vendredi 24 avril 2020

Editorial: Justice immanente

Notre ex-Président Mohamed ould Abdel Aziz a été convoqué pour le jeudi prochain par la commission d’enquête parlementaire qui veut entendre sa version de certains dossiers sur lesquels elle planche. Et certes il doit avoir certainement un mot à dire, lui qui se vantait, à chaque occasion, d’être au four et au moulin, de tout gérer  jusqu’au moindre détail. Il ne pouvait donc ne pas avoir ordonné que tel marché soit attribué à un tel, que telle facilité soit accordée à tel autre, que telle convention soit signée, telle société publique liquidée ou tel contrat léonin accordé à tel membre du clan. Sous son magistère, les ministres, à commencer par le premier d’entre eux, les directeurs généraux et tous les  responsables n’étaient que des sous-fifres, de « petits » exécutants obligés de  rendre compte du plus petit détail et incapables de prendre la moindre décision sans le feu vert du chef, omniscient et omniprésent. Il était donc impossible que celui-ci soit épargné par la commission d’enquête qui a déjà auditionné des ministres et des directeurs. Même si, selon la Constitution modifiée par ses soins en 2017, il ne peut être poursuivi que pour haute trahison et seulement par une Haute Cour de Justice. Une issue normalement inévitable, si la Commission exerce ses prérogatives sans interférence de l’exécutif et transmet ses conclusions à la Justice. Faut-il en rire ou en pleurer ? Qu’un ex-Président rende enfin compte pour toutes les irrégularités commises sous son pouvoir ne peut que réjouir ceux qui militent pour la fin de l’impunité ; ceux qui se battent pour qu’on ne nous dise plus, chaque fois qu’un régime cède la main : « Tournons la page ! » ; et ceux qui, dans leur chair, ont enduré des injustices une décennie durant. Quoi qu’on dise, Ould Abdel Aziz ne fut pas un Président comme les autres. Il était aux premières loges lorsqu’il s’agissait de faire mal et il s’en délectait. Dès ses premiers mois au pouvoir, il donna un signal fort, arrêtant des hommes d’affaires, les traînant devant la police économique pour une affaire qui aurait pu être réglée à l’amiable. Puis il expédia en prison des directeurs et des présidents de la défunte Air-Mauritanie parce qu’ils lui étaient opposés. Un ex-Premier ministre qui refusait de cautionner son coup d’État ; un ex-président de Mauritania Airways auquel il imputait la faillite de cette dernière, alors qu’il n’avait aucun droit de regard sur sa gestion… Encore et toujours à régler des comptes personnels. C’est encore lui qui lança des mandats d’arrêt internationaux illégaux contre ses opposants qu’il avait contraints à l’exil. Qui plaça des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes sous contrôle judiciaire. C’est toujours lui qui mit la justice en coupe réglée, pour en faire une épée de Damoclès au-dessus de tous ceux qui osaient lui dire non. II arrive toujours un jour où il faut rendre compte. Une justice immanente en somme.
                                                                             Ahmed Ould Cheikh

jeudi 16 avril 2020

Editorial: Confinons les impunis!

Une vaste et retentissante arnaque immobilière défraie la chronique marocaine depuis quelques jours. Un promoteur a vendu sur plans à au moins mille acheteurs de magnifiques futures villas à Casablanca… sans le moindre titre foncier ni permis de construire. Près de soixante millions d’euros ont disparu, clament les avocats des victimes. Si l’homme par qui le scandale est arrivé est maintenant en prison, restent d’innombrables questions sur les responsabilités et complicités qui ont permis cette vaste escroquerie. L’enquête suit son cours et il y a des fortes chances que toute la filière soit démantelée. Au Maroc, l’impunité n’est pas un vain mot. Contrairement à notre pays où les scandales à répétition ont émaillé la dernière décennie. Et aucune enquête sérieuse, encore moins de poursuites judiciaires ! Des exemples ? En veux-tu, en voilà à la pelle ! Le projet d’usine d’assemblage d’avions qui a englouti des millions de dollars sans même seulement un début d’exécution ; la coopérative féminine de microcrédits où des centaines de femmes ont contribué et dont le gérant a disparu avec un bon paquet de millions ; le projet « Sucre » impliquant au départ les Soudanais et qui s’est révélé un fiasco malgré les milliards injectés ; l’usine d’aliments de bétail d’Aleg, celle de lait de Néma, l’aciérie de Chami… et la liste est longue de projets foireux dont le pouvoir déchu s’est fait marque déposée. Personne n’a rendu compte pour ces milliards dilapidés. Aucune enquête ouverte. La Cour des Comptes et l’IGE ont fait comme si de rien n’était et ne se sont pas plus autosaisies qu’une justice aux ordres de l’Exécutif. Jamais l’impunité n’a autant mérité ses lettres de bassesse qu’au cours du règne d’Ould Abdel Aziz. Certes quelques seconds couteaux furent envoyés en prison pour du menu fretin comparé aux vastes opérations de détournement, blanchiment, mauvaise gestion et scandales financiers auxquelles se sont adonnés le parrain et son clan. Sinon comment expliquer qu’en dépit des énormes recettes générées par l’industrie minière, le pays se soit endetté, en dix ans, à près de 100 % de son PIB ? Quatre milliards de dollars de dettes que nous ont fourguées Aziz et son équipe pour un résultat quasi-nul ! Quelques centaines de kilomètres de bitumes tombés en décrépitude dès la première année, des centrales électriques et des lignes haute tension surfacturées, des hôpitaux et des centres de santé très mal conçus et sous-équipés, des sociétés d’État acculées les unes après les autres à la faillite et des échecs à la tire-larigot qu’il serait fastidieux de citer un à un… Une commission parlementaire a certes été mise en place pour plancher sur certains dossiers mais plusieurs questions restent en suspens. Ses conclusions seront-elles suivies d’effet ? Les responsables, y compris ceux encore aux affaires, seront-ils inquiétés si leur implication est avérée ? Assistera-t-on à la fin de l’impunité pour que plus jamais les ressources de ce pauvre pays soient massacrées par ceux-là mêmes censés en prendre le plus grand soin ? Le peuple n’en demande pas plus : confinons les impunis !
                                                                      Ahmed ould Cheikh