vendredi 1 juin 2012

Editorial : Les illusions perdues

Après le président de la République, le président du Conseil économique et social, le président de la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA) et le gouverneur de la Banque Centrale, qui avaient, chacun, un mandat qu’Ould Abdel Aziz s’est évertué à écourter, c’est au tour du président de la Cour suprême de faire les frais de cette fâcheuse tendance qu’a notre guide éclairé de ne jamais laisser quelqu’un achever une mission. Le suffrage universel, les décrets, les lois organiques, il n’en a que faire. Quand votre tête ne lui revient plus, vous pouvez faire vos valises. Pour un militaire, un ordre, c’est fait pour être exécuté et les civils, ces bougres, n’ont jamais rien compris. Qu’ils aient tous les mandats du monde et des cieux, rien ne changera. Mais cette fois, Ould Abdel Aziz est tombé sur un os. Seyid Ould Ghailani ne s’est pas laissé faire. Il est en train d’opposer une résistance farouche à ce qui s’apparente à un limogeage. Le dimanche, il s’est présenté à son bureau, comme si de rien n’était, mais il a été empêché, par un escadron de la Garde, d’y accéder. Fort d’un mandat de cinq ans (dont il reste encore deux et demi), il refuse d’accepter que l’exécutif interfère dans les affaires de la justice. L’homme, qui fut longtemps procureur général près la Cour Suprême, sait de quoi il parle. Il est resté, longtemps, le bras armé d’Ould Abdel Aziz, au Palais de la Justice, chargé d’accomplir le « sale boulot », pour le compte de son mentor, et régler leurs comptes aux opposants à la Rectification. C’est lui qui avait envoyé au trou trois anciens directeurs généraux d’Air Mauritanie, l’ancien premier ministre, Ould Waghef, dans l’affaire du riz avarié, et notre confrère Hanevy Ould Dahah dont il s’était opposé à la libération, malgré la fin de la peine à laquelle il avait été condamné. Comme quoi, il y a bien une justice immanente… L’homme était, d’ailleurs, tellement puissant, à l’époque, qu’il obtint, sur un plateau d’argent, la tête du ministre de la Justice, Baha Ould H’meida, en mars 2010. Et ce sont, probablement, les relations exécrables qu’il entretient avec l’actuel garde des Sceaux qui ont fini par avoir raison de lui. Connu pour son style à la limite de l’arrogance, Seyid, qui considère que la justice est « sa chose à lui », n’aime pas qu’on lui fasse de l’ombre. Surtout de la part d’un ministre qui commence à se prendre un peu trop au sérieux. Toujours est-il que, cette fois, le conflit a tourné au désavantage du président de la Cour Suprême qui prend le chemin le plus court vers la sortie, celui d’une nomination à un poste de responsabilité, une sorte de tremplin vers le vide. Un chemin qu’ont emprunté, avant lui, Ould Hanine et Bal Amadou Tidjane dont aucun n’a fini son mandat à la tête de cette institution. Reste à savoir, maintenant, jusqu’où ira Ould Ghailani, dans son bras de fer avec le pouvoir qui a déjà nommé quelqu’un à sa place. Même s’il n’a pas, formellement, démissionné. Une entorse, une de plus, serait-on tenté de dire, à la loi, à l’indépendance de la justice et au bon sens. Mais avec notre démocratie militarisée, on a vu pire. Et on verra, certainement, pire encore. Ça fait belle lurette qu’on a perdu toute illusion. Ahmed Ould Cheikh

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