dimanche 12 mai 2013

Editorial : Liberté funambule



Comme (presque) partout dans le monde, la Mauritanie a célébré, le 3 mai, la Journée internationale de la liberté de la presse. Non pas en une journée, comme l’appellation semblerait l’imposer, mais en une semaine. Pourtant, une matinée aurait largement suffi, pour nous assommer, par tous ses angles, de la première place de la Mauritanie, en matière de liberté d’expression, dans le classement des… pays arabes ; c’est-à-dire, de ce conglomérat d’Etats policiers et de monarchies tyranniques dont la liberté, de façon générale, a toujours été le cadet des soucis. Sacrée référence ! Des rencontres, auxquelles tout le monde – sans exagération aucune, quant au nombre – a été invité, ont été organisées, à la TVM et à Radio Mauritanie, pour débattre des problèmes du secteur. Sans jamais les effleurer – débattre n’est pas combattre –  mais en prenant un soin particulier à ne pas oublier les acquis réalisées depuis un certain 6 août 2008.
Le premier jour, le tout nouveau ministre de la Communication  a présidé une cérémonie officielle et assisté le dimanche soir à un dîner-débât organisé pour la circonstance.  On a évoqué, de ci, de là, parfois pêle-mêle, les réalisations aziziennes en ce domaine, la fameuse première place de la Mauritanie, la dépénalisation des délits de presse, le fonds d’aide et la libéralisation de l’espace audiovisuel. Un bien beau tableau, n’eût été le revers de la médaille. On n’a, par exemple, pas parlé de l’insignifiance de ce fonds d’aide, destiné, au départ, à la presse écrite à laquelle on a adjoint les sites électroniques pour qu’elle n’ait droit qu’à la portion congrue. Cette année, la part de chacun risque d’être encore plus insignifiante, avec l’intrusion des radios et télés privées. Au Sénégal voisin, chaque quotidien reçoit, tous les ans et en moyenne, 11 millions de FCFA de l’Etat, soit un peu plus de six millions et demi de nos ouguiyas.  L’Eveil Hebdo et Le Calame, les journaux les plus anciens du paysage médiatique mauritanien, n’ont pas reçu, l’an passé, quatre millions d’ouguiyas, à eux deux.
On a oublié aussi de dire que  les délits de presse n’ont pas tous été dépénalisés. Et que les journaux et sites qui ont l’outrecuidance de critiquer un peu fort notre rectificateur en chef sont frappés d’ostracisme. Ils ne sont jamais invités à couvrir les (très) nombreux déplacements présidentiels, ni à assister aux conférences de presse que notre guide éclairé organise, pour célébrer son coup d’Etat ou quand il n’a rien à dire et qu’il lui semble important d’en informer le bon peuple.
Personne n’a également rappelé que cette première place, dans le classement des pays arabes, n’est que le fruit des efforts de la presse privée et de son long combat pour la liberté. C’est elle qui fut censurée, saisie et interdite, pendant quatorze pénibles années, et dont certains veulent, à présent, capitaliser les acquis à leur profit. Si « Reporters Sans Frontières » n’avait tenu compte, dans son évaluation, que de l’état de la presse officielle, on serait dans les profondeurs de ce fameux classement, non loin d’une monarchie où le roi est au centre de tout et où les organes de l’Etat sont à son service exclusif. Comme ils l’ont toujours fait ici, quel que fut, au demeurant, celui qui tenait le gouvernail. Avec un bref bémol, cependant, durant la transition et la plus brève encore magistrature de Sidioca. Zigouillée de la manière qu’on sait.
Que serait notre paysage médiatique, où iriez-vous pêcher vos informations nationales, s’il n’y avait que la TVM, Radio-Mauritanie, Chaab-Horizons et tutti quanti ? Mais comment la presse indépendante pourra-t-elle continuer son travail, alors que le prix de vente des quotidiens et hebdomadaires n’a pas bougé, depuis plus de vingt ans, et que le pouvoir ne semble toujours pas décidé à la soutenir à la vraie mesure des services qu’elle rend à la Nation ? C’est en funambules que les professionnels du secteur travaillent. Sans protection, sans marge de manœuvres, sans facilité d’accès aux informations administratives. En Mauritanie, la liberté d’expression tend toujours à se conclure, d’une manière ou d’une autre, par l’obligation de se taire…

                                                                                                                              Ahmed Ould Cheikh

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire