dimanche 29 mars 2015

Editorial: A l'Est, rien de nouveau

Voilà dix jours que notre guide éclairé se balade de ville en bourgade dans les deux Hodhs. Depuis le premier jour à Néma, où la Mauritanie a offert un visage hideux, avec des accueillants qui se bousculent, s’étripent et s’insultent pour accrocher l’auguste main, rien de fondamental n’a véritablement changé à l’Est. Toujours les mêmes scènes avilissantes. Tout comme il en sera de même à l’Ouest, au Nord ou au Sud, où les laudateurs offriront, dans quelques jours, les mêmes images qu’à Néma, Aïoun et un peu partout. C’est à se demander à quoi servent les visites de ce genre, si ce n’est à humilier un peuple obligé de faire courbette, chaque fois qu’un président se déplace pour inaugurer un point d’eau. Peut-être celui-là veut-il se réconforter, s’assurer d’être toujours populaire.  Mais à quoi lui servira cette popularité, s’il ne lui est plus possible de briguer le suffrage des électeurs ? A-t-il oublié que ce sont ces mêmes foules qui ont accueilli tous les présidents qui l’ont précédé et accueilleront ceux qui lui succéderont ? A quoi sert la visite d’une école ou d’un centre de santé, quand on sait, d’avance, qu’ils sont dépourvus de tout et qu’un petit saut, même présidentiel, n’apportera pas grand-chose au quotidien de populations dans l’impossibilité de se soigner ou d’avoir accès à une éducation digne de ce nom. Les dispensaires et autres hôpitaux sont devenus des mouroirs où seuls se présentent ceux qui n’ont pas les moyens de se soigner dans le privé ; autrement dit, la grande masse. L’école publique n’est plus que l’ombre d’elle-même. C’est, en effet, un secret de Polichinelle que ces deux secteurs sont plongés, depuis longtemps, dans un coma profond, prélude à une mort programmée, si des mesures radicales ne sont pas prises rapidement pour les sauver. Ce qui ne pointe pas à l’horizon, Ould Abdel Aziz n’ayant rien annoncé pour leur venir en aide. Il n’avait pourtant pas besoin d’aller aussi loin pour se rendre compte de l’ampleur des dégâts. A moins qu’il n’ait d’autres objectifs, inavoués jusqu’à présent. S’il se défend de vouloir changer la Constitution pour se tailler un troisième mandat ou changer la nature du régime, comment expliquer cette débauche d’énergie et ses initiatives, jusqu’à présent timides, demandant qui un troisième mandat, qui une révision de la Constitution. Ne dit-on pas qu’il n’y a pas de fumée sans feu ?
Spécialiste des coups d’éclat, Ould Aziz aura réussi, avec cette visite, à faire passer, au second plan, non seulement, le dialogue politique mais, aussi, la grève à la SNIM. L’opposition, qui a réussi, elle, une fois n’est pas coutume, à se mettre d’accord sur des préalables, lui a renvoyé la patate chaude et attend une réponse. Quant aux ouvriers de la SNIM, ils ont donné, eux, une belle leçon de courage et de persévérance, refusant de plier aux injonctions. Ce que n’apprécie que modérément un général habitué à donner des ordres. Dans quelques jours, quand la visite sera finie, il va bien falloir revenir sur terre, répondre à l’opposition et trouver une solution à la crise qui paralyse la société minière…
                                                                                  Ahmed Ould Cheikh

lundi 23 mars 2015

Editorial: pays du million de mirages...

Après avoir perdu le Nord, avec cette grève qui traîne en longueur à la SNIM et face à laquelle il a décidé de rester impassible, en dépit des rumeurs de négociations, perpétuellement en instance plutôt que réellement en cours, Ould Abdel Aziz est parti à la conquête de l’Est. Considérées, plus à raison qu’à tort, comme un réservoir électoral pour tous les pouvoirs, ces régions, où sévissent encore chefs traditionnels, roitelets et fils de « grandes » familles, ont reçu, à partir du lundi 16 Mars, la « visitation » de l’éclairage présidentiel. Depuis plusieurs semaines déjà, c’est le branlebas de combat. Les réunions familiales se sont succédé aux réunions tribales. Aucune collectivité ne voulait rester en reste. Toutes ont mobilisé leur monde, collecté de l’argent, pour que, le jour J, leur accueil ne soit pas moins important, ni moins imposant que celui des autres localités visitées. C’est la course à qui amènera le plus de monde, de Nouakchott et d’ailleurs, pour garnir les rangs des accueillants. Même Nbeïket Lahwach, au fin fond du diable, donnera l’air, le jour de l’arrivée de la Lumière en chef, d’une ville où la densité de la population rivalise avec celles de Calcutta ou de Mexico. Le problème est qu’Ould Abdel Aziz, bien qu’il en ait vu d’autres, lorsqu’il gravitait dans le giron de Maaouya, finira par croire, comme son mentor, que ce « beau » monde est entièrement acquis à sa cause. Le pouvoir grise. Jusqu’au jour où il comprendra que tout ceci n’était qu’un cinéma destiné à entretenir une illusion de soutien au pouvoir sans lequel rien ne peut se faire dans le pays. Mais il sera trop tard.
L’UPR, ce PRDS des temps modernes, n’a pas voulu être en reste. Son président, à la tête d’une forte délégation, est déjà arrivé à Néma, pour participer à l’accueil. Après avoir demandé, aux « structures centrales et régionales du parti, d’être en état de mobilisation permanente, pour assurer la réussite de la visite du Président Fondateur (le PF cher à Mamane) du parti et Président de la République, Son Excellence Mohamed ould Abdel Aziz ». Tout un programme.
A présent que les hommes et les moyens sont mobilisés, à quoi faut-il s’attendre ? Que nous réserve notre Rectificateur en chef ? Quelles « bonnes » nouvelles va-t-il enfin nous annoncer, en cette période de grisaille ? Comme il n’a pas prévu de meetings populaires, Ould Abdel Aziz devrait se contenter d’inaugurations de quelques menus projets et de réunions de cadres, en dehors d’un passage en revue de « ses » troupes. A l’heure où l’on évoque la possibilité, plus que probable, d’un changement de Constitution, par referendum, pour passer d’un régime semi-présidentiel à un parlementaire, le Président entend certainement prendre l’avis de la Mauritanie des profondeurs. Comme si elle en avait eu déjà eu un. Comme si elle n’avait toujours répondu, au doigt et à l’œil, au locataire du palais gris, quel qu’il soit.
Ceux qui bousculeront pour saluer et applaudir l’Eblouissant, l’ont déjà fait à d’autres et le feront, dans quelques jours, quelques mois, quelques ans – demain, somme toute – lorsque son tombeur entreprendra, lui aussi, une « visitation » tout aussi en règle que celle-là. Pour l’éblouir, à son tour, de la même illusion. Les peuples ont la mémoire courte. Leurs dirigeants apparemment aussi. Mais, au pays du million de mirages, c’est plus qu’un constat : une vraie tradition, un protocole obligé. Au moindre souffle de vent, la trace d’hier, si convaincante, si convaincue, s’efface…

                                                                                                           Ahmed Ould Cheikh

dimanche 15 mars 2015

Editorial: Vrai-faux leurre?

Que nous mijote encore notre guide éclairé ? Après avoir reçu, la semaine dernière, les députés de la Majorité, auxquels il a  tenu un discours que peu d’entre eux ont compris, il s’est rendu à l’état-major général des Armées, où il s’est entretenu avec les officiers supérieurs. Les deux piliers de son pouvoir, en somme. Qu’il a voulu rassurer ? Ou embarquer dans une nouvelle aventure ? Et le voilà à refaire encore parler de lui, en recevant les élus les deux Hodhs, Charghi et El Gharbi, qu’il s’apprête à visiter au cours des prochaines jours. A l’heure où l’on parle, de plus en plus, de dialogue entre le pouvoir et l’opposition, cette cascade d’événements ne peut être dénuée de signification. Ould Abdel Aziz veut-il assurer ses arrières et se présenter au futur dialogue en position de force ? Ou prendre tout son monde à contre-pied, endormir l’opposition, occupée à se mettre d’accord sur les préalables du dialogue, et lâcher une bombe ? Quel autre sens à  cette tournée, au pied levé, de toutes les moughataas du pays, en commençant par l’Est? Une phrase, lors de l’audience accordée aux députés de la Majorité, prend ici tout son sens : « Le changement de la Constitution ne se fera que par referendum ». Aziz, qui a besoin du soutien de « sa » majorité, de « son » armée et de « ses » pauvres, ira-t-il jusqu’à prendre le risque de tenter une modification du texte fondamental de notre démocratie ? A plus de quatre ans de la fin de son deuxième –et dernier ? – mandat, ce serait un gros challenge, non dénué de dangers. Mais peut-être n’ira-t-il pas jusque-là, se contentant de la carte ainsi nouvellement en main, pour amener l’opposition à mettre un peu d’eau dans son zrig et à ne plus considérer qu’il n’aurait proposé le dialogue que contraint et forcé. Manœuvres, manœuvres…
En tout état de cause, ces agissements sont tout sauf fortuits. L’opposition est une fois encore avertie et n’a plus droit à l’erreur. Elle a donc tout intérêt à garder les accords de Dakar en ligne de mire, peser le pour et le contre et éviter de sombrer dans la facilité, comme lors de la « balle amie » de 2012, persuadés qu’étaient ses leaders de ce que le pouvoir leur tendait les bras. Ce n’est pas parce qu’Ould Abdel Aziz est allé à l’état-major, comme de Gaulle à Baden Baden, en Mai 68, alors que les événements n’étaient plus sous contrôle à Paris, qu’il faut déjà vendre la peau de l’ours. En Mauritanie, la situation, quoique délicate, est encore maitrisée, Ould Abdel Aziz n’est pas de Gaulle pas plus qu’Ould Ghazouani n’est le général Massu. La question reste, de fait, celle de l’importance réelle du dialogue, dans l’esprit de chaque partie. Ecran de fumée ou authentique préoccupation ? On en est toujours là.

                                                                                                     Ahmed Ould Cheikh

dimanche 8 mars 2015

Editorial: Rectification de la Rectification?

Après une série de réunions-marathons, discussions, communiqués, qui ont failli faire voler en éclats le consensus qui prévalait en son sein ; après avoir fait monter les enchères, avec des préalables presqu’impossibles à satisfaire ; le Front National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU) est revenu « sur terre ». Réuni la semaine dernière, son pôle politique s’est finalement mis d’accord sur un certain nombre de points dont la satisfaction signera le succès du futur dialogue avec le pouvoir. La dissolution du BASEP et l’enquête sur les biens de l’ancien colonel Cheikh ould Baya, sur lesquelles les partis n’étaient pas d’accord, ont été expurgées de la mouture finale. Le sort du BASEP sera discuté au cours du dialogue proprement dit. Quant aux biens dudit colonel, ils resteront là où ils sont, loin des regards indiscrets.
Quel sort réservera Ould Abdel Aziz aux préalables de l’opposition ? C’est, évidemment, la nouvelle question à l’ordre du jour. Certes, il a déclaré qu’aucun sujet n’était tabou et que le dialogue était une ligne de conduite dont il ne s’était jamais départi. Il l’a d’ailleurs répété, mercredi dernier, lors de l’audience accordée aux parlementaires de la majorité. Comme pour les mettre en garde contre toute voix discordante et les préparer, on ne sait jamais, à une dissolution de l’Assemblée nationale. Au cas où le dialogue aboutirait. Certains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en exprimant leur crainte d’avoir à se représenter devant leurs électeurs, alors que leurs promesses sont toujours là, béantes, sans ne serait-ce qu’un début de commencement d’exécution. Mais, de cela, le rectificateur en chef n’en a cure. Le Parlement, c’est le sien et les députés, un bataillon à (dé)mobiliser selon les circonstances. Tout le monde revoit encore les députés montant au créneau contre un président démocratiquement élu, au profit d’un général frondeur… C’était en 2008 et ceux-là accouraient à cautionner le coup d’Etat. S’attendre à quoi que ce soit, du moins de positif, de la part de tels « élus » ? Allons donc, un peu de jugeote, tout de même…
Ould Abdel Aziz aura bien raison de les renvoyer, à la première occasion. Mais en a-t-il vraiment l’intention ? Et si tout cela n’était qu’une mise en scène, destinée à occuper l’opinion et la détourner de ses multiples problèmes ; hisser, enfin, l’ex-général putschiste au rang de champion du dialogue démocratique ; ou, plus prosaïquement, tenter de diviser encore l’opposition, comme en 2011 ? Il faut dire qu’il a bien failli réussir. Le FNDU n’était pas loin de partir en lambeaux et, n’eût été la sagesse de certains, le spectacle allait être hideux. L’image d’une opposition divisée, incapable de s’entendre sur un minimum syndical, n’était pas loin.
Mais, bon, la guerre de Troie n’a pas eu lieu. Du moins, pour le moment. Et, côté majorité, on n’entend plus, officiellement, que des « Oui, chef ! ». « A chaque claquement de talons, une intelligence s’éteint », disent les Français… Enfin, bref, ne mégotons pas, tout semble en place pour le bal nouveau. Et pas n’importe lequel : la Rectification de la Rectification ! A moins que, pour finir, un général ne signe… et puis oublie qu’il a signé. Les paris sont ouverts !
                                                                                                     Ahmed Ould Cheikh

dimanche 1 mars 2015

Editorial: Dialoguer pour survivre

Depuis quelques semaines, on ne parle que de ça. Dialogue par-ci, dialogue par-là. FNDU ici, RFD là bas. Comme si le pays n’avait, pour l’heure, qu’un seul souci : le dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Comme si la SNIM n’était pas en grève. Comme si le prix du fer n’était pas en chute libre. Comme si le pétrole ne s’était pas tari. Comme si les négociations, avec l’Union européenne, pour l’accord de pêche, n’avaient pas fini en queue de poisson. Comme si la sécheresse ne menaçait pas de décimer notre cheptel. Comme si notre rêve de produire de l’électricité à partir du gaz ne s’est pas transformé en cauchemar. Comme si la gabegie, le détournement des deniers publics et le népotisme n’avaient pas atteint des records inégalés. N’empêche ! Le dialogue sera notre bouée de sauvetage, l’ultime recours pour nous sortir de l’impasse. Du moins, nous empêcher d’y penser. Et telle une morte de faim, l’opposition saisit la balle au bond.
Depuis, les réunions se succèdent. On ne parle que de préalables, de conditions, de propositions et de contre-propositions. A toutes fins utiles, il ne serait pas superflu de rappeler, aux plus optimistes, à ceux qui croient aux « vertus » du dialogue qu’un des points de l’Accord de Dakar s’intitulait « De la poursuite du dialogue national inclusif ». Il disait, notamment : « Cet accord ne met pas fin à la poursuite du dialogue national sur les autres questions qui peuvent renforcer la réconciliation nationale et la démocratie. Dans le prolongement de l’élection présidentielle, le dialogue national inclusif sera poursuivi et intensifié entre toutes les forces politiques mauritaniennes en vue, notamment : du renforcement des assises et de la pratique de la démocratie pluraliste, ainsi que de la prévention des changements anticonstitutionnels de gouvernement, y compris la réforme des institutions nationales de sécurité ; de la promotion de la bonne gouvernance politique et économique ; de l’Etat de droit et du respect des droits de l’Homme ; de l’élaboration et de l’adoption des réformes susceptibles de renforcer le bon fonctionnement et l’équilibre des institutions de la République ; de la possibilité d’arrangements politiques de partenariat dans l’exercice du pouvoir et des perspectives de tenue d’élections législatives anticipées […] »
Six ans après la signature de cet accord devant les Nations Unies, l’Union Africaine, l’Organisation Internationale de la Francophonie et la Ligue arabe, qu’en a-t-il été réalisé ? N’a-t-il pas été jeté au mur, sitôt la présidentielle achevée ? Les tenants de la majorité, chef en tête, n’ont-ils crié sur tous les toits, une fois la victoire en poche, que cet accord n’était pas le Coran ? Autrement dit, qu’il n’y avait aucune obligation à s’y conformer. C’était oublier, un peu vite, que Le Livre Saint exige, pourtant et vivement, de respecter ses engagements. Se déciderait-on, aujourd’hui, à des comportements enfin plus islamiques ? Et jusqu’à quel point ? Qu’adviendra-t-il, en effet, d’un accord obtenu au forceps, paraphé entre quatre murs et rien qu’entre nous ? Ce n’est pas seulement dans l’urgence qu’il nous faut penser non pas dialogue tout cours mais dialogue sérieux et sincère pour nous sortir de ce mauvais pas. C’est une condition existentielle, aujourd’hui, sur la planète Terre et d’autant plus impérative qu’on y pèse peu… Soyons enfin lucides…
                                                                                                     Ahmed Ould Cheikh