vendredi 24 juin 2022

Editorial: Avant qu'il ne soit trop tard

Toujours très modéré vis-à-vis du pouvoir de Ghazwani avec lequel il a, dès le départ, entretenu des relations apaisées – contrairement à son prédécesseur qui vouait aux gémonies l’opposition qui le lui rendait bien – le leader historique de l’opposition Ahmed ould Daddah vient de sortir de sa réserve. Après la suspension du dialogue dont les préparatifs du lancement étaient assez avancés, il appelle le Président et le pays en général à former sans plus tarder un « front intérieur solide, permettant à nos populations, en particulier aux franges les plus fragiles et notamment la jeunesse, de résister aux sirènes des dangers qui nous guettent ». Et de noter les « défis liés aussi bien à [notre] environnement géographique immédiat qu’aux enjeux intérieurs qui nécessitent des solutions consensuelles, seules garantes de stabilité, de cohésion sociale et d'un fonctionnement apaisé de toute démocratie. […]

« D'une importance capitale, ce front ne peut cependant s’édifier que si les défis intérieurs sont largement discutés, afin d'entamer un processus susceptible d'en venir à bout, en s’accordant sur des solutions consensuelles aux questions fondamentales incluses dans le projet de dialogue récemment suspendu. Cette suspension a pris de court toute l'opinion nationale, menaçant d’étouffer tout espoir de lendemains meilleurs, après que l'opinion publique nationale eut considéré que cette dynamique était de bonne augure ».

Ahmed ould Daddah juge le contexte explosif. « Un dialogue national inclusif et constructif, capable de permettre au pays de surmonter les problèmes qui entravent son unité, sa stabilité, son processus démocratique et son développement, est plus que jamais nécessaire ».  Avant qu’il ne soit trop tard, entend-on clairement en filigrane : l’accumulation des problèmes quotidiens – inflation, cherté croissante du coût de la survie… – le spectacle d’une gouvernance, disons « approximative», à mille milles de ceux-ci, la perpétuation d’inégalités statutaires et ethniques ; le tout augmenté d’aussi criardes injustices dans le règlement des conflits ; assombrissent, jour après jour notre capacité à discuter posément des problèmes. Il faut se rendre à l’évidence : le temps nous est compté.

                                                                                  Ahmed ould Cheikh

samedi 18 juin 2022

Editorial: Gâteau envolé

 Les chiffres donnent le tournis. Ils sont pourtant bien réels. Les milliards découverts dans les comptes d’Ould Abdel Aziz, de ses proches et de certains de ses co-accusés, les immeubles, les villas cossues, les terrains d’habitation, les camions, les citernes, les bulldozers et les tout-terrains, cités en détail dans le dossier d’accusation, donnent une idée de ce que ce pauvre pays a enduré au cours de la fameuse décennie. Alors qu’il se prévalait du titre de président des pauvres, brandissant le slogan de la lutte contre la gabegie, Ould Abdel Aziz a révélé son vrai visage. Cupide jusqu’à la moelle, boulimique et insatiable, il a passé plus de temps à sévir qu’à servir. Sa famille et certains de ses proches ne sont pas non plus privés. Toute honte bue, ils ont amassé des fortunes colossales dont personne ne pouvait imaginer l’ampleur avant la diffusion dans la presse de données figurant dans leurs dossiers. On parle de plus de soixante-dix milliards d’anciennes ouguiyas amassées par ces collectionneurs d’un genre nouveau, sans compter les magots planqués à l’étranger qui font que ce qui a été saisi localement n’est peut-être que la partie visible d’un énorme iceberg. Tout le monde se rappelle encore du départ d’Ould Abdel Aziz pour la Turquie, juste après sa remise du pouvoir à Ghazwani. Il avait affrété un avion de la MAI, emportant avec lui plus de soixante-dix valises qui ne contenaient sans doute pas uniquement ses effets personnels. Malgré une commission rogatoire adressée à ce pays, toujours sans réponse à ce jour, cet argent est perdu de bon et il n’est sans doute pas le seul. D’autres pays ont eu leur part du gâteau. Pour une ouguiya saisie localement, combien d’autres envolées ?

                                                                          Ahmed ould Cheikh

samedi 11 juin 2022

Editorial: Illusoire fin de l'impunité?

 Ould Abd El Aziz, encore et toujours le bouc émissaire à chasser loin dans le désert… Cette focalisation excessive sur l’ex-Président, sans ses principaux acolytes, est injuste et suspecte. La responsabilité de ses bras droits n’est pas moins importante et manifeste, dans la manière dont le pays fut ruiné pendant les dix dernières années. Tout comme lui, ils ont profité du pouvoir et doivent être, à ce titre, considérés comme des complices de tous les abus commis sous son régime, de la corruption aux conflits d’intérêt en passant par l’enrichissement injustifiable. Personne ne peut comprendre que ces fonctionnaires ne soient pas poursuivis, au même titre que l’ex-chef de l’État, surtout ceux parvenus en l’espace de quelques années, selon certaines sources, au rang des premières fortunes du pays. Quelle logique derrière leur absolution ? Comment peuvent-ils s’en tirer aussi facilement ? Comment ces collaborateurs zélateurs de l’ancien chef de l’État osent-ils dégager leur responsabilité, en invoquant les ordres de l’ex-Raïs ? Un ministre qui reçoit un ordre verbal du président de la République lui demandant d’agir de manière contraire à la loi n’est pas considéré comme un exécutant mais comme un co-responsable : il dispose d’un pouvoir réglementaire délégué dans la limite de ses fonctions et doit pouvoir dire non. À défaut démissionner. Il s’expose, sinon, à être poursuivi pour ses actes et ne saurait s’abriter derrière des ordres reçus du Président.

Enfin, le présent régime qui prétend à l’exemplarité et qui compte juger, à juste titre, Ould Abd El Aziz, doit faire preuve d’une tolérance zéro à l’égard de la corruption et juger ses propres acolytes soupçonnés de corruption. Mais la capacité de nuisance de ces malfaiteurs n’a toujours pas été anéantie puisqu’ils occupent aujourd’hui de hauts postes de responsabilité, alors qu’ils auraient dû être démis de leur fonction pour se consacrer à leur défense. Bref, on est loin de la fin de l’impunité…

 

                                                                             Ahmed ould Cheikh

samedi 4 juin 2022

Editorial: Magots planqués?

 La nouvelle a de quoi surprendre. Elle n’a pourtant pas été inventée par un média en mal de sensation. L’ancienne Première dame, Tekeïber mint Ahmed, cherche, après quarante ans de vie commune (dont onze au palais présidentiel), à obtenir auprès des services de l’état-civil une attestation de mariage avec son époux Mohamed Ould Abdel Aziz. Pourquoi maintenant ? Le timing interroge. Alors que le dossier dit de « la décennie », où MOAA et douze autres sont poursuivis pour, entre autres, détournement de deniers publics et malversations, vient justement d’être clos, ouvrant la voie au procès, cette demande est tout, sauf fortuite. On parle de dizaines de millions de dollars, de biens meubles et immeubles aux quatre coins de ce vaste monde qui auraient échappé aux mailles du filet du pôle anti-corruption. Malgré des commissions rogatoires adressées à plusieurs pays…sans aucune réponse positive à ce jour. Des cavernes d’Ali Baba auxquelles on ne peut avoir accès sans montrer patte blanche… un certificat de mariage, par exemple. Sans compter ce que les garçons, les filles et leurs conjoints ont mis de côté et qui n’a plus aucune chance d’être recouvert.

Que faut-il en déduire ? Que ce qui a déjà été saisi en Mauritanie n’est que, malgré son importance, la partie visible d’un énorme iceberg caché dans les paradis fiscaux et autres États complaisants ? Que le « casse du siècle » ne dévoilera jamais ses secrets ? Sans doute mais on peut légitimement se poser une dernière question : Combien d’écoles, de routes, de dispensaires, de maisons de jeunes et de barrages aurait-on pu construire avec tout cet argent dont une grande partie semble nous échapper pour de bon ?

                                                        Ahmed Ould Cheikh