samedi 23 juin 2018

Editorial: Assurance démocratique, assurance islamique

300 jours ! 307 jours, plus précisément, que Mohamed ould Ghadda croupit en prison. 307 jours qu’il est privé de sa liberté de mouvement. 307 jours qu’il n’a pas vu ses enfants, en signe de protestation contre les restrictions décidées, unilatéralement, par ses geôliers. 307 jours de détention arbitraire, sans procès, malgré la clôture, depuis plusieurs mois, de l’instruction. 307 jours d’incertitude.  307 jours qu’un dossier vide, sur la base d’accusations fallacieuses, est ouvert, contre des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes, dont le seul tort est d’avoir dit non. Le dossier de la honte. Une affaire montée de toutes pièces, par le pouvoir, où la justice s’est, encore une fois, fourvoyée. Et qui n’a fait qu’écorner  son image, déjà ternie par une soumission aveugle à l’exécutif, alors qu’elle est censée jouir d’un minimum d’indépendance. Mais 307 jours de combat, de lutte acharnée contre l’arbitraire et l’injustice, de sacrifice et de défis.
Chacun de nous peut être, demain, Ould Ghadda : embastillé pour rien, gardé au secret, torturé physiquement et psychologiquement. Quand la machine répressive se met en branle, épaulée par une justice impuissante, elle peut tout broyer sur son passage. Ould Ghadda n’est que la partie visible d’un énorme iceberg, d’une comédie qui ne fait rire personne et dont les actes se jouent  dans les commissariats, les brigades de gendarmerie et les dédales de la justice. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans arrestations, détentions, tortures. Dernier épisode en date, celles infligées à des jeunes auxquels on a voulu faire porter  le chapeau du dernier braquage d’Attijari Bank, la semaine dernière. La police, la gendarmerie et, au-delà, tout le système n’arrivent toujours pas à se départir des réflexes hérités des régimes d’exception. Pour eux, quand la liberté d’expression ou d’association desservent le pouvoir en place, il faut sévir. Ce n’est pas pour rien qu’on  essaye de faire payer, aux sénateurs, leur indocilité ; de mettre des bâtons dans les roues des syndicats et de tenter de bâillonner la presse. Quitte à utiliser les moyens, même les plus illégaux, comme, par exemple, saisir, sans mandat, les téléphones d’un sénateur encore en exercice, l’ordinateur d’un homme d’affaires, placer des écoutes téléphoniques et intercepter des messages privés. Une justice normalement constituée devrait normalement rejeter ce genre de preuves et non s’en servir de base, pour engager des poursuites, envoyer en prison ou placer sous contrôle judicaire. Les juges sont persuadés, en leur intime conviction, qu’il ne s’agit que d’un montage mais ils sont obligés de jouer le jeu, pour ne pas faire de vagues. La justice sous nos tropiques s’accommode mal de rébellion.
Un exemple qui nous vient de loin devrait, cependant, faire méditer ceux qui aujourd’hui, se croient intouchables. Un mandat d’arrêt international a été lancé il y a deux ans contre l’ancien président panaméen, Ricardo Martinelli (2009/2014), qui avait espionné illégalement, grâce à des fonds publics, les communications de plus de cent cinquante personnes, dont des opposants politiques et des journalistes. Il fait aussi l’objet d’une dizaine de plaintes pour sa gestion passée. Son extradition par les États Unis vers son pays d’origine n’est plus qu’une question de jours. À quand chez nous ?
Tôt ou tard, les « écoutés » porteront certainement plainte contre Ould Abdel Aziz et les « écouteurs ». Mais pas seulement : contre aussi les équipementiers. Car leurs outils n'ont pas été utilisés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme mais bel et bien contre des opposants politiques pacifiques.  Quand on se prétend démocratie, il faut assumer ce qui la fonde : l’assurance donnée, à tout un chacun, de dire tout haut ce qu’il pense, en toute légalité, et de voir préservé tout ce qu’il tient en son intimité, en toute légalité. Est-il nécessaire de signaler, ici, qu’une telle assurance est on ne peut plus islamique ? Mohamed ould Ghadda fêtera-t-il l’Aïd en prison ?
                                                                                Ahmed ould Cheikh

lundi 11 juin 2018

Editorial: Mode d’emploi de la gabegie (suite)

Depuis quelques jours, les journaux, les sites, les réseaux sociaux et, même, la TVM – certainement à son corps défendant – se sont tous fait l’écho d’un débat houleux à l’Assemblée nationale, entre le ministre de l’Économie et des Finances et un député pourtant encarté « parti au pouvoir ». Tout est parti d’une flèche décochée, par cet élu, lors d’une intervention devant ses collègues. Fustigeant les disparités de salaires dans la Fonction publique, il n’a pas hésité à déclarer qu’une seule personne gagne vingt-cinq millions de nos anciennes ouguiyas par mois. Le tonitruant ministre de l’Économie, qui se sentait certainement visé, sort alors de ses gonds et s’attaque frontalement à Ould Babana, le député de Barkéol, auteur de la sortie. Ce dernier revient à la charge, lors de la plénière suivante, et cite nommément Ould Djay, disposant de comptes au Trésor public, alimentés par la Douane et les Impôts,  au motif de lutte contre la fraude, et dans lesquels il puise à sa convenance.  Le député demande même à l’Assemblée de désigner une commission parlementaire pour vérifier ses dires et s’engage à présenter sa démission sur le champ,  si ses propos se révèlent erronés. Clair comme de l’eau de roche.
Pour toute réponse, Ould Djay fait fuiter, dans la presse, le relevé d’un compte d’où quarante-cinq millions d’anciennes ouguiyas ‘’seulement’’ se sont évaporés, en cinq mois. Du travail d’orfèvre. D’importantes sommes ont été retirées, par un porteur indéfini. Si, comme il le prétend, Ould Djay n’a rien à se reprocher, pourquoi n’exige-il pas, lui-même, une commission d’enquête parlementaire, pour le disculper ? Cela le grandirait et contribuerait grandement à faire éclater la vérité. Mais il n’y a aucune chance qu’il en soit ainsi. La gestion de cette manne est entourée d’une telle opacité que personne, surtout pas le premier concerné, n’a intérêt à ce que certains détails soient dévoilés. Telle une boîte de Pandore qu’il faut éviter soigneusement d’ouvrir. Pourtant, celui qui se veut champion de la bonne gestion et de la transparence n’est pas exempt de tout reproche, au moins sur ce dossier. Il suffit de voir sa réaction, pour se rendre compte qu’en cette affaire, il y a bel et bien anguille sous roche. Accusé de prodigalité envers lui-même, l’homme se veut paradoxalement champion de la rigueur budgétaire. C’est lui qui a réduit à néant les budgets de fonctionnement des sociétés d’État, des ministères et autres projets ; exigé que tous les salaires, même ceux des employés des sociétés financièrement autonomes, soient payés par le Trésor public ; privé les enseignants des indemnités de craie et d’éloignement ; refusé la moindre augmentation de salaire aux médecins. Un statisticien devenu économe, par intermittence, gérant le budget de l’État à sa convenance.  Libérant des milliards pour les uns et refusant le minimum vital aux autres. Comme l’Imprimerie nationale dont les employés n’ont pas vu la couleur de l’argent depuis trois mois. J’évoquais, il y a quinze jours, le mode d’emploi de la gabegie. Je ne m’attendais évidemment pas à ce qu’un député UPR en demande une notice explicative. Une bonne suite… en attendant quelle fin ? En tout cas et au nom de tous, merci, monsieur Ould Babana !
                                                                           Ahmed Ould Cheikh

samedi 2 juin 2018

Editorial: Coûteux programme de pauvreté

Félicitations, monsieur le Président ! Le slogan de votre campagne de 2009 était bel et bien prémonitoire. Votre vœu a été exaucé. Vous êtes devenu, comme vous le vouliez, le président d’un pays dont 89% sont (devenus) pauvres. Champion du monde de la misère, à défaut de l’être en autre chose. Et ce n’est pas de la littérature ou des « accusations sans fondement », comme dira, demain, le porte-parole du gouvernement : dans un rapport préparé par les Nations Unies, avec le concours de la Ligue Arabe et de l’Université d’Oxford,  tout récemment publié, le niveau de pauvreté extrême, dans dix pays arabes, dépasse 13%. Avec des disparités entre eux. Ainsi le pourcentage de pauvres est de 69% au Yémen, 73% au Soudan et… 89% en Mauritanie. Mais c’est quoi, la pauvreté ? Le rapport donne des indications précises : une situation économique où l’individu n’a pas un revenu minimum qui lui assure l’alimentation, l’habillement, l’éducation et les soins. Avec, en corollaire, des inégalités sociales qui entraînent, à leur tour, chômage, faim et mendicité.
Serions-nous donc pauvres à ce point qu’on ne s’en rende même plus compte ? Comment un pays, qui dispose d’autant de richesses naturelles (fer, poisson, cuivre, or et autres métaux précieux), d’un potentiel agricole immense et de ressources animales aussi importantes, peut-il être dans une telle situation ? Ça devrait tous nous interpeller, quand même ! Qu’avons-nous fait de toutes ces recettes générées par l’exportation de nos ressources minières et des financements obtenus auprès de nos partenaires ? Pourquoi la majorité d’entre nous n’a ni logement décent, ni eau courante, ni électricité, ni éducation de qualité, ni soins ? Qu’un pays d’à peine 3,5 millions d’habitants, riche à ce point, soit en queue de peloton des pays pauvres, il y a véritablement de quoi s’interroger.
Il y a une décennie, notre objectif était d’atteindre le point d’achèvement de l’Initiative PPTE (pays pauvre très endetté) pour avoir droit à l’effacement d’une partie de notre dette multilatérale. Nous l’avons atteint et nous avons été « achevés ». Notre dette a été épongée mais nous n’en avons pas été, pour autant, plus riches. Au contraire, nous ne cessons, depuis près de dix ans, de nous enfoncer dans la misère. Pourtant avec la hausse des prix des matières premières, enregistrée il y a quelques années et les financements extérieurs, le pays n’a jamais obtenu autant de ressources. Où est donc le problème ?  Dans la mauvaise gestion, le détournement, la corruption, les mauvais choix, l’absence de vision,  les projets coûteux, l’incompétence, le népotisme, la gabegie. Bref, il est dans cette Mauritanie nouvelle où une infime minorité est choyée et la grande majorité oubliée. Jamais, en effet, depuis l’avènement de l’Azizanie, les inégalités sociales n’ont été aussi fortes, les pauvres aussi nombreux et la mendicité aussi voyante. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, des individus, partis de rien, sont devenus milliardaires, comme par un coup de baguette magique. Bénéficiant de marchés et de passe-droits, ils ont fait main basse sur tout ce qui bouge, ne laissant même pas des miettes aux autres. Avec un acharnement de tous les instants à faire, d’Ould Abdel Aziz, un incontestable président des pauvres… au prix de l’honneur, de la fraternité et de la justice. Une république non-islamique, donc, par soustraction successive...   
                                                                                                      Ahmed Ould Cheikh