samedi 29 avril 2017

Editorial: Tant va la cruche à l'eau...

Le referendum devrait finalement avoir lieu le 15 Juillet prochain. Ainsi en a décidé le Conseil des ministres, lors de sa réunion du jeudi dernier. Ould Abdel Aziz maintient donc le cap, contre vents et marées, malgré la levée de boucliers que continue de susciter son recours à l’article 38 de la Constitution. Qui autorise, certes, le Président à consulter le peuple, pour toute question d’intérêt national… sauf s’il s’agit de révision constitutionnelle qu’encadrent les articles 99, 100 et 101. Le professeur Lô Gourmo l’a d’ailleurs bien expliqué, l’autre soir, dans un débat  sur une télévision privée. Son contradicteur, qui  a fini par reconnaître qu’il était, lui, magistrat et non juriste, avait si peu d’arguments pour défendre le recours à l’article 38, qu’il finit par jeter l’éponge. Dans un raisonnement implacable, le professeur a précisé que la finalité du referendum, organisé sur la base de l’article 38 – subitement transformé en article « fourre-tout », selon Gourmo, et que rien ne peut entraver, si l’on en croit Ould Abdel Aziz – n’est pas nécessairement les amendements constitutionnels  actuels mais le verrou limitant les mandats. Si cette forfaiture réussit par le referendum, Ould Abdel Aziz, qui a échoué à la faire passer par le congrès parlementaire, aura toutes les cartes en main, avec une assemblée aux ordres et un sénat rebelle en moins. D’où la nécessité, pour la classe politique, la Société civile et les jeunes, de se battre pour que la Constitution ne soit pas foulée du pied et qu’un militaire en fin de mandat n’ait pas à décider de notre sort. Il y va de la survie de notre démocratie, déjà mise à rude épreuve, un certain 6 Août 2008, lorsqu’un général limogé se retourna contre un président démocratiquement élu, pour le renverser. Un péché originel dont Ould Abel Aziz n’arrive toujours pas à s’affranchir, malgré deux élections présidentielles. Ce complexe, qui le poursuit et l’empêche de se voir en président « normal », explique, peut-être, son entêtement à vouloir  imprimer son empreinte à un pays qui ne l’a pourtant pas vu naître, en s’employant à modifier, sans consensus, son drapeau et son hymne national. Qu’y a-t-il d e si urgent et de tant d’importance nationale, à modifier la Constitution ? Les six milliards qui seront engloutis par le referendum ne seraient-ils pas plus utiles ailleurs ? Quel intérêt y-a-t-il à exacerber les tensions entre les pour et les contre, au lieu d’essayer de recoller les morceaux  et de préparer une alternance pacifique ? Ne vaut-il pas mieux pour un Aziz à deux ans de la fin de son dernier (?) mandat, de jouer l’apaisement et se retirer en douce ?
Les frustrations sont toujours mauvaises conseillères et un peuple, lassé de voir ses maigres ressources pillées sans vergogne, ne restera pas éternellement les bras croisés. Personne ne pensait les populations tunisiennes, libyennes ou égyptiennes capables d’un tel déferlement de violences, lors du Printemps arabe. Mais leurs dirigeants les avaient  tant bastonnés qu’ils ont fini par dire basta ! Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse, dit un célèbre dicton. Notre expert en coup de force devrait, ici, se poser la bonne question : en l’occurrence de son referendum, c’est quoi, c’est qui la cruche ?
                                                                                Ahmed Ould Cheikh

dimanche 23 avril 2017

Editorial: Bizarre...

Ould Abdel Aziz est parti, la semaine dernière, en France, après plusieurs années d’une rupture qui ne disait pas son nom. Profitant du séjour, à Nouakchott, du ministre français des Affaires étrangères qui l’aurait invité à se rendre en France, si l’on en croit la très officielle AMI, l’homme du 6 Août a débarqué au Bourget… sans un seul chat pour l’accueillir. L’invitation d’Ayrault n’était peut-être que protocolaire ? Très peu au fait des pratiques diplomatiques – le contraire aurait, d’ailleurs, étonné, de la part d’un militaire – notre guide éclairé aura donc simplement sauté sur l’occasion d’une vague exposition, à l’Institut du Monde Arabe, pour fouler le sol français. Et, disent les mauvaises langues, revoir le médecin qui le suit depuis la fameuse « balle amie » de 2012. S’entretenir aussi avec François Hollande, sans qu’on sache sur quoi, exactement. Le président français, à qui il reste, à peine, un mois de pouvoir, n’a visiblement plus grand-chose à faire, sinon recevoir des chefs d’Etat africains. Même ceux avec qui il avait peu d’atomes crochus, comme le nôtre à qui la France ne parvenait toujours pas à pardonner son faux bond, lors de la guerre du Mali. Alors qu’il avait assuré Hollande, en personne, qu’il apporterait son soutien contre AQMI, après avoir accompli plusieurs opérations par procuration, notre expert ès rectification s’était piteusement débiné, lorsque les armes s’étaient mises à parler. Ce que l’Etat français n’avait que très modérément apprécié. Depuis les relations ont évolué en dents de scie. Et Ould Abdel Aziz n’a loupé aucune occasion de le faire savoir. En commençant par glorifier, à tire-larigot, la résistance contre l’occupant français, donnant, au nouvel aéroport de Nouakchott, le nom d’Oum Tounsi, lieu d’un célèbre affrontement, en 1932, où périt, entre autres, le lieutenant Mac Mahon, petit-fils d’un ancien président de la 3ème République  française. En hommage à cette même résistance, notre guide se bat, actuellement, pour ajouter deux bandes rouges au drapeau national, au détour d’une réforme constitutionnelle déjà recalée par le Sénat. Mais Ould Abdel Aziz ne s’avoue pas vaincu. Il veut, à présent, imposer un referendum dans ce qui s’apparente à un nouveau coup d’état contre la Constitution. Juste pour agacer l’ancienne métropole qui s’est certainement sentie offusquée, lorsqu’il déclara, en Mai 2016, à Néma, que les opposants qui cherchent la bénédiction française peuvent aller se rhabiller. « Ce qui vient de France n’est pas le Saint Coran », avait-il alors péroré, un brin agacé. Et, tout récemment, lors d’un entretien sur France 24, en réponse à une question sur la décision du Quai d’Orsay de sortir, de la zone rouge,  les villes de Chinguitti et Ouadane, il s’est fendu d’une réponse très peu diplomatique : « Zone bleue, blanche ou rouge, ça ne change rien pour nous ». Comme si le tourisme, qui pourrait reprendre, à la faveur de cette décision et faire revivre ces régions, n’était pas important, en soi, pour un pays aussi pauvre que le nôtre.
Malgré ce discours, sinon va-t-en guerre, du moins je-m’en-foutiste,  notre chef d’Etat a trouvé cependant opportun d’aller dire au revoir à un président en fin de mandat et dont l’Histoire ne retiendra pas grand-chose… sinon d’avoir donné la bizarre onction française au referendum anticonstitutionnel que le général défroqué s’apprête à commettre ? « Je vous assure, mon cher cousin, que vous avez dit bizarre ! – J’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre… »
                                                                                     Ahmed Ould Cheikh

dimanche 16 avril 2017

Editorial: Quel ostracisme!

La Mauritanie a célébré, le 1er Avril dernier, la Journée nationale du sport. Avec tambours et trompettes. Le président de la République, le Premier ministre et une palette de ministres, tous en tenue de sport (une fois n’est pas coutume) ont fait le déplacement du Stade olympique pour le coup d’envoi du marathon de Nouakchott. Ils ont également visité les stands des différentes fédérations sportives. Cinq  jours plus tard, c’est le monde entier qui fêtait cette fois la Journée Internationale du Sport pour la paix et le développement. Une décision prise par les Nations Unies en août 2013. La longue liste des destinataires de la lettre du secrétaire général des NU, invités à fêter  cette journée, commence d’abord par les gouvernements, donc le nôtre. Qui fête chaque semaine une journée internationale de quelque chose, du plus important au plus farfelu. Pourquoi pas celle du sport, surtout quand il est pour la paix et le développement ?
 Les deux fêtes auraient pu coïncider. Mais non ! La Mauritanie veut sa propre fête à elle. Où le Comité national olympique, dirigé, depuis nombre d’années, par un « rebelle », n’aura pas son mot à dire, contrairement à ce qui se passe dans les pays « normalement » constitués. Où le Président ne politise pas tout et ne fait pas, de la  devise « qui n’est pas avec moi est contre moi », son immuable credo.
L’ancien bâtonnier de l’Ordre national des avocats et le précédent président de la Communauté urbaine de Nouakchott, qui avaient le malheur d’être du « mauvais » côté, firent, en leur temps, eux aussi les frais de cet ostracisme présidentiel. Le premier organisa la Conférence internationale des barreaux de tradition juridique commune (CIB) avec la présence des plus grands avocats francophones qui foulent notre sol national pour la première fois. Le second, une grande réunion des maires francophones. Aucun officiel mauritanien n’a assisté aux cérémonies d’ouverture ou de clôture. Les délégations étrangères, malgré leur importance, ne reçurent aucun accueil officiel et les ministres de la Justice ou de l’Intérieur, qui assurent la tutelle, n’ont pas daigné leur accorder une visite de courtoisie. Quitte à écorner un peu plus l’image du pays dont la réputation n’était déjà pas des plus flatteuses. Et, pas plus tard que la semaine dernière, le président de 54 Comités nationaux olympiques d’Afrique, le général ivoirien Lassana Palenfo, s’est déplacé à Nouakchott. Il n’a pas eu plus de chance que les avocats ou les maires francophones. Le ministre des Sports, qui recevait pourtant il n’y a pas longtemps le président de la fédération de football de Madagascar, l’a superbement ignoré. Malgré une demande d’audience adressée par le CNO. Notre guide éclairé est têtu. Il n’en fait qu’à sa tête. Il n’est pas possible dans ce pays, qui se veut démocratique, d’occuper un poste même électif (président de comité olympique, bâtonnier des avocats ou maire d’une grande ville) et travailler normalement si on ne gravite pas le giron présidentiel.
Il y va du sport comme de la politique. Le bannissement y est la règle. Les opposants qui refusent de courber l’échine sont pris pour cible. Les journalistes qui essayent d’être un tantinet objectifs, exclus de tout. Les hommes d’affaires qui n’appartiennent pas au clan et veulent faire preuve d’un peu d’indépendance  subissent les foudres du fisc  et de la douane. Les notables qui n’entrent pas dans les rangs ne reçoivent plus rien de l’Etat. Qu’il est loin le discours de 2008-2009 ! Lorsqu’on nous bassinait avec cette Mauritanie nouvelle où la justice régnerait en maître, où personne ne serait exclu pour ses positions politiques, où les pauvres auraient « leur » Président qui s’occuperait de leurs problèmes à temps plein, où la gabegie et la déprédation appartiendraient au passé… On voit, huit ans plus tard, ce qu’il en est. La situation parle d’elle-même. S’il est très peu probable qu’un seul de nos ministres se soit fatigué à courir, le 1er Avril, seulement cent mètres du marathon, il est, par contre, très certain que le peuple mauritanien n’ait aucunement besoin d’une telle manifestation pour se sentir épuisé : son quotidien y pourvoit largement.
                                        EDAhmed Ould Cheikh

dimanche 9 avril 2017

Editorial: Morale Yoyo

Après avoir affirmé, solennellement, lors de l'ouverture et de la clôture du dernier dialogue, que "les propositions et recommandations requérant des modifications constitutionnelles seront soumises au plébiscite populaire par voie référendaire", Ould Abdel Aziz change, subitement, son fusil d'épaule : plus question d'une consultation populaire qui coûtera les yeux de la tête. Six milliards, selon notre nouvel Iznogoud, celui qui veut devenir Calife à la place du Calife, qui détient les cordons de la bourse et ne les délie que pour la ''bonne'' cause. Place donc au congrès du Parlement. Moins cher et moins risqué pour qui détient majorité confortable en celui-ci. L'opération de charme pour convaincre les parlementaires commence : terrains bien placés, invitations, petits services entre amis, promesses en tout genre… et, maintenant, tirez les premiers, messieurs les députés ! Comme prévu, la salve fait mouche. Reste à convaincre une trentaine de sénateurs de choisir la "bonne voie". La démarche se révèle plus périlleuse que prévu. Les papis font de la résistance et… patatras ! Rejettent, à une large majorité, les amendements constitutionnels. Coup de tonnerre dans le camp de la majorité. Qui observe, pendant plusieurs jours, un silence de cathédrale. Attendant que son chef prenne les devants. Ce qu'il fait, cinq jours plus tard, en nous offrant une nouvelle volteface : fi de l'impasse " Congrès du Parlement " ! Quoique coûteux, le referendum, désormais paré de toutes les vertus, redevient solution, que dis-je, "La" solution ! Un yoyo auquel nous a habitués notre guide éclairé dont la constance est loin d'être la vertu cardinale. Mais, au-delà de ce revirement et des justificatifs tirés par les cheveux de l'article 38 de la Constitution, c'est la morale politique qui prend un sérieux coup. Quand on choisit une voie et qu'on échoue, en prendre une autre par entêtement est tout aussi moralement condamnable que politiquement incorrect. Mais que veut dire morale dans un pays où l'on peut renverser, impunément, un président élu, nommer qui l'on veut où l'on veut, sans tenir compte d'aucun critère objectif; faire main basse sur ses richesses et fouler du pied ses lois, textes et règlements ? De quelle morale se targuer, quand on considère le texte fondamental qu'est la Constitution comme un simple bout de papier qu'on peut changer à sa guise ? Peut-on parler de morale dans un pays où il n'y en a plus, où les laudateurs et autres flagorneurs se muent en donneurs de leçons ? Que veut dire morale quand le président d'un pays pauvre et exsangue, où les salaires sont parmi les plus bas du Monde, se voit mieux payé que ses homologues de Russie, de France, d’Angleterre ou d'Allemagne, pour ne citer que ceux-ci ?
                                                                                       Ahmed Ould Cheikh
 
 

lundi 3 avril 2017

Editorial: Boutons le jusque-au-boutiste!

Cinq jours après le coup de sabot du Sénat, qui a rejeté, à une large majorité, les amendements constitutionnels proposés par le pouvoir, Ould Abdel Aziz est monté aux créneaux. Alors qu’il pouvait laisser le Premier ministre ou le président du parti-Etat réagir, après cette monumentale déculottée, il a préféré dire, lui-même, ce qu’il a sur le cœur. Visiblement décontenancé mais tentant, sans grand succès, de garder son calme, il a d’abord commencé par régler leurs comptes à ces sénateurs « traîtres » qui ont osé aller à l’encontre de ses désirs. Après l’avoir, pourtant, assuré de leur indéfectible soutien. Comme quoi, en politique… N’empêche ! Ces amendements, qui les font jaser et les feront disparaître, seront proposés, au peuple, par referendum, quitte à tordre le cou à la Constitution. Certes, l’article 38 prévoit que le président de la République peut consulter le peuple, pour « toute question d’intérêt national » mais toute modification du texte fondamental est verrouillée par les articles 99, 100 et 101. Les exégètes du Droit constitutionnel n’y peuvent rien. Mais, de cela, notre rectificateur en chef n’a cure. Il a décidé, ça se fera. Même si le peuple désapprouve, il restera droit dans ses bottes. N’est-il pas de la trempe de ceux qui ne sont « pas faits pour démissionner ou pour échouer », comme il s’est défini lui-même, lors de son show télévisé de mercredi dernier. Un qualificatif nouveau qu’il faut désormais ajouter au vocabulaire azizien, déjà assez riche en redondances, contre-vérités et propos peu amènes à l’encontre de ses opposants et contradicteurs.
Le referendum sera, donc, organisé dans quelques mois. Il faut s’y faire. Notre guide éclairé en a décidé ainsi. Avec, peut-être, moins l’objectif de faire passer « ses » amendements que de discréditer ceux de la Transition, via le déni de l’article 99… Troisième mandat, troisième mandat, quand tu nous tiens… Mais en quoi ces supputées combines nous feraient-elles sortir de l’ornière ? Régler notre crise politique ? Réduire notre endettement ? Faire baisser les prix ? Améliorer notre système éducatif ? Sortir notre santé de l’agonie ? A quoi bon jeter six milliards par la fenêtre, quand on en tant besoin ? Où est dans l’urgence, dans le changement de l’hymne national ou l’ajout de deux bandes rouges au drapeau national ? Le pays n’a-t-il pas d’autres priorités ?
Il faut galvaniser nos intellos, hommes d'affaires, banquiers, hauts cadres et hauts fonctionnaires : c'est plus urgent et payant que chercher à deviner ce qui se passe dans la tête de notre putschiste invétéré. C’est vraiment l'urgence du moment, après le vote des sénateurs et la rencontre de Son Altesse Ego 1er  avec la presse : mobiliser l'élite en « l'interpellant violemment ». N’eût été la lâcheté de notre gratin national, Ould Abdel Aziz n'aurait osé seulement envisager de tordre le cou à la Constitution. Boutons le jusque-au-boutiste ! Laissons l’homme du 8 Août à sa quête angoissée de débouchés existentiels et organisons-nous, calmement, pour le pousser méthodiquement, inexorablement dehors : le plutôt sera le mieux, pour le pays et sa stabilité.
                                                                        Ahmed Ould Cheikh