mercredi 23 février 2011

Editorial : Inévitable révolution

«Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable». Cette célèbre citation de l’ancien président américain John Fitzgerald Kennedy, énoncée il y a quelques décennies, est, plus que jamais, d’actualité, au vu de ce qui se passe, depuis quelques semaines, dans le monde arabe. Où, après la Tunisie et l’Egypte qui ont bouté hors du pouvoir deux vieillards gâteux, c’est au tour du Yémen, de Bahreïn et de la Libye de s’embraser. Leurs peuples, comme ceux qui se sont soulevés avant eux, ne réclament, pourtant, qu’un peu de liberté, de démocratie et de justice; moins de népotisme, de détournement des deniers publics et de gabegie. Des revendications légitimes auxquelles leurs dirigeants ont répondu par le seul argument qui leur a permis de se maintenir, jusqu’à présent, au pouvoir: la force. Oubliant au passage – quarante ans au pouvoir, ça use les neurones! – que Ben Ali et Moubarak ont (ab)usé de toutes les formes de répression, pour mater les révoltes, mais le peuple, décidé, a fini par avoir raison d’eux. Il règne, sur cette partie du monde, longtemps verrouillée par des régimes tyranniques, comme un parfum de liberté. Comme celui que l’Europe de l’Est a connu après la chute du mur de Berlin. A la différence, de taille, que les pouvoirs communistes de l’époque ont compris que la roue de l’Histoire était en train de tourner. Et qu’il fallait accompagner le mouvement, si l’on ne voulait pas se faire écraser. Ce qu’aucun dirigeant arabe – sauf, peut-être, le roi du Maroc, avec les manifestations téléguidées de ce dimanche – n’a, jusqu’à présent, assimilé. Deux d’entre eux sont déjà passés à la trappe. D’autres suivront, à coup sûr. L’année 2011 sera arabe ou ne sera pas.
Et la Mauritanie, dans tout ça? A en croire les champions de la flagornerie, «notre pays a, déjà, fait sa révolution, en 2008» – ça ne s’invente pas, ce genre de citations dont les auteurs méritent une place d’honneur, au panthéon de la bêtise humaine. Depuis lors, toujours selon nos applaudisseurs patentés, notre guide bien-aimé fait tout, pour transformer le pays, en paradis sur terre. Où il n’y a pas – notez le passage de l’hypothétique au présent affirmatif – de favoritisme, où règne une transparence, totale, dans l’attribution des marchés publics, où les ministres et les hauts responsables ne sont pas choisis sur la base d’on ne sait quels critères et ne sont pas assis sur des sièges éjectables, à tout moment, pour un oui ou pour un non, où les établissements publics payent leurs employés, jusqu’au dernier centime, sans le moindre retard, où les commerçants, qui ont participé au financement de la campagne du candidat-général-président, ne peuvent pas augmenter les prix à leur guise, pour conserver, voire augmenter, leurs marges de bénéfice, où les hôpitaux offrent des soins de qualité, à tout le monde, et les écoles, un enseignement aux «normes normalisées», comme dirait l’autre.
Pincez-vous! Vous rêvez. La Mauritanie nouvelle est, certes, en marche. Mais à reculons. Pour mieux – sans jeu de mots – sauter?
Ahmed Ould Cheikh

mercredi 9 février 2011

Editorial : Pain bénit pour démocraties militaires

Depuis quelques jours, notre pays vit au rythme des course-poursuites avec AQMI, des voitures qui explosent, des militaires qui se blessent, des kamikazes qui se font sauter, d’autres qui se font arrêter, des menaces de mort et d’attentats. Bref, une guerre qui ne disait pas son nom, contre un ennemi jusqu’alors lointain et invisible mais qui frappe, désormais, à nos portes. Une voiture, portant deux membres d’Al Qaïda, a, en effet, traversé tout le pays, de Bassiknou jusqu’à Nouakchott, malgré le maillage, très serré, du filet sécuritaire, pour venir exploser à quelques encablures du quartier de Riyadh. Une autre a été retrouvée non loin de R’kiz, et une dernière a vadrouillé un peu partout avant de se faire rattraper à Dar El Barka, au Barkna. D’où les légitimes questions que se pose tout un chacun: comment trois voitures suspectes ont-elles pu se faufiler jusqu’à la capitale ? Pourquoi n’ont-elles pas été interceptées plus tôt? Qu’ont fait l’Armée (de terre et de l’air), la Garde, la Gendarmerie et la Police, pour empêcher ces apprentis terroristes de parcourir près de 2000 kilomètres, sans être inquiétés? Les attaques préventives, menées au Mali, dans le but de repousser ces combattants loin de nos frontières ont-elles échoué dans leurs objectifs? Faut-il, désormais, s’attendre au pire, quand on sait que des pays, autrement plus puissants et mieux organisés, à l’instar de l’Algérie, ont subi des attaques meurtrières dans leurs grandes villes? Sur le plan militaire, pourquoi le BASEP, le bataillon chargé de la sécurité présidentielle, a été choisi, pour intercepter la voiture qui s’apprêtait à commettre un attentat à Nouakchott? La 6ème région militaire ou le 2ème bataillon de commandos de Jreïda, pour ne citer qu’eux, n’étaient-ils pas capables de mener à bien cette mission? A quoi peuvent bien servir les fameux GSI, les Groupes Spéciaux d’Intervention, mis en place, justement, pour lutter contre le terrorisme? Des questions qui risquent de ne pas trouver de réponse. Le ministre de la Défense – non le chef du bureau des opérations de l’Armée et pour cause – qui a donné, à la presse, certains détails de l’opération, s’est contenté du minimum. Dans des affaires aussi sensibles que celles-là, le secret est, jalousement, gardé et l’Armée ne consent, à un civil, que de quoi amuser la galerie. Sécurité oblige…
Ah, la sécurité! Parmi les justificatifs avancés, par les auteurs du coup d’Etat rectificatif du 6 août 2008, pour renverser Sidioca, l’absence de sécurité figurait en bonne place. Et il faut dire qu’elle a été bien «rétablie», cette renverseuse de président démocratiquement élu. Comptez bien! Depuis cette date, douze de nos soldats sont morts à Tourine; un citoyen américain a été tué, en plein jour, au Ksar; deux kamikazes se sont fait exploser, à Nouakchott et à Néma; trois humanitaires espagnols ont été enlevés, entre Nouadhibou à Nouakchott; deux italiens ont subi le même sort, non loin de Kobenni; cinq soldats, dont l’unité pourchassait des éléments d’AQMI, au Mali, en septembre dernier, sont tombés sous les balles ennemies et, plus récemment, la nébuleuse islamiste prétend commettre des attentats dans la capitale, n’hésitant pas à annoncer qu’elle vise le plus haut sommet de l’Etat. Vous me direz qu’à défaut de garantir la sécurité retrouvée, tout ceci justifie, largement, une politique sécuritaire. Dans le climat révolutionnaire qui se répand au Maghreb, évidemment, c’est du pain bénit, une telle précaution! Comme quoi, l’AQMI, y a pas à dire, c’est du tout bon, pour les démocraties militaires…

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 2 février 2011

Editorial : Réfléchissez, gouvernants!

Face à la vague de fond qui a emporté le président Ben Ali, en deux temps, trois mouvements; aux événements qui s’accélèrent, en Egypte; et aux avis de tempête dans d’autres pays, le gouvernement mauritanien n’a pas trouvé mieux que de procéder, dans l’urgence, à l’ouverture de six cents boutiques dites témoins. Où les prix du riz, du sucre et de l’huile accusent une légère baisse, par rapport à ceux du commerçant du coin. Une opération de solidarité qui ressemble fort à de la charité. Supervisée par la fédération du commerce, elle est, en fait, subventionnée par l’Etat qui versera, à cette dernière, la bagatelle de trois milliards d’ouguiyas – à raison de 500.000 UM par boutique – pour combler son «manque à gagner». Beaucoup d’argent et très peu d’effets, pour une opération-spectacle qui ne peut continuer indéfiniment, l’Etat étant incapable de continuer à subventionner les prix – et les commerçants, par transitivité. Que faire, alors? Attendre que la colère de la rue s’estompe pour revenir aux prix d’avant l’opération? La Tunisie a suscité un dangereux précédent et il n’est, désormais, plus possible de rester les bras croisés, face aux prix qui grimpent, au chômage qui s’installe et à la précarité qui élit domicile. Mais que pèsent trois, quatre ou vingt milliards, s’ils peuvent assurer la stabilité du pouvoir? Que tout le budget de l’Etat parte en fumée, rien ne vaut le sentiment d’avoir coupé l’herbe sous les pieds des pêcheurs en eaux troubles. Quand un peuple a faim, il devient dangereux. Et il n’est plus nécessaire de mettre en place une politique rationnelle, pour stabiliser les prix, de diminuer les taxes douanières ou de subventionner la SONIMEX. L’urgence veut qu’on prenne des mesures, urgentes et….irrationnelles. La dernière hypothèse, celle du renflouement de ladite société nationale qui a déjà fait ses preuves, semble de plus en plus improbable. Et pour cause! La SONIMEX est, en effet, devenue un véritable gouffre financier qui a englouti, en deux ans, la rondelette somme de 48 millions de dollars, débloqués par la Banque centrale, pour financer le fameux Programme Spécial d’Intervention (PSI), mis en place, en 2008, sous Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Un expert français, qui y a séjourné au cours des derniers mois, vient de rendre un rapport, accablant, sur la gestion de cette manne. Une véritable caverne d’Ali Baba, victime du «casse du siècle» dont les auteurs courent toujours. Au moment où d’autres «dorment», pour beaucoup moins que cela, en prison, depuis des années et n’ont même pas été jugés. Ces prévaricateurs sont-ils protégés et par qui? Sinon, pourquoi n’ont-ils pas été, à ce jour, inquiétés? La lutte contre la gabegie serait-elle, à ce point, sélective?
Arrêtons de maugréer et revenons à nos prix. Que fera le pouvoir, si, dans quelques semaines, la subvention se tarit? Va-t-il laisser les étiquettes valser, de nouveau, avec les risques que cela implique? Une politique irréfléchie peut donner, dans l’immédiat, un résultat positif mais forcément éphémère. Serait-ce trop demander, à nos gouvernants, de réfléchir?

Ahmed Ould Cheikh