mercredi 30 juin 2010

Editorial : Gâteau national

Deux ans et demi après un examen de passage réussi devant le groupe consultatif – c’était en décembre 2007, à Paris – la Mauritanie s’est retrouvée de nouveau, la main toujours tendue, devant les mêmes bailleurs de fonds. A Bruxelles, cette fois, les 22 et 23 juin courant, lors d’une table ronde organisée sous l’égide de l’UE, présidée par un royaume d’Espagne qui n’a jamais ménagé son soutien au pouvoir d’Ould Abdel Aziz, dès le premier jour de son putsch d’août 2008. Le gouvernement mauritanien, qui donnait l’impression d’y jouer sa tête tant les attentes étaient énormes, voulait faire d’une pierre deux coups: normaliser ses relations avec la communauté des bailleurs de fonds et aller au-delà du chiffre symbolique de 2,2 milliards obtenus par l’équipe de Zeine Ould Zeidane en 2007. Sur ce dernier point, il a réussi. Le montant des engagements a bien dépassé celui de 2007 mais, si l’on en déduit les 2,2 milliards de dollars que les créanciers avaient mis sur le tapis dans la capitale française, il y a lieu de tempérer, un tantinet, le satisfecit. Surtout qu’il ne s’agit pas d’un blanc-seing, donné au pouvoir de Nouakchott, pour disposer de cet argent à sa guise. L’UE a remis au goût du jour les engagements pris par la Mauritanie, en décembre dernier, pour pouvoir bénéficier des fonds du 10ème FED. Notamment les points relatifs à l’ouverture, effective, de l’espace audiovisuel; la transformation des médias d’Etat en médias de service public; l’octroi de moyens permettant à la HAPA d’effectuer son rôle de régulation, dans un espace audiovisuel pluraliste; l’adoption, par le gouvernement, d’un code de déontologie des médias et d’une loi dépénalisant les délits de presse, ainsi que le dialogue entre les forces politiques mauritaniennes. Le document, distribué aux bailleurs de fonds, comme pour leur rafraîchir la mémoire, comprenait, également, d’autres engagements: sur les libertés, un code électoral consensuel, les droits fondamentaux, l’esclavage, le passif humanitaire, la lutte contre la corruption, la gestion des finances publiques, la décentralisation, la justice, l’Etat de droit, la gouvernance sociale et environnementale et, enfin, les migrations et la sécurité. Tout un programme dont certains points ont été, tout simplement, zappés par l’équipe au pouvoir. Pourtant ni le commissaire européen, encore moins son directeur du développement, qui ont assisté à la deuxième journée de la table ronde, n’ont fait la moindre objection. Donnant même l’impression que, de leur point de vue, la crise politique et les Accords de Dakar appartiennent au passé et qu’il faut, désormais, se tourner vers l’avenir.

Résultat des emplettes sur le marché bruxellois: trois milliards de dollars à consommer, sans modération, au cours des trois prochaines années. Un pactole non négligeable, par les temps de vaches maigres qui courent et qui justifient bien quelques contorsions, dans les rues de Nouakchott. Encore faut-il ficeler correctement les projets, respecter les procédures, présenter les requêtes de financement dans les délais; en bref: justifier notre capacité d’absorption. Ou de notre incapacité à tirer profit d’un argent qui nous a été, si «généreusement», prêté. Dans un pays où tout est à (re)construire, ce serait un crime de ne pas profiter de cette «manne». Si l’on peut appeler ainsi des dettes que nous léguerons à nos enfants, petits-enfants, voire petits-petits-enfants... Alors, pères, grands-pères et arrières-grands-pères, réfléchissez à deux fois, avant de vous goinfrer, égoïstement, du gâteau national…

Ahmed Ould Cheikh

mardi 22 juin 2010

Editorial : Dindons de la farce, jusqu’à quand ?

Il y a quelques mois, dans un souci légitime de placer un compatriote à la tête d’une organisation internationale dont notre pays est membre fondateur, le gouvernement mauritanien présentait la candidature de Mohamed Khaled Ould Sidiya pour le poste de directeur général de l’ASECNA. Nous avons tous applaudi des deux mains et l’on s’était dit que ce n’était que justice. La Mauritanie n’a jamais obtenu un poste qui vaille dans une organisation internationale, se contentant de voter pour les autres, à chaque échéance, sans rien obtenir en échange. Par le passé, nous avions tenté de briguer la présidence de la Banque Africaine de Développement mais nos «amis» nous ont préféré le Maroc. Probablement parce que notre pays faisait partie des petits actionnaires qui n’avaient pas voix au chapitre.
Cette fois, c’est une autre paire de manches qui se jouera, en juillet prochain, à Moroni des Comores. A l’ASECNA, non seulement les pays sont à parts égales mais la Mauritanie dispose de l’un des plus étendus espaces aériens de l’Organisation. Et génère, de ce fait, des recettes considérables. Notre gouvernement a donc décidé de ne plus continuer à s’exclure de la cour des «grands» et de réclamer sa part du gâteau. Ses ministres des Affaires Etrangères et de l’Equipement ont pris leur bâton de pèlerin pour sillonner l’Afrique et demander le soutien des pays membres de l’Agence. A commencer par le Sénégal dont le président nous a assurés de son soutien. Il faut dire que la Mauritanie craignait, par-dessus tout, une candidature malienne qui risquait d’éparpiller les voix de l’Afrique de l’Ouest à qui le poste doit désormais revenir, en vertu d’un accord non-écrit de rotation avec les autres régions membres de l’ASECNA. Mais voilà qu’après avoir soutenu notre candidat, apparemment du bout des lèvres seulement, le Sénégal opère un virage à 180 degrés. Une volte-face dont le vieux Wade, qui porte de plus en plus difficilement le poids des ans, est devenu coutumier. Ainsi plusieurs organes de presse ont fait état, la semaine passée, d’une opération commando, menée par Ahmed Diané Séméga, ministre malien des Transports, pour vendre le joker Amadou Guittèye, actuel directeur général de l'OACI (Organisation de l'Aviation Civile Internationale), au chef de l'Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, avec le soutien de son fils Karim Wade, ministre d’Etat, chargé des Infrastructures. Karim, qui a déjà assez de déboires avec sa gestion pour le moins opaque de l‘Agence Nationale chargée de préparer le Sommet de l’OCI de 2008 et avec les 20 milliards de Sudatel – sans compter un certain nombre d’autres casseroles – ne craint pas de se brouiller avec la Mauritanie. En lui assénant ainsi un coup de poignard dans le dos.
Laisserons-nous faire? Dindons de la farce, jusqu’à quand? Enième péripétie des relations houleuses avec notre grand voisin de l’Est ? S’agit-il, seulement, pour le Mali, de torpiller notre candidature? Quand serons-nous, enfin, respectés? Quand se décidera-t-on à dire, ouvertement, que nous ne voterons plus pour ceux qui se refusent à voter pour nous? Ould Abdel Aziz, avec sa dette envers les Sénégalais – médiation de Wade et accords de Dakar, pour n’évoquer que la pointe visible de l’iceberg – s’apprêterait-il à sacrifier un compatriote. Mon Dieu, qu’il semble loin le temps où notre pays avait son mot à dire dans le concert des nations, où l’épicerie n’était pas l’unique référence de gouvernance! Qu’Allah ait Moktar Ould Daddah en sa sainte Miséricorde et qu’Il nous accorde, sans tarder, un vrai chef d’Etat, de l’envergure du fondateur de notre République! Nous n’avons pas été très bons, c’est le moins qu’on puisse dire, depuis 1978, mais pitié, Seigneur, accordez-nous une nouvelle chance de réaliser l’énorme potentiel de notre Nation! Amine.
Ahmed Ould Cheikh

mardi 15 juin 2010

Editorial : Lourde responsabilité

Après les accords de Dakar, signés en juin 2009, qui entendaient mettre fin à la crise politique consécutive au coup d’Etat du 6 août 2008, le pays s’achemine vers une échéance capitale: la réunion de Bruxelles. Qui s’apparente à un examen de passage, au cours duquel la Mauritanie devra présenter sa stratégie de développement et les grands projets qu’elle initiera dans les années à venir. Le point sera également fait sur les engagements pris par les bailleurs de fonds en 2007. Une table ronde qui vient à point nommé, c’est le moins qu’on puisse dire, pour un pays pris à la gorge, vivant surtout des subsides octroyés par les donateurs et qui attend, depuis son «retour à l’ordre constitutionnel», qu’on se penche, enfin, sur son sort. Seulement voilà, il y a encore comme un petit problème qui empêche l’horizon de s’éclaircir. Les Accords de Dakar, signés sous l’égide de la Communauté internationale, prévoyaient plusieurs points que le pouvoir a fait mine d’ignorer. Tant que cela l’arrangeait. Ainsi le dialogue avec l’opposition, qui s’est limité, depuis la dernière présidentielle, à des attaques en règle, de part et d’autre. Or, cette situation risque de compromettre les chances de succès de la réunion de Bruxelles, malgré le soutien, affiché, de l’Espagne et de la France, au pouvoir d’Ould Abdel Aziz. Le royaume ibérique, qui ne désespère pas de voir la Mauritanie accéder aux demandes d’Al Qaida de libérer certains de ses membres, en échange des humanitaires espagnols, a même dépêché son ministre des Affaires étrangères pour amener Ould Abdel Aziz à de meilleurs sentiments vis-à-vis de son opposition. La réaction ne s’est pas fait attendre. Le président de la République convoque le président d’Adil pour lui notifier sa prédisposition au dialogue. Prise de court, l’opposition dit d’abord «oui», puis «oui mais» et, enfin, «non». Chat échaudé craint l’eau froide. Sentant, derrière l’annonce, un coup fourré et instruite par l’expérience de Dakar, elle ne veut plus s’engager à la va-vite, pour être roulée, plus tard et très méticuleusement, dans la farine.
Si, sur le conseil de ses soutiens, Ould Abdel Aziz voulait se mettre dans la posture du «chef-ouvert-au-dialogue-mais-dont-l’opposition- ne-veut-pas-jouer-le-jeu», qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Cela lui garantira-t-il le succès bruxellois escompté? On peut en douter. Nos interlocuteurs ne sont pas uniformément aveugles ni toujours dupes des évènements. Ce qui est, en tout cas, certain, c’est qu’un échec de la table ronde impliquerait autant le pouvoir que l’opposition, dans la lourde responsabilité de la catastrophe qui ne manquerait pas de s’abattre sur notre pays pauvre et exsangue. Un espoir déçu? Un de plus.
Ahmed Ould Cheikh

lundi 7 juin 2010

Editorial : Le bœuf et la grenouille

L’adoption, lors du conseil des ministres, d’un projet de décret portant fondation d'un établissement public dénommé «Office National des Services d'Eau en Milieu Rural» (ONSER) a achevé de convaincre les plus sceptiques que quelque chose ne tourne plus rond dans ce pays. Où, contrairement à la tendance mondiale, le gouvernement est en train de prendre (perdre?) pied dans l’économie. Il y a quelques jours, dans une interview à notre confrère «La Tribune», le représentant de l’Union Européenne parlait, avec beaucoup d’euphémisme, d’absence de visibilité économique. Il faut dire que l’UE, qui parrainera la conférence de Bruxelles, prévue les 22 et 23 juin, a de sérieuses raisons de s’inquiéter. La réforme des transports qu’elle a initiée et financée depuis quelques années, est en train d’être remise en cause, avec la fondation de deux sociétés publiques de transports aérien et terrestre. Une façon très peu diplomatique de jeter l’argent du contribuable européen par la fenêtre.
Que diront, ensuite, les autres partenaires, notamment la Banque Mondiale et le FMI, chantres, s’il en est, de la libéralisation à outrance, quand ils sauront que le gouvernement est en train de mettre sur pied des sociétés pour la commercialisation du lait, de la viande et, même, du grillage. Qu’il attribue des marchés à des sociétés étrangères au domaine pour lequel elles ont été «sélectionnées», comme la route Aweiviya-Keur Macène attribuée à une entreprise d’aménagements…… agricoles. Que le contrôle des ouvrages est, désormais, du ressort du ministère de l’Equipement qui dispose de très peu de compétences – et c’est là aussi un euphémisme – alors que les bureaux d’étude nationaux, capables de mener à bien ce travail, sont légion.
Question subsidiaire: que fait le patronat, dans ce cadre, pour défendre les intérêts de ses adhérents et empêcher qu’ils ne soient, ainsi, exclus du jeu? Rien. Pas un mot, ni un communiqué, encore moins une déclaration. Comme lorsque les banquiers ont été arrêtés, il y a quelques mois. Vous avez dit UNPM? Union Nationale des Pas-un-mot-plus-haut-que-l’-autre de Mauritanie.
L’autre interrogation qui se pose, à présent, se résume à un exercice de voltige: comment concilier économie de marché, préalable à toute entente avec les bailleurs de fonds, et économie dirigée, vers laquelle on semble s’acheminer? L’équation est pourtant simple, d’un point de vue économique: si l’Etat investit dans certains domaines pour mettre sur pied des structures fiables et les céder, ensuite, au privé, l’option peut être considérée comme bonne. Mais s’il veut y prendre pied, définitivement, comme dans l’aviation, au moment où des Etats forts, comme la Suisse ou la Belgique, ont abandonné leurs compagnies aériennes, il y a comme un mélange de genres qui risque nous valoir bien des déboires avec nos partenaires. Un Etat pauvre n’a pas à choisir sa voie. Ce sont ceux qui détiennent les cordons de la bourse qui le font pour lui. Lâche abandon de souveraineté? Lucidité, bien contraire, qui permet, à terme, de construire celle-là. Dans le cas contraire, on s’expose au sort de la grenouille de La Fontaine, vous savez, celle qui voulait devenir plus grosse que le bœuf…
Ahmed Ould Cheikh

mardi 1 juin 2010

Editorial : Conseils civils aux militaires

Au cours d’un atelier d’une demi-journée, organisé, la semaine dernière, par l’état-major de l’armée nationale, auquel ont participé une dizaine de journalistes, triés sur le volet, le ministre de la Défense, Hamady Ould Hamady, a annoncé, sur un ton solennel, que la presse mauritanienne n’a plus «le droit de publier des informations relevant du domaine du secret militaire ou susceptibles d’être considérées comme telles ». Et d’ajouter, sur le ton de la menace cette fois, que le fait de publier des informations sur le mouvement des unités militaires, leur positionnement ou leur commandement «ne pourra plus être toléré et leurs auteurs seront exposés à la loi dans toute sa rigueur». Clair, net et précis. Messieurs les journalistes, vous savez à présent à quoi vous en tenir. Plus d’informations sur une unité militaire qui se déplace ou fait des manœuvres. Plus le droit de dire que la 6ème région militaire est basée à Nouakchott ou que la 1ère l’est à Nouadhibou. Qu’elles sont dirigées par tel ou tel. Plus un mot sur des chefs militaires qui sautent ou permutent. Ou même sur leurs familles. Les secrets militaires sont, à présent, des secrets d’alcôve. Tout le monde les connaît mais motus et bouche cousue. Si l’on ne veut pas être «exposé à la loi». A laquelle ces donneurs de leçons ne sont, apparemment pas, astreints. Est-il plus délictuel de donner une information, fût-elle militaire, que de violer la Constitution? Est-il plus grave de dire que l’armée s’est positionnée en tel ou tel lieu que de déposer un président élu par une majorité de citoyens?
Il y a quelques mois, l’état-major national, à grands renforts de publicité, invitait des journalistes à se rendre compte, par eux-mêmes, du nouveau dispositif que l’armée avait mis en place dans l’Adrar, pour sécuriser le nord du pays et empêcher l’infiltration de terroristes. Moins d’un mois après, un commando d’Al Qaida enlevait trois humanitaires espagnols, sur la route de Nouadhibou, et traversait le pays, sans être inquiété. Les mailles du filet devaient être grosses, écrivions-nous alors. De retour de l’expédition dans l’Adrar, les journalistes «embedded» – embarqués, comme on dit en anglais – avaient-ils donné des informations sensibles qu’Al Qaida aurait exploitées? Comme si la nébuleuse n’avait, comme source de renseignements, que quelques feuilles de choux que personne ne lit, en dehors de Nouakchott. Et pourquoi, alors, l’armée les avait-elle données, ces informations? Elle aurait pu se contenter de généralités ou d’informations peu ou pas «sensibles» – encore faut-il se mettre d’accord sur les limites de la sensibilité militaire – pour éviter ce piège à cons dans lequel les médias sont tombés, comme des bleus.
Et si tout cela n’était, en fait, qu’un moyen de faire pression sur la presse, pour la mettre au pas? Lui interdire de parler «militaire», dans un pays sous régime de la «rémilitarie», la res militaris, depuis trente ans. Et basta! Qu’ils arrêtent d’interférer dans nos vies, s’ils ne veulent pas qu’on intervienne dans la leur! Qu’ils quittent la politique et se concentrent sur leur domaine et ils verront que plus personne ne «sautera» sur eux! Ceux qui le feraient pourraient bien, alors, être exposés à la loi, voire au pilori. Mais, avec le mélange des genres que nous subissons, depuis le 10 juillet 1978, il est, à tout le moins, prétentieux de vouloir être «le livre qui conseille d’utiliser l’eau, alors qu’elle lui est interdite».
Ahmed Ould Cheikh