mercredi 25 août 2010

Editorial : Cohésion

Parmi les nombreux paramètres susceptibles d’assurer l’efficacité de la lutte contre Al Qaïda Maghreb, la cohésion entre les Etats régionaux concernés n’est pas le moindre. En soutenant que le président malien avait été informé, à temps, du raid anti-AQMI du 22 juillet, le président mauritanien rappelait-il cette évidence ou cherchait-il à lui nuire, lors de son dernier entretien avec « Jeune Afrique » ? Notre confrère malien Adam Thiam, dans son éditorial du 17 août, in « Le Républicain », opte pour la seconde hypothèse. Est-ce bien raisonnable ?

C’est, en tout cas, renforcer la thèse qu’un des maillons faibles – sinon, «le» maillon faible – de la lutte anti-terroriste se situe dans l’ambiguïté des relations mauritano-maliennes. Ce faisant, on conforte la position d’AQMI au Nord-Mali, qui joue, non seulement, sur la carte de la « paix ethnique » malienne mais, aussi, sur celle de la diversité des priorités entre les Etats de la région, notamment le Mali et la Mauritanie.

Ainsi que le soulignait Ian Mansour de Grange, dans notre édition du 04/08/2010 (« Réflexions saharo-musulmanes ») l’implantation d’AQMI au Sahara repose sur, au moins, un demi-siècle de « cécité politique », notamment dans le règlement de « l’affaire touareg ». On ne peut pas dire qu’avant ATT, le Mali se soit distingué par une approche constructive d’un sujet qui, il est vrai, nécessitait et nécessite, toujours, une concertation intelligente et compréhensive entre, au moins, cinq Etats de la région (Algérie, Burkina Faso, Libye, Mali, Niger). Mais ne polémiquons pas. Disons, simplement, que la politique d’ATT nécessite une patience dont profite, conjoncturellement, AQMI.

Les liens qui se sont tissés, entre la cellule saharienne de celle-ci et les résistances touaregs, au Nord-Mali, rendent une opération militaire malienne politiquement périlleuse. Les Mauritaniens peuvent le comprendre mais ne peuvent pas, pour autant, accepter que de nombreux crimes commis sur son territoire depuis quelques années – près d’une quarantaine d’assassinats de militaires mauritaniens ou de civils étrangers, diverses attaques à main armée, des prises d’otages, avec de graves répercussions sur son économie touristique – restent impunis. Il fallait envoyer un message, fort, à l’AQMI. Tout bien considérer, la Mauritanie a fait ce que le Mali ne pouvait, actuellement, pas faire.

On peut ergoter, longtemps, sur l’opportunité choisie, son efficacité et le rôle de la France. Il n’est pas interdit de le faire intelligemment, au service d’une paix sociale pas si simple à établir, sinon à préserver. On notera ici, en passant, qu’on voit mal la France s’être engagée dans une action militaire au Mali sans qu’au moins ATT en fût averti… Mais, bref, une chose est certaine: le Nord-Mali, c’est au Mali. Imaginons que la situation fût inverse, que la cellule d’AQMI s’installât au Nord de la Mauritanie et accomplît un certain nombre de crimes au Mali. Comment réagiriez-vous, cher confrère, à une intervention de votre pays, si le nôtre éprouvait quelque difficulté sociopolitique à extirper le foyer infectieux? Accordons donc, un tant soit peu, nos violons et critiques: c’est la moindre de nos contributions journaleuses à un effort de cohésion qui nous interpelle tous, Maghrébins, Sahariens et Sahéliens.

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 18 août 2010

Editorial : A désespérer de ce pays?

Entre le pouvoir et l’opposition, rien ne va plus, à nouveau. Après quelques semaines d’accalmie, ponctuées d’audiences, accordées, par le président, à certains de ses leaders, et de déclarations de bonne intention, de part et d’autre, la dernière conférence de presse d’Ould Abdel Aziz, à l’occasion du premier anniversaire de son investiture, a remis le feu aux poudres. Il faut dire que le président n’y est pas allé de main morte. Ce qui laisse à penser que notre «guide éclairé» est soit mal conseillé soit, pire, pas conseillé du tout. Une bonne préparation, pour une sortie comme celle-là, et un peu de retenue auraient pu l’empêcher de tomber dans des travers qui, au lieu de le servir, jettent, inutilement, de l’huile sur un feu que tout le monde a intérêt à éteindre. On ne peut pas être le garant de la Constitution et dire que deux lois de la République – celle sur la transparence financière et celle des Finances – peuvent être foulées au pied, sans autre forme de procès. Il ne s’agit pas d’être puriste ou opposant, pour s’offusquer d’un tel écart de langage. Dans un Etat qui se veut de droit, la démocratie, c’est, d’abord et avant tout, des formes à respecter.

Extraits choisis des propos, il y a deux semaines, sur les ondes de la radio et de la TVM, du président Ould Abdel Aziz. «Les accords de Dakar appartiennent au passé […] La déclaration de patrimoine n’est pas importante […] Les 50 millions de dollars de l’Arabie Saoudite ont servi à équiper l’Armée [en dehors de tout contrôle budgétaire, précisons «l’info» présidentielle]; Le pouvoir et l’opposition n’ont rien à se dire», [la crise politique n’étant, selon lui, que des] «chimères, dans les esprits de certains». Il n’en fallait pas plus pour faire sortir l’opposition des ses gonds. Dans une déclaration distribuée le jeudi dernier (12 août) lors d’une conférence de presse, la COD a condamné, en vrac: «la désinvolture cavalière avec laquelle le chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz, a insinué qu’une simple révision de la Constitution est de nature à résoudre tous les problèmes posés au pays; […] son grand mépris du peuple mauritanien et de la Communauté internationale, lorsqu’il déclare qu’il n’est plus lié par les Accords de Dakar»; les violations, répétées, de la Constitution» et exigé «la constitution d’une commission indépendante, pour vérifier les dépenses de la Présidenceen particulier le BASEP – et celles du Premier ministère». Même le RFD, dont le président, chef de file de l’opposition, commençait à mettre de l’eau dans son zrig, en qualifiant, pour la première fois, Ould Abdel Aziz de «président de la République», semble avoir fait machine arrière, en ne se démarquant pas de cette déclaration de la COD.

Résultat de ces deux sorties: retour à la case départ, avec une crise qui couve, deux camps qui s’observent et une perte de confiance mutuelle. Dakar n’étant plus à l’ordre du jour, du moins selon l’une des parties, faut-il à présent aller à Bamako, Rabat ou ailleurs pour trouver un nouveau terrain d’entente?

Il y a des jours où c’est à désespérer de ce pays…

Ahmed Ould Cheikh

mardi 10 août 2010

Editorial : Chassez le naturel…

Le président Ould Abdel Aziz a parlé, pendant près de trois heures d’horloge, en direct à la radio et à la TVM. C’était le mercredi 4 août, à l’occasion du premier anniversaire de son accession à la magistrature suprême par la voie des urnes. A un jour près. Et le deuxième, par la voie des armes. A deux jours près. Pour ceux qui ont tendance à l’oublier un peu vite. Quelques heures avant le début du show, présenté par le chargé de la Communication au bureau exécutif du parti du… président – pour ceux qui l’ignorent – la télévision a mis les petits plats dans les grands. Avec, à la clé, un résultat catastrophique. Inaccessible par satellite, elle n’est pas parvenue à régler, même pour une soirée de cette importance, un récurent problème de son qui l’a empêché d’être audible, pendant plusieurs minutes et à plusieurs reprises. Sans parler des intervenants dont certains criaient, à gorge déployée, pour se faire entendre. Et dont une a été coupée net, lorsqu’elle a prononcé le mot «soldat». Armée tabou dont il ne faut, jamais, parler et à laquelle il faut donner tous les moyens. Tous.

Mais qu’a dit Ould Abdel Aziz, lors de ce qui s’apparente plus à un show médiatique, destiné à frapper les esprits, qu’à une simple conférence de presse? Pour lui, la déclaration de patrimoine, à laquelle, pourtant, tous les hauts responsables sont assignés, «n’est pas importante». Ce qui veut dire qu’on peut venir au pouvoir les mains vides et en sortir les poches pleines. L’inverse étant une hypothèse d’école, difficilement envisageable. Les 50 millions de dollars de l’Arabie Saoudite? Ils ont servi à équiper notre Armée, sous-équipée, sous-entraînée et, donc, incapable de faire face aux dangers qui guettent la Mauritanie. Ce qui, dans un pays comme le nôtre, peut bien justifier quelques entorses aux procédures et la conclusion de marchés douteux. Quitte à froisser un partenaire aussi important que la Saoudie qui a bloqué, à toute fins utiles, les 20 millions de dollars qu’elle destinait à la reconstruction de Tintane, pour éviter qu’ils ne finissent en munitions, mobilières ou immobilières.

Les Accords de Dakar? Finis, enterrés, dépassés. Il les avait, pourtant, signés sous l’égide de la communauté internationale. Et sans eux, la Mauritanie serait, probablement, encore en crise institutionnelle. Mais ça, notre «guide éclairé» n’en a cure. Notre seule et unique référence, c’est désormais, selon lui, la Constitution. Celle qui prévalait encore, un certain 6 août 2008 à 7 heures du matin, ou l’actuelle qu’on doit respecter, les deux n’en faisant plus une et vice-versa? Le dialogue? Quel dialogue? L’opposition doit s’opposer et la majorité gouverner. Point à la ligne. Une autre question?

Résultat de la soirée: un bilan de deux ans, sans chiffres, si l’on excepte les 50 millions de dollars, transformés, plus ou moins, en armes, et les sept morts d’AQMI tués par les Français; plus un retour en arrière, quant à la décrispation de la scène politique. Alors qu’on pensait qu’après l’audience accordée à Ould Daddah, un pas, important, avait été franchi, sur la voie du dialogue, voilà que le président lui-même nous assène que Dakar, c’est fini. Apportant ainsi de l’eau au moulin de ceux des opposants qui sont persuadés que les appels au dialogue du pouvoir ne sont que de la poudre aux yeux. Et qu’en tentant de chasser le naturel, il reviendra, inéluctablement, au galop.

Ahmed Ould Cheikh

mardi 3 août 2010

Editorial : Sept fois dans sa bouche…

Le président du RFD et leader de l’opposition démocratique, Ahmed Ould Daddah, a été reçu, cette semaine, par le président de la République Ould Abdel Aziz. Un geste fort, quand on sait que les deux hommes, qui étaient d’accord sur la nécessité de bouter Sidi Ould Cheikh Abdallahi hors du pouvoir, avaient fait un bout de chemin ensemble, avant de divorcer avec fracas. Et ce, bien avant la présidentielle de 2009. En fait, sitôt qu’Ould Daddah se fut persuadé que les militaires n’avaient pas l’intention de quitter le pouvoir et qu’ils l’avaient berné, une seconde fois. La déchirure atteindra son paroxysme, après l’annonce des résultats de l’élection présidentielle qui, pour le leader du RFD, ne reflètent, en rien, le rapport de forces dans le pays. Ould Daddah refusera, dès lors, de reconnaître l’élection d’Ould Abdel Aziz et s’engagera, avec les autres partis de l’opposition, dans une logique de confrontation avec le pouvoir. Du moment, disaient-ils, que le chef de l’Etat refuse le dialogue prôné par les Accords de Dakar. Ce à quoi Ould Abdel Aziz rétorquait, par soutiens interposés, qu’il faut, d’abord, le reconnaître comme président, pour prétendre dialoguer avec lui. Une logique imparable. Encore que les fameux Accords ne pouvaient préciser, évidemment, s’il s’agissait de dialoguer entre un chef de l’Etat et ses adversaires ou entre un président de la République et ses opposants… Quoiqu’il en soit, et comme pour distiller le doute dans l’esprit de ceux-ci, Ould Abdel Aziz multiplie les gestes de bonne volonté. Il reçoit Ould El Waghf, à deux reprises, puis Boydiel, une fois, et leur exprime toute sa disponibilité à ouvrir un dialogue, sans conditions, avec toute l’opposition. Classé parmi les «durs», au même titre que Messaoud et Ould Maouloud, Ould Daddah, qui s’est, subitement, rappelé que le fait de ne pas avoir reconnu l’élection d’Ould Taya n’avait pas empêché celui-ci de rester treize ans au pouvoir, commence à revoir sa copie, à 68 ans, soit sept ans avant la limite d’âge de tout présidentiable mauritanien. Il se fait recevoir par Ould Abdel Aziz, de 14 ans son cadet – au moins deux, sinon trois, quinquennats, moyennant quelque aménagement constitutionnel – au milieu d’une réunion du bureau exécutif de son parti dont le communiqué final évoque, au détour d’une phrase, «Mohamed Ould Abdel Aziz, président de la République». Le ton est donné et ce n’est plus le même. Ould Daddah, qui considère n’avoir aucune leçon à recevoir de l’opposition, dont des leaders ont déjà été reçus, les uns par Ould Abdel Aziz, d’autres par Ould Taya et d’autres encore, qui l’ont lâché au moment où il avait le plus besoin d’eux, fait sienne la realpolitik. Une position qui peut s’avérer payante, à court terme. Des cadres de son parti se verront, probablement, proposer des postes de responsabilité et l’institution de l’opposition sera, certainement, réhabilitée. Mais le revers de la médaille? Les deux hommes, qui se connaissent trop bien pour ne plus se faire confiance, ne chemineront pas longtemps ensemble. Tout le monde a encore en mémoire les sorties, fracassantes, d’Ould Abdel Aziz qui répétait, au cours de ses meetings et conférences de presse, qu’«Ould Daddah, qui ne pense qu’à accéder au pouvoir, l’a supplié de faire un coup d’Etat contre Sidi». Le président du RFD considère, pour sa part, qu’il a été trahi par Ould Abdel Aziz qui lui a «octroyé» un score humiliant, lors de la dernière présidentielle. Que faut-il en déduire? Qu’Ould Abdel Aziz détient, à présent, toutes les cartes et veut affaiblir l’opposition, en la divisant? Qu’il va utiliser Ould Daddah, pour démontrer aux partenaires étrangers qu’il est disposé au dialogue? Qu’Ould Daddah va se faire avoir, à nouveau? Qu’on va, désormais, avoir une opposition modérée et une autre plus dure, à l’égard du régime?

Le vieil adage ne croyait certainement pas si bien dire en décrétant qu’il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche, avant de parler. Et je ne parle pas de l’autre, pour qui le silence est d’or…

Ahmed Ould Cheikh