dimanche 21 janvier 2018

Editorial: Hydre invincible

Chers lecteurs, nous voilà, de nouveau, dans les kiosques, après une interruption de plus d’un mois, indépendante de notre volonté. Quarante jours exactement au cours desquels aucun journal privé n’est sorti des rotatives de l’Imprimerie nationale. La faute à qui ? Au papier qui a fait défaut, à l’Imprimerie qui n’a pas été prévoyante et à l’Etat (ou, plutôt, son argentier Ould Djay qui gère les biens publics comme s’il s’agissait de ses propres deniers) qui a, tout bonnement, refusé de verser, à cet établissement, sa quote-part de 170 millions de nos anciens ouguiyas, dans le budget consolidé d’investissement de 2017. Ainsi que des arriérés de factures de plus de 300 millions de « travaux de labeur » effectués au profit des différents services de ce même Etat.
Nombreuses interrogations. De deux choses l’une : Ou l’Etat, contrairement à ce qu’on chante, n’a pas les moyens de faire face à ses engagements Ou il veut porter un nouveau coup à la presse indépendante dont les titres tirent, tous, sans exception à l’Imprimerie, après avoir interdit, depuis 2015, à tous les établissements publics d’y souscrire des abonnements ou d’y publier des annonces. Jamais, en plus de vingt-sept ans d’existence, la presse n’a connu pareille situation. Elle a vécu censures, interdictions et saisies ; le pays, dévaluation, inflation et récession ; mais elle continuait à tourner. Pourquoi maintenant ? Nos ministres n’arrêtent-ils pas de nous chanter combien nos finances publiques sont assainies ? Que l’argent coule à flots ? Que les Impôts et la Douane  battent, année après année, des records de recettes ? Il y a, en tout cas, anguille sous roche.
Après les télévisions et les radios privées qui ont arrêté d’émettre, pour non-paiement des redevances à l’Etat, en ce qui concerne les premières, et insuffisance des recettes, pour les secondes, et la mise sous contrôle judiciaire de quatre journalistes pour des motifs fantaisistes, la cerise sur le gâteau fut, incontestablement, cette pénurie de papier. Classée, depuis quelques années, première du monde arabe, par Reporters sans frontières, dans le domaine de la liberté de la presse, la Mauritanie risque voir pâlir son étoile. Au moment où la presse, dans les pays voisins (avec lesquels nos gouvernants nous comparent souvent), considérée, à juste titre, comme un pilier de la démocratie, est subventionnée, notre pouvoir prend un malin plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues. Si elle ne le ménage pas, est-une raison de tenter de la bâillonner ? De l’injustice naissent les libertés, disait le célèbre poète Ahmedou ould Abdelkader. Les garantir permet de minimiser celle-là et, ce n’est pas la moindre utilité de cette attention de l’Etat, les tentations de les prendre, toutes, chacun pour soi, dans le plus grand désordre. Couper la langue d’un peuple, c’est aussitôt s’exposer à en voir repousser cent, mille, des millions, à chaque coin de rue. L’Hydre du Peuple est invincible.
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 14 janvier 2018

Editorial: Travaux d'Hercule

Une année vient de s’achever. Une autre commence. L’ordre normal des choses et l’heure du bilan. Qu’avons-nous fait de l’année écoulée ?  Un referendum (anti) constitutionnel, des changements de drapeau, hymne national et monnaie. Rien que du symbolique. De la poudre aux yeux. Pour masquer l’essentiel : quel progrès avons-nous réalisé, dans la lutte contre la pauvreté ? Notre école publique est-elle devenue plus performante ? Notre système de santé sorti de son agonie ? Notre ouguiya a-t-elle tenu bon, face aux devises étrangères ? Notre économie redressé la tête ? Le chômage résorbé ? Nos finances publiques assainies ? Bien qu’on soit très loin d’être sorti de l’auberge, il se trouvera toujours de petits flagorneurs pour vous chanter, encore et encore, les « réalisations grandioses de notre guide éclairé ». Certains allant même jusqu’à réclamer un troisième mandat pour « parachever le travail accompli ». Quel travail ? Tuer, une à une, les sociétés publiques ? Jugez par vous-mêmes : l’Etablissement national d’entretien routier a été dissous ; la Sonimex est sur le point de disparaître ; les deux sociétés de transport, terrestre et aérien, sont sous perfusion ; l’Imprimerie nationale n’arrive plus à éditer les quotidiens nationaux et la presse privée (une première depuis 1975) ; la Société du sucre, qui a déjà englouti des milliards, est mort-née ; la Sonader et la SNAAT le sont cliniquement.
Quel travail ? Nous endetter jusqu’à la moelle ?  Offrir, sur un plateau d’argent, le peu de ressources dont nous disposons à un clan qui a juré de saigner ce pays jusqu’à l’os ?  Nous isoler, un peu plus, sur la scène régionale et internationale ?  De quel travail peut-on parler, quand la liberté d’expression et d’association est menacée, quand la presse est bâillonnée, quand la justice n’est plus qu’un appendice de l’Exécutif, quand les mêmes chances ne sont pas offertes à tout le monde, quand on n’est pas tous égaux devant la loi ?
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, un régime en fin de mandat a généralement tendance à produire les conditions susceptibles de repousser l’échéance au maximum, en se risquant, soit à modifier la Constitution (Burkina Faso), soit à se pérenniser au pouvoir (Niger et RDC). Avec les résultats qu’on sait : Compaoré a été chassé par la rue, Tandja par l’Armée et Kabila fait face à une insurrection populaire qui finira bien par avoir raison de lui. A écouter ses laudateurs, Ould Abdel Aziz va-t-il tomber dans le piège ? Quoiqu’il en soit, sa situation n’est guère enviable. Tentera-t-il de s’incruster au pouvoir et ce sera un saut vers l’inconnu, pour lui et pays. Cèdera-t-il la place et il aura besoin d’une solide carapace : les nombreux ennemis qu’il s’est fait, au cours de ses deux mandats, ne lui laisseront aucun répit. A moins qu’il ne se choisisse un dauphin tout à la fois assez docile et puissant pour lui assurer l’impunité et la pleine jouissance des biens qu’il a accumulés. Le seul hic est que, si les Mauritaniens sont amateurs de poisson, ils ne goûtent guère les dauphins… Au final, sortir de cette impasse constituera, certainement, le plus rude travail de notre si piètre « Hercule » national. 
                                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh