dimanche 28 juin 2015

Editorial: Tôt ou tard…


La nouvelle a fait l’effet d’une bombe, la semaine dernière, et provoqué le limogeage immédiat du commissaire à la Sécurité alimentaire : un camion, rempli de vivres (lait en poudre, sucre, huile, riz…) a été photographié, par des sites d’information, en train de décharger sa cargaison dans une maison appartenant… au président de la République ! Le camion portait le sigle du CSA. Jamais, depuis l’indépendance et feu Moktar ould Daddah, qui fut un modèle de probité et de désintéressement, la République n’est tombée aussi bas. Branlebas de combat. Le pauvre commissaire est convoqué au Palais, pour être sermonné, avant d’être renvoyé illico. Ould Abdel Aziz ordonne, ensuite, que la cargaison soit immédiatement retournée dans les magasins du Commissariat. Mais le mal est fait. Plusieurs questions restent cependant en suspens : qui a ordonné au commissaire d’envoyer le camion ? L’a-t-il fait de son plein gré ? Qui lui a indiqué cette maison précisément ? Si le camion n’avait pas été estampillé CSA, l’affaire aurait-elle connu une telle tournure ? Ce qui est certain, c’est qu’il y a anguille sous roche.

Ould Abdel Aziz avait vendu du rêve à ceux qui en voulaient, en 2009, avec la lutte contre la gabegie en cheval de bataille. Six ans plus tard, le bilan est plus que mitigé. Le camion du CSA n’est que l’infime partie émergée d’un immense iceberg. Des milliards s’évanouissent, quotidiennement, des perceptions du Trésor, de la Douane ou des Impôts. Les sociétés étrangères désireuses de s’implanter dans le pays sont obligées de choisir un partenaire local bénéficiant de liens de parenté « opportuns ». La société indienne BUMI a refusé de s’y contraindre et s’est vue retirer son permis de recherche dans l’Inchiri, sans autre forme de procès. Les agréments bancaires se monnayent comme des petits pains. Limogé pour faute grave, un gouverneur de banque centrale se voit réhabilité au bout de quelques mois. On attribue tant de marchés de routes, à la dernière-née des sociétés privées de travaux publics, la MTC, qu’elle ne sait plus où donner de la tête. Quant à la parentèle, elle est à ce point bombardée, à tout bout de champ et à tous les postes, que plus rien n’échappe à sa mainmise. Résultat des courses : un groupe « bien placé » qui s’accapare plus de 90% des importations du pays et gagne tous les appels d’offres, sans coup férir.
Il existe, certes, une nuance entre gabegie et népotisme. Favoriser systématiquement les siens n’est pas forcément du gaspillage. Mais, quand il s’agit du bien public, l’une et l’autre se rejoignent en leur essence : la malhonnêteté ; et en leur conséquence : l’injustice. Avant de devoir en payer le prix. Tôt ou tard.
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 21 juin 2015

Interview (presque) imaginaire avec le président de la République, Mohamed ould Abdel Aziz: "Vous pensez que je ne peux pas fomenter un troisième coup d'état contre un bout de papier?"

Chaque trois ou quatre régions visitées, le président Mohamed Ould Abdel Aziz organise une conférence de presse à laquelle sont invités quelques journalistes. Cette fois, il a dérogé à la règle. De retour du Trarza, du Brakna et du Gudimakha, il a bien voulu se confier au seul Calame.


Le Calame : Assalamou aleykoum, monsieur le Président. Avant de commencer, une question qui taraude les observateurs : pourquoi avoir choisi notre journal, alors que vous l’avez toujours exclu, systématiquement, de vos rencontres avec la presse et de vos visites ?

Mohamed ould Abdel Aziz : Exclu ? Moi jamais. Vous croyez que c’est moi qui choisis les journalistes ? J’ai d’autres chats à fouetter que de m’occuper des peshmergas. Mais si j’ai exigé, cette fois, votre concours, c’est que j’en ai assez des ronflards et des béni oui-oui. Je veux de vraies questions.
- Vous avez achevé la visite de huit régions. Comment avez-vous ressenti les accueils ? N’éprouvez-vous pas une impression de déjà-vu ?
- Jamais de la vie. Jamais il n’y eut accueil aussi spontané et désintéressé. Parfois, je me demande, moi-même, que faire viennent faire tous ces gens. Je ne leur donne, je ne leur promets rien et je les salue à peine.

- Vous avez pourtant vu les mêmes visages accueillir vos prédécesseurs…
- C’est vrai qu’il y a des momies parmi eux. Mais que voulez-vous ? Il faut faire avec et puis, ces gens sont indispensables, pour mobiliser la foule et pendant les élections.

- Quelles élections, monsieur le Président ? Vous êtes censé ne plus vous présenter à aucune. C’est votre dernier mandat, non ?
- Je n’ai jamais démenti le fait que c’est mon second mandat. Quant au dernier, C’est autre chose. Nous ne décidons rien, en ce bas-monde. C’est au Tout-Puissant que revient le dernier mot.

- Il y a donc risque de tripatouillage constitutionnel ?
- La Constitution, c’est comme les Accords de Dakar, ce n’est pas le Coran. Qu’est ce qu’on a fait d’elle, en 2005 et en 2008 ? J’ai renversé deux présidents élus. Vous pensez que je ne peux pas fomenter un troisième coup d’Etat contre un bout de papier ? C’est bien mal me connaître.

- Les choses sont donc claires à présent…
- Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. J’ai tant donné, à ce pauvre peuple affamé et assoiffé, saigné à blanc par tant dedirigeants corrompus, que j’ai larmes aux yeux, chaque fois que je songe, un instant, à devoir le quitter.

- Vous pourriez faire comme Poutine. Qui choisiriez-vous, dans ce cas ?
- Je dois vous avouer que cette idée m’a effleuré l’esprit mais je l’ai chassée rapidement. J’aime trop ce peuple pour le confier au premier venu.

- Mais vous disposez, dans votre équipe, de cadres d’assezhaut niveau pour prendre la relève...
- Cadres, quels cadres ? Nous avons, c’est vrai, des gens bardés de diplômes mais ce sont des incapables. Moi, je les ai tous tournés en bourriques, qu’ils soient de l’opposition ou de ma majorité.

- N’empêche que, constitutionnellement parlant, c’est votre deuxième et dernier mandat…
- Dernier mandat… dernier mandat. C’est ce qui m’énerve, avec vous. Au Calame, chaque fois que vous écrivez « deuxième mandat », vous ajoutez « dernier » avec un point d’interrogation, comme si vous cherchiez à infiltrer, dans l’esprit de vos lecteurs, qu’il pourrait ne pas être le dernier. Oui, vous avez vu juste. Je n’ai pas encore dit mon dernier mot. Mais cessez, c’est un ordre, de parasiter ma réflexion à ce sujet.

- Comme vous voulez, monsieur le Président. Parlons donc plutôt de votre fortune. Certaines mauvaises langues vous classent parmi les hommes plus riches du pays. Une allégation d’autant plus aisée que vous n’avez pas rendu publique votre déclaration de patrimoine. Peut-on savoir ce que vous possédez réellement ?
- Incha Allah ! (rires). Riche, moi ? Tout le monde sait que l’argent ne m’a jamais intéressé. Seul compte, pour moi, l’intérêt de mon peuple bien aimé. Je possède, certes, quelques terrains, quelques boutiques, deux ou trois sociétés dont aucune n’est à mon nom, bien sûr, et un peu de liquide, au cas où madame voudrait faire des emplettes, à Paris ou à Dubaï. Vous voyez qu’il n’y a vraiment pas de quoi faire tout un tapage.

- On parle de plus en plus d’un remaniement ministériel. Certains membres du gouvernement n’ayant pas donné satisfaction. Peut-on savoir lesquels ?
- Lesquels ? Tous. Aucun n’a donné satisfaction. Je suis obligé de les talonner, pour qu’ils mettent en œuvre le programme pour l’application duquel la majorité de ce peuple m’a choisi. Voilà pourquoi je suis toujours au four, au moulin et à la boulangerie. Je suis obligé de tout contrôler, à tel point que je n’ai plus une minute pour moi ou pour lire.

- Que lisez-vous en ce moment ?
- La vie cachée de Fidel Castro, un ouvrage rédigé par son ancien aide de camp. J’ai toujours admiré la longévité du Llder Maximo. J’aurai pu faire la même chose avec Maaouya mais j’ai préféré le renverser. En Mauritanie, il est plus facile de faire un coup d’Etat que d’écrire une biographie ou une quelconque œuvre littéraire. C’est beaucoup plus rentable.

                                                                      Propos (presque) recueillis par AOC

lundi 15 juin 2015

Editorial; Peuple maudit?

Est-il quelque part écrit que nous sommes un peuple maudit ? Que la flagornerie est inscrite dans nos gènes ?  Que nous applaudirons éternellement le premier venu ? Que nous ne tirerons jamais les leçons du passé ? Que notre mode de pensée restera perpétuellement incompatible avec la notion d’Etat ? Rien qu’à voir les images des accueils du Président, diffusées, en boucle, sur nos chaînes de télévision, on en éprouve nausée pour la vie. Des notables, des cadres, des chefaillons, des citoyens ordinaires, serrés comme des sardines, toute honte bue, pour un salut qui durera à peine une seconde. Mais en donnant, toujours, l’impression d’avoir enfin découvert le Saint Graal. Les ressortissants des wilayas visitées ont accouru de partout, de l’intérieur comme de l’extérieur, pour ne rien rater du spectacle. Tous étaient là, poitrine bombée, regard haut, voiture rutilante, pour que personne ne dise qu’ils n’y étaient pas. C’était la course aux « meilleures » places, dans la longue procession des accueillants, le marathon pour assister à la réunion des cadres, s’y faire voir, lever la main, toute la soirée, pour prendre la parole et, au cas, peu probable, où elle vous serait accordée, tresser des lauriers au maître du moment, comme vous en avez fait de même aux autres avant lui, et finir par des insanités.
C’est, succinctement résumé, ce qui s’est passé dans les six régions déjà visitées par notre guide éclairé, « sans lequel la Mauritanie allait basculer dans le néant, en 2005 et 2008 », pour reprendre les termes d’un député qui n’est pourtant pas élu de son parti et ne doit son élection à personne, si ce n’est ses électeurs. Si les parlementaires s’expriment ainsi, que dire alors du petit peuple ? De ce député, il a ri, en tout cas, et fini par le huer. Si bien qu’Ould Abdel Aziz, qui ne déteste pourtant pas qu’on dise du bien de lui en public, a fini par le rabrouer. Ce qui n’a pas découragé et ne découragera pas d’autres apprentis flagorneurs. Avec le risque qu’Ould Abdel Aziz, comme Maaouya avant lui, ne prenne goût à la dithyrambe et finisse par se convaincre qu’après lui, ce sera le déluge.
Enfermé dans sa tour d’ivoire et aveuglé par les projecteurs, il risque alors de ne plus se rendre compte du désarroi d’un peuple confronté aux dures réalités de la vie : des prix qui flambent, une éducation moribonde, une santé agonisante, un fossé qui ne se cesse de se creuser entre riches et pauvres, une communautarisation rampante. Et ce n’est pas une visite de quelques minutes, dans une salle de classe ou un centre de santé équipé, pour l’occasion, qui lui donnera une idée de l’ampleur du gâchis.
Le mal est profond, monsieur le Président. Il faut réagir avant qu’il ne soit trop tard. Et ce n’est pas de votre pouvoir dont il est question. Certes, l’apparente facilité qu’on vous sert, dans vos visitations, lui est une pente glissante. Mais elle entraîne, avec lui, le pays tout entier. Est-il quelque part écrit que nous sommes un peuple maudit ? Il vous reste quatre années pour le convaincre du contraire. En faisant en sorte que l’Etat ne soit plus vous, ni quiconque d’autre. Plus jamais mais un corps vivant dont le changement de tête, tous les cinq ou dix ans, renforcerait toujours la vitalité. On pourrait, alors, enfin, vous applaudir. En reconnaissance d’un mandat justement accompli.
                                                                                                          Ahmed Ould Cheikh

lundi 8 juin 2015

EDitorial: De rectification en...restauration

Voilà sept longues journées que notre guide éclairé poursuit sa chevauchée fantastique dans les régions du Brakna et du Trarza. Avant d’achever sa tournée par celle du Guidimakha qui ne sera pas, en cette canicule, une partie de plaisir. N’empêche ! Notre rectificateur en chef, qui veut sans doute démontrer que sa réputation de marathonien n’est pas usurpée, s’est juré de faire le tour du pays avant la fin de l’année en cours. Pour quels desseins ? Se prouver, ou prouver à ses détracteurs, que son plus que mitigé bilan n’a pas entamé sa popularité ? Mobiliser les électeurs pour un objectif encore inavoué ? Battre le rappel des troupes, pour se convaincre qu’après lui, ce sera le déluge ? Il y a, en tout cas, plusieurs zones d’ombre et des signaux que personne n’est parvenu à décrypter. Comment expliquer, en effet, un tel déplacement pour inaugurer une petite rizerie, une bretelle entre deux bourgades ou une unité de dialyse qui ne fonctionnera que le temps d’une visite ? Pourquoi tient-on à ce que les accueils populaires soient les plus grandioses possible ? Quels messages cherche-t-on à faire passer, à travers ces bains de foule « spontanés » ?
Quatre ans avant la fin de son deuxième – et dernier ? – mandat, Ould Abdel Aziz cherche-t-il, dès à présent, un subterfuge pour faire sauter le verrou constitutionnel qui les limitant à deux ? Lors de sa dernière conférence de presse, il a lâché, à cet égard, un mot, pas vraiment anodin, dont peu de gens ont saisi la portée. « Moi ou quelqu’un d’autre », a-t-il en effet répondu, à une question qui impliquait une allusion au prochain dirigeant du pays. Alors que cette alternative n’est pas même envisageable. Du moins si l’on respecte la Constitution, Mohamed ould Abdel ne peut plus être au pouvoir après 2019. Quelques semaines avant cette saillie, l’homme avait éludé une question d’un autre journaliste qui lui demandait de dire, explicitement, s’il comptait passer le relais à la fin de son mandat. Les grandes manœuvres ont-elles déjà commencé, bien avant l’heure, pour nous servir un plat très  peu ragoûtant? Il est vrai que le peuple mauritanien y fut longtemps astreint. Mais, à l’heure où l’on peut trouver si facilement des prunes, à l’étal de nos marchés, nous contenterons-nous de les avaler, sur ordre ? Les Burkinabé, qui ne sont pas, somme toute, beaucoup plus fins gourmets que nous, nous ont ouvert la voie à des goûts moins sommaires. Leur préférerions-nous la gastronomie burundaise, à cet égard aussi grossière que frugale ? Les paris sont ouverts…

                                                                                       Ahmed Ould Cheikh

lundi 1 juin 2015

Editorial: Moutons de Panurge

Alors qu’il a déjà visité quatre régions, dans un vacarme assourdissant de salueurs, voitures, défilés et inaugurations de tout et de rien, lors de spectacles obséquieux que la morale réprouve et d’où suinte la flagornerie et le déshonneur, notre guide éclairé s’apprête à reprendre ses visitations à partir du 28 courant, au Brakna et au Trarza. Deux régions, comme celles qui les ont précédées, éprouvées par le manque de pluie et une longue période de soudure, tandis que les pauvres populations, mobilisées par de petits roitelets locaux, sont obligées de sortir pour accueillir celui qui « a sauvé le pays d’une dérive certaine en 2008 ». Partout ce sera le même spectacle : de longues processions d’individus, serrés comme des sardines, généralement sous un soleil de plomb, pour accrocher l’auguste main. Et un président, lunettes noires vissées au visage, qui passe, tendant la main comme un automate, décidé à en finir avec des scènes qui doivent certainement le révulser. Il en a pourtant vu d’autres, notre génie des sables. Lui qui gravitait dans le giron de Maaouya a vu les mêmes visages se prosterner, courber l’échine et s’humilier, en échange des quelques miettes que le seigneur du moment condescendait à leur jeter. Dix ans après le départ de celui qu’on affublait de tous les noms, aussi flatteurs les uns que les autres, il est désespérant de constater que son tombeur retombe dans les mêmes travers. D’autant plus que, dans tous les cas, c’est toujours le peuple qui trinque. Affamé, assoiffé, mal logé et mal soigné, celui-ci n’est pas censé attendre grand-chose d’un pouvoir qui le martyrise mais, tel un troupeau de Panurge, il sortira, le jour J, pour accueillir son « héros ». Il faudrait plus qu’une armée de psychanalystes pour expliquer de tels comportements.
Tout aussi déconcertants que ceux en cours au sommet. Le dernier en date remonte à vendredi dernier. Le Président a procédé à un mini-remaniement. Provoqué par le départ de Sidi ould Tah à la BADEA, l’exercice a donné lieu à une énorme surprise : Ould Raïss de retour au gouvernement, par la grande porte, de surcroît ! Renvoyé, il y a quelques mois, de la Banque Centrale, alors qu’il venait à peine d’y entamer son second mandat, on le disait pourtant en disgrâce pour de bon, accusé qu’il était de ne pas avoir pris les mesures idoines, pour éviter la banqueroute de la Maurisbank, et de n’avoir pas donné, au Président, les bons chiffres sur nos réserves en devises. Une seule explication logique à ce retour : il n’aurait fait qu’exécuter les ordres. A moins que la logique ne soit en rien de mise ici. En Mauritanie nouvelle, rien n’est jamais définitif. On peut être relevé de ses fonctions pour malversations ou détournements et revenir à un poste de responsabilité plus important. On peut être mis en demeure par l’IGE ou la Cour des Comptes de rembourser des sommes détournées et rebondir avant même la fin des échéances. De tels cas sont légion. Tout dépend, de fait, de l’humeur du chef. Elle fait office, en Mauritanie, de raison d’Etat. Un bon expédient, sans doute, pour s’assurer de la docilité des moutons. En dépit de la leçon de la fable ?

                                                                                           Ahmed Ould Cheikh