lundi 22 décembre 2014

Editorial: Tout et tout de suite!

Notre guide éclairé l’a dit et répété, la semaine dernière. Ici, lors d’un passage à l’agence Tadamoun ou là, dans un centre de formation professionnelle. Le genre de déclarations qu’on provoque à l’occasion d’une visite pas si inopinée que cela, dans une structure de l’Etat. Un journaliste du service public est commis pour poser la « bonne » question, au moment où le Président achève son parcours et sort, attendant qu’on lui tende le micro. Commence alors un long monologue où le rectificateur en chef délivre son message sur l’actualité chaude du moment. Cette semaine, c’était, encore une fois, la gabegie et le détournement des deniers publics qui étaient « à l’honneur », deux thèmes chers à notre leader maximus. Question d’autant plus brûlante que plusieurs milliards d’ouguiyas viennent de s’envoler des caisses du Trésor public, à Nouadhibou, Aioun et Néma, et de celles de la SOMELEC, à Kiffa, Sélibaby, Akjoujt et Rosso. Durant quelques années, des percepteurs et caissiers indélicats ont fait main basse sur ces rondelettes sommes, sans que personne n’y trouve à redire, malgré des trains de vie des plus fastidieux, sans commune mesure avec les revenus modestes de ces fonctionnaires.
La « bonne » question du jour n’avait, on l’espère, rien à voir avec les organismes visités. Elle portait, en effet, sur la Journée mondiale de lutte contre la corruption. Et Ould Abdel Aziz d’y répondre avec volubilité, sans crainte des répétitions et redondances qui faisaient, ici, office de clous à marteler : « La lutte contre la gabegie et la corruption sera poursuivie dans le pays […] Notre combat contre la gabegie n'est pas un slogan […] Nous continuerons à lutter contre la gabegie, la corruption et le détournement des deniers publics et les lois se rapportant à ce sujet seront appliquées à tous, avec toute la rigueur requise […] ».
Tremblez, prévaricateurs ! Ceux qui ont été pris la main dans le sac seront punis, selon les lois de la Mauritanie nouvelle : ils ne rembourseront pas une ouguiya, resteront quelques mois ou années en prison, comme d’autres qui les ont précédés et se retrouveront libres comme l’air, sur intervention d’un général, d’un gros bonnet ou d’un chef de tribu. Peut-être même que ce laxisme a encouragé certains à tenter leur chance, provoquant cette saignée dont on n’est pas prêt de situer les débuts, encore moins les montants, le contrôle n’ayant concerné que les quatre dernières années.
Cela dit et quoique ce crime économique soit impardonnable, il n’est que l’arbre qui cache la forêt. La gabegie, ce n’est pas seulement piquer dans la caisse. C’est les nominations de complaisance, l’attribution de marchés de gré à gré, le trafic d’influence, pour obtenir des avantages indus, l’exclusion de cadres compétents, parce qu’ils ne sont pas du « bon » côté, la toute-puissance de la parentèle à laquelle aucun ministre ou directeur général ne peut rien refuser… C’est ce culte, généralisé, de l’argent avant tout, par-dessus tout, sans aucune considération de juste rémunération de compétences, travail bien fait, engagement tenu. La jeunesse soixante-huitarde des pavés parisiens clamait : « Ce que nous voulons ? Tout et tout de suite ! » Et certes : si la Mauritanie contemporaine en a fait son slogan, il est vrai qu’elle est fort jeune. Même si les plus acharnés à appliquer cette maxime ne sont pas tous nés, loin de là, de la dernière pluie…
                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh
    

dimanche 14 décembre 2014

Editorial : La foi de Mokhtar


Depuis quelques semaines et à l’occasion du 54ème anniversaire de notre indépendance nationale, une campagne de dénigrement systématique est menée, sur plusieurs fronts, contre feu Mokhtar ould Daddah, le premier président de ce pays et son fondateur ex nihilo. Il est tout à fait compréhensible qu’on ne soit pas d’accord sur le parcours de l’homme, sa politique, sa façon de diriger, les décisions, qu’il a prises : nul n’est infaillible. Aucun homme, quel qu’il soit, n’a jamais fait l’unanimité chez lui. Le proverbe ne dit-il pas à juste titre que ‘’nul n’est prophète en son pays’’ ?  Comment pourrait-il en être autrement d’un homme que la modestie étouffait et dont toute l’action a été guidée par un désintérêt total pour les biens de ce bas monde ?
Il a fait l’objet de critiques et c’est tout à son honneur de dire qu’il a reconnu ses erreurs et essayé de les corriger. Reconnaissons-lui, au moins un mérite : celui d’avoir cru en ce pays et de s’être battu pour qu’il voie le jour, dans un environnement plus que défavorable. Il avait, certes, le soutien de l’ancienne puissance coloniale mais qui pouvait prétendre diriger, à l’époque, quelque territoire de l’ancien empire français sans le soutien de l’Hexagone ? Et, si les Français l’ont installé sur le « trône », il n’en a pas moins essayé de voler de ses propres ailes. Il a renoncé à la subvention française, dite d’équilibre budgétaire, pour permettre au pays de vivre et fonctionner par ses propres moyens. Il a nationalisé la MIFERMA, révisé les accords avec Paris et fondé une monnaie nationale. Quel dirigeant africain a le courage, de nos jours, de prendre une seule décison de ce genre ?
Mokhtar n’avait qu’un seul objectif : consolider l’indépendance de la Mauritanie et lui donner voix au chapitre. Et il a réussi, au-delà de toute espérance. Que ce soit au sein de l’Organisation africaine, dont il fut l’un des fondateurs, à la Ligue arabe ou au Mouvement des non alignés, la voix de notre pays n’avait rien à voir avec son poids réel. Il a combattu le sionisme, l’apartheid et les colonisations portugaise et espagnole en Afrique, avec la dernière énergie. Les leaders palestiniens, sud-africains, cap-verdiens ou bissau-guinéens étaient accueilis à Nouakchott, avec tous les honneurs et avaient droit à des passeports mauritaniens, pour ceux qui le demandaient.
Le président fondateur possédait aussi une qualité dont il peut, seul, se prévaloir, parmi tous les autres chefs d’Etat, d’ici ou d’ailleurs : le désintéressement. Les milliards qui lui furent offerts, à titre privé, furent automatiquement reversés au Trésor public. Si bien qu’à son départ du pouvoir, il n’avait, pour tout bien, qu’une villa à Nouakchott, construite grâce à un prêt bancaire et qui sera confisquée, par les militaires, pendant de longues années.
Qui dit mieux ? Qui d’autre que lui peut se prévaloir d’un tel bilan ? Qui d’autre que lui a porté aussi haut les couleurs de notre pays ? Il serait assurément exagéré de dire que l’homme n’avait que des qualités. Il avait aussi ses défauts, comme tout être humain, et a fait des erreurs dont une, au moins, la guerre du Sahara, fut fatale à son pouvoir. Mais avait-il le choix ? La guerre ne lui a-t-elle pas été imposée ?
Alors, à quoi rime toute cette campagne ? Quel intérêt a-t-on à houspiller les morts ? Même si l’on n’est pas en phase avec les fondateurs de notre pays, pour des raisons idéologiques ou plus terre-à-terre, reconnaissons-leur, au moins, qu’ils avaient un idéal et qu’ils y ont cru. Ce qui, par les temps qui courent, ne court pas les rues. Avant même d’être un homme de bonne religion, Mokhtar ould Daddah était un homme de foi. L’un allait avec l’autre et ceux qui s’acharnent à salir sa mémoire ne prouvent, seulement, que leur propre incapacité à entendre le sens de cette conjonction. Fondamentale, pourtant, dans l’établissement de notre nation. Et ce n’est pas peu dire…
Ahmed Ould Cheikh