lundi 26 février 2018

Editorial: Jusqu'où, jusqu'à quand?

Ha, il ne manque pas de culot, notre ministre de l’Economie et des Finances ! Reconnaître publiquement (sur sa page Facebook, tout de même) que notre dette extérieure équivaut à 73% de notre PIB (sans compter la dette du Koweït), fallait oser ! Bon, c’est vrai, il n’avait pas le choix, notre volubile ministre... Dans une interview à un site de la place, la semaine passée, avant son arrivée en Mauritanie, le directeur-adjoint du FMI venait d’adresser une mise en garde, à peine voilée, à propos de ce passif qui n’est « pas loin d’atteindre un seuil critique », selon ses propres termes. Il fallait donc parer au plus pressé. Ne pas donner l’impression d’être pris au dépourvu. Et d’avoir dépensé des milliards pour rien. Des milliards qu’on laissera, de toute façon, comme un boulet, aux pieds, sinon à la gorge, des générations futures.
Plusieurs questions : où sont partis ces milliards ? Tant de dépenses, pour quelques dizaines, voire centaines, de kilomètres de goudrons, plus vite dégradés qu’étalés, des centres de santé sans budget d’entretien et autres infrastructures en telle souffrance de suivi ? Quel fut la part, en ces investissements sans lendemain, des recettes de l’Etat, longtemps gonflées, ces dernières années, par la hausse des cours des minéraux ? Comment ces records de gains n’ont-ils pu freiner notre endettement ? Enorme gâchis qui n’en finira jamais de dévoiler tous ses secrets… s’il les dévoile un jour. Le pillage du pays est orchestré à ciel tant ouvert, éventré pourrait-on même dire, à grandes pelles de marchés de gré à gré, en veux-tu en voilà, attribués toujours aux mêmes, qu’on y perdra encore beaucoup trop d’argent à seulement tenter de les recenser… Grand classique du genre : pour s’assurer l’impunité – pire, obtenir l’appui inconditionnel des grands de ce Monde – c’est en milliards qu’il faut spéculer…
Du temps du président civil démocratiquement élu, l’euro coûtait 350 ouguiyas ; aujourd’hui, il est à près de 440. Le dollar valait 250 ouguiyas ; ce matin, 350. L'inflation galope, s’alarment les experts indépendants. Bref, l'économie est têtue et les vociférations d’Ould Djay n'y peuvent rien, pas plus, d'ailleurs, que les parades du BASEP. Ha, qu’on est bien loin des déclarations du Président, avec ses fameux « Lighaa Chaab », les caisses de la BCM et du Trésor débordantes de devises et d'ouguiyas ! À quoi sert donc d'être au pouvoir, si c'est pour détruire l'économie du pays, ravage à la portée de n'importe quel imbécile ! À quoi sert le pouvoir, si c'est pour emprisonner à tour de bras, excitation à la portée de n'importe quel ravageur ! À quoi sert le pouvoir, si c'est pour mettre sous contrôle judiciaire, parlementaires, syndicalistes, journalistes, brutalités à la portée de n'importe quel excité ! À quoi sert le pouvoir, si c'est pour pourchasser les bâtisseurs et émettre des mandats d'arrêts contre d'honnêtes citoyens, déchaînements à la portée de n'importe quelle brute ! De mal en pis, ce n’est plus seulement contre la décision électorale du peuple que le félon du 6 Août poursuit sa forfaiture, comme le soulignait son regretté cousin, Ely ould Mohamed Vall. C’est aujourd’hui contre le peuple lui-même, la Nation tout entière – excepté, évidemment, le petit groupuscule associé à la curée et la meute des efflanqués qui courent après les miettes de l’orgie –  qu’il se déchaîne. Jusqu’où ; jusqu’à quand, Ould Abdel Aziz, abuseras-tu de la patience du peuple ?
                                                                                                            Ahmed Ould Cheikh

dimanche 18 février 2018

Editorial: L'art de la diplomatie

Les garde-côtes mauritaniens ont la gâchette facile lorsqu’il s’agit de traquer les petites pirogues sénégalaises. Pendant ce temps, les bateaux chinois, russes et hollandais pillent nos côtes, en toute impunité, chaque jour en milliers de tonnes. Mais, bon, ceux-ci sont couverts par des conventions très… policées, alors que ceux-là filoutent pour survivre ; et donc mourir, à l’occasion, sous les balles de nos défenseurs du… désordre. L’affaire a fait du bruit, au sein du petit peuple sénégalais, avec quelques soucis, pour nos ressortissants à Saint-Louis. Remake des années 1989-90? Car les relations, entre Ould Abdel Aziz et Macky Sall, n’ont jamais été au beau fixe. Si le premier n’a jamais hésité, n’hésite et n’hésitera jamais à s’enorgueillir d’une stratégie de tension permanente, avec nos voisins, le second a cette insigne qualité d’être un vrai chef d’Etat et préférer, en conséquence, la gestion à l’affrontement. Voilà pourquoi, sans doute, c’est lui qui a accouru à Nouakchott, pour tenter d’éteindre le feu. Alors qu’en toute civilité et logique, c’est Ould Abdel Aziz qui aurait dû se rendre, en personne, à Dakar, présenter les excuses de la Mauritanie. A contrario, son court message – quasiment un texto, façon amerloque : « Sorry, collatéral dommage ! » – n’aura encore prouvé que son mépris pour les « petites gens » qu’il croit ne plus être, lui, parvenu au pouvoir. Avec, comme à son habitude, des « justifications » a posteriori. Macky Sall n’héberge-t-il pas des opposants – que dis-je, des comploteurs traîtres à la Nation ! – en leur accordant une totale et exaspérante liberté de manœuvre ? Et de faire diffuser, via Whatsapp, par les services de renseignement mauritaniens, un enregistrement audio où l’on entend Macky discuter avec l’un d’eux, en l’occurrence Moustapha Limam Chafi, pestiféré premier dans la hiérarchie criminelle de notre teigneux dictateur.
En visite au Sénégal, il y a quelques jours, Macron a-t-il usé de son influence pour désamorcer la crise ? En conseillant, au chef de l’Etat sénégalais, de signer la convention de coopération bilatérale, pour le développement et l’exploitation conjointe du champ gazier Grand Tortue/Ahmeyin, impraticable sans le paraphe du pays de la Téranga, Macron veut-il forcer la main à Aziz, pour permettre, au Sénégal, d’intégrer le G5 ? Quoiqu’il en soit et à part l’accord sur Grand Tortue, qui sert plus les intérêts de la Mauritanie que ceux de son voisin – celui-ci dispose déjà d’un champ presque équivalent, au large de Dakar (Yaakar) – on peut dire que Macky est rentré bredouille. La résolution du problème des licences de pêche, très attendue, a été refilée aux ministres concernés, tout comme celui de la transhumance. Aux calendes mauritaniennes, donc, qui sont, comme chacun sait, infiniment plus élastiques que les grecques ? Les pêcheurs saint-louisiens peuvent toujours ronger leur frein, en profitant de l’aubaine pour apprendre à éviter, au mieux, les balles… Mais n’est-ce pas là, somme toute, l’art fondamental de la diplomatie ? Nos chefs s’emploient à le vulgariser : c’est déjà un bon point…
                                                                                    Ahmed ould Cheikh

dimanche 11 février 2018

Editorial: Et pourtant elle tourne....

Occultée quelques temps, la question du troisième mandat revient au-devant de la scène. Et pas n’importe où : à l’Assemblée nationale, s’il vous plaît ! Un député, spécialiste du retournement de boubou, a demandé, ouvertement, au président de la République de violer la Constitution, en se présentant à  la prochaine présidentielle. L’élu, qui a bénéficié, il y a quelques mois, d’un quota de poulpes (cédé à un opérateur, contre monnaie sonnante et trébuchante), veut, sans doute, rendre la monnaie de la pièce à son bienfaiteur. Bien qu’Ould Abdel Aziz a dit et redit qu’il n’y consentirait pas. Même si ce n’est pas l’envie qui lui manque. « Le pouvoir a un de ses goûts ! », disait feu Mokhtar ould Daddah. Et, en effet : entre notre guide éclairé et le pouvoir, c’est une longue histoire d’amour. Principal auteur du coup d’Etat de 2005, Il y resta d’abord dans l’ombre, tirant les ficelles. En 2007, il propulse un civil à la tête de l’Etat et se propulse général chef d’état-major à la Présidence. Y prenant tant d’aises que ledit civil dut s’enhardir à le limoger, avant de se voir à son tour limogé, illico presto, par l’étoilé furibard de tant d’audace sans armes. Bizarre, ce pays où des généraux démis  ne se trouvent pas mieux, pour justifier leur coup, que d’accuser le Président d’avoir « décapité » l’armée. Enfin, bref, voilà le pays désormais à la botte du général… qui s’empresse de changer de chaussure et profil, histoire de paraître civilisé. En 2019, il aura totalisé onze ans de pouvoir. Ce qui, comparé à certains dinosaures arabes et africains, n’est pas grand-chose, vous en conviendrez. Mais notre pays a cette particularité d’avoir verrouillé la Constitution, pour éviter que, débotté ou non, nul ne puisse se prétendre indispensable. L’opposition affûte déjà ses armes et la rue, qui commence à en avoir assez de ces années de disette, acceptera difficilement qu’on la trompe de nouveau. Après les slogans tapageurs de 2009, « lutte contre la gabegie », « fin des inégalités » ou « justice sociale », qui se sont révélés vaines et creuses promesses, elle aspire désormais à un mieux-être, une éducation de qualité, un système sanitaire fiable, de vraies infrastructures, plus d’emplois et justice effectivement équitable. Autre donnée incontournable : les partenaires au développement veillent au grain. Ce n’est, en effet, pas un hasard si le représentant de l’Union européenne et, en suivant, l’ambassadeur de France, ont, tous deux, insisté, dans des interviews au Calame et à Al Akhbar, sur la promesse solennelle d’Ould Abdel Aziz à ne pas requérir un troisième mandat, et l’en ont félicité. Des propos qui n’ont apparemment pas plu au porte-parole du gouvernement dont l’ire était perceptible, lors de sa rencontre hebdomadaire avec la presse. Le ministre ne voulait peut-être pas que des étrangers évoquent un sujet « tabou ». La question n’aurait, pourtant, jamais dû jamais se poser, dans un Etat se réclamant de Droit, respectueux de ses institutions et de sa loi fondamentale. Il existe une Constitution, elle est en vigueur et prévoit deux mandats, point final. Appeler à la violer doit valoir, à son auteur, de lourdes peines, amende et inéligibilité. De quoi fermer le clapet à ces oiseaux de mauvais augure qui, pour des intérêts bassement mercantiles, ne veulent pas que le pays avance. Ou vive une alternance pacifique.
Le pays en a assez d’être pris en otage par une junte. Au Mali, Niger et Burkina, pays sur la même ligne de front que nous, dans la lutte contre le terrorisme, des régimes militaires, parfois beaucoup plus ancien que le nôtre, ont cédé la place à des civils. Et la terre a continué à tourner. Certains, il est vrai, s’entêtent à la croire plate et seraient tout-à-fait enclins à jouer les inquisiteurs. Mais, pourtant, elle tourne, notre bonne vieille Terre… et la roue du temps, aussi !
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

mardi 6 février 2018

Editorial: Prestation de services

Ah, les soucis de la presse réputée indépendante ! J’évoquais, dans un précédent édito, ceux de « Jeune Afrique » rampant à peshmerguer* pour le pouvoir nouakchottois. Voilà maintenant que la gangrène touche de plus prestigieux titres ! Ce n’est, en effet, pas moins que le « Journal du Dimanche » (JDD) qu’on vient de surprendre à fouiller les poubelles du Palais gris ! Triste. Après avoir vu ses ventes baisser de près d’un quart, compressé son personnel  et fusionné ses locaux avec ceux d’Europe 1, JDD complète, comme il peut, sa gamelle. En s’avançant imprudemment à défendre une justice aux mains d’une dictature africaine, assimilée, localement, à une « régie des prisons ». Mais le peshmerguisme à la française est autrement plus fin – et sournois – dans ses méthodes, que son homologue africain…

Petite analyse du texte publié, dimanche 28 Janvier 2018, dans les colonnes de l’édition-papier de JDD. La complaisance envers Ould Abdel Aziz est signée de Pascal Ceaux, « enquêteur expert, spécialisé dans les affaires policières ». Elle débute par un astucieux message subliminal, avec une photo du président de la célèbre ONG Sherpa, maître William Bourdon, en sa tenue d’avocat, « au tribunal de grande instance de Paris », précise le journaliste ; photo suivie, immédiatement, de ce commentaire : « l’association de défense des droits de l’homme est mise en cause pour son rôle auprès de Mohamed Bouamatou ». Tribunal, mise en cause… une affaire judiciaire, donc ? On en est, évidemment, à des années-lumière, mais le suggérer suffit à introduire « l’argumentation » de l’habile scribouillard.

Argumentation au demeurant faiblarde, pour ne pas dire étonnamment frivole, de la part d’un si réputé expert. S’étonner, par exemple, que Sherpa n’ait jamais mentionné Bouamatou, en une seule des quinze pages du rapport de Juillet 2017, consacré à la dégradation, depuis 2013,  de la situation en Mauritanie, c’est, à tout le moins, ignorer le fait que le richissime cousin d’Ould Abdel Aziz s’était volontairement exilé de Mauritanie… dès 2010. Preuve, s’il était nécessaire, que l’homme d’affaires était déjà très loin des « bénéficiaires » du pouvoir d’Ould Abdel Aziz qu’il avait, pourtant, très généreusement aidé, lors du putsch de 2008 et, encore sans compter, lors de la campagne électorale de 2009. Ignorance imputable à un manque de professionnalisme, défaut d’informations ou… sélectivité obligée de leurs sources ?

Quoiqu’il en soit, c’est surtout en voulant trop bien faire, au passage des « preuves » de la corruption présumée de Sherpa par Bouamatou, que l’enquêteur de JDD dévoile, sans ambiguïtés, ses accointances privilégiées avec le pouvoir mauritanien. D’où tient-il, en effet, les « 11 308 emails » (sic !) dont il a extrait celui évoquant les aides financières du magnat  à l’association ? Mais Pascal, je l’ai souligné tantôt, est habile. Il se contente d’en déduire une « familiarité » entre l’un et l’autre, laissant, à « l’entourage présidentiel », la matraque de l’accusation de « corruption ». Sans cesser, pour autant, de marquer de quel côté du bâton se trouve-t-il, lui, le grand expert réputé objectif. Quel est, en effet, cet « on » qui « dresse portrait du multimillionnaire ? […] Un  homme », écrit-il, « qui a profité de sa proximité avec les régimes précédents, tout en dirigeant le patronat local, et qui n’admet pas de ne plus être en cour auprès d’Abdel Aziz » ?

Le clou est pointé ; il ne reste plus qu’à l’enfoncer. Et c’est précisément là que Pascal Ceaux va, lamentablement, se le planter dans la main. Car affirmer que c’est « alors qu’il tente de quitter le pays » (sic !) qu’Ould Debagh « est interpellé par les douaniers […], parvient à s’enfuir à pied » (re-sic !), abandonnant voiture et matériel informatique dont les gendarmes extrairont les fameux emails et autres documents, c’est étaler, publiquement, son incompétence professionnelle ; probablement conjoncturelle, soyons indulgents, attribuable aux seules nécessités de son peshmerguiste et, on le lui souhaite, très exceptionnel emploi.

Manifestement, l’impartial expert n’a pas pris la peine de recueillir la version d’Ould Debagh ou, à défaut, du moindre observateur mauritanien non corrompu par le pouvoir azizien. Il eût ainsi appris que l’homme d’affaires était en mission, routinière, vers Dakar ; a passé, sans encombres, les contrôles de douane et de gendarmerie ; s’est vu détrousser, on ne peut plus illégalement, de ses outils de travail par la police et a dû se résigner à continuer sa route, avant d’apprendre leur exploitation outrancière et malhonnête qui l’obligera à rejoindre son ami Bouamatou en exil au Maroc. Comble de sournoiserie, la parole donnée, pour finir l’article, à maître William Bourdon, rappelant combien « juste est la cause de Sherpa, dans son enquête sur la Mauritanie […] gravement minée par la corruption », n’a d’autre objet que de préparer ce que le piètre matador croit l’estocade : « À Nouakchott », écrit-il, « c’est enquêter sur Mohamed Bouamatou qui paraît légitime ». Pourquoi lui, omet de s’étonner monsieur Ceaux ? Bouamatou, mécène qui soutient l’opposition démocratique de son pays, la société civile nationale et internationale pour l’égalité des chances en Afrique…
Aussi apparemment nuancée, hors contexte, la conclusion hâtive de l’expert policier, s’apparente, bel et bien, après un tel discours, à une facture de… prestations de service. JDD nous en révèlera-t-il le montant ? L’éclat de l’or aveugle bien des compétences.

                                                                                  Ahmed ould Cheikh

* Du mot « peshmerga », expression célèbre détournée, en Mauritanie, pour évoquer ceux qui s’avancent en journalistes pour se vendre au plus offrant.