samedi 22 décembre 2018

Editorial: Jusqu'à quel mur?

A moins de six mois d’une présidentielle décisive pour l’avenir du pays, la situation est tout, sauf claire. Ould Abdel Aziz, qui achève son second et dernier mandat, ne cesse de s’empêtrer dans des déclarations parfois contradictoires. Un jour, il respecte la Constitution et se retirera à la fin de sa délégation ; un autre, il y reviendra, dès que le texte fondamental le lui permettra. Avec, tout dernièrement, cette trouvaille : « je ne quitterai pas le pays, je continuerai à y jouer un rôle politique et, pourquoi pas, diriger mon parti et organiser ma majorité ». Ou l’art de s’ingénier à garder le pouvoir, tout en le quittant formellement. De quoi donner le tournis au plus intrépide des laudateurs. Son dauphin ? Il n’a toujours pas choisi. Ould Ghazouani ? Un ami fidèle parmi d’autres. Pourtant celui qu’on présente comme son alter ego paraît le mieux placé – au sein de l’actuelle majorité, en tout cas – pour reprendre les commandes. Réputé calme et pondéré, il bénéficie d’une image favorable dans l’opinion publique, y compris dans l’opposition envers laquelle l’actuel président n’affichait guère de respect et ne manquait aucune occasion de le lui faire savoir, en termes à peine voilés. Cela dit, Ould Abdel Aziz n’entend pas lâcher prématurément  le moindre lest. Annoncer un peu tôt vers qui penchent ses préférences, c’est risquer voir ses flancs se dégarnir. Il en est conscient, et habitué, militaire dans l’âme, à vivre entouré de ses troupes, compte rester maître du jeu, jusqu’à la dernière minute. Mais il arrivera bien un jour où lui faudra rendre tablier. Et les comptes avec ?
C’est déjà ce que sous-entend Boubacar Sadio, commissaire de police à la retraite, dans son pamphlet a priori réactif à la publication, par le président Macky Sall, de son auto-satisfecit : « Sénégal au cœur » ; mais dont on peut aisément entendre le caractère transnational… comme en témoignent les divers sous-titres qu’il a donnés à sa diatribe : des contre-vérités et des mensonges ; de la fourberie et de la tromperie ; des reniements et des abjurations ; de la parole donnée et trahie ; des promesses mutilées et des engagements oubliés ; des détournements de deniers publics ; de la vassalisation de l’Assemblée nationale ; de l’instrumentalisation de la justice ; de l’éloge de la transhumance ; des faux rapports de présentation ; du délit d’initiés dans l’attribution de blocs pétrolifères ; du favoritisme et du clanisme ; de l’ethnicisme dans les nominations ; de la politisation outrancière de l’administration ; du bradage des réserves foncières ; de la négation des valeurs positives ; de la répression comme mode de gestion ; de la restriction des libertés publiques ; de l’impunité et de la non-redevabilité ; de l’arrogance et de l’indécence ; de l’achat de conscience ; des délinquants économiques protégés ; de l’insécurité grandissante ; de l’éducation chahutée et de la santé méprisée ; des intellectuels et des patrons de presse stipendiés ; des populations réduites en bétails électoraux ; du processus électoral vicié et vicieux ; des marchés de gré à gré sur des montants astronomiques ; de l’incompétence et de la médiocrité.
Mauritanie et Sénégal, même combat ? En tout cas, l’ardoise s’annonce, ici et là, particulièrement salée. Et si l’on ne compatit pas forcément aux soucis de ses débiteurs, on comprend leur obstination à garder, tête baissée,  les mains sur le guidon… jusqu’à quel mur ?
                                                           Ahmed Ould Cheikh

dimanche 16 décembre 2018

Editorial: Vox populi....

La photo  a fait le tour du Web et n’a pas manqué de susciter railleries et sarcasmes de la part des internautes. Trois présidents, serrés, comme des sardines, sur un seul canapé, face à un ministre des Affaires étrangères, pratiquement allongé, lui,  sur un autre à lui tout seul. Trois chefs d’Etat – Mauritanie, Tchad et Niger – recevaient en audience Jean-Yves Le Drian, lors du sommet des donateurs du G5, tenu il y a quelques jours à Nouakchott. On savait la France très à cheval sur les formes, lorsqu’il s’agit de son pré carré africain, mais, là, c’en est trop. Qu’autant de chefs d’Etat en exercice s’abaissent à tant de servilité, à l’égard de l’ancienne puissance coloniale, parce qu’elle a promis un peu d’argent pour financer quelques activités du G5, dépasse l’entendement. D’autant plus que la France n’a plus rien à promettre, parce qu’elle n’a plus rien. La secouant jusque dans ses fondements, le phénomène des gilets jaunes est la preuve formelle de sa faillite programmée. Elle n’a plus d’autre choix, pour espérer survivre, que de pressurer les pauvres citoyens, via impôts et taxes des plus élevés au monde. Et à bander les muscles, chaque fois qu’un petit roitelet africain, parmi ceux qu’elle maintient en exercice contre l’avis de son peuple, essaie de sortir la tête de l’eau. Le FCFA qui permet, à l’ex-puissance, d’encore maintenir le système financier des pays africains dans son giron est, sans doute, le système le plus inique au monde. Et tout chef d’Etat qui le conteste risque de finir comme Sankara ou Kadhafi. L’Etat français ne badine pas avec ses intérêts. Et les chefs d’Etat du G5 sont « priés » de le comprendre. Quand Le Drian les convoque, ils n’ont qu’à s’exécuter. Sinon, la France risque de les laisser tous seuls, face à l’ogre terroriste qui leur a déjà fait tant de mal. Hommes et matériel, ils ont pourtant de quoi  combattre les quelques centaines de barbus agités (tout au plus) mais la désorganisation, l’absence de coordination, la manque de motivation, la corruption qui gangrène les armées, entre autres, empêchent ces pays d’être autonomes. Et la France joue sur cette fibre, en leur suggérant que, sans elle, la sécurité ne peut être assurée au Sahel. Dociles comme des agneaux, nos présidents ne se font pas prier, pour se décharger sur une armée étrangère, certes plus puissante que les leurs mais pas plus aguerrie, ni plus à l’aise sur le terrain. « Celui qui se cache derrière les jours est nu », dit un dicton bien de chez nous. Il arrivera bien un moment, proche sans doute, où ces Etats ne pourront plus se cacher derrière le paravent français et devront assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Ce jour où l’Etat français se trouvera obligé de lire plus attentivement l’article 23 de la Charte officielle des Gilets jaunes, si majoritairement soutenus par les électeurs de l’Hexagone : « Cesser le pillage et les ingérences  politiques et militaires. Rendre l’argent des dictateurs et les biens mal acquis aux peuples africains. Rapatrier immédiatement tous les soldats français. Mettre fin au système du FCFA qui maintient l’Afrique dans la pauvreté. Tisser des rapports d’égal à égal avec les Etats africains ». La voix du peuple n’est-elle pas celle de Dieu ?
                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh

samedi 8 décembre 2018

Editorial: Fissure....stratégique

La décision « historique » d'Interpol d’effacer les « notices rouges » concernant Mohamed ould Bouamatou et Mohamed Debagh fera date. En relevant « la dimension politique prédominante dans cette affaire », l’organisation internationale impose, en effet, de pertinentes  limites au droit des Etats à poursuivre leurs ressortissants. Et, certes, comme ont rappelé ses avocats, maîtres William Bourdon et Elyezid Ould Yezid, ce plus polichinelle des secrets, « Ould Bouamatou n'a jamais caché qu'il soutenait légalement l'opposition mauritanienne, notamment financièrement, afin de favoriser la démocratie en Mauritanie ». 
La supercherie azizienne – crimes transfrontaliers ? Expert en la matière, notre Ghanagâteur national n’a jamais eu froid aux yeux… –  aura tout même tenu assez longtemps pour empocher des élections municipales, régionales et parlementaires où l’argent de Bouamatou aurait, évidemment, apporté un contrepoids, certain, aux corruptions en tout genre ouvertement développées par le pouvoir… Lendemains qui déchantent ? Quoique la justice mauritanienne se révèle toujours impuissante à émettre – et pour cause – le moindre jugement dans le dossier « Bouamatou et consorts », l’objective position d’Interpol ne signifie pas encore la liberté retrouvée de mouvements et d’actions de notre célèbre mécène – et opposant déclaré – en sa propre patrie. Mais, patience, cher Mohamed : le mensonge est bel et bien fissuré. De bon augure, à quelques mois de la présidentielle ?
De quoi,  en tout cas, se tâter, « là-haut » : repriser, à la hâte, le tissu de calomnies, au risque de le voir se déchirer définitivement et de se retrouver embourbé, jusqu’au cou, sinon par-dessus la tête, dans l’infâmerie d’une ingratitude enfin étalée à la face du monde, après celle de la Mauritanie ? Ou feinter, gagner du temps, s’éclipser, en douce, en « abandonnant » la place à un alter ego moins mouillé, et juste assez de champ, à l’opposition, pour se parer, lui, du titre de promoteur d’une démocratie en gestation…  au risque d’assister à sa naissance prématurée ? On a dit, à tort ou à raison, Ould Abdel Aziz fin stratège. S’il se croit peut-être le meilleur, cela laisse à supposer qu’il sait n’être pas seul, en cet art d’autant plus difficile qu’il y a toujours, au-dessus de « là-haut », un « encore-plus-là-haut ». Fortuite, donc, la décision d’Interpol, dans le puzzle de la politique mauritanienne ? Ouvrez grand les yeux, messieurs-mesdames, la partie n’est plus tout-à-fait fermée…
                                                                    Ahmed Ould Cheikh