lundi 26 novembre 2018

Editorial: Bons amis...

La nouvelle a fait sensation et ne  cesse de faire le buzz dans les media et les réseaux sociaux. Un comité interministériel de sept ministres, présidé par le premier d’entre eux, a attribué, le 5 Octobre dernier, une concession de trente ans, portant sur le financement, la construction et l’exploitation d’un terminal à conteneurs et d’une jetée pétrolière, au port autonome de Nouakchott, à la société ARISE-Mauritanie dont le représentant local ne serait autre que… le beau-fils du président de la République. Deux jours plus tôt, le Comité permanent de la Commission nationale du contrôle des marchés publics, s’était réuni, avec une célérité qu’on ne lui connaît qu’en matière de marchés « sensibles », pour déclarer qu’il n’avait pas d’objection audit projet. La ficelle était pourtant trop grosse. Pourquoi ladite Commission, censée vérifier la régularité de tous les marchés, n’a-t-elle pas pris le temps d’étudier le dossier, demander plus de précisions, se renseigner sur la société et exiger, pourquoi pas, un appel d’offres international, histoire d’attribuer le marché à la société la plus disante, en termes d’investissements, production d’emplois et de retombées financières sur le pays ? Pourquoi OLAM, une société indienne spécialisée dans l’agro-alimentaire, si elle n’a pas bénéficié d’un bon coup de piston ? Partout sur la planète, les ports sont devenus, depuis quelques années, l’objet de luttes acharnées, entre multinationales prêtes à tout pour obtenir leur gestion. Celui de Nouakchott ne déroge pas à la règle. Dans ces conditions, pourquoi n’avoir pas fait jouer la concurrence, si le gouvernement veut en privatiser une partie et n’a que l’intérêt du pays en ligne de mire (CQFD) ? La convention, passée, comme une lettre à la poste et pour cause, ne tarde pas à être exposée sur la place publique. Dans un pays normal, où les gouvernants entretiennent un minimum d’éthique, ce genre de marché donnerait lieu à des démissions en cascade, des procès à la pelle et ses auteurs livrés à la vindicte populaire, pour le restant de leur vie. Mais, en Mauritanie nouvelle, tout est permis – seulement à certains – comme vendre une centrale électrique trente millions d’euros plus cher que ses concurrents, parce qu’on est adossé à un membre du clan, piller les sociétés d’Etat (comme la SNIM qui croule sous le poids de la dette et qui risque de mettre la clé sous le paillasson) ; en fermer certaines, effaçant ainsi toute trace de pillage ; fonder des sociétés ex nihilo et leur attribuer autant de marchés qu’on veut. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, tant le pays est en coupe réglée, depuis une décennie. Face au tollé provoqué par l’affaire et en l’absence de réaction officielle, Ould Djay, le ministre de l’Economie et des Finances, l’un des signataires de la convention, donne certaines précisions sur sa page Facebook. Selon lui, la société paiera, au port autonome, cinquante dollars, pour chaque conteneur vingt pieds, et soixante-quinze, pour celui de quarante ; plus deux dollars par mètre cube d’hydrocarbures débarqué. Ce qui permettra, au PANPA, d’engranger cinq cent cinquante millions de dollars en trente ans, soit deux milliards d’anciennes ouguiyas par an. La société réalisera un investissement de trois cents quatre-vingt-dix millions de dollars  et créera sept cent cinquante emplois pendant les travaux et cinq cents permanents. Clap, clap ! Tout ceci est bien beau mais… il y a anguille sous roche. C’est-à-dire, toujours la même lancinante question : comment peut-on attribuer marché d’une telle ampleur sans faire jouer la concurrence ? Monsieur  le ministre, dites-vous bien qu’il arrivera un jour – imminent, on l’espère – où vous aurez, tous, à rendre comptes. Ils font les bons amis, dit-on. A condition, bien sûr, qu’ils soient eux-mêmes bons…
                                                                        Ahmed Ould Cheikh

dimanche 11 novembre 2018

Editorial: Déformation gouvernementale

Après plusieurs semaines d’attente, notre gouvernement a été enfin formé. Comme les Belges, il y a quelques années, on aurait pu rester plus de six mois sans gouvernement et l’on ne s’en porterait, à coup sûr, que mieux. La nouvelle est tombée deux journées à peine après la débâcle d’Arafat dont la bataille a mobilisé la cour et l’arrière cour de la République, qui a vu rappliquer colonels, généraux, ministres, secrétaires généraux, conseillers, hommes d’affaires dans ce grand bourg nouakchottois, pour tenter l’impossible mission d’arracher cette commune à l’opposition, particulièrement au parti islamiste qui la gère depuis 2006. A l’issue d’un troisième tour totalement illégal, la victoire est revenue, encore une fois, à ceux qui l’avaient remportée, haut la main, à l’issue des deux tours précédents, sans bourrage ni trucage. Il fallait donc parer au plus pressé, faire oublier cette déculottée monumentale. Aussitôt dit, aussitôt fait : le Premier ministre présente la démission de son gouvernement. Ce qui aurait dû être fait à l’issue des élections législatives a été retardé sciemment, en l’attente du « bon » timing. Il vient avec cette défaite d’Arafat qu’on a voulu faire oublier rapidement, à une opinion publique friande de sensations. Et la manœuvre a réussi. Tous les regards se sont tournés vers la Primature et les supputations allaient bon train. Le Premier ministre tant décrié allait-il être maintenu ? Il en était persuadé, semble-t-il. Il avait peut-être encore quelques comptes à régler. Mais ses prévisions n’ont pas tardé à tomber à l’eau. Celui qu’il craignait le plus et sur le dos duquel il avait fait fuiter, dans la presse, un rapport sur la gestion de la SNIM qu’il dirige, est choisi pour lui succéder. Mohamed Salem ould Béchir, puisque c’est de lui qu’il s’agit, partage, avec son prédécesseur, au moins un point commun : c’est la voix de son maître. Fidèle exécutant, il a toujours travaillé conformément aux orientations du boss et à la volonté du clan, tant à la SOMELEC, qu’au ministère du Pétrole ou à la SNIM qu’il a trouvée, certes, en état de mort clinique.
C’est donc à lui qu’incombe la mission de « former » un gouvernement qui n’aura de nouveau que le nom. Un gouvernement qui aura péché par incompétence et qui sera pourtant reconduit, dans son écrasante majorité. Seuls quatre ministres sont renvoyés et l’on se demande bien  sur quels critères les autres ont été maintenus. Certains, pour ne pas dire la majorité, ont échoué dans la gestion de leur département. D’autres ont fait chou blanc, lors des dernières élections. Et aucun de ceux qui se sont investis, corps, biens et âme, à Arafat, n’en a payé le prix. La sanction et la récompense ont-elles disparu de notre vocabulaire ? Cédant la place à la servilité et l’obséquiosité, conditions semble-t-il sine qua non au maintien en cour, pour ne plus dire fonction, tant le terme paraît-il aujourd’hui si peu approprié à l’emploi gouvernemental.
                                                                                          Ahmed Ould Cheikh