Comme (presque) partout dans le monde, la Mauritanie a célébré, le
3 mai, la Journée
internationale de la liberté de la presse. Non pas en une journée, comme
l’appellation semblerait l’imposer, mais en une semaine. Pourtant, une matinée
aurait largement suffi, pour nous assommer, par tous ses angles, de la première
place de la Mauritanie,
en matière de liberté d’expression, dans le classement des… pays arabes ;
c’est-à-dire, de ce conglomérat d’Etats policiers et de monarchies tyranniques
dont la liberté, de façon générale, a toujours été le cadet des soucis. Sacrée
référence ! Des rencontres, auxquelles tout le monde – sans exagération
aucune, quant au nombre – a été invité, ont été organisées, à la TVM et à Radio Mauritanie, pour
débattre des problèmes du secteur. Sans jamais les effleurer – débattre n’est
pas combattre – mais en prenant un soin
particulier à ne pas oublier les acquis réalisées depuis un certain 6 août
2008.
Le premier jour, le tout nouveau ministre de la Communication a présidé une cérémonie officielle et assisté
le dimanche soir à un dîner-débât organisé pour la circonstance. On a évoqué, de ci, de là, parfois pêle-mêle, les
réalisations aziziennes en ce domaine, la fameuse première place de la Mauritanie, la dépénalisation
des délits de presse, le fonds d’aide et la libéralisation de l’espace
audiovisuel. Un bien beau tableau, n’eût été le revers de la médaille. On n’a,
par exemple, pas parlé de l’insignifiance de ce fonds d’aide, destiné, au
départ, à la presse écrite à laquelle on a adjoint les sites électroniques pour
qu’elle n’ait droit qu’à la portion congrue. Cette année, la part de chacun
risque d’être encore plus insignifiante, avec l’intrusion des radios et télés
privées. Au Sénégal voisin, chaque quotidien reçoit, tous les ans et en moyenne,
11 millions de FCFA de l’Etat, soit un peu plus de six millions et demi de nos
ouguiyas. L’Eveil Hebdo et Le Calame,
les journaux les plus anciens du paysage médiatique mauritanien, n’ont pas
reçu, l’an passé, quatre millions d’ouguiyas, à eux deux.
On a oublié aussi de dire que les délits de presse n’ont pas tous été
dépénalisés. Et que les journaux et sites qui ont l’outrecuidance de critiquer
un peu fort notre rectificateur en chef sont frappés d’ostracisme. Ils ne sont
jamais invités à couvrir les (très) nombreux déplacements présidentiels, ni à
assister aux conférences de presse que notre guide éclairé organise, pour
célébrer son coup d’Etat ou quand il n’a rien à dire et qu’il lui semble
important d’en informer le bon peuple.
Personne n’a également rappelé que cette première
place, dans le classement des pays arabes, n’est que le fruit des efforts de la
presse privée et de son long combat pour la liberté. C’est elle qui fut
censurée, saisie et interdite, pendant quatorze pénibles années, et dont certains
veulent, à présent, capitaliser les acquis à leur profit. Si « Reporters
Sans Frontières » n’avait tenu compte, dans son évaluation, que de l’état
de la presse officielle, on serait dans les profondeurs de ce fameux
classement, non loin d’une monarchie où le roi est au centre de tout et où les
organes de l’Etat sont à son service exclusif. Comme ils l’ont toujours fait
ici, quel que fut, au demeurant, celui qui tenait le gouvernail. Avec un bref
bémol, cependant, durant la transition et la plus brève encore magistrature de
Sidioca. Zigouillée de la manière qu’on sait.
Que serait notre paysage médiatique, où iriez-vous
pêcher vos informations nationales, s’il n’y avait que la TVM, Radio-Mauritanie,
Chaab-Horizons et tutti quanti ? Mais comment la presse indépendante
pourra-t-elle continuer son travail, alors que le prix de vente des quotidiens
et hebdomadaires n’a pas bougé, depuis plus de vingt ans, et que le pouvoir ne
semble toujours pas décidé à la soutenir à la vraie mesure des services qu’elle
rend à la Nation ?
C’est en funambules que les professionnels du secteur travaillent. Sans
protection, sans marge de manœuvres, sans facilité d’accès aux informations
administratives. En Mauritanie, la liberté d’expression tend toujours à se
conclure, d’une manière ou d’une autre, par l’obligation de se taire…
Ahmed Ould Cheikh
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