samedi 22 décembre 2018

Editorial: Jusqu'à quel mur?

A moins de six mois d’une présidentielle décisive pour l’avenir du pays, la situation est tout, sauf claire. Ould Abdel Aziz, qui achève son second et dernier mandat, ne cesse de s’empêtrer dans des déclarations parfois contradictoires. Un jour, il respecte la Constitution et se retirera à la fin de sa délégation ; un autre, il y reviendra, dès que le texte fondamental le lui permettra. Avec, tout dernièrement, cette trouvaille : « je ne quitterai pas le pays, je continuerai à y jouer un rôle politique et, pourquoi pas, diriger mon parti et organiser ma majorité ». Ou l’art de s’ingénier à garder le pouvoir, tout en le quittant formellement. De quoi donner le tournis au plus intrépide des laudateurs. Son dauphin ? Il n’a toujours pas choisi. Ould Ghazouani ? Un ami fidèle parmi d’autres. Pourtant celui qu’on présente comme son alter ego paraît le mieux placé – au sein de l’actuelle majorité, en tout cas – pour reprendre les commandes. Réputé calme et pondéré, il bénéficie d’une image favorable dans l’opinion publique, y compris dans l’opposition envers laquelle l’actuel président n’affichait guère de respect et ne manquait aucune occasion de le lui faire savoir, en termes à peine voilés. Cela dit, Ould Abdel Aziz n’entend pas lâcher prématurément  le moindre lest. Annoncer un peu tôt vers qui penchent ses préférences, c’est risquer voir ses flancs se dégarnir. Il en est conscient, et habitué, militaire dans l’âme, à vivre entouré de ses troupes, compte rester maître du jeu, jusqu’à la dernière minute. Mais il arrivera bien un jour où lui faudra rendre tablier. Et les comptes avec ?
C’est déjà ce que sous-entend Boubacar Sadio, commissaire de police à la retraite, dans son pamphlet a priori réactif à la publication, par le président Macky Sall, de son auto-satisfecit : « Sénégal au cœur » ; mais dont on peut aisément entendre le caractère transnational… comme en témoignent les divers sous-titres qu’il a donnés à sa diatribe : des contre-vérités et des mensonges ; de la fourberie et de la tromperie ; des reniements et des abjurations ; de la parole donnée et trahie ; des promesses mutilées et des engagements oubliés ; des détournements de deniers publics ; de la vassalisation de l’Assemblée nationale ; de l’instrumentalisation de la justice ; de l’éloge de la transhumance ; des faux rapports de présentation ; du délit d’initiés dans l’attribution de blocs pétrolifères ; du favoritisme et du clanisme ; de l’ethnicisme dans les nominations ; de la politisation outrancière de l’administration ; du bradage des réserves foncières ; de la négation des valeurs positives ; de la répression comme mode de gestion ; de la restriction des libertés publiques ; de l’impunité et de la non-redevabilité ; de l’arrogance et de l’indécence ; de l’achat de conscience ; des délinquants économiques protégés ; de l’insécurité grandissante ; de l’éducation chahutée et de la santé méprisée ; des intellectuels et des patrons de presse stipendiés ; des populations réduites en bétails électoraux ; du processus électoral vicié et vicieux ; des marchés de gré à gré sur des montants astronomiques ; de l’incompétence et de la médiocrité.
Mauritanie et Sénégal, même combat ? En tout cas, l’ardoise s’annonce, ici et là, particulièrement salée. Et si l’on ne compatit pas forcément aux soucis de ses débiteurs, on comprend leur obstination à garder, tête baissée,  les mains sur le guidon… jusqu’à quel mur ?
                                                           Ahmed Ould Cheikh

dimanche 16 décembre 2018

Editorial: Vox populi....

La photo  a fait le tour du Web et n’a pas manqué de susciter railleries et sarcasmes de la part des internautes. Trois présidents, serrés, comme des sardines, sur un seul canapé, face à un ministre des Affaires étrangères, pratiquement allongé, lui,  sur un autre à lui tout seul. Trois chefs d’Etat – Mauritanie, Tchad et Niger – recevaient en audience Jean-Yves Le Drian, lors du sommet des donateurs du G5, tenu il y a quelques jours à Nouakchott. On savait la France très à cheval sur les formes, lorsqu’il s’agit de son pré carré africain, mais, là, c’en est trop. Qu’autant de chefs d’Etat en exercice s’abaissent à tant de servilité, à l’égard de l’ancienne puissance coloniale, parce qu’elle a promis un peu d’argent pour financer quelques activités du G5, dépasse l’entendement. D’autant plus que la France n’a plus rien à promettre, parce qu’elle n’a plus rien. La secouant jusque dans ses fondements, le phénomène des gilets jaunes est la preuve formelle de sa faillite programmée. Elle n’a plus d’autre choix, pour espérer survivre, que de pressurer les pauvres citoyens, via impôts et taxes des plus élevés au monde. Et à bander les muscles, chaque fois qu’un petit roitelet africain, parmi ceux qu’elle maintient en exercice contre l’avis de son peuple, essaie de sortir la tête de l’eau. Le FCFA qui permet, à l’ex-puissance, d’encore maintenir le système financier des pays africains dans son giron est, sans doute, le système le plus inique au monde. Et tout chef d’Etat qui le conteste risque de finir comme Sankara ou Kadhafi. L’Etat français ne badine pas avec ses intérêts. Et les chefs d’Etat du G5 sont « priés » de le comprendre. Quand Le Drian les convoque, ils n’ont qu’à s’exécuter. Sinon, la France risque de les laisser tous seuls, face à l’ogre terroriste qui leur a déjà fait tant de mal. Hommes et matériel, ils ont pourtant de quoi  combattre les quelques centaines de barbus agités (tout au plus) mais la désorganisation, l’absence de coordination, la manque de motivation, la corruption qui gangrène les armées, entre autres, empêchent ces pays d’être autonomes. Et la France joue sur cette fibre, en leur suggérant que, sans elle, la sécurité ne peut être assurée au Sahel. Dociles comme des agneaux, nos présidents ne se font pas prier, pour se décharger sur une armée étrangère, certes plus puissante que les leurs mais pas plus aguerrie, ni plus à l’aise sur le terrain. « Celui qui se cache derrière les jours est nu », dit un dicton bien de chez nous. Il arrivera bien un moment, proche sans doute, où ces Etats ne pourront plus se cacher derrière le paravent français et devront assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Ce jour où l’Etat français se trouvera obligé de lire plus attentivement l’article 23 de la Charte officielle des Gilets jaunes, si majoritairement soutenus par les électeurs de l’Hexagone : « Cesser le pillage et les ingérences  politiques et militaires. Rendre l’argent des dictateurs et les biens mal acquis aux peuples africains. Rapatrier immédiatement tous les soldats français. Mettre fin au système du FCFA qui maintient l’Afrique dans la pauvreté. Tisser des rapports d’égal à égal avec les Etats africains ». La voix du peuple n’est-elle pas celle de Dieu ?
                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh

samedi 8 décembre 2018

Editorial: Fissure....stratégique

La décision « historique » d'Interpol d’effacer les « notices rouges » concernant Mohamed ould Bouamatou et Mohamed Debagh fera date. En relevant « la dimension politique prédominante dans cette affaire », l’organisation internationale impose, en effet, de pertinentes  limites au droit des Etats à poursuivre leurs ressortissants. Et, certes, comme ont rappelé ses avocats, maîtres William Bourdon et Elyezid Ould Yezid, ce plus polichinelle des secrets, « Ould Bouamatou n'a jamais caché qu'il soutenait légalement l'opposition mauritanienne, notamment financièrement, afin de favoriser la démocratie en Mauritanie ». 
La supercherie azizienne – crimes transfrontaliers ? Expert en la matière, notre Ghanagâteur national n’a jamais eu froid aux yeux… –  aura tout même tenu assez longtemps pour empocher des élections municipales, régionales et parlementaires où l’argent de Bouamatou aurait, évidemment, apporté un contrepoids, certain, aux corruptions en tout genre ouvertement développées par le pouvoir… Lendemains qui déchantent ? Quoique la justice mauritanienne se révèle toujours impuissante à émettre – et pour cause – le moindre jugement dans le dossier « Bouamatou et consorts », l’objective position d’Interpol ne signifie pas encore la liberté retrouvée de mouvements et d’actions de notre célèbre mécène – et opposant déclaré – en sa propre patrie. Mais, patience, cher Mohamed : le mensonge est bel et bien fissuré. De bon augure, à quelques mois de la présidentielle ?
De quoi,  en tout cas, se tâter, « là-haut » : repriser, à la hâte, le tissu de calomnies, au risque de le voir se déchirer définitivement et de se retrouver embourbé, jusqu’au cou, sinon par-dessus la tête, dans l’infâmerie d’une ingratitude enfin étalée à la face du monde, après celle de la Mauritanie ? Ou feinter, gagner du temps, s’éclipser, en douce, en « abandonnant » la place à un alter ego moins mouillé, et juste assez de champ, à l’opposition, pour se parer, lui, du titre de promoteur d’une démocratie en gestation…  au risque d’assister à sa naissance prématurée ? On a dit, à tort ou à raison, Ould Abdel Aziz fin stratège. S’il se croit peut-être le meilleur, cela laisse à supposer qu’il sait n’être pas seul, en cet art d’autant plus difficile qu’il y a toujours, au-dessus de « là-haut », un « encore-plus-là-haut ». Fortuite, donc, la décision d’Interpol, dans le puzzle de la politique mauritanienne ? Ouvrez grand les yeux, messieurs-mesdames, la partie n’est plus tout-à-fait fermée…
                                                                    Ahmed Ould Cheikh

lundi 26 novembre 2018

Editorial: Bons amis...

La nouvelle a fait sensation et ne  cesse de faire le buzz dans les media et les réseaux sociaux. Un comité interministériel de sept ministres, présidé par le premier d’entre eux, a attribué, le 5 Octobre dernier, une concession de trente ans, portant sur le financement, la construction et l’exploitation d’un terminal à conteneurs et d’une jetée pétrolière, au port autonome de Nouakchott, à la société ARISE-Mauritanie dont le représentant local ne serait autre que… le beau-fils du président de la République. Deux jours plus tôt, le Comité permanent de la Commission nationale du contrôle des marchés publics, s’était réuni, avec une célérité qu’on ne lui connaît qu’en matière de marchés « sensibles », pour déclarer qu’il n’avait pas d’objection audit projet. La ficelle était pourtant trop grosse. Pourquoi ladite Commission, censée vérifier la régularité de tous les marchés, n’a-t-elle pas pris le temps d’étudier le dossier, demander plus de précisions, se renseigner sur la société et exiger, pourquoi pas, un appel d’offres international, histoire d’attribuer le marché à la société la plus disante, en termes d’investissements, production d’emplois et de retombées financières sur le pays ? Pourquoi OLAM, une société indienne spécialisée dans l’agro-alimentaire, si elle n’a pas bénéficié d’un bon coup de piston ? Partout sur la planète, les ports sont devenus, depuis quelques années, l’objet de luttes acharnées, entre multinationales prêtes à tout pour obtenir leur gestion. Celui de Nouakchott ne déroge pas à la règle. Dans ces conditions, pourquoi n’avoir pas fait jouer la concurrence, si le gouvernement veut en privatiser une partie et n’a que l’intérêt du pays en ligne de mire (CQFD) ? La convention, passée, comme une lettre à la poste et pour cause, ne tarde pas à être exposée sur la place publique. Dans un pays normal, où les gouvernants entretiennent un minimum d’éthique, ce genre de marché donnerait lieu à des démissions en cascade, des procès à la pelle et ses auteurs livrés à la vindicte populaire, pour le restant de leur vie. Mais, en Mauritanie nouvelle, tout est permis – seulement à certains – comme vendre une centrale électrique trente millions d’euros plus cher que ses concurrents, parce qu’on est adossé à un membre du clan, piller les sociétés d’Etat (comme la SNIM qui croule sous le poids de la dette et qui risque de mettre la clé sous le paillasson) ; en fermer certaines, effaçant ainsi toute trace de pillage ; fonder des sociétés ex nihilo et leur attribuer autant de marchés qu’on veut. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, tant le pays est en coupe réglée, depuis une décennie. Face au tollé provoqué par l’affaire et en l’absence de réaction officielle, Ould Djay, le ministre de l’Economie et des Finances, l’un des signataires de la convention, donne certaines précisions sur sa page Facebook. Selon lui, la société paiera, au port autonome, cinquante dollars, pour chaque conteneur vingt pieds, et soixante-quinze, pour celui de quarante ; plus deux dollars par mètre cube d’hydrocarbures débarqué. Ce qui permettra, au PANPA, d’engranger cinq cent cinquante millions de dollars en trente ans, soit deux milliards d’anciennes ouguiyas par an. La société réalisera un investissement de trois cents quatre-vingt-dix millions de dollars  et créera sept cent cinquante emplois pendant les travaux et cinq cents permanents. Clap, clap ! Tout ceci est bien beau mais… il y a anguille sous roche. C’est-à-dire, toujours la même lancinante question : comment peut-on attribuer marché d’une telle ampleur sans faire jouer la concurrence ? Monsieur  le ministre, dites-vous bien qu’il arrivera un jour – imminent, on l’espère – où vous aurez, tous, à rendre comptes. Ils font les bons amis, dit-on. A condition, bien sûr, qu’ils soient eux-mêmes bons…
                                                                        Ahmed Ould Cheikh

dimanche 11 novembre 2018

Editorial: Déformation gouvernementale

Après plusieurs semaines d’attente, notre gouvernement a été enfin formé. Comme les Belges, il y a quelques années, on aurait pu rester plus de six mois sans gouvernement et l’on ne s’en porterait, à coup sûr, que mieux. La nouvelle est tombée deux journées à peine après la débâcle d’Arafat dont la bataille a mobilisé la cour et l’arrière cour de la République, qui a vu rappliquer colonels, généraux, ministres, secrétaires généraux, conseillers, hommes d’affaires dans ce grand bourg nouakchottois, pour tenter l’impossible mission d’arracher cette commune à l’opposition, particulièrement au parti islamiste qui la gère depuis 2006. A l’issue d’un troisième tour totalement illégal, la victoire est revenue, encore une fois, à ceux qui l’avaient remportée, haut la main, à l’issue des deux tours précédents, sans bourrage ni trucage. Il fallait donc parer au plus pressé, faire oublier cette déculottée monumentale. Aussitôt dit, aussitôt fait : le Premier ministre présente la démission de son gouvernement. Ce qui aurait dû être fait à l’issue des élections législatives a été retardé sciemment, en l’attente du « bon » timing. Il vient avec cette défaite d’Arafat qu’on a voulu faire oublier rapidement, à une opinion publique friande de sensations. Et la manœuvre a réussi. Tous les regards se sont tournés vers la Primature et les supputations allaient bon train. Le Premier ministre tant décrié allait-il être maintenu ? Il en était persuadé, semble-t-il. Il avait peut-être encore quelques comptes à régler. Mais ses prévisions n’ont pas tardé à tomber à l’eau. Celui qu’il craignait le plus et sur le dos duquel il avait fait fuiter, dans la presse, un rapport sur la gestion de la SNIM qu’il dirige, est choisi pour lui succéder. Mohamed Salem ould Béchir, puisque c’est de lui qu’il s’agit, partage, avec son prédécesseur, au moins un point commun : c’est la voix de son maître. Fidèle exécutant, il a toujours travaillé conformément aux orientations du boss et à la volonté du clan, tant à la SOMELEC, qu’au ministère du Pétrole ou à la SNIM qu’il a trouvée, certes, en état de mort clinique.
C’est donc à lui qu’incombe la mission de « former » un gouvernement qui n’aura de nouveau que le nom. Un gouvernement qui aura péché par incompétence et qui sera pourtant reconduit, dans son écrasante majorité. Seuls quatre ministres sont renvoyés et l’on se demande bien  sur quels critères les autres ont été maintenus. Certains, pour ne pas dire la majorité, ont échoué dans la gestion de leur département. D’autres ont fait chou blanc, lors des dernières élections. Et aucun de ceux qui se sont investis, corps, biens et âme, à Arafat, n’en a payé le prix. La sanction et la récompense ont-elles disparu de notre vocabulaire ? Cédant la place à la servilité et l’obséquiosité, conditions semble-t-il sine qua non au maintien en cour, pour ne plus dire fonction, tant le terme paraît-il aujourd’hui si peu approprié à l’emploi gouvernemental.
                                                                                          Ahmed Ould Cheikh

dimanche 21 octobre 2018

Editorial; Pitié!

Finies, les élections. Pliées. Comme on s’y attendait : au profit du parti au pouvoir. Avec, dans son escarcelle, une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, dans les mairies et la totalité des conseils régionaux. Rien que des miettes à l’opposition qui a fini par regretter d’avoir participé à la mascarade. Et qui risque de se voir ravir les communes d’El Mina et d’Arafat, où elle a pourtant gagné, haut la main, à l’issue d’un troisième tour décidé, contre toute logique, par une Cour Suprême dont la célérité devient douteuse, chaque fois que l’UPR introduit un recours. Le recomptage des voix, dans ces deux mairies, ayant donné la coalition de l’opposition gagnante, on se demande bien qu’est-ce qui pourrait justifier un nouveau vote. Si ce n’est la volonté du pouvoir qui a tout fait pour arracher ce bastion qu’est devenu Arafat ; et qui a lamentablement échoué, malgré une débauche de généraux, de colonels et de moyens. Il ne lui reste plus, à présent, qu’à organiser une autre mascarade, contre l’avis de la Commission électorale (dont le président a dénoncé, ouvertement, cette procédure, considérant que les résultats étaient plus que fiables) et décréter ses candidats vainqueurs. Ce vers quoi l’on s’achemine, le 27 Octobre prochain. La guerre enclenchée contre Tawassoul, depuis l’annonce des résultats des élections législatives (qui en font le premier parti d’opposition), n’a toujours pas dit son dernier mot. Après la fermeture du Centre de formation des Oulémas et de l’université Ibn Yacine, place aux coups sous la ceinture ! Quitte à discréditer tout un processus, remettre en cause des résultats certifiés, mettre hors-jeu, et la CENI et le Conseil Constitutionnel, impliquer une Cour suprême qui doit rester indépendante, au-dessus de la mêlée, et annuler une élection qui reflète la volonté populaire. Ne soyez pas surpris si, demain, des unités de l’Armée sont appelées en renfort, non pour assurer la sécurité mais pour voter et faire pencher la balance en faveur de l’UPR. Même si leurs noms ne figurent nullement sur les listes électorales. Comme cela s’est vu en certaines localités « importantes » où l’opposition était sur le point de gagner. Il n’y a donc plus de honte, dans cette Mauritanie nouvelle où l’on peut avoir recours, si l’on n’a pas la possibilité de gagner loyalement, à toutes les méthodes y compris la reconvocation des électeurs, non pas dans un ou deux bureaux litigieux, mais toute une circonscription. Du jamais vu, même au temps où l’élection signifiait fraude, où les résultats étaient proclamés alors que le dépouillement était encore en cours. Elle est atypique cette Mauritanie, vous dis-je. Un pays bizarre où l’on n’organise pas une élection pour la perdre, où les (anciens) militaires ont droit de vie et de mort sur nous, où tout le monde scrute le moindre fait et geste du Président, pour savoir s’il va, anomalie suprême, respecter un serment déclaré devant Allah, la Communauté nationale et internationale. Où des élus invitent, ouvertement, à violer la Constitution, où le parti aux commandes ne reste superpuissant que jusqu’au jour où son fondateur disparaît, où le gouvernement détient la palme d’or de l’incompétence et de l’inconsistance… Pitié, n’en jetez plus, la cour est pleine...
                                                                                                       Ahmed Ould Cheikh 

lundi 8 octobre 2018

Editorial: Et pourtant elle tourne...

« Je soutiendrai un candidat en 2019 » ; « je ne modifierai pas la Constitution » ; « les députés peuvent voter des amendements constitutionnels mais pas nécessairement relatifs au mandat » ; « si vous voulez un troisième, un quatrième mandat ou, même, un royaume, donnez une majorité écrasante à l’UPR » ; « je ne laisserai pas la Mauritanie retomber entre les mains de ceux qui lui ont déjà fait tant de mal, par le passé » : le moins qu’on puisse dire est qu’en quelques mois et quelques mots, Ould Abdel Aziz nous a donné le tournis. A six mois d’une élection majeure, décisive pour l’avenir du pays, personne ne sait à quoi s’en tenir. Le Président le sait-il d’ailleurs lui-même ? Entre hésitations, atermoiements et déclarations contradictoires, il n’a apparemment pas encore fait le deuil de la Présidence. Son désarroi est visible, lorsqu’il évoque la question des mandats. Malgré deux conférences de presse en moins d’un mois, il n’a toujours pas convaincu. Ni ceux qui lui demandent, ouvertement, de fouler au pied la Constitution et de « continuer son œuvre de construction nationale », encore moins ceux qui gardent encore un faible espoir de le voir raison garder et de ne pas s’aventurer sur un chemin si dangereux, pour lui et pour le pays. Il maintient visiblement le flou… en attendant une éclaircie qui permettrait de faire avaler cette couleuvre ? La caution de la France ou le feu vert de l’Armée ? Deux impondérables qui lui tiennent à cœur. L’avis de la population ? Il n’en a que faire. Il tient en si petite estime ce pays, son peuple et sa classe politique qu’il n’a pas hésité à renverser un président élu, changer son hymne national et sa monnaie, piétiner ses symboles, falsifier son histoire  et l’appauvrir encore plus. Dans un contexte où, il est vrai, tout lui a souri mais jusqu’à quand ? La roue tourne et l’on ne peut rester éternellement du bon côté.
« Le pouvoir », disait feu Moktar ould Daddah, « a un goût ». Il faisait allusion, dans un style qui lui est propre, aux tentations et à l’impossibilité de s’en défaire volontairement. Jamais cette formule n’a trouvé autant de sens qu’avec Ould Abdel Aziz. L’homme, qui a pris le pouvoir parce qu’un président de la République, chef suprême des forces armées, a usé de ses pouvoirs régaliens, ne veut plus rien lâcher. Il se considère, désormais, comme notre tuteur sans lequel ce pays serait parti, depuis longtemps, à vau-l’eau. Rappelons-lui, s’il l’a oublié, que c’est à partir de rien qu’Ould Daddah mit en place les fondements de l’Etat, dirigea celui-ci pendant dix-huit ans, Maaouya vingt-et-un. Ils sont partis, la Terre n’a pas arrêté de tourner et la Mauritanie avec, à son rythme…
                                                                                Ahmed Ould Cheikh 

lundi 24 septembre 2018

Editorial: Un pas vers 2019

La situation se répète à chaque élection. Invariablement. Le peuple est appelé à voter ; on lui fait miroiter l’espoir que sa volonté sera respectée ; la campagne électorale prend, chaque fois, des allures de fête foraine ; les portraits des candidats sont affichés partout ; les logos et les slogans foisonnent ; les media publics sont, une fois n’est pas coutume, ouverts à tous, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité ; tout a l’allure d’une démocratie réelle où un homme égal une voix…. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
Car, entre l’une et les autres, il y a un chef d’orchestre. Plus précisément, le président en exercice de la République, auto-promu directeur effectif de campagne du parti au pouvoir. Il sillonne le pays, tient meeting sur meeting, reçoit, promet, menace, tempête et sort même, parfois, de ses gonds. Les généraux sont mobilisés. Les hommes d’affaires et les banquiers obligés de débourser et de battre campagne. Un redressement fiscal plane sur leurs têtes, comme une épée de Damoclès. Leur préférence doit aller au parti du chef. Interdit de s’afficher ailleurs ou de donner la moindre ouguiya à un autre parti ! Les notables et autres gabegistes recyclés sont appelés à la rescousse, pour monter la « bonne » voie aux électeurs. L’opposition est diabolisée, vouée aux gémonies et nul n’a le droit de lui manifester la moindre sympathie, s’il veut conserver ou prétendre à la moindre petite fonction dans un État mafieux qui classe ses ressortissants selon leur appartenance politique. L’armée, comme d’habitude, est appelée en renfort. Des régiments entiers, encadrés par leurs chefs, votent un peu partout, souvent sans être inscrits sur les listes électorales. Ils feront pencher la balance en faveur des candidats du pouvoir. Les représentants de la Commission électorale, jugés peu dociles face aux injonctions des notabilités, sont mutés sans autre forme de procès. Ajoutez, à ce sombre tableau, les pressions en tous genres exercées sur les électeurs, l’achat des consciences, le bourrage des urnes par des gens sans scrupules ; les votes multiples, le déplacement en masse des électeurs pour voter dans des zones où ils n’ont aucune attache et l’utilisation de l’argent sale. Comment parler d’élections honnêtes et transparentes, dans ces conditions ? Comme toutes celles que le pays organise, depuis l’avènement de cette pseudo-démocratie octroyée par les militaires en 1991. Aucune n’a dérogé à la règle. Toutes étaient des simulacres de consultation électorale, des pièges à cons, des pièces de goût où le recyclage, parfois, même, l’acharnement thérapeutique, sont de règle. Où même les apparences ne sont plus sauves. Où la forme n’est pas respectée. Où la commission chargée de les organiser n’a pas fait l’objet d’un consensus et dont les membres sont choisis sur des critères paternalistes. Où l’administration affiche un parti-pris flagrant.
Un système bâti de la sorte ne peut que générer fraude, dévoiement de la volonté des uns et des autres  et profond sentiment d’injustice. Mais à quelque chose malheur est bon. Malgré tous les moyens mis en œuvre,  l’omnipotent parti au pouvoir a tremblé. Ses plans sont tombés à l’eau. Des citadelles, jusqu’ici imprenables, sont tombées. Des gros bonnets ont sué, jusqu’à la dernière minute. Un pas vient d’être franchi dans la déconstruction du système. Petit, diront les uns. Mais un pas tout de même, rétorqueront les autres. 2019 tranchera-t-il ?
                                                                              Ahmed Ould Cheikh

dimanche 16 septembre 2018

Editorial: Kamikaze ou pas?

Le premier tour des élections municipales, législatives et régionales a vécu. Et ses résultats n’ont été proclamés que samedi dernier, soit une semaine, jour pour jour, après la fin du vote. Certes, le scrutin était lourd : cinq consultations en une, plus de quatre mille bureaux de vote, près de deux mille deux cents listes en compétition et environ cent partis, pour un marathon où les recalés furent, et de loin, plus nombreux que les admis ! Un challenge presqu’impossible à relever, pour une commission électorale qui traînait un vice rédhibitoire, celui d’être plus politique que technique, et de ne pas avoir fait l’objet d’un consensus entre les partis, particulièrement ceux de l’opposition radicale qui considèrent, à juste titre, qu’ils en ont été exclus. La CENI a, malgré tout et tant bien que mal, tracé son petit bonhomme de chemin, essuyant, au passage, salves sur salves de critiques. Dont certaines, il faut le reconnaître, sont bien fondées. Des représentants choisis sur des critères qui furent tout, sauf objectifs, et dont certains étaient ouvertement engagés dans la campagne de l’UPR ; des présidents de bureaux de vote zélés, au profit du parti/Etat, excluant les représentants d’autres partis ou refusant de remettre des copies des PV du dépouillement ; des cas de bourrage d’urnes signalés, ici et là. Tout ceci, et autres « petits détails », ont-ils faussé, de manière significative, l’issue du scrutin ? « Oui », répond en chœur l’opposition pour qui la volonté des électeurs a été « usurpée », par la fraude massive et les manipulations généralisées des résultats. Au profit de qui, selon vous ? Du parti dont le président de la République est devenu le directeur officiel de campagne ; celui qui se prévaut de plus d’un million cent mille adhérents mais dont, chose bizarre, moins du cinquième a voté en sa faveur ; le parti des notabilités, des féodaux, des fonctionnaires et de l’administration territoriale ; le parti, qui raflera, comme le PRDS en son temps, la majorité des sièges, au Parlement, et des conseils municipaux, avant de se volatiliser, à la première secousse qui emportera son fondateur ; un parti qui, malgré tous les moyens légaux et illégaux dont il a usé et abusé, ne réussira pas à obtenir les fameux deux-tiers des députés de l’Assemblée dont Ould Abdel Aziz s’est fait une barrière psychologique. À moins de s’allier avec les autres partis de la majorité et autres qui auront obtenu des représentants à la Chambre, désormais unique, du Parlement. Pour faire quoi ? Tenter l’opération kamikaze des amendements constitutionnels et ainsi faire sauter le verrou des mandats présidentiels qui commence à hanter ses nuits.
Kamikaze : Personne qui se met délibérément en grand danger, à un niveau personnel, professionnel ou autre… On peut certes comprendre qu’Aziz joue le tout pour le tout, pour se maintenir au pouvoir, mais, en agissant ainsi, ne fait-il pas courir de plus graves dangers au pays ? La réponse, en fin de comptes, est bel et bien d’abord entre les mains des électeurs : ils ont encore la possibilité de faire élire plus d’un bon tiers d’opposants résolus à cette aventure. On peut, bien évidemment, parier sur la capacité du pouvoir à tout faire, y compris la plus grossière fraude, pour contrecarrer cette éventuelle volonté populaire. Mais l’important est que celle-ci se manifeste : même s’il la camoufle, le pouvoir saura parfaitement, lui, à quoi s’en tenir. Et mesurer, ainsi, l’exact danger de l’option kamikaze…
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 9 septembre 2018

Editorial: A moins que....

Les Mauritaniens ont enfin voté. Pour élire leurs députés, leurs maires et leurs conseillers régionaux. Dans un désordre total et une impréparation caractéristique de nos pays sous-développés où rien n’est vraiment pris au sérieux. Cinq consultations en une ! Une centaine de partis au départ, comme dans un marathon ! Des électeurs trimballés entre les villes, des bulletins de vote kilométriques, à peine lisibles ; un vote régional, tribal et familial à souhait ; et, last but no least, un parti-État qui ne lésine, comme au temps du PRDS, sur aucun moyen pour battre campagne, y compris faire, du chef de l’État himself, son VRP attitré ! Tandis que le président dudit parti reste cloitré entre quatre murs, ne sachant ni quoi dire ni quoi faire…
Pour les besoins de la campagne, Aziz a parcouru les douze régions du pays au pied levé. Se déplaçant aux frais du contribuable, sous prétexte d’inaugurer de fantomatiques projets, tenant meetings et réunions, y entonnant la célèbre litanie « qui m’aime me suive ». Sans mâcher ses mots, il a demandé, ouvertement, de voter UPR, « pour continuer son projet » et, implicitement, de lui offrir ainsi une confortable majorité, à l’Assemblée nationale, en vue de futurs amendements constitutionnels, « n’ayant pas nécessairement de liens avec les mandats », a-t-il tenu à préciser, en quelques localités. Mais personne ne s’y trompe. L’homme n’a en ligne de mire que ce verrou des mandats et fera tout, quoiqu’il en dise, pour le faire sauter, pour peu qu’on lui en laisse l’opportunité. La fougue et l’énergie avec lesquelles il a mené cette dernière campagne, tambour battant, en disent long sur sa volonté d’obtenir, coûte que coûte, les deux-tiers de « sa » future assemblée. N’hésitant pas à attaquer ouvertement ses adversaires, les accusant de terrorisme et de blanchissement d’argent, entre autres propos peu amènes. Lors du meeting de clôture de la campagne, pour lequel tous les moyens ont été mobilisés, il s’en est pris si violemment à l’opposition qu’il en a perdu la voix. L’homme, qui se croit populaire, malgré le désaveu cinglant du dernier referendum, cherche à convaincre un public de curieux venus assister à son show.
Mais, même au temps du PRDS où l’argent coulait à flots, Nouakchott a toujours échappé à l’emprise du parti au pouvoir. Et cette fois encore, la ville restera frondeuse. Aux dernières nouvelles, l’opposition y obtiendrait la majorité des sièges de député, avec toutes les chances de gagner le Conseil régional et la plupart des mairies où un deuxième tour semble inévitable. À une condition, une seule : que toute l’opération se déroule dans la transparence. Staline ne disait-il pas, à juste titre, que l’essentiel dans une élection, ce ne sont pas ceux qui votent mais ceux qui comptent ? C’est la CENI qui compta les voix, en 2013, avec les résultats qu’on sait. Certes, les hommes ont changé mais les méthodes restent. Il n’y a aucun risque qu’Ould Abdel Aziz organise une élection pour la perdre. Le vernis de la commission électorale ne résistera pas à la volonté d’un homme de tout contrôler. L’opposition aura donc quelques députés, pour sauver les apparences, mais, comme l’exécutif et le judiciaire, le législatif n’échappera pas à la boulimie de l’ogre. À moins que… à moins que la déconfiture de l’UPR soit telle, dissensions internes aidant une opposition vraiment coalisée – ah, le second tour… – il ne soit plus possible de maquiller l’évidence du ras-le-bol général.
 ,                                                                                                 Ahmed ould Cheikh

dimanche 2 septembre 2018

Editorial: Racket

Dans sa guerre ouverte et désormais totale, contre Mohamed ould Bouamatou, Ould Abdel Aziz vient de franchir un nouveau palier d’une extrême gravité. En connivence avec le Parquet, le juge d’instruction chargé du fameux dossier RP 004, a ordonné la saisie des comptes en banque de l’homme d’affaires et de son adjoint Mohamed ould Debagh, pour les reverser dans un compte ouvert à cet effet à la Caisse de Dépôt et de Développement (CDD). Même du temps de Haïdalla, un régime d’exception connu pour le peu de cas qu’il faisait des droits de l’Homme, la saisie des biens de l’opposant et homme d’affaires Haba Ould Mohamed Vall, en 1982, ne se fit pas de manière aussi cavalière. Il fallut attendre un jugement de la Cour spéciale de justice, pour que le pouvoir militaire arrive à ses fins. En 2018, après plus de 27 ans de démocratie censée assurer la séparation des pouvoirs, l’exécutif, parce qu’il  a maille à partir avec un opposant, embrigade la justice pour ouvrir des dossiers vides, mettre aux arrêts, envoyer en prison, placer sous contrôle judiciaire, ordonner des perquisitions et, enfin, saisir des biens, alors qu’aucune juridiction ne s’est encore prononcée sur le fond.
Face à la levée de boucliers provoquée par cette décision (toute l’opposition et diverses ONG l’ont ouvertement condamnée), le Parquet a été obligé, pour une fois, de sortir de son mutisme. Maladroitement.  Dans un communiqué publié dans les organes de presse officiels, il justifie la décision prise dans le cadre du dossier RP 04/2017 – celui où sont impliqués Ould Ghadda, les sénateurs, les journalistes et les syndicalistes – par le fait que « les actes de saisie et de gel en question sont de nature conservatoire et prévus par l’article 29 de la loi 14/2016 relative à la lutte contre la corruption, et ne comportent nullement de confiscation, de la seule compétence des juridictions de jugement, et qui n’interviennent que sur décision judiciaire définitive qui a passé en force de chose jugée (sic) ». Ça ne s’invente pas. Le Parquet s’est apparemment emmêlé les procédures. Le gel et la saisie des avoirs auraient pu être ordonnés – et encore – dans le cadre de la procédure ouverte contre X, pour « blanchiment d’argent et fraude fiscale » (indépendamment du dossier RP 04), qui avait entrainé la perquisition des domiciles des deux hommes d’affaires en exil. Un X finalement pas si inconnu que ça. Résultat des coures : l’hôpital ophtalmologique de la Fondation éponyme est fermé, faute de moyens. L’argent destiné à son fonctionnement est entre les mains d’un État qui ne soigne pas ses propres citoyens et ne laisse plus les autres le faire. Tel le fameux beau-fils des autres, cher à l’imagerie populaire locale. Des milliers de pauvres qui venaient se faire consulter et opérer gratuitement n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Ils n’auront plus accès ni aux soins, ni aux médicaments, encore moins aux lunettes que l’hôpital mettait gracieusement à leur disposition. Mais, de cela, Ould Abdel Aziz n’a cure. Que tous les Mauritaniens ne mangent pas à leur faim ou deviennent aveugles, pourvu qu’il arrive, lui, à ses fins : dépouiller un opposant, sans autre forme de procès. Quand il a l’argent en ligne de mire, le reste importe peu. Qu’on dise que la loi n’a pas  été respectée et que la justice est aux ordres, que le pays soit condamné, par les instances internationales, pour détention arbitraire des opposants, violation de la vie privée, irrespect des procédures, tout cela ne le dérange pas outre mesure. Faudrait-il, cette fois, condamner la justice mauritanienne pour… racket au nom de l’État ?
                                                                         Ahmed Ould Cheikh

jeudi 23 août 2018

Editorial: Coupe pleine?

3 Août 2008-3 Août 2018 : dix ans que notre pays vit sous la coupe d’Ould Abdel Aziz. En coupe réglée, serait-on tenté de dire. Une décennie perdue, pour reprendre les termes d’une étude savamment menée par Moussa Fall, le président du Mouvement pour un Changement Démocratique (MCD). Dix ans d’occasions ratées, de jeu haché, de mauvaises passes et de changements injustifiés. Dix ans au cours desquels, notre guide éclairé, venu en sauveur d’une ‘’démocratie menacée’’ par un pouvoir civil éphémère, s’est trompé de priorités. Dix ans au cours desquels aucun secteur n’a sorti la tête de l’eau. L’école publique ressemble à tout, sauf une école. La santé est à l’agonie. L’endettement atteint des records inégalés. La pauvreté nous devient une seconde nature. Le chômage n’a jamais été aussi prégnant. L’Etat s’appauvrit. Pourtant, on ose parler de « réalisations grandioses » et de « bilan positif ». Voyons donc de quoi peuvent bien se prévaloir les chantres de la Rectification, ceux-là mêmes qui perdirent Ould Taya et furent les premiers à lui tourner le dos. L’énergie ? Le pays a certes acheté plusieurs centrales électriques mais dans la plus totale opacité. Pour quels résultats ? Les coupures de courant sont monnaie courante, à Nouakchott et à l’intérieur du pays, la Fée Électricité prend les allures d’Arlésienne. L’eau ? Plus de deux tiers de la capitale s’alimente encore par camions-citernes et charrettes. Les routes ? Comme les centrales électriques, leur attribution n’a profité qu’à un cercle très restreint mais cela n’a ni amélioré ni rendu plus sûr le réseau routier. Les trois routes nationales sont dans un état déplorable et provoquent quotidiennement des hécatombes. Pour un régime qui se vante d’avoir construit autant de routes en dix ans que d’autres en 50, cela fait quand même désordre. La situation politique ? Elle n’a jamais été si longtemps bloquée. Les élections ? Un véritable piège à cons où, comme disait Staline, « l’essentiel, ce ne sont pas ceux qui votent mais ceux qui comptent ». La justice ? L’ombre d’elle-même,  à la botte de l’Exécutif auquel elle est totalement inféodée. Les droits de l’Homme ? Un déterminant qui ne veut plus rien dire, tant leur violation est devenue la règle. La détention arbitraire, la torture, les enlèvements et les procédures interminables sont dénoncés régulièrement, sans que cela ne change grand-chose.
Ce triste bilan ne fait apparemment pas froid aux yeux des laudateurs, réclamant, à cors et à cris, que cette « œuvre de (dé)construction nationale » soit achevée. « Déchire, viole et écrase la Constitution, ô Aziz ! », exigent-ils sans vergogne, « ta coupe ne sera jamais assez pleine… si tu nous en remplis les poches ! » Et Dieu sait combien celles des laudateurs sont accueillantes quand tant d’autres, et de plus en plus, restent désespérément vides. Désespérément ? Rendez-vous donc au soir du 1er Septembre, pour juger de ce ras-le-bol…
                                                                                          Ahmed ould Cheikh

lundi 6 août 2018

Editorial: Bienvenue au cirque

Dans un mois jour pour jour, les Mauritaniens sont appelés à élire leurs conseils régionaux, députés et maires, dans une opération qui s’apparentera plus à une foire d’empoigne qu’à des élections proprement dites. À part une dizaine de formations qui peuvent se prévaloir de programme plus ou moins cohérent, la centaine d’autres qui se lanceront dans la bataille n’ont de partis que le nom. La décision du gouvernement de dissoudre tout parti qui ne se présente pas à deux consultations électorales successives ou n’obtient pas plus de 1 % de votants les a soudainement réveillés de leur torpeur. Résultat des courses : certains ont cédé leurs partis gracieusement, d’autres ont carrément vendu des places sur leurs listes – les meilleures, bien évidemment –, tous ont accueilli des mécontents, particulièrement du parti/État qui n’est pas parvenu à satisfaire les demandes des milliers de candidats à la candidature. Rien qu’à Nouakchott, plus de quarante listes se disputeront les suffrages des électeurs, dans chaque moughataa, sans compter les listes nationales qui dépassent la centaine. A l’intérieur du pays, la concurrence, aiguisée par les enjeux locaux et un tribalisme exacerbé, fait voler l’électorat en éclats. Avec de non-négligeables risques de débordement. Face à cette inflation de candidats, de partis et de logos, comment la Commission électorale pourra-t-elle confectionner les bulletins de vote, les acheminer à l’intérieur du pays dans des délais aussi courts ; en bref, organiser des élections transparentes et crédibles ? Cela relève, au bas mot, des travaux d’Hercule. Et, si jamais la consultation est organisée comme prévu, comment les électeurs arriveront-ils à s’y retrouver, avec autant de bulletins de vote ? Lors des élections de 2013, avec moins de formations politiques, le parti arrivé en tête fut celui des bulletins nuls. Imaginez le pauvre citoyen perdu, derrière l’isoloir, avec des logos pleins la tête, ne sachant pas quoi faire. Ce serait un miracle si tout le monde réussissait à voter correctement. Une fois l’opération achevée, ce qui ne sera pas une mince affaire, il est illusoire de penser un instant qu’un parti pourrait obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. L’UPR – PRDS nouvelle version, l’argent en moins – risque de payer très cher ses mauvais choix. Il est contesté partout et certains gros bonnets n’hésitent plus à soutenir ouvertement des listes concurrentes. L’opposition risque, elle aussi, de faire les frais de ses atermoiements et de son manque de moyens. Beaucoup de petits partis devraient, du coup, profiter de la situation et, jouant sur la fibre tribale et régionale, obtiendront des postes de maire et de député un peu partout dans le pays. En temps normal, il aurait été pratiquement impossible de fédérer autant de monde dans une majorité parlementaire mais les choses ont changé en catimini. La loi sur la transhumance politique a été abrogée en douce et n’importe quel député peut quitter son parti et conserver son mandat. Sentant le vent du boulet, Ould Abdel Aziz a voulu prendre les devants et préparer, comme en 2006, un bataillon de députés, issus de divers horizons, pour se constituer, au final, une majorité à sa botte. Et si tout ceci n’était, somme toute, qu’un cirque destiné nous faire avaler, au final, de nouvelles couleuvres ?
                                                                                        Ahmed Ould Cheikh

samedi 28 juillet 2018

Editorial: A Madame Christine Lagarde, directrice générale du FMI

Madame, le 5 Mai dernier, six membres du Congrès des USA (1) tenaient à vous exprimer, publiquement, leur« préoccupation face à l'approbation récente, par le FMI, d'un crédit de 163,9 millions de dollars accordé à la République Islamique de Mauritanie ».  Et de citer diverses sources motivant leur inquiétude : le rapport, publié en 2017 par SHERPA, déclarant que «la Mauritanie est, actuellement, l'un des pays les plus corrompus au monde » ; Transparency International, la classant 142ème sur 176 sur l’échelle de la bonne gouvernance ; la CIA et le Département d’État s’inquiétant, eux, du « manque fondamental d'engagement, accompagné d’efforts sérieux et soutenus, pour combattre l'esclavage héréditaire»…
Tous ces rapports ont en commun une écriture non-mauritanienne. Ce n’est évidemment pas que les Mauritaniens ne les fassent leurs. Moins de cinq ans après le coup de force du général Ould Abdel Aziz (Août 2008), contre le premier président mauritanien démocratiquement élu, la dérive du pouvoir était devenue si patente qu’un de ses soutiens de la première heure, le RFD d’Ahmed ould Daddah –déjà très échaudé, il est vrai, par le massacre des accords de Dakar (2009) – se devait d’en dresser l’accablant constat (2). De nombreuses autres enquêtes l’ont, depuis, considérablement étoffé, comme celle menée, en Novembre 2013, par l’Observatoire des biens et avoirs mal acquis (3), ou, encore, des diverses organisations de la Société civile mauritanienne engagées dans la défense des droits humains (4).
En Mars 2016, j’ai moi-même tenu à signaler, publiquement, à celle qui gérait le portefeuille Mauritanie au FMI, madame Mercedes Vera Martin, l’aggravation manifeste de la situation (5). Toutes ces voix et bien d’autres encore – en fait, tout celui qui osait mettre en cause la gestion du pouvoir actuel – se sont vues, l’an dernier, taxées, par celui-ci acharné à totalement renverser le vrai, d’odieux et corrompus « conspirateurs contre la Nation ». Une falsification qui prend, à l’aube de consultations locales et nationales  cruciales, pour la Mauritanie, une tournure plus qu’inquiétante. La présomption de fraudes et manipulations massives augmente de jour en jour.
Le FMI aurait-il décidé de les financer ? 23,4 millions de dollars du crédit susdit seraient, en effet, « immédiatement disponibles », nous informent les lucides membres du Congrès américain.  Il en a fallu beaucoup moins, en Août 2017 - avec, il est vrai, la mobilisation massive de tout l'appareil de l'Etat, des media publics et des entreprises parapubliques -  pour acheter juste assez d’acquiescements populaires à de bien peu goûteux amendements constitutionnels. Votre regrettable contribution au « bon » déroulement des élections à venir devraient donc largement suffire. À moins que vous ayez la sagesse d’attendre leurs résultats, pour venir en aide à une Mauritanie qui en a certes bien besoin, après dix années d’un si rude régime…
                                                                                                                     Ahmed ould Cheikh

Notes
(1) :Thomas A. Garret, Jr. Mark Meadows, Gus Bilirakis, Scott Perry,  Jeff Duncan et Lee Zeldin. Voir http://lecalame.info/?q=node/7542
(2) : http://www.cridem.org/imprimable.php?article=640740 (Cheikh Aïdara, « L’Authentique »)
(4) : Voir, par exemple, http://mauriweb.info/node/1445
(5) : http://lecalame.info/?q=node/3568 : Lettre ouverte à madame Mercedes Vera Martin, édition-papier N°1016 du 02/03/2016.

lundi 16 juillet 2018

Editorial: Température instable

« Sois courageux, tu en auras besoin. De toute façon, on sera là ». Ce sont les  termes, très peu diplomatiques, qu’Emmanuel Macron, le président français, a glissés, à son départ de Nouakchott, à l’oreille d’Ould Abdel Aziz et que les caméras ont immortalisés. Les deux présidents auraient sans doute voulu que les propos restent entre eux, pour éviter le flot des interprétations contradictoires qu’on ne manquera pas de leur donner. En visite en Mauritanie, les 1er et 2 Juillet, pour assister à la clôture du Sommet de l’Union africaine et s’entretenir avec les présidents des pays du G5-Sahel, Macron avait le feu aux trousses. Quelques jours avant son arrivée, deux attaques terroristes avaient en effet touché l’état-major du G5 et le siège de la force Barkhane au Mali, provoquant la mort d’une dizaine d’hommes, beaucoup de blessés et des dégâts considérables. Ni les lieux (Gao et Sévaré) ni les dates n’avaient été choisis au hasard. Sachant que le G5 allait se réunir, les jihadistes voulaient envoyer un signal fort à des dirigeants qui n’arrivent toujours à accorder leurs violons sur la conduite à tenir, face à un danger qui peut frapper n’importe où. Macron et Hollande, avant lui, l’ont dit et répété : c’est aux États eux-mêmes qu’il revient d’assurer la sécurité des territoires qu’ils gèrent. Encore faut-il qu’ils en aient les moyens, soient d’accord et que la Communauté internationale les épaule. C’est loin d’être le cas. La France veut tout régenter dans la région, l’argent promis n’arrive toujours pas, l’armée malienne est aux abois et la Mauritanie freine, pour différentes raisons, des quatre fers, afin de ne pas engager ses troupes contre un ennemi auquel elles se sont déjà frottées et qui ne leur a évidemment pas déroulé le tapis rouge. Lemghaïty, Al Ghallawiya, Tourine, Wagadou, Hassi Sidi, autant de batailles  perdues contre ces insaisissables barbus qui n’aspirent qu’à une chose : mourir en martyrs. Échaudé par ces malheureuses expériences, notre guide éclairé n’a plus voulu prendre de risques. Depuis 2011, il n’a plus attaqué personne et a refusé, malgré l’insistance de la France, de participer à la guerre au Mali. Certains ont parlé de « gentlemen agreement » conclu avec AQMI et qui aurait été retrouvé dans les petits papiers de Ben Laden après sa mort. Si tel est le cas, le G5 risque de n’avoir pas plus de chance que l’opération Serval. Engagée depuis près de six ans au Sahel, dans une opération coûteuse, en hommes et en matériel, la France veut se désengager progressivement, en laissant, aux États de la région, le soin d’assurer eux-mêmes leur sécurité. Un combat autrement plus difficile. C’est dans ce contexte qu’il faudra, peut-être, placer la phrase de Macron. Veut-il encourager Ould Abdel Aziz à aller plus loin dans le G5, envoyer des troupes et s’engager enfin sur le terrain, au même titre que les autres ? C’est l’explication la plus plausible mais en échange de quoi notre épicier en chef enverrait-il ses troupes dans une guerre aussi périlleuse ? La France fermerait-elle les yeux, s’il tentait, demain, de tripoter la Constitution, pour rester au pouvoir ? Sacrifierait-elle ses sacro-saints principes de liberté et de démocratie, en échange d’une guerre par procuration ? Un Etat, dit-on,  n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts. Certes mais, si la France acceptait ce marchandage malsain, rien ne permet d’avancer qu’Ould Abdel Aziz en accomplirait tous les termes. Chat échaudé craint l’eau froide… d’autant plus qu’elle peut bouillir à tout instant.
                                                      Ahmed ould Cheikh

dimanche 8 juillet 2018

Editorial: Franc succès

Clap, clap ! Applaudisseurs  de tout le pays, unissez-vous ! Après celui de la Ligue arabe, notre pays a organisé, « avec succès », le Sommet de l’Union africaine. Notre guide éclairé a démontré, à la face du Monde, que la Mauritanie sait recevoir et ne rechigne pas sur les dépenses… inutiles. Vingt milliards, au bas mot, partis en fumée ! Pour, entre autres, un Palais des congrès qui a toutes les chances de rester vide, toute l’année. Vingt milliards pour qu’une vingtaine de chefs d’Etat africains viennent, pince-sans rire, débattre de la corruption.  L’hôpital qui se moque de la charité, en quelque sorte. Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques questions, toutes simples, méritaient d’être posées.  L’antre qui les a hébergés a coûté combien, a été attribué à qui et selon quelle procédure ? Et les dizaines d’autres marchés, petits et grands, auxquels ce genre de cirque donne lieu, qui en a hérité ? Toujours les mêmes, direz-vous, et vous aurez raison. Le pays est désormais en coupe réglée. Plus rien n’échappe à la boulimie ambiante. Pas même un trait blanc, sur une chaussée, ou des fleurs à planter, sur un rond-point. Et l’on viendra, ensuite, nous dire que la lutte contre la gabegie est un indéniable succès ou que la corruption a « sensiblement » reculé. On se permet même de recevoir un sommet qui débattra de cette problématique qui fait que notre continent reste à la traîne, incapable de profiter de ses ressources,  par la faute des clans mafieux qui le dirigent. Des débats peu propices à faire le buzz, donc.
 Il fallait donc trouver autre chose, pour ameuter l’opinion internationale. Sur France 24 (encore un média étranger), Ould Abdel Aziz s’y est employé, en sortant sa panoplie habituelle. « Je ne me présenterai pas en 2019 ». L’évidence même. « Des gens à quatre mille-cinq mille kilomètres… carrés (tiens, tiens : lapsus révélateur…) n’ont pas à nous donner des leçons », allusion à la commission des Droits de l’homme des Nations Unies exigeant la libération immédiate du sénateur Ould Ghadda, victime de détention arbitraire. « Notre justice est indépendante et c’est elle qui doit décider de son sort », enchaîne-t-il. Pourquoi alors, dix mois après la fin de l’instruction, n’a-t-elle toujours rien décidé ? Pourquoi le Parquet garde-t-il toujours le dossier et refuse-t-il de le renvoyer au juge, si on ne le lui a pas ordonné ? Comment onze ans après un jugement condamnant un certain Marc d’Hombres, devenu, entretemps, fréquentable puisque trésorier d’une association qui veut lisser l’image d’Aziz en France – tout un programme… – la justice se réveille-t-elle, subitement, déterre le dossier et casse le jugement ? Le tout en deux jours ! Une célérité qui ferait pâlir d’envie les meilleures juridictions du Monde. Mais toujours pas de quoi, là encore, exciter les media.
Ould Abdel Aziz a donc jeté un énorme pavé dans la mare, en titillant le problème du Sahara. Et déchaînant, illico, l’ire de la presse marocaine, généralement très sensible à cette question. « Le peuple sahraoui vit une situation dramatique », a-t-il larmoyé mais… soigneusement oublié de préciser  de quel  peuple parlait-il. Celui du Sahara occidental ou des camps de Tindouf ? Une sortie qui a piqué au vif le ministre marocain des Affaires étrangères, déjà irrité de n’avoir été accueilli que par le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, alors que le ministre se trouvait à l’aéroport. Réplique immédiate : « La question du Sahara ne concerne que les Nations Unies ». Messieurs de l’UA, vous pouvez baratiner autant que vous le voulez, constituer une ou plusieurs commissions, si ça vous chante, le Maroc ne traitera cette affaire qu’avec l’envoyé spécial de Gutteres. Nasser Bourita a été ferme. Mais l’important n’était pas là. Yahoo s’est fait l’écho des propos du président mauritanien. CQFD : le Sommet a été un franc succès.
                                                                   Ahmed ould Cheikh

lundi 2 juillet 2018

Editorial: Politique sécuritaire

Dans quelques jours, le président français Emmanuel Macron foulera, pour la première fois, notre sol national. Une « victoire », pour notre guide éclairé et notre diplomatie, si l’on en croit la presse officielle, toujours prompte à présenter le moindre événement, aussi banal soit-il, comme une réalisation grandiose. Après la Ligue arabe et le sommet de l’Union africaine que nous nous apprêtons à accueillir, voilà le chef de notre ancienne puissance coloniale qui nous fait l’honneur de « traverser », en route pour le Nigeria, notre pays. Pas de quoi se vanter : nous sommes, encore une fois, le dernier de la liste. Macron s’est déjà rendu en Algérie, au Maroc, au Sénégal, au Mali, au Niger et au Tchad. Mais ne faisons pas la fine bouche. Ce n’est pas tous les jours qu’un président français nous fait l’honneur de passer quelques jours sous notre soleil caniculaire. Le dernier en date, c’était Chirac en 1997. Ni Sarkozy (qui avait pourtant cautionné le coup d’État de 2008, dans un revirement spectaculaire), ni Hollande n’ont daigné rendre la politesse à notre rectificateur en chef qui, lui, n’a jamais raté une occasion de s’envoler pour la ville-lumière. Mais pourquoi tenons-nous tant à Macron et au spectacle que sont devenus les sommets africains? N’avons-nous d’autres soucis que de réunir des présidents pour un jour ou deux, quitte à dépenser des milliards, dans un contexte de récession, de misère et de sécheresse ? Les 16 milliards qu’a coûtés le nouveau Palais des congrès, en plus des autres qu’occasionnera le sommet, n’auraient-ils pas été plus utiles ailleurs ? Sauver un cheptel décimé par la sécheresse ? Construire des hôpitaux, des écoles, des routes ou des barrages ? Est-ce une fin en soi d’organiser un sommet, quand on tire le diable par la queue ? A quoi sert-il de recevoir en grandes pompes, quand on est incapable d’assurer, à son peuple, le minimum vital ? Que diront les milliers de chômeurs, les pères de famille incapables de joindre les deux bouts, les employés des entreprises publiques dont les salaires sont en retard de plusieurs mois, les pauvres éleveurs auxquels l’État n’arrive pas à assurer un sac d’aliment de bétail, quand ils verront les milliards partir, en fumée, dans ce qui n’est, ni plus ni moins, que de la folie des grandeurs ? « L’ambition dont n’a pas les moyens est un crime », rappelait à raison Chateaubriand.
Macron en profitera-t-il pour mesurer les effets réels de la prétendue « réussite » sécuritaire dont se pomponne le régime ? S’il tancera, probablement, Ould Abdel Aziz, pour la lenteur de ses engagements dans la mise en place du G5, il serait bien inspiré de relever de plus criantes lacunes, pour le peuple mauritanien : prolifération des viols de mineurs et de femmes mariées, casses de magasins, vols à main armée, attaques à l'arme blanche, meurtres en tout genre, braquages de banque, etc. Et demander à de visiter les écoles publiques vendues et ce qu'il est advenu de leurs terrains ; à l’instar de l'école de police ou du Stade olympique... Mais, suis-je bête, monsieur Macron ne s’ingère pas dans les affaires internes d’un pays ami ; seulement des pays ennemis ou de ceux inconsidérément gérés, au mépris des nécessités de la Communauté internationale. Serait-ce que la sécurité des gens ne soit pas celle de ladite Communauté ? Celle du président français sera, en tout cas, prioritairement assurée. Évidemment. A grands coups de milliards, si nécessaire. La sécurité d’Ould Abdel Aziz en dépend. 
                                                                                           Ahmed Ould Cheikh

samedi 23 juin 2018

Editorial: Assurance démocratique, assurance islamique

300 jours ! 307 jours, plus précisément, que Mohamed ould Ghadda croupit en prison. 307 jours qu’il est privé de sa liberté de mouvement. 307 jours qu’il n’a pas vu ses enfants, en signe de protestation contre les restrictions décidées, unilatéralement, par ses geôliers. 307 jours de détention arbitraire, sans procès, malgré la clôture, depuis plusieurs mois, de l’instruction. 307 jours d’incertitude.  307 jours qu’un dossier vide, sur la base d’accusations fallacieuses, est ouvert, contre des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes, dont le seul tort est d’avoir dit non. Le dossier de la honte. Une affaire montée de toutes pièces, par le pouvoir, où la justice s’est, encore une fois, fourvoyée. Et qui n’a fait qu’écorner  son image, déjà ternie par une soumission aveugle à l’exécutif, alors qu’elle est censée jouir d’un minimum d’indépendance. Mais 307 jours de combat, de lutte acharnée contre l’arbitraire et l’injustice, de sacrifice et de défis.
Chacun de nous peut être, demain, Ould Ghadda : embastillé pour rien, gardé au secret, torturé physiquement et psychologiquement. Quand la machine répressive se met en branle, épaulée par une justice impuissante, elle peut tout broyer sur son passage. Ould Ghadda n’est que la partie visible d’un énorme iceberg, d’une comédie qui ne fait rire personne et dont les actes se jouent  dans les commissariats, les brigades de gendarmerie et les dédales de la justice. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans arrestations, détentions, tortures. Dernier épisode en date, celles infligées à des jeunes auxquels on a voulu faire porter  le chapeau du dernier braquage d’Attijari Bank, la semaine dernière. La police, la gendarmerie et, au-delà, tout le système n’arrivent toujours pas à se départir des réflexes hérités des régimes d’exception. Pour eux, quand la liberté d’expression ou d’association desservent le pouvoir en place, il faut sévir. Ce n’est pas pour rien qu’on  essaye de faire payer, aux sénateurs, leur indocilité ; de mettre des bâtons dans les roues des syndicats et de tenter de bâillonner la presse. Quitte à utiliser les moyens, même les plus illégaux, comme, par exemple, saisir, sans mandat, les téléphones d’un sénateur encore en exercice, l’ordinateur d’un homme d’affaires, placer des écoutes téléphoniques et intercepter des messages privés. Une justice normalement constituée devrait normalement rejeter ce genre de preuves et non s’en servir de base, pour engager des poursuites, envoyer en prison ou placer sous contrôle judicaire. Les juges sont persuadés, en leur intime conviction, qu’il ne s’agit que d’un montage mais ils sont obligés de jouer le jeu, pour ne pas faire de vagues. La justice sous nos tropiques s’accommode mal de rébellion.
Un exemple qui nous vient de loin devrait, cependant, faire méditer ceux qui aujourd’hui, se croient intouchables. Un mandat d’arrêt international a été lancé il y a deux ans contre l’ancien président panaméen, Ricardo Martinelli (2009/2014), qui avait espionné illégalement, grâce à des fonds publics, les communications de plus de cent cinquante personnes, dont des opposants politiques et des journalistes. Il fait aussi l’objet d’une dizaine de plaintes pour sa gestion passée. Son extradition par les États Unis vers son pays d’origine n’est plus qu’une question de jours. À quand chez nous ?
Tôt ou tard, les « écoutés » porteront certainement plainte contre Ould Abdel Aziz et les « écouteurs ». Mais pas seulement : contre aussi les équipementiers. Car leurs outils n'ont pas été utilisés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme mais bel et bien contre des opposants politiques pacifiques.  Quand on se prétend démocratie, il faut assumer ce qui la fonde : l’assurance donnée, à tout un chacun, de dire tout haut ce qu’il pense, en toute légalité, et de voir préservé tout ce qu’il tient en son intimité, en toute légalité. Est-il nécessaire de signaler, ici, qu’une telle assurance est on ne peut plus islamique ? Mohamed ould Ghadda fêtera-t-il l’Aïd en prison ?
                                                                                Ahmed ould Cheikh

lundi 11 juin 2018

Editorial: Mode d’emploi de la gabegie (suite)

Depuis quelques jours, les journaux, les sites, les réseaux sociaux et, même, la TVM – certainement à son corps défendant – se sont tous fait l’écho d’un débat houleux à l’Assemblée nationale, entre le ministre de l’Économie et des Finances et un député pourtant encarté « parti au pouvoir ». Tout est parti d’une flèche décochée, par cet élu, lors d’une intervention devant ses collègues. Fustigeant les disparités de salaires dans la Fonction publique, il n’a pas hésité à déclarer qu’une seule personne gagne vingt-cinq millions de nos anciennes ouguiyas par mois. Le tonitruant ministre de l’Économie, qui se sentait certainement visé, sort alors de ses gonds et s’attaque frontalement à Ould Babana, le député de Barkéol, auteur de la sortie. Ce dernier revient à la charge, lors de la plénière suivante, et cite nommément Ould Djay, disposant de comptes au Trésor public, alimentés par la Douane et les Impôts,  au motif de lutte contre la fraude, et dans lesquels il puise à sa convenance.  Le député demande même à l’Assemblée de désigner une commission parlementaire pour vérifier ses dires et s’engage à présenter sa démission sur le champ,  si ses propos se révèlent erronés. Clair comme de l’eau de roche.
Pour toute réponse, Ould Djay fait fuiter, dans la presse, le relevé d’un compte d’où quarante-cinq millions d’anciennes ouguiyas ‘’seulement’’ se sont évaporés, en cinq mois. Du travail d’orfèvre. D’importantes sommes ont été retirées, par un porteur indéfini. Si, comme il le prétend, Ould Djay n’a rien à se reprocher, pourquoi n’exige-il pas, lui-même, une commission d’enquête parlementaire, pour le disculper ? Cela le grandirait et contribuerait grandement à faire éclater la vérité. Mais il n’y a aucune chance qu’il en soit ainsi. La gestion de cette manne est entourée d’une telle opacité que personne, surtout pas le premier concerné, n’a intérêt à ce que certains détails soient dévoilés. Telle une boîte de Pandore qu’il faut éviter soigneusement d’ouvrir. Pourtant, celui qui se veut champion de la bonne gestion et de la transparence n’est pas exempt de tout reproche, au moins sur ce dossier. Il suffit de voir sa réaction, pour se rendre compte qu’en cette affaire, il y a bel et bien anguille sous roche. Accusé de prodigalité envers lui-même, l’homme se veut paradoxalement champion de la rigueur budgétaire. C’est lui qui a réduit à néant les budgets de fonctionnement des sociétés d’État, des ministères et autres projets ; exigé que tous les salaires, même ceux des employés des sociétés financièrement autonomes, soient payés par le Trésor public ; privé les enseignants des indemnités de craie et d’éloignement ; refusé la moindre augmentation de salaire aux médecins. Un statisticien devenu économe, par intermittence, gérant le budget de l’État à sa convenance.  Libérant des milliards pour les uns et refusant le minimum vital aux autres. Comme l’Imprimerie nationale dont les employés n’ont pas vu la couleur de l’argent depuis trois mois. J’évoquais, il y a quinze jours, le mode d’emploi de la gabegie. Je ne m’attendais évidemment pas à ce qu’un député UPR en demande une notice explicative. Une bonne suite… en attendant quelle fin ? En tout cas et au nom de tous, merci, monsieur Ould Babana !
                                                                           Ahmed Ould Cheikh

samedi 2 juin 2018

Editorial: Coûteux programme de pauvreté

Félicitations, monsieur le Président ! Le slogan de votre campagne de 2009 était bel et bien prémonitoire. Votre vœu a été exaucé. Vous êtes devenu, comme vous le vouliez, le président d’un pays dont 89% sont (devenus) pauvres. Champion du monde de la misère, à défaut de l’être en autre chose. Et ce n’est pas de la littérature ou des « accusations sans fondement », comme dira, demain, le porte-parole du gouvernement : dans un rapport préparé par les Nations Unies, avec le concours de la Ligue Arabe et de l’Université d’Oxford,  tout récemment publié, le niveau de pauvreté extrême, dans dix pays arabes, dépasse 13%. Avec des disparités entre eux. Ainsi le pourcentage de pauvres est de 69% au Yémen, 73% au Soudan et… 89% en Mauritanie. Mais c’est quoi, la pauvreté ? Le rapport donne des indications précises : une situation économique où l’individu n’a pas un revenu minimum qui lui assure l’alimentation, l’habillement, l’éducation et les soins. Avec, en corollaire, des inégalités sociales qui entraînent, à leur tour, chômage, faim et mendicité.
Serions-nous donc pauvres à ce point qu’on ne s’en rende même plus compte ? Comment un pays, qui dispose d’autant de richesses naturelles (fer, poisson, cuivre, or et autres métaux précieux), d’un potentiel agricole immense et de ressources animales aussi importantes, peut-il être dans une telle situation ? Ça devrait tous nous interpeller, quand même ! Qu’avons-nous fait de toutes ces recettes générées par l’exportation de nos ressources minières et des financements obtenus auprès de nos partenaires ? Pourquoi la majorité d’entre nous n’a ni logement décent, ni eau courante, ni électricité, ni éducation de qualité, ni soins ? Qu’un pays d’à peine 3,5 millions d’habitants, riche à ce point, soit en queue de peloton des pays pauvres, il y a véritablement de quoi s’interroger.
Il y a une décennie, notre objectif était d’atteindre le point d’achèvement de l’Initiative PPTE (pays pauvre très endetté) pour avoir droit à l’effacement d’une partie de notre dette multilatérale. Nous l’avons atteint et nous avons été « achevés ». Notre dette a été épongée mais nous n’en avons pas été, pour autant, plus riches. Au contraire, nous ne cessons, depuis près de dix ans, de nous enfoncer dans la misère. Pourtant avec la hausse des prix des matières premières, enregistrée il y a quelques années et les financements extérieurs, le pays n’a jamais obtenu autant de ressources. Où est donc le problème ?  Dans la mauvaise gestion, le détournement, la corruption, les mauvais choix, l’absence de vision,  les projets coûteux, l’incompétence, le népotisme, la gabegie. Bref, il est dans cette Mauritanie nouvelle où une infime minorité est choyée et la grande majorité oubliée. Jamais, en effet, depuis l’avènement de l’Azizanie, les inégalités sociales n’ont été aussi fortes, les pauvres aussi nombreux et la mendicité aussi voyante. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, des individus, partis de rien, sont devenus milliardaires, comme par un coup de baguette magique. Bénéficiant de marchés et de passe-droits, ils ont fait main basse sur tout ce qui bouge, ne laissant même pas des miettes aux autres. Avec un acharnement de tous les instants à faire, d’Ould Abdel Aziz, un incontestable président des pauvres… au prix de l’honneur, de la fraternité et de la justice. Une république non-islamique, donc, par soustraction successive...   
                                                                                                      Ahmed Ould Cheikh

lundi 28 mai 2018

Editorial: gabegie, mode d'emploi

Lorsqu’il s’est emparé du pouvoir par la force, en 2008, tout simplement parce qu’il venait d’être limogé par un président de la République qui en avait les prérogatives, Ould Abdel Aziz s’est tout de suite fait le « champion », toutes catégories, de la lutte contre la gabegie. Un thème porteur, tant le pays a souffert de la prévarication et du détournement des deniers publics, sport favori  des fonctionnaires et autres hauts responsables. Dans une impunité totale. Lors de ses meetings et sorties médiatiques, le nouveau chef de l’État ne cessa de pourfendre la gabegie et les gabegistes. Un ancien premier ministre, des anciens directeurs de société, de hauts fonctionnaires et des présidents de conseils d’administration furent même envoyés en prison, en 2009. Ils y resteront le temps,  chacun, de payer, au Trésor public, une confortable caution. En liberté provisoire, ils ne seront jamais jugés, pas plus que ne le seront d’autres, voués aux gémonies puis réhabilités, par le seul fait du prince. Ce qui a fini de convaincre que la lutte contre la gabegie n’était qu’un slogan. Sans plus. En quelques années, beaucoup d’eau a, en effet, coulé sous les ponts. Et le naturel est revenu au galop. Le népotisme est redevenu la norme. Les marchés publics sont attribués, ouvertement, aux plus disants, sans possibilité de recours pour les recalés. Les marchés de gré à gré ne se comptent plus.  Quelques exemples suffisent, pour démontrer combien la situation est devenue pire qu’avant. Il y a quelques années, le marché d’aménagement de milliers d’hectares, dans la zone de Keur Macène, fut attribué à la société franco-marocaine STAM et donna lieu à une terrible surfacturation. Alors que l’hectare aménagé coûte entre 900.000 et un million d’anciennes ouguiyas,  STAM l’a fait payer trois millions à l’État. Une énorme commission – on parle de deux à trois milliards – a été versée aux intermédiaires (dont certains ne sont pas n’importe qui) et a servi, entre autres, à l’achat d’appartements au Maroc et à Las Palmas. Un secret de Polichinelle jalousement gardé. La centrale dite duale de Nouakchott de 180 mégawatts est revenue à la société finlandaise Wartsila dont l’offre est pourtant plus chère, de 30 millions d’euros, que le suivant immédiat. On parle ici encore d’une commission de dix millions d’euros, si l’on en croit l’ONG Sherpa spécialisée dans les biens mal acquis. L’an dernier, pour éviter que l’eau de pluie ne se perde dans une région qui en a tant besoin, l’Etat décide de construire un barrage, sur l’oued Seguellil, non loin d’Atar. L’ENER, la SNAAT et ATTM soumissionnent. Cette dernière offre six milliards d’ouguiyas et gagne le marché. A sa grande surprise, on lui intime l’ordre de le sous-traiter à STAM (tiens, tiens…). Son directeur général hésite. Il est menacé de limogeage, s’il ne s’exécute pas. Il demande une lettre officielle pour se couvrir. Le ministère de l’Agriculture l’envoie dans la minute. STAM commence des travaux dont l’impact est quasi-nul sur la région. Pire, il y a quelques mois, un avenant de deux milliards d’ouguiyas lui a été accordé. Vous en voulez encore, des exemples ? Le marché du dragage d’un affluent du fleuve Sénégal, Leweija, non loin de R’kiz, est en train de provoquer des remous. Alors que l’appel d’offres prévoit que ce genre de travaux ne peut être exécuté que par des sociétés disposant du matériel nécessaire et déjà réalisatrices de travaux similaires, il a été attribué à un groupement qui constitue en lui-même une aberration puisqu’il est composé d’une société publique (SNAAT) et d’une société privée (la MTC, filiale du groupe Ghadda à qui l’ENER et ATTM ont sous-traité énormément de marchés de routes), sans aucune expérience en ce domaine. Le comble est que ce groupement est plus cher d’un milliard quatre cent millions que la société ERB (3,4 milliards contre 1,9 milliard). L’affaire fait actuellement grand bruit mais, comme celles qui l’ont précédée, elle finira par s’éteindre. En somme, la lutte contre la gabegie aura permis, au pouvoir, de mieux la connaître… pour mieux la « contrôler ».
                                                                                     Ahmed ould Cheikh

dimanche 20 mai 2018

Editorial: A rebours de l'Histoire

Il est vraiment bizarre, ce pays ! Au moment où des centaines de milliers de pauvres citoyens et leur cheptel font face à une famine et une sécheresse implacable, dans une démission totale de l’Etat, d’autres courent dans tous les sens et (se) dépensent sans compter, pour récolter quelques unités de base au profit de l’UPR, le parti/Etat qui n’a jamais autant mérité son nom. Rarement un parti dont l’avenir est plus qu’incertain, avec le départ quasi assuré de son fondateur en 2019, n’aura suscité autant de convoitises, de coups bas et de coups fourrés. Chacun veut, en mobilisant un maximum de « militants », se positionner en vue des prochaines échéances, quitte à utiliser tous les moyens. Jamais, en effet, la guerre des tendances n’a été aussi forte. A tel point que le parti risque d’en sortir avec de sérieux dégâts. Mais, de cela, Ould Abdel Aziz ne semble point se soucier. Pourvu que le petit peuple soit occupé.
C’est dans ce contexte de sécheresse, de famine, de disette et de division que ceux qui sont censés donner le bon exemple, je veux parler de nos oulémas, se fendent d’une déclaration, au sortir d’une audience avec Ould Abdel Aziz, demandant, ouvertement, un troisième mandat pour « parachever l’œuvre de construction nationale ». Œuvre de déconstruction, sans nul doute, devraient-ils dire. Déconstruction de l’école publique que ne fréquentent plus que les pauvres dans l’impossibilité de payer, chaque mois, 5000 anciennes ouguiyas par enfant en établissement privé. De la santé qui agonise et n’arrive même plus à prodiguer les premiers soins. De l’administration publique qui n’est plus que l’ombre d’elle-même et dont les premiers postes sont occupés par des parachutés sans autre référence que d’opportuns liens de parenté.  De la justice aux ordres, au comble de l’injustice et soumise, les yeux fermés, à l’exécutif. Des marchés publics attribués dans une opacité totale, banalement aux plus disants, sans aucun recours pour les injustement recalés. De l’agriculture qui continue d’absorber des milliards, sans résultats probants. Déconstruction des sociétés publiques qu’on dissout les unes après les autres, jetant à la rue des milliers de pères de famille auxquels on refuse de payer jusqu’à leurs droits. De la loi et des règlements qu’on viole tous les jours, au vu et au su de tous. Du texte fondamental qu’est la Constitution qu’on foule du pied, continuellement depuis 2008. 
De quelle œuvre de construction parlent donc nos vaillants oulémas ? De quelques kilomètres de route tellement mal faits qu’ils se fissurent en un éclair ou se diluent dans l’eau à la moindre averse ? D’un ou deux centres de santé ? D’un canal d’irrigation ou d’un barrage ? Demandons-nous à qui ces « réalisations » ont été attribuées, ce qu’elles ont coûté au Trésor public et vous aurez une idée de cette nouvelle forme de gabegie qui met les finances publiques à rude épreuve et nous endette jusqu’à la moelle. Une lucidité que nos oulémas s’interdisent par crainte de quel pire ? Ou en l’espoir de quels illusoires dividendes, comme au bon vieux temps tayeux ? Une sclérose de l’esprit, dans l’un et l’autre cas. Pas vraiment bizarre, contrairement à ce que je disais en exergue. Du moins pour ceux qui marchent à reculons. C’est-à-dire, à rebours de l’histoire… et des aspirations des gens.
                                                                          Ahmed Ould Cheikh