jeudi 21 juin 2012

Editorial : Sénégal/Mauritanie : Dangereuse pente


Preuve des relations exécrables entre Mohamed Ould Abdel Aziz et Macky Sall, tombeur du mentor sénégalais de notre président ? Le refus de donner suite à la demande d’extradition d’Ould Chaafi, déposée, jeudi, par notre ministre de l’Intérieur, Mohamed Ould Boïlil, auprès de son homologue sénégalais, Mbaye Ndiaye, était, certes, prévisible. Moustapha Ould Limam Chaafi est un personnage beaucoup trop écouté, en Afrique de l’Ouest, depuis de trop longues années, pour donner prise aux accusations d’« appartenance à AQMI », « financement du terrorisme » et « appui à des groupes terroristes » dont l’a chargé le mandat d’arrêt international lancé par le Parquet de Nouakchott le 28 décembre 2011, et sur lequel s’appuyait la récente requête de notre ministre de l’Intérieur. Dans toutes les capitales de la sous-région, la cause est entendue : Ould Abdel Aziz instrumentalise la lutte contre le terrorisme, pour tenter d’abattre un opposant notoire – et influent – à son régime. Et Mint Dèye, la porte-parole du RFD, d’abonder en ce sens, dans une déclaration à Saharamédias : « […] le gouvernement mauritanien s’est mis dans une situation embarrassante et en a fait de même pour ses voisins ; [les autorités sénégalaises ayant refusé], en toute responsabilité, cette demande d’extradition qu’elles placent dans le cadre d’une chasse aux opposants politiques du pouvoir ».
Mais il y a manière et manière. Un simple « L’homme en question n’est plus sur notre territoire » aura éludé, poliment, la question et l’on serait passé à autre chose. En place de cela, Macky Sall a reçu, chez lui, l’opposant, lui offrant couvert et nuitée, avant de lui avancer, le lendemain, un avion pour se rendre où bon lui souhaitait. Un vrai camouflet pour notre ex-général, toujours vif sous sa panoplie civile. On entend dire, il est vrai, que la menace d’un enlèvement par les services spéciaux mauritaniens n’était pas mince et que la mesure du président sénégalais n’avait pour but que prévenir toute complication diplomatique ultérieure. Peut-être. Mais les relations entre les deux pays auraient dû être placées avant toute autre considération. C’est le minimum de bon sens qui le dicte.
 Cependant, sans présumer de racines plus profondes dans les relations pré-présidentielles des deux chefs d’Etat, il est probable que la gestion, remarquablement déplorable, du quotidien entre les deux nations-sœurs, au moins depuis l’avènement du président sénégalais – mais la dégradation était déjà notable, l’an dernier – soit une des causes, directes, de cet affront public. Ould Abdel Aziz ne s’est pas fait beaucoup d’amis, à l’intérieur du pays, dans sa manière autocrate. Il eût été surprenant qu’il en fût autrement avec ses voisins. Dangereux isolement…et dangereuse pente pour les relations entre les deux pays.

                                                                                                                        Ahmed Ould Cheikh

Editorial : De grâce, n’instrumentalisez pas l’unité nationale !


La sortie, la semaine passée, de l’ancien chef de l’Etat, Ely Ould Mohamed Vall, sur une radio locale, continue à susciter des remous. A propos des événements de 1989, Ely avait déclaré que la police qu’il dirigeait à l’époque s’était contentée d’enquêter pour identifier les sénégalais susceptibles d’être expulsés ; et que si des mauritaniens avaient été chassés de leur pays, il fallait poser la question à ceux qui les ont fait partir ou à ceux qui les ont ramenés. Pour ce qui est des exactions extra-judiciaires, l’ancien président du CMJD a expliqué que la police avait procédé, à l’époque, à des arrestations et transmis les dossiers des prévenus à la justice. S’il y a eu, par la suite, des morts, cela s’est passé en prison. Qui, soit dit en passant, n’était pas gardée par la police. Il n’en faut pas plus pour qu’une certaine presse et certaines officines, proches du pouvoir actuel à qui l’ancien DGSN a déclaré la guerre, s’emparent de la question pour jeter Ely à la vindicte populaire. Sans chercher à défendre un homme suffisamment outillé pour s’y employer lui-même, il s’agit, juste, de rétablir la vérité. Ensuite, Ely, qui n’est pas né de la dernière pluie, sait de quoi il retourne, en cette affaire. Il n’est pas « fou » pour jouer au négationniste, sachant son cousin de président et ses soutiens à l’affût de la moindre occasion  pour tenter de l’abattre. Rien qu’en évoquant la question, ses propos ont été déformés. En fait, il aurait dû être beaucoup plus clair dans sa condamnation des événements douloureux qu’a connus notre pays au cours de ces années de braise et ne laisser aucun doute sur sa position pour éviter que ses détracteurs ne s’engouffrent dans la brèche. Les réactions ont afflué de partout, même de ceux qui, en villégiature à l’étranger, n’ont même pas écouté les propos, prononcés en hassaniya, sur les ondes d’une radio locale dont le rayon d’action ne dépasse guère vingt kilomètres autour de Nouakchott. Mais il ne faut pas les accabler. La propagande du pouvoir s’est emparée de la question, dès la fin de l’interview, pour diaboliser l’ancien chef d’Etat qui « refuse de reconnaitre que des mauritaniens ont été expulsés en 1989 » (sic). Comme en écho, « l’info » a fait, en quelques clics, le tour du Net et rares sont ceux qui ont pris le temps de vérifier la source.
En réaction à ces « propos », une fantomatique « Initiative pour l’Unité Nationale »  – ça ne s’invente pas, ce genre de slogan, dans la Mauritanie nouvelle –  a vu le jour, ce samedi 9 juin, à Nouakchott. Présidée par Bâ Bocar Soulé, ancien ministre d’Ould Taya, elle a eu droit à une large couverture médiatique dans le journal télévisé du même jour. Bâ Soulé en a profité pour condamner les propos d’Ely qui « déconstruit alors qu’Ould Abdel Aziz construit » (re-sic !). Si ceux-ci étaient avérés, il y a vraiment de quoi s’offusquer mais est-il possible d’avoir une mémoire aussi sélective et aussi courte ? Comment Bâ Soulé et ceux qui gravitent autour de lui, pour applaudir Ould Abdel Aziz, peuvent-ils être aussi frileux lorsqu’il s’agit de simples paroles et s’être faits tout petits, lorsque les frères, cousins, parents et amis étaient déportés, emprisonnés, torturés et tués, en plein jour, par celui-là même avec ils collaboraient et qu’ils accueillaient, à bras ouverts, dans cette vallée de larmes meurtrie par ses propres hommes ?
Une nouvelle fois, Ould Abdel Aziz étale son complexe d’infériorité vis-à-vis d’un cousin qu’il semble craindre comme la peste. C’est évidemment son droit d’étaler ses petits problèmes personnels sur la place publique. Mais cela grandit d’autant moins sa présidence qu’il instrumentalise, à cette fin, l’unité nationale. Or, la question est trop sérieuse pour s’embarrasser de querelles byzantines ou d’égocentrismes exacerbés. De grâce, Président, ne soignez pas vos bobos d’amour-propre avec l’amertume des déportés ! Contentez-vous d’assurer leur rapatriement et la qualité de leur réinsertion au pays ; Il reste beaucoup à faire et il faut vous souhaiter que c’est votre œuvre en ce sens qui sera retenue par l’Histoire et pas vos mesquins démêlés familiaux.

                                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

mercredi 6 juin 2012

Editorial : De fronde en fronde

L’UPR, le parti fondé par Ould Abdel Aziz pour fédérer le melting-pot, dont un bataillon de députés (indépendants d’abord ; puis ADIL sous Sidioca ; UPR sous Aziz ; et quoi demain ?) qui le soutient, est en train de connaitre ses premières secousses. Plusieurs de ses cadres n’hésitent plus à critiquer la gestion « péerredéiste » menée par son président et en appellent à l’arbitrage d’Ould Abdel Aziz, pour sortir le parti du pétrin où il s’engouffre, petit à petit. Selon eux, le parti n’est plus qu’un moyen de remplir les poches d’une direction sans légitimité, incapable de répondre aux campagnes menées par l’opposition ou de défendre le bilan de son fondateur. L’escalade a atteint son sommet avec la naissance, il y a quelques jours, d’une initiative, dénommée « Club de la Réforme », au sein de l’UPR. La déclaration publiée, à cette occasion, par ces « réformistes » est un véritable pamphlet contre les dirigeants actuels de cette formation politique. Verbatim : « Le mode de fonctionnement du parti est, jusqu’à présent, foncièrement régionaliste, tribaliste et antidémocratique. […] Les théoriciens de l’ancien PRDS se sont infiltrés dans notre parti, pour le prendre en otage et réaliser leurs vils desseins, en lui imposant la ligne de conduite qui leur convient. […] Les deux personnalités centrales du parti (le président et le secrétaire général) n’ont pas été élues suivant la procédure normale, leur désignation s’est faite de manière subtile, arbitraire et non civilisée. […] Les slogans de démocratie que brandit le parti ne sont que des leurres. […] Ce ramassis a, perfidement, trahi Aziz, en le laissant seul, face aux assauts des mouvements racistes tels que « Touche pas à Ma Nationalité », IRA et les têtes brûlées de l’opposition dont le nombre ne dépasse pas trois cent personnes et qui, en réalité, ne représentent qu’eux-mêmes. » Il n’est un secret pour personne qu’Aziz ne tient pas son parti en haute estime. Observateur avisé de la scène politique depuis de longues années, ayant longtemps gravité dans le sillage d’Ould Taya, il connaît, mieux que quiconque, les hommes qu’il a embrigadés pour animer la fronde contre Sidi et qui formeront, plus tard, le noyau dur de l’UPR. Et il est convaincu que quand le vent tournera demain, il ne pourra compter sur personne. De là à dire qu’il encourage les scissions ou les frondes, au sein de ce parti, il n’y a qu’un pas. Qu’on n’hésite plus à franchir, quand on sait qu’au moins deux partis, dits de « jeunes », ont vu le jour avec sa bénédiction et qu’il ne se passe pas un jour sans qu’il ne plaigne que sa majorité fait preuve de frilosité et se laisse distancer par l’opposition, au Parlement et dans la rue. De fronde en fronde, il s’agirait, donc, pour notre Machiavel de service, de toujours diviser pour continuer à régner. Seulement voilà : c’est comme cela que finisse par s’écrouler, illégitimes, tous les pouvoirs, au bout de leurs calculs à la petite semaine… Ahmed Ould Cheikh

vendredi 1 juin 2012

Editorial : Les illusions perdues

Après le président de la République, le président du Conseil économique et social, le président de la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA) et le gouverneur de la Banque Centrale, qui avaient, chacun, un mandat qu’Ould Abdel Aziz s’est évertué à écourter, c’est au tour du président de la Cour suprême de faire les frais de cette fâcheuse tendance qu’a notre guide éclairé de ne jamais laisser quelqu’un achever une mission. Le suffrage universel, les décrets, les lois organiques, il n’en a que faire. Quand votre tête ne lui revient plus, vous pouvez faire vos valises. Pour un militaire, un ordre, c’est fait pour être exécuté et les civils, ces bougres, n’ont jamais rien compris. Qu’ils aient tous les mandats du monde et des cieux, rien ne changera. Mais cette fois, Ould Abdel Aziz est tombé sur un os. Seyid Ould Ghailani ne s’est pas laissé faire. Il est en train d’opposer une résistance farouche à ce qui s’apparente à un limogeage. Le dimanche, il s’est présenté à son bureau, comme si de rien n’était, mais il a été empêché, par un escadron de la Garde, d’y accéder. Fort d’un mandat de cinq ans (dont il reste encore deux et demi), il refuse d’accepter que l’exécutif interfère dans les affaires de la justice. L’homme, qui fut longtemps procureur général près la Cour Suprême, sait de quoi il parle. Il est resté, longtemps, le bras armé d’Ould Abdel Aziz, au Palais de la Justice, chargé d’accomplir le « sale boulot », pour le compte de son mentor, et régler leurs comptes aux opposants à la Rectification. C’est lui qui avait envoyé au trou trois anciens directeurs généraux d’Air Mauritanie, l’ancien premier ministre, Ould Waghef, dans l’affaire du riz avarié, et notre confrère Hanevy Ould Dahah dont il s’était opposé à la libération, malgré la fin de la peine à laquelle il avait été condamné. Comme quoi, il y a bien une justice immanente… L’homme était, d’ailleurs, tellement puissant, à l’époque, qu’il obtint, sur un plateau d’argent, la tête du ministre de la Justice, Baha Ould H’meida, en mars 2010. Et ce sont, probablement, les relations exécrables qu’il entretient avec l’actuel garde des Sceaux qui ont fini par avoir raison de lui. Connu pour son style à la limite de l’arrogance, Seyid, qui considère que la justice est « sa chose à lui », n’aime pas qu’on lui fasse de l’ombre. Surtout de la part d’un ministre qui commence à se prendre un peu trop au sérieux. Toujours est-il que, cette fois, le conflit a tourné au désavantage du président de la Cour Suprême qui prend le chemin le plus court vers la sortie, celui d’une nomination à un poste de responsabilité, une sorte de tremplin vers le vide. Un chemin qu’ont emprunté, avant lui, Ould Hanine et Bal Amadou Tidjane dont aucun n’a fini son mandat à la tête de cette institution. Reste à savoir, maintenant, jusqu’où ira Ould Ghailani, dans son bras de fer avec le pouvoir qui a déjà nommé quelqu’un à sa place. Même s’il n’a pas, formellement, démissionné. Une entorse, une de plus, serait-on tenté de dire, à la loi, à l’indépendance de la justice et au bon sens. Mais avec notre démocratie militarisée, on a vu pire. Et on verra, certainement, pire encore. Ça fait belle lurette qu’on a perdu toute illusion. Ahmed Ould Cheikh