dimanche 26 mai 2013

Editorial : Myopie ou aveuglement ?



Plus quelques mois avant la date-butoir des élections législatives et municipales, fixée unilatéralement par la CENI. Entêté, le pouvoir veut les organiser à tout prix, même sans le moindre consensus politique, mais l’étau semble se resserrer sur lui. La Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) a accepté le plan de sortie de crise du président de l’Assemblée nationale. Histoire de couper seulement l’herbe sous les pieds du pouvoir qui misait, beaucoup, sur son rejet de cette initiative ? Quoiqu’il en soit, elle a, désormais, pris les devants. Sa réponse à Messaoud s’est accompagnée d’un document, publié la semaine dernière, détaillant son point de vue sur la meilleure manière de sortir de la crise où se débat le pays. Cette vision, déclinée en plusieurs points, a très peu de chances – pour ne pas dire aucune – d’être acceptée par un président plus que jamais convaincu qu’après lui, ce sera le déluge. Petit florilège des propositions de la COD : « Seul un gouvernement consensuel, dirigé par un Premier ministre neutre et investi de tous les pouvoirs nécessaires, peut garantir la transparence des prochaines élections. En outre, le chef de l’Etat, le Premier ministre et les membres de ce gouvernement devront s’engager à ne pas se présenter aux prochaines échéances électorales, ni à soutenir un candidat. La non-neutralité de l’Etat et des attributs de la puissance publique est un des facteurs majeurs qui faussent le jeu électoral. [Il faut assurer] l’unification des structures de l’Armée, en y intégrant le BASEP, et la normalisation du vote militaire ; une déclaration de neutralité, publique et sous serment, de la part des chefs de corps (Armée, Gendarmerie, Garde, Police, autres forces de sécurité) ; la révision des textes électoraux de façon consensuelle et l’audit du fichier électoral ; l’ouverture des media publics, de façon concertée et continue, et la désignation, à leur tête, de responsables politiquement neutres et républicains… »
Faut-il voir, dans ces propositions, une façon, pour la COD, de démontrer qu’elle est capable de faire taire ses détracteurs, avec des propositions concrètes ? Et que son combat ne se limite pas à l’organisation de meetings et aux demandes de départ du président ? Certes, il y a loin de la coupe aux lèvres mais, incapable d’éjecter le général putschiste par la rue, elle peut, au moins, le pousser dans ses derniers retranchements. En montrant à l’opinion nationale et internationale où se situe le blocage. Les Français, à présent seul soutien du pouvoir, refusent toujours d’en reconnaître la vraie nature, guerre contre le terrorisme – stratégie énergétique ? – oblige. Mais jusqu’à quand feront-ils la sourde oreille ?
En janvier 2011, au déclenchement de la révolution, Michèle Alliot-Marie, la ministre française des Affaires étrangères proposait, maladroitement, le soutien de son pays, pour le maintien de l’ordre en Tunisie. Quelques jours plus tard, le pouvoir de Ben Ali était balayé par la rue. Myopes, les Français n’avaient rien vu venir et se sont ainsi offert de tenaces inimitiés, dans ce pays. Est-ce pour cela qu’ils essaieront de prendre, quelques mois plus tard, le train libyen en marche, en aidant les rebelles contre Kadhafi ?
Mais en soutenant, contre vents et marées, un pouvoir mauritanien d’essence putschiste, c’est à nouveau faire preuve, non pas de myopie mais bien de total aveuglement. On pensait pourtant en avoir fini avec la Françafrique, à l’arrivée des socialistes dont le président avait promis une autre méthode de gouvernement. Apparemment non. Hollande n’est pas à un reniement près. En France, comme ailleurs, les hommes changent mais les méthodes restent. C’est que leur logique, probablement, n’appartient pas aux hommes, mais aux gros intérêts dont ils sont, tous, les instruments…  L’argent n’a pas d’odeur, dit-on. N’aurait-il pas, non plus, d’yeux ?

                                                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

lundi 20 mai 2013

Editorial : Ah, ça ira, ça ira, ça ira…



Après un silence de plusieurs mois, les partis dits de la majorité – en fait, les partis « pro-Aziz », puisqu’on ne peut plus parler de majorité, le Parlement étant forclos depuis octobre 2011 – ont, enfin, réagi à la fameuse Initiative du président de l’Assemblée nationale. Cette médecine censée nous sortir de l’ombre à la lumière, régler la crise politique que nous vivons depuis 2008 et permettre l’organisation d’élections, libres et transparentes, à l’ombre d’un gouvernement d’union nationale. Vaste programme, comme eût dit de Gaulle ! Un précieux mais hypothétique sésame, pour un pays qui n’arrive pas à trouver le chemin de la normalité, depuis que les militaires ont décidé d’en faire leur chasse-gardée. Rien n’indique, cependant, que cette potion magique ait la moindre chance d’aboutir. L’opposition lui a donné, c’est vrai, une réponse hautement politique et globalement favorable, dans ses grandes lignes. Avait-elle, d’ailleurs, le choix ? Mais la « majorité » (?), elle, n’a rien dit. Strictement rien. Ou, plus exactement, si l’on s’en tient au communiqué sanctionnant la réunion que certains de ses partis ont tenue, la semaine dernière, avec Messaoud, un monument de langue de bois où l’on parle de bonnes « intentions », de « disponibilité » au dialogue et de démarche « importante », sans oublier de jeter quelques fleurs à l’auteur de l’Initiative. Pas un mot sur le gouvernement d’union nationale ou sur la CENI. Des choses trop sérieuses, de toute évidence, pour qu’elles leur soient confiées. Leur rôle se limite à faire de la figuration et à donner l’impression de bouger sur la scène politique. Mais c’est assez godiche pour laisser deviner le marionnettiste en chef qui tire les ficelles et rabat les cartes. Ould Abdel Aziz l’a dit et redit : il n’y a de chef que lui. Et ce n’est pas à des civils, spécialistes en retournement de boubou, qu’il confierait un aussi sensible dossier. S’il s’agit de discuter gouvernement d’union nationale ou CENI, c’est à lui qu’il faut s’adresser et non aux paravents dressés pour amuser la galerie. C’est lui qui tient les cartouches – les prend même, à l’occasion, dans le ventre – et il ne s’en servira qu’en dernier recours. Comme il l’avait déjà fait en  2009, lorsqu’il accepta gouvernement de transition et CENI, quelques jours seulement avant l’élection présidentielle, pour donner l’impression d’un scrutin libre. Alors que les dés étaient pipés Avec le résultat et la crise que l’on sait.
Echaudée par l’expérience, l’opposition retombera-t-elle dans le panneau ? Ce serait se déclarer totalement niaise et inculte, politiquement parlant. Non, elle n’acceptera plus aucune concession de façade. Rouler dans la farine, ça suffit d’une fois ! Mais, pour l’instant, le problème n’est pas là. Le pays ne peut pas se permettre de rester à l’arrêt, retenant son souffle, à attendre que ces messieurs-dames veuillent bien trouver une quelconque – mais vraie – solution politique. A y regarder de plus près, on a comme l’impression que le pouvoir joue la montre, fort de sa « majorité » ( ?) et campant sur ses lauriers. C’est à se demander, d’ailleurs, si l’initiative de Messaoud ne fait pas son jeu, en se jetant en pâture à une opposition en panne d’idées. En attendant qu’elle la décortique, Aziz, lui, ne perd pas son temps. Il fait main basse sur le pays, place ses pions et règle ses comptes. Quand son manège finira, il se réveillera, un beau jour, en déclarant tout de go : « Allez, populo, à la votation ! » Et vous croyez, vraiment que, comme le dit la célèbre chanson de la Révolution française, Ah, ça ira, ça ira, ça ira ?
                                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

dimanche 12 mai 2013

Editorial : Liberté funambule



Comme (presque) partout dans le monde, la Mauritanie a célébré, le 3 mai, la Journée internationale de la liberté de la presse. Non pas en une journée, comme l’appellation semblerait l’imposer, mais en une semaine. Pourtant, une matinée aurait largement suffi, pour nous assommer, par tous ses angles, de la première place de la Mauritanie, en matière de liberté d’expression, dans le classement des… pays arabes ; c’est-à-dire, de ce conglomérat d’Etats policiers et de monarchies tyranniques dont la liberté, de façon générale, a toujours été le cadet des soucis. Sacrée référence ! Des rencontres, auxquelles tout le monde – sans exagération aucune, quant au nombre – a été invité, ont été organisées, à la TVM et à Radio Mauritanie, pour débattre des problèmes du secteur. Sans jamais les effleurer – débattre n’est pas combattre –  mais en prenant un soin particulier à ne pas oublier les acquis réalisées depuis un certain 6 août 2008.
Le premier jour, le tout nouveau ministre de la Communication  a présidé une cérémonie officielle et assisté le dimanche soir à un dîner-débât organisé pour la circonstance.  On a évoqué, de ci, de là, parfois pêle-mêle, les réalisations aziziennes en ce domaine, la fameuse première place de la Mauritanie, la dépénalisation des délits de presse, le fonds d’aide et la libéralisation de l’espace audiovisuel. Un bien beau tableau, n’eût été le revers de la médaille. On n’a, par exemple, pas parlé de l’insignifiance de ce fonds d’aide, destiné, au départ, à la presse écrite à laquelle on a adjoint les sites électroniques pour qu’elle n’ait droit qu’à la portion congrue. Cette année, la part de chacun risque d’être encore plus insignifiante, avec l’intrusion des radios et télés privées. Au Sénégal voisin, chaque quotidien reçoit, tous les ans et en moyenne, 11 millions de FCFA de l’Etat, soit un peu plus de six millions et demi de nos ouguiyas.  L’Eveil Hebdo et Le Calame, les journaux les plus anciens du paysage médiatique mauritanien, n’ont pas reçu, l’an passé, quatre millions d’ouguiyas, à eux deux.
On a oublié aussi de dire que  les délits de presse n’ont pas tous été dépénalisés. Et que les journaux et sites qui ont l’outrecuidance de critiquer un peu fort notre rectificateur en chef sont frappés d’ostracisme. Ils ne sont jamais invités à couvrir les (très) nombreux déplacements présidentiels, ni à assister aux conférences de presse que notre guide éclairé organise, pour célébrer son coup d’Etat ou quand il n’a rien à dire et qu’il lui semble important d’en informer le bon peuple.
Personne n’a également rappelé que cette première place, dans le classement des pays arabes, n’est que le fruit des efforts de la presse privée et de son long combat pour la liberté. C’est elle qui fut censurée, saisie et interdite, pendant quatorze pénibles années, et dont certains veulent, à présent, capitaliser les acquis à leur profit. Si « Reporters Sans Frontières » n’avait tenu compte, dans son évaluation, que de l’état de la presse officielle, on serait dans les profondeurs de ce fameux classement, non loin d’une monarchie où le roi est au centre de tout et où les organes de l’Etat sont à son service exclusif. Comme ils l’ont toujours fait ici, quel que fut, au demeurant, celui qui tenait le gouvernail. Avec un bref bémol, cependant, durant la transition et la plus brève encore magistrature de Sidioca. Zigouillée de la manière qu’on sait.
Que serait notre paysage médiatique, où iriez-vous pêcher vos informations nationales, s’il n’y avait que la TVM, Radio-Mauritanie, Chaab-Horizons et tutti quanti ? Mais comment la presse indépendante pourra-t-elle continuer son travail, alors que le prix de vente des quotidiens et hebdomadaires n’a pas bougé, depuis plus de vingt ans, et que le pouvoir ne semble toujours pas décidé à la soutenir à la vraie mesure des services qu’elle rend à la Nation ? C’est en funambules que les professionnels du secteur travaillent. Sans protection, sans marge de manœuvres, sans facilité d’accès aux informations administratives. En Mauritanie, la liberté d’expression tend toujours à se conclure, d’une manière ou d’une autre, par l’obligation de se taire…

                                                                                                                              Ahmed Ould Cheikh

mercredi 8 mai 2013

Editorial : Vox populi…



« La situation sociale, très tendue, impose de dialoguer avec l'opposition. Par ailleurs, cette législature a dépassé le terme de son mandat. Le président n'a donc plus de majorité. Et quand on n'a plus de majorité, on n'est plus légitime. »  Elle est de qui, cette phrase ? D’un député ou d’un simple membre de  l’opposition mauritanienne, tant elle résume la situation ubuesque que nous vivons depuis octobre 2011 ? Non. Elle est du leader de l’opposition togolaise qui, dans une interview à Jeune Afrique, résume parfaitement ce que vit le Togo, à l’ombre de cet apprenti dictateur qu’est Faure Gnassingbé, un président-roi qui a hérité le pouvoir de son père. Elle est apparemment maudite, cette Afrique. Entre putschistes, galonnés ou pas, vieux séniles accrochés au pouvoir et roitelets ignares, l'agronome René Dumont ne croyait certainement pas si bien dire, en affirmant, dès les premières années d’indépendance, que notre continent était mal parti.
Quelle différence y-a-t-il, entre la Mauritanie et le Togo ? Aucune, à la lumière de la déclaration de l’opposant togolais. La situation sociale est la même. Plus que jamais tendue, avec des travailleurs qui élevent, de jour en jour, la voix, exigeant que cesse l’exploitation abusive dont ils ne cessent de faire l’objet. Les dockers ont été les premiers à sonner la charge. Ils ont eu gain de cause. Face à leur détermination, le pouvoir a fini par plier. D’autres corporations ne manqueront pas de s’engouffrer dans la brèche. On peut donc s’attendre à un été chaud.
Dialogue avec l’opposition ? Tout le monde l’appelle de ses vœux, depuis les Accords de Dakar mais le pouvoir ne cesse, lui, de freiner des deux pieds, pour maintenir un statu quo qui lui semble favorable. Jusqu’à quand ? Même si la législature a dépassé, comme au Togo, le terme de son mandat et que le président n’a plus, formellement, de majorité, il multiplie les subterfuges pour ne pas organiser de consultation électorale. Celle qui concernait le tiers du Sénat a été reportée, l’année dernière, sur demande de… l’opposition mais pas plus de vive voix que par écrit. Ould Abdel Aziz avait, pourtant, répété à l’envi que les élections auraient lieu bien dans les délais et qu’il n’y aurait, ô grand jamais, de vide constitutionnel. Son Premier ministre y avait, même, été de sa petite tirade, en déclarant, quelques minutes à peine avant le fameux report, que les élections sénatoriales auraient bel et bien lieu. Il est vrai qu’Ould Mohamed Laghdaf n’est pas à une couleuvre près.
Peut-on, dans ce cas, parler encore de majorité ? L’autre soir, dans un débat diffusé par la TVM , le professeur Lô Gourmo s’est évertué à démontrer, à deux députés de l’UPR, que le Parlement lui-même est forclos, le fait d’avoir voté la prolongation de son propre mandat ne pouvant, en aucun, cas, modifier cette implacable réalité. Plus personne n’est dupe. Tout le monde sait, à présent, qu’Ould Abdel Aziz n’a cure de considérations constitutionnelles. Le pouvoir était et reste au bout de son fusil. Et il n’y a qu’un guichet unique : le BASEP. Les opposants peuvent aller se rhabiller. En période de vaches grasses, la majorité silencieuse n’y verrait, sans doute, rien à dire.  Mais si ventre affamé n’a pas d’oreilles, il a, par contre, de la voix, aussi peu électorale, alors – et hélas, mais il eût fallu y penser plus tôt – que craintive du fusil : vox populi, vox dei: La voix du peuple, c’est la voix de Dieu.

                                                                                                            Ahmed Ould Cheikh