des tractations secrètes dont celui-ci ne manquera pas de tirer dividendes, présentant son adversaire comme l’éternel frein à la décrispation. La campagne a d’ailleurs déjà commencé avec les tweets d’Ould Maham, le président de l’UPR. Comble de « la manipulation et de la déformation », commente un Lô Gourmo passablement désabusé. 
Tawassoul  s’est, de son côté, signalé par quelques déclarations de son président. Elles permettent de tirer quelques observations et conclusions sur ces désormais fameuses négociations secrètes. En un, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, ceux des partis de la majorité présidentielle, plusieurs composantes essentielles du FNDU (syndicats et Société civile)  et, bien évidemment, le G8, les sénateurs et bien d’autres ont été sciemment mis  à l’écart, pour préserver le secret de la transaction et son opacité, pourtant censée apporter une solution à une crise politique nationale. Secondement, les discussions ont été menées selon  une  méthode  classique  dans le  souk : le véritable patron reste en retrait des négociations sur le prix et les modalités de livraison, pour pouvoir constamment  demander (et obtenir) une amélioration des offres, transmises via  des commis parlant en son nom, sans jamais pouvoir conclure, eux-mêmes, la transaction. Tercio, malgré la portée majeure de l’accord souhaité, aucune personnalité négro-africaine ou haratine n’a participé à ces pourparlers ; au moins la moitié des six  négociateurs se réclament du seul  courant islamiste. 
Il semble également que nombre de dossiers à tout le moins « épineux » aient été zappés. Comme ceux impliquant treize sénateurs, des syndicalistes et  journalistes, des  opérateurs économiques et des militants des droits de l’homme, tous victimes d’actes liberticides graves : détention  carcérale, assignation à résidence, retrait de passeports, mandats d’arrêt, contraintes à l’exil… Black-out total, encore, sur l’égalité des opérateurs économiques, devant les services des impôts, des douanes, des marchés publics… Question pourtant déterminante, au regard du  seul souci de transparence électorale.
Au final, si l’engagement en catimini de ces discussions explique, en grande partie, l’échec  patent des mots d’ordre et actions de protestation  qu’entreprenait le FNDU ces derniers mois – sans conviction, évidemment, tant ils étaient contraires à cette ligne politique fondée sur le compromis (ou la compromission)  avec le pouvoir – c’est surtout la confiance, entre le FNDU et ses partenaires du G8, qui se retrouve fortement compromise. Soubresauts probables, donc, dans les mois à venir qui devraient voir plusieurs composantes du Front s’en retirer. Ce n’est  certainement pas l’ingénuité qui a poussé le président de Tawassoul  à soutenir que son homologue de l’UFP dirigeait bel et bien les négociations, lui ôtant ainsi la possibilité de s'en démarquer, malgré son insistance  à le prétendre, devant le G8.   
La situation n’est guère plus nette, côté pouvoir, où ces péripéties s’inscrivaient dans la guerre de succession et de positions  désormais  ouverte entre les clans :  on a joué à « Avance devant, que je te tire dans le dos », compliquant singulièrement l’imbroglio politique où tout un chacun ne cesse de claironner, à cor et à cri, « l’islam référentiel de la Nation », prétendant agir « conformément à ses préceptes », ou se targue  de « patriotisme », soutenant  mener son action après « analyse  concrète   de la situation concrète ». Les lampions n’étaient certes pas allumés mais c’est tout de même un noir et funèbre rideau, sur un aussi obscur qu’inqualifiable feuilleton, avec toujours la même lancinante question : comment sortir la Mauritanie de la crise, de plus en plus profonde et multiforme, où elle s’englue à vue d’œil, chaque jour un peu plus,  tragiquement, dangereusement ?
                                                                                        Ahmed ould Cheikh

lundi 16 avril 2018

Editorial: Sur quelle illusion encore?

Voilà deux semaines que l’UPR, le parti/État (PRDS, nouvelle version) a commencé sa campagne d’implantation sur toute l’étendue du territoire national. Une véritable course-poursuite pour tenir un maximum d’inscrits sous sa « coupe ».  La guerre des tendances fait rage à tous les coins de rue. Surtout à l’intérieur où l’on ne se fait aucun cadeau. C’est celui qui obtiendra le plus d’unités de base qui pourra influer, plus tard, sur le choix des structures locales et régionales du parti. Et prétendre ainsi à tenir cour, lorsqu’on viendra aux « choses sérieuses ». Tout le monde est sollicité : famille, parents (proches ou lointains), amis, connaissances… La carte d’identité est devenue, du jour au lendemain, l’objet le plus convoité de la République. Obtenir le maximum d’adhésions, au plus vite, sans aucune explication, même si les adhérents ne connaissent le parti ni d’Adam ni d’Êve.  Tout y passe : achats, ventes, promesses. Des cartes ont même été échangées contre des sacs de blé. En cette période de vaches maigres et devant la démission de l’État, un petit plus est toujours le bienvenu dans la gamelle.
Mais à quoi cela rime-t-il ? À quoi sert-il de se targuer de centaines de milliers d’adhérents fictifs  qu’on ne peut transformer en électeurs ? Dans les vieilles démocraties, un parti fort de quelques dizaines de milliers de militants convaincus, peut être considéré comme « grand ». Il ne cherche ni à faire remplissage ni à se donner bonne conscience. Même au pouvoir, il reste l’égal des autres, n’embrigadant pas les ministres et les hauts fonctionnaires, n’obtenant aucune faveur de l’administration. Et ceux qui n’y militent pas ont les mêmes droits que les autres. En Mauritanie, c’est tout le contraire. Le président de la République est allé lui-même prendre sa carte d’adhérent, montrant ainsi la voie à suivre,  en violation flagrante de la Constitution. Mais qui se soucie encore d’une Constitution si systématiquement piétinée, depuis 2008, par celui-là même censé en être le garant, que l’évoquer devient risible ?
Une fois cette campagne d’implantation achevée et l’UPR « fort » de près d’un million d’adhérents, à quoi s’attendre ? Normalement, à ce qu’il tente de transformer l’essai en victoire, lors des prochaines élections… mais il y a très loin de la coupe aux lèvres. Si l’opposition participe – il y a de fortes chances qu’elle le fasse – et si une commission électorale consensuelle est mise en place, la compétition sera rude. Lourdement handicapé par une gestion catastrophique des affaires du pays, marquée, notamment, par la mainmise d’une ultra-minorité, sur ses ressources ; le surendettement, le zéro pointé pour les secteurs sociaux (éducation, santé) ; le népotisme, le favoritisme et une gabegie sans nom, le parti au pouvoir  a toutes les chances de se faire laminer. À moins que, comme en 2007 et 2009, les chefs de l’Armée, le gouvernement, les hauts fonctionnaires, l’administration territoriale ne se mettent au service d’un parti et d’un candidat. Contre la volonté de tout un pays – plus exactement de toute une mosaïque d’ethnies, castes, fractions sociales variablement exaspérées par trop d’injustices cumulées – pays manifestement plus très chaud – c’est plus qu’un euphémisme : un oxymore – à se laisser rouler dans la farine. Les goudrons d’Aziz sont défoncés, ses slogans pulvérisés : sur quelle illusion encore notre actuel Président compte-t-il, pour  étayer un pouvoir pourri par ses « propres » faits ?
                                                                      Ahmed Ould Cheikh

dimanche 8 avril 2018

Editorial: Achats, ventes, conjectures....

L’Union Pour la République (le parti/Etat, version PRDS, l’argent en moins) a démarré, mercredi dernier, sa campagne de réimplantation. Avec deux premiers militants de luxe : le président de la République et sa douce moitié qui se sont déplacés spécialement, pour s’en octroyer le privilège. Fondateur en personne du parti, sur les cendres de ses prédécesseurs au pouvoir, Ould Abdel Aziz veut ainsi montrer combien lui est importante ladite campagne. Après la mise en place d’une commission, présidée par le ministre de la Défense et chargée de faire des propositions pour « redynamiser » le poids lourd,  le chef de l’État ordonne la grande messe d’implantation sur toute l’étendue du territoire national. Pour un parti « fort, dynamique, démocratique, dont les structures soient représentatives ». L’opération semble plutôt mal barrée. Des ministres et de hauts fonctionnaires, payés par le contribuable, ont déserté leurs bureaux, pour superviser les opérations, à Nouakchott et à l’intérieur du pays. Où c’est, désormais, la course aux cartes d’identité ; monnayées, banalement ; parfois au prix fort. Qui en ramassera le plus, obtenant, ainsi, le plus d’unités de base sous sa coupe, sera au premier rang, pour obtenir « quelque chose ». Certes, les responsables du parti ont dit et répété que l’adhésion est personnelle – déclaration indispensable au plus strict minimum de crédibilité – mais on a assisté, un peu partout, à des achats massifs, à ciel ouvert, de centaines de cartes d’identité.
Les Mauritaniens ont ça dans le sang. Tout s’achète, tout se vend. Parti, élection, vote, autant d’occasions d’argent facile et de triche ; à tout le moins, de tentative en ce sens. Et ce n’est certainement pas cette campagne qui sera l’exception. A la veille d’échéances électorales importantes, qui ne manqueront pas de raviver les guerres de tendances, il est indispensable de « bien » se positionner et  démontrer qu’on dispose d’une base électorale en position de défendre les privilèges de son soudoyeur. Course effrénée, donc, vers les villes de l’intérieur où les petits roitelets, qui ont perdu beaucoup de leur superbe, depuis l’avènement de la Rectification, ne veulent pourtant rien lâcher. Et l’on se retrouvera, comme lors de la dernière implantation, comme lors de toutes celles qui l’ont précédée, avec des millions  d’adhérents dont l’écrasante majorité ne sait pas dans quel parti elle a adhéré ni pourquoi… en dehors du petit plus dans la gamelle. Et l’on viendra ensuite nous dire que « la campagne s’est déroulée dans des conditions satisfaisantes »,  que les militants ont été « à la hauteur », et que patati et que patata. Ha ça, oui, patates que ces militants-là !
À quoi tout cela rime-t-il ? Après avoir annoncé son départ à l’issue de son second – et dernier – mandat (déclaration au demeurant inutile, puisque ce départ allait de soi), Ould Abdel Aziz aurait-il des idées derrière la tête ? Pourquoi tient-il tant à réformer son parti, à cette heure, en ce moment précis ? Pour en prendre la tête, après son départ de la Présidence, et ne pas se retrouver hors jeu ? Il n’a, en tout cas, pas encore dit son dernier mot, c’est certain ; et l’on ne sait toujours pas ce qu’il manigance. Quel dauphin  choisira-t-il ? Touchera-t-il encore la Constitution, histoire de changer le mode de gouvernement, après les élections législatives de cette année ? Tout n’est que conjectures. Et d’autant plus si les futures élections sont organisées en toute transparence : l’UPR obtiendra-t-il la majorité ? Celui qu’Ould Abdel Aziz se sera choisi sera-t-il élu ? Les jeux sont ouverts… à conditions. Outre celle de la transparence, l’union de l’opposition et sa volonté de combat en forment le bloc décisif, avant, bien sûr, le respect des choix populaires. Cela fait évidemment beaucoup. Mais le Sénégal voisin ne nous a-t-il pas prouvé, à deux reprises successives, que la réunion de tels impératifs à l’alternance est vraiment possible ?  Pourquoi pas chez nous ?
                                                                Ahmed Ould Cheikh