lundi 29 juillet 2019

Editorial: Justice transfrontalière

Dans sa chasse effrénée aux opposants, dont le seul tort est de lui avoir dit non et de s’être élevés contre ses méthodes cavalières de gestion, Ould Abdel Aziz  ne veut aucun répit. Même à quelques jours de la fin de son deuxième et dernier mandat, il mobilise avocats et policiers, dans une traque qui risque fort de n’avoir pas plus d’effet que les précédentes. Les mandats d’arrêt lancés, il y a quelques années, contre ses opposants à l’extérieur ont été rejetés par l’Organisation internationale de police, la fameuse Interpol, au motif qu’ils sont de nature politique et ne se basent sur aucune preuve formelle. Aziz ne s’est pas avoué vaincu pour autant. Il ordonne à ses hommes de monter un nouveau dossier où deux hommes d’affaires, opposants en exil, sont accusés, entre autres, de «blanchiment d’argent et fraude fiscale ».  Et pour appuyer sa démarche, il sollicite des experts d’Interpol, de façon à rendre le dossier plus «recevable » que le premier. L’homme a manifestement la haine tenace. Et fait  tout pour porter l’estocade à des adversaires coriaces, avant que ses flancs ne se dégarnissent. C’est ainsi que, de source bien informée, des experts Interpol  sont arrivés, il y a quelques jours, discrètement à Nouakchott au motif qu’ils allaient dispenser une formation mais en fait c’était surtout pour  appuyer lesdits dossiers préparés par le Parquet général mauritanien contre ces opposants vivant l'extérieur du pays. Les voilà repartis après avoir conseillé la maréchaussée sur la meilleure façon de bien ficeler un mandat d’arrêt. N'aurait-il pas été plus judicieux, pour Interpol, que son équipe soit dépêchée pour enquêter sur le Ghanagate et les malles de Coumba Bâ? Un délit transfrontalier où le dollar américain a coulé à flots. Au nom de quel principe Interpol accepte-t-elle de se faire instrumentaliser par un dictateur prédateur qui, jusqu'au dernier jour de son mandat, emprisonne, fait disparaître et libère comme bon lui semble?
Et que dire des ONG peshmergas qui acceptent d'être les instruments de la police politique : plainte contre des opposants à l'extérieur, juste pour leur porter préjudice, quand bien même le dictateur n'ait pu les juger malgré une justice aux ordres ? Ces mêmes ONG qui ont prêté leur nom pour justifier l'emprisonnement des blogueurs Ould Weddady et Cheikh Ould Jiddou ? Et que dire des dizaines de citoyens honnêtes toujours maintenus en liberté provisoire, depuis plusieurs années, juste pour satisfaire l'ego du guide éclairé ?
L'opposition démocratique doit ameuter toute autorité internationalement compétente : Secrétaire Général des Nations unies, Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l'Homme, Président et Secrétaire général d'Interpol, etc. – pour dénoncer cette assistance policière internationale  contre l'opposition mauritanienne. Il est vraiment grand temps que cette page se tourne, que la justice cesse d’être instrumentalisée, que l’opposition cesse d’être tenue pour délit. C’est une position normale, critique, indispensable au débat de la chose publique et les institutions internationales si soucieuses de promouvoir la démocratie doivent mettre le holà partout où cette position est bafouée. Et ne jamais accepter, en tout cas, de détourner leurs justes règles au service d’une telle injuste traque.
                                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh

lundi 22 juillet 2019

Editorial: Le mois le plus long

On connaissait « Le jour le plus long », film réalisé par Ken Annakin et Andrew Marton, avec John Wayne, Henry Fonda et Bourvil, une fresque historique monumentale et spectaculaire, d'après le livre éponyme de Cornelius Ryan. Sorti sur les écrans en 1962,  il relate, par le menu, le débarquement allié du 6 Juin 1944 sur les côtes normandes. Mais on ne s'imaginait pas alors que ce titre connaîtrait, 75 ans  plus tard, un étonnant remake, plus exactement élongation, quelque part dans une contrée balayée par les vents de sable et qui subit, depuis onze ans, un calvaire sans nom : « Le mois le plus long ». Un navet de chez navets, assurément, qu’aucun réalisateur ne s’aventurera à filmer. Pesant des tonnes de lassitude, ce mois de Juillet 2019, que tout le monde, en Mauritanie, veut voir finir le plus tôt possible, s’étire indéfiniment. Pour  la majorité, sinon la totalité de ce peuple, Août sera celui de la délivrance, de toutes les attentes, de tous les espoirs. Espoir de voir l’actuel Président, dont l’impopularité atteint des records, céder à la place à son dauphin, sans trop de casse. Espoir de voir le pays tourner la page de la crise politique qu’il vit depuis plus de dix ans. Espoir de voir un Président « normal », dirigeant sa majorité avec tact et respectant son opposition, présider à notre destinée. Espoir d’une justice non inféodée à l’Exécutif. Espoir de voir une éducation abandonnée à son sort et une santé publique à l’agonie se relever et marcher normalement. Espoir, pour les opérateurs économiques, d’être tous traités sur un même pied d’égalité. Espoir de ne pas voir une parentèle boulimique faire main basse sur le pays et ses ressources.  Espoir d’une égalité de chances entre tous les citoyens. Espoir de ne voir ni épouse, ni fils, ni fille, ni beau-fils du Président aux premières loges, comme une famille régnante. Espoir de voir toutes les composantes de ce pauvre pays vivre en symbiose, sans haine ni rancune. Espoir enfin d’avoir un Président qui écoute, explique, justifie ses choix, s’excuse s’il le faut, n’en faisant pas qu’à sa tête et ne se prenant pas pour un superman qui veut tout régenter, même les plus petits  détails. Un rêve ? Allons donc ! Jusqu’à présent pacifique, ce peuple ne demande pas la lune. Il veut, tout simplement, être respecté ; que ses richesses ne soient pas dilapidées et que l’Etat remplisse ses obligations à son égard ; que les meilleurs de ses fils, les plus compétents, les plus dévoués au bien, soient aux premières loges pour le servir et non se servir ; qu’il soit sécurisé et que la moindre route ou école de brousse ne soit plus comptabilisée en « grandiose » réalisation. Que la « Direction nationale » ne soit plus le seul point cardinal vers lequel tous s’orientent, pour jouir du moindre petit droit. Bref, que l’Etat chargé, par notre peuple souverain, d’administrer notre bien commun, s’y emploie vraiment, en élaborant et partageant celui-ci avec équité, justice, sens élevé du service, à l’écoute réelle de tous, fussent-ils opposants.
                                                                         Ahmed Ould Cheikh

lundi 8 juillet 2019

Editorial: Une nouvelle page à défaut d'un chapitre

Militaires en faction, fusils en bandoulière, gilets pare-balles, voitures alignées, la commune de Sebkha ressemble, depuis quelques jours, à une zone en état de siège. Après les troubles survenus, suite à la proclamation des résultats de la présidentielle et l’intervention musclée de la police et de la gendarmerie, le pouvoir a voulu marquer le coup. Et de quelle façon ! Le ministre de l’Intérieur est monté au créneau le premier. Il a parlé, pêle-mêle, d’une opération de déstabilisation à grande échelle qui visait notre pays, de  « mains étrangères » – toujours cette cinquième colonne qui nous veut du mal ! – de non-mauritaniens qui seraient passés aux aveux. Bref, de quoi terroriser nos pauvres concitoyens à qui l’on a déjà fait avaler tellement de couleuvres. On arrête, dans la foulée, Samba Thiam, le président des FPC, histoire de diaboliser encore plus les anciens et actuels Flamistes,  et leur attribuer la responsabilité de tous nos malheurs. Mauvais signal au monde où notre pays était bien vu, au moins pour la liberté d’expression qu’il garantissait à ses citoyens, à défaut d’autre chose. Internet est coupé. Pourquoi ? Empêcher le flux d’informations que véhiculaient les réseaux sociaux ? Censurer les images des manifs et de la répression ? Ne pas jeter de l’huile sur des flammes incandescentes ? Un journaliste, Camara Seydi Moussa, directeur de publication de « La Nouvelle Expression », est incarcéré à son tour. Le militant des droits de l’homme, pourfendeur de l’ordre établi, antiféodal à qui l’on ne peut reprocher que sa plume acerbe, fait désordre. Il faut le faire taire.
Et l’armée est appelée à la rescousse, comme si les autres corps n’étaient pas suffisamment outillés pour rétablir l’ordre. Dans un Etat normal, elle n’est appelée qu’en cas de débordements suffisamment graves, état de siège, couvre-feu ou….coup d’Etat. Ould Abdel Aziz veut-il pourrir son fin de règne ? Nous faire regretter les « dix ans de paix et de stabilité » dont ses laudateurs nous bassinent à longueur de journée ? Ou nous préparer à d’autres suites, moins avouables ? A moins qu’il ne soit pas lui-même le commanditaire de ce remue-ménage… L’armée serait-elle intervenue pour siffler la fin de la récréation ? Donner un signal fort au Président sortant ?  Rétablir le « vrai » ordre, en attendant l’investiture du président élu ? La façon dont les troubles ont éclaté, alors qu’ils étaient prévisibles et qu’on pouvait les éviter, le déploiement des forces qui les a suivis, le blackout sur l’information, autant d’indices d’une anguille sous roche. On sent, en tout cela, comme des tiraillements qui ne disent pas leur nom. Des choses nous échappent, à nous autres communs des mortels. On attend donc, on attend l’après-élection, en priant qu’elle ne soit, elle aussi, qu’un leurre. Et qu’elle se termine, en tout cas, sur un après-Aziz sans ambages ni encombres. Le pays en a assez des crises, des crispations, des invectives, du mépris. Il veut tourner la page obscurcie de ratures. En ouvrir au moins une nouvelle, à défaut d’un chapitre...
                                                                                    Ahmed Ould Cheikh

lundi 1 juillet 2019

Editorial: Une victoire pour quels lendemains?

Depuis la première élection présidentielle de l’ère démocratique, en 1992, et à quelques exceptions près, les lendemains d’élections se ressemblent en Mauritanie. Le vainqueur et son camp proclament leur victoire, avant même qu’elle ne soit officiellement annoncée. L’opposition crie au holdup électoral, oubliant, mémoire courte, que sa participation équivalait à une caution d’un processus fourbi d’avance. Dépités, des militants descendent dans la rue, cassent quelques vitres de voiture, avant d’être réprimés, violemment, par les forces anti-émeutes. Et, en 24 heures, le sort en est jeté. L’élection qu’on vient de vivre n’a, jusqu’à présent, pas dérogé à cette règle semble-t-il immuable. Les quatre candidats de l’opposition ont rejeté les résultats de la consultation, alors même qu’ils n’ont pas été  proclamés officiellement par la CENI. Au cours de la journée du vote, ils ont signalé, à cette structure chargée d’organiser celui-ci, plusieurs irrégularités qui seraient, selon eux, de nature à fausser les règles du jeu. Mais les dés étaient pipés. Participer à une élection, sans être représentés dans la commission électorale et sans un minimum de garanties de transparence, ne peut que déboucher sur un tel résultat : leurs yeux pour pleurer, pendant les cinq prochaines années. Et continuer à protester et contester à loisir. Ils l’ont fait « pour » Ould Abdel Aziz, pendant dix ans, après avoir légitimé son élection en 2009, avec leur participation aux Accords de Dakar. Chat échaudé devait pourtant craindre l’eau froide. Mais rien n’y fait. Il est quelque part écrit que notre opposition restera toujours ce qu’elle est. Roulée dans la farine à chaque élection, sans jamais  tirer les leçons de ses échecs répétés. Cette fois encore, Ould Abdel Aziz qui n’a pas réussi, malgré plusieurs tentatives, à décrocher un troisième mandat, a tout fait pour jeter le discrédit sur la consultation. Après avoir fait miroiter, à l’opposition, une participation à la CENI, il a fait machine arrière, lui faisant perdre un temps précieux, en négociations aussi longues qu’inutiles. Il ne restait plus, à cette infortunée, qu’à boycotter l’élection, contre l’avis de ses militants, ou participer et cautionner un processus sur lequel elle n’avait aucune prise. Le vin est tiré. Faut-il pour autant le boire ?
Seul point positif, et non des moindres, de cette élection : elle consacre l’alternance au pouvoir. Celui qui mit le pays en coupe réglée, pendant onze ans, n’aura plus – c’est, en tout cas, ce que tout le monde espère – voix au chapitre. Il n’a d’ailleurs plus aucune possibilité de réaliser un comeback, la Constitution est explicite sur ce point. Le titre d’ancien Président, dont il n’a jamais rêvé, devra donc suffire à son bonheur. Mais il laisse un lourd héritage à son successeur : des secteurs sociaux moribonds, un chômage au zénith, une dette record, un tissu social en lambeaux, une situation politique délétère, une économie exsangue. Bref, un cadeau empoisonné. Ghazwani réussira-t-il à recoller les morceaux ? C’est avec la meilleure volonté du monde qu’il  lui faudra, d’abord, gérer l’après-élection, en évitant de s’enliser, comme son prédécesseur, dans une crise politique sans issue. Comment ? Engager, dès à présent, un véritable dialogue qui débouchera sur des élections législatives et municipales anticipées consensuelles et faire participer, pourquoi pas, l’opposition qui le désire, à un gouvernement de large union nationale. En cette période charnière de son histoire, le pays a besoin de tous ses fils et filles ; tout le monde gagnera à vivre, enfin, une situation politique apaisée. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’il tournera la page d’une décennie de privations et de frustrations populaires croissantes. Qu’il ne s’y trompe pas : aussi traditionnelle et programmée paraît sa victoire express, elle est un trompe-l’œil d’un cyclone dont il lui faut conjurer, sans tarder, la fatalité.
                                                                                                      Ahmed ould Cheikh