dimanche 27 avril 2014

Editorial: Lettre aux dialogueurs

Permettez tout d’abord, messieurs de la COD, de la CAP et de la Majorité, d’attirer votre attention sur un fait qui vous échappe, peut-être, et qui, pourtant, aurait dû guider votre action : tous les regards sont braqués sur vous. Le pays tout entier vous observe, vous n’avez pas le droit de le décevoir. Vous devez vous surpasser, pour que la crise politique que nous vivons, depuis 2008, soit, enfin, derrière nous. Certes, les écueils, surtout psychologiques, sont nombreux et la confiance n’est guère au rendez-vous. Mais il y va du cheminement normal de ce pays et, même, de son avenir. Les difficultés ne manqueront pas et la moindre saute d’humeur risque de tout faire foirer. Tenez bon. Faites preuve de bonne volonté. Le reste viendra. Comme lorsque la COD avait exigé – à raison, d’ailleurs – que l’ouverture du Dialogue soit entouré d’un minimum de solennité et que le gouvernement y soit représenté par des ministres et non par élus, fussent-ils de la majorité. Ce premier obstacle fut, finalement, dépassé. D’autres ont surgi, en cours de route. Faites-y face ou contournez-les, en attendant que le ciel s’éclaircisse. Mais, surtout, ne baissez pas les bras, quelle que soit l’ampleur des défis à relever. Mettez vos intérêts personnels et ceux de vos partis au second plan. Pensez à nous et dites-vous qu’on commence à en avoir assez de vos querelles partisanes qui n’en finissent pas de nous empoisonner  la vie politique et, même, la vie tout court.
Faites preuve de bonne volonté, discutez de tout, jouez franc jeu, si ce n’est trop vous demander. Surtout, ne sortez pas de votre conclave sans un accord en bonne et due forme. Que la présidentielle soit organisée en juin, juillet ou août, qu’il y ait ou non un gouvernement d’union nationale, que la CENI soit remodelée ou non, qu’il y ait ou pas des observateurs internationaux, l’essentiel est que cette Assemblée nationale, incolore et inodore, soit dissoute et que vous vous mettiez d’accord sur une feuille de route qui nous fera, enfin, goûter aux joies de la normalité démocratique.
Il est inconcevable que vous continuiez à vous observer, indéfiniment, en chiens de faïence. Il est temps de prouver votre capacité à faire de la politique : c’est-à-dire, négocier, faire des choix, ordonner les priorités. Il est temps de briser la glace et de passer aux choses sérieuses. Ould Abdel Aziz gagnant la prochaine présidentielle ? Le contraire serait plus qu’étonnant. Mais qu’il le soit sans avoir rien concédé, pour notre démocratie, serait, vraiment, désespérant. Il faut voir loin. Plus exactement, cinq années devant. Une échéance constitutionnelle qu’il faut rendre définitivement définitive. Ould Abdel Aziz doit construire sa fin pacifique – c’est-à-dire, celle des régimes militaires – et c’est à l’opposition de l’y aider. Car les flagorneurs feront, eux, tout pour contrecarrer cette perspective. Tel est l’enjeu, en filigrane, de discussions à beaucoup plus court terme. Voilà de quoi, maintenant qu’il en est exactement l’heure, de quoi alimenter le dialogue, non ? 
                                                                                                             Ahmed Ould Cheikh   

samedi 19 avril 2014

Editorial : Entre remue-méninges et couleuvres…



« Je l’ai dit et répété : il n’y aura pas de gouvernement d’union nationale tant que je serai au pouvoir », c’est, en substance, ce que nous avons retenu de la conférence de presse du président Ould Abdel Aziz à Nouadhibou, la semaine dernière. Une conférence de presse à laquelle Le Calame, encore une fois et comme d’habitude, n’était pas invité. C’est le contraire d’ailleurs qui aurait étonné. Jamais, en effet, depuis l’accession au pouvoir de notre rectificateur en chef (qui se prévaut, désormais, du titre de foreur de puits), nous avons eu l’insigne honneur de lui poser la moindre question ou de couvrir un seul de ses innombrables, et parfois très inutiles, déplacements.
Ould Abdel Aziz a prononcé et répété cette phrase au moins trois fois, comme pour conjurer le mauvais sort. Une façon aussi de planter le décor, avant le début du dialogue entre le Forum et le pouvoir et signifier à ceux, parmi l’opposition, qui s’accrochent à cette idée qu’il faut faire sans elle. Il a juste concédé, juste du bout des lèvres,  que le report de l’élection est peut-être envisageable. Dans le cadre d’un accord entre les différentes parties. Avant de se rétracter et dire qu’il ne voudrait pas se mettre dans une position anticonstitutionnelle. L’hôpital qui se moque de la charité… Les deux-tiers du Sénat ne sont-ils pas forclos ? L’assemblée n’a-t-elle pas attendu deux ans avant d’être renouvelée, alors que son mandat a expiré en octobre 2011 ? Qu’a-t-il fait, lui-même, en 2008, de cette Constitution qu’il ne veut à présent surtout pas violer ? Les Mauritaniens n’ont quand même pas la mémoire assez courte pour qu’on leur fasse avaler n’importe quoi.
A part cette mise au point, que faut-il retenir d’autre de cette conférence de presse ? S’il ne s’agissait que d’annoncer qu’il n’y aura jamais de gouvernement d’union nationale, une simple déclaration à la presse ne pouvait-elle pas suffire ?
Après les fameuses rencontres avec le peuple et avec la jeunesse, Ould Abdel Aziz semble avoir pris goût aux « bains de presse », après les bains de foule. Cette dernière rencontre ne lui laissera, en tout cas pas, un souvenir impérissable. Il s’est emporté sitôt posée la première question un tant soit peu dérangeante. Il était d’ailleurs tellement énervé qu’il a répondu en hassaniya à la question suivante, pourtant posée en français. Les traits de son visage et sa gestuelle trahissaient une nervosité qu’il n’arrivait plus à contenir. S’il avait fait preuve d’un peu de calme et du plus minimal sens de la répartie ou de la formule, il aurait pu s’en sortir sans trop de casse. Mais la vérité dérange. Même les têtes bien faites. Et, à le voir ainsi perdre les pédales, on comprend, évidemment, le remue-méninges et ménage que lui causerait un Conseil de ministres d’union, capable de lui poser, en un seul jeudi, cinquante questions aussi insupportables les unes que les autres. Vous imaginez qu’il en perde son hassaniya, après son français ? Et ne s’adresse plus à la Nation qu’en chinois ou en javanais ? Ce serait pire qu’avoir à avaler des couleuvres ?
                                                            Ahmed Ould Cheikh

samedi 12 avril 2014

Editorial : Pigeons et dindon



Fini, le dialogue ! Fini, avant même d’avoir commencé. Un p’tit tour et puis s’en vont, comme diraient nos amis français. Juste une petite balade du côté du Palais des congrès, avec ouverture solennelle du ministre de la Communication, et puis plus rien. La délégation du Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU), qui réclamait, à cor et à cri, des négociations avec le pouvoir, via son gouvernement – et non avec des partis de la majorité – a plié bagages, dès la fin de la cérémonie officielle, en même temps que le ministre. Un membre du gouvernement est présent ? Nous y sommes. Il n’y en a plus ? Nous non plus. Les choses sont claires. L’opposition ne veut pas tomber dans le panneau dans lequel sont tombés d’autres, en 2009 et 2013. Les négociations sont une affaire trop sérieuse pour être confiées à des seconds couteaux. On discute sérieusement, cartes sur table, sans sujet tabou et sans préalables, ou l’on rentre chez soi, chacun désormais libre de choisir sa voie.
Il serait loisible de jeter l’opprobre sur une opposition qui s’est fait rouler dans la farine, et pas qu’une fois depuis 2008, mais reconnaissons-lui, cette fois au moins, d’avoir su tenir tête. Du moins jusqu’à présent. Puisqu’il n’est pas exclu que certains fassent faux bond, comme  l’année dernière, lorsque les islamistes de Tawassoul, que le pouvoir menaçait de frapper là où ça fait le plus mal, ont accepté de se mesurer à lui. Brisant, du coup, les rangs de l’opposition qui boycottait, dans son ensemble, les scrutins. Et si tout ce tintamarre, autour de l’ONG Al Moustaghbel, présidée par Ould Deddew et dissoute par le pouvoir, n’était qu’un nouveau prétexte, pour amener Tawassoul à présenter un candidat à la future présidentielle, histoire d’apporter, à celle-ci, un minimum de crédibilité ? Notre opposition nous a habitués à tellement de voltefaces que même les cas d’école les plus improbables ne sont plus une exception mais la règle.  
A la décharge de l’opposition, il faut reconnaître que le pouvoir, qui a droit de vie et de mort sur le pays, ne lui facilite guère la tâche. Ses cadres sont frappés d’ostracisme, ses hommes d’affaires, exclus du sérail et ses leaders, diabolisés. Du coup, on devient beaucoup plus sensible à l’appel des sirènes. La politique du ventre, qui a acquis ses lettres de noblesse sous Ould Taya, a encore de beaux jours devant elle. Faut-il pour autant s’avouer vaincu ? Le bras de fer, engagé, par le FNDU, avec le pouvoir, pour un dialogue sérieux, est une occasion, inespérée pour l’opposition, de redorer son blason. A condition, bien évidemment, que le front ne se lézarde pas. Uni, il fera bouger les lignes ou, du moins, ne sera plus tourné en ridicule. Mais, quoiqu’il en advienne, son attitude actuelle aura rappelé une donnée essentielle de notre actuel système politique : présidentiel à outrance, celui-ci débilise les discussions entre partis. Notre président de la République ne l’ignore évidemment pas. En refusant de déléguer un membre de son gouvernement, en réduisant sa présence à l’ouverture d’une piaillerie de basse-cour, il veut nous instruire qui sont les pigeons, qui est celui qui dispense le grain. Quelle farce ! Mais, dites-moi, qui en sera, au bout du compte, le dindon ?
Ahmed Ould Cheikh 

samedi 5 avril 2014

Editorial : Démogâchis



Le Forum pour la Démocratie et l’Unité (FDU), qui s’était tenu, à Nouakchott, à la fin du mois de février et dont les recommandations sont un véritable programme politique, éclipsé, cependant, par l’affaire de la profanation du Saint Coran, fait, de nouveau, parler de lui. Le président de la commission, chargée du suivi de ses recommandations et d’éventuels contacts avec le pouvoir, a été reçu, la semaine dernière, par le Premier ministre. Ultime tentative du pouvoir d’amener la Coordination de l’opposition à accepter le principe du dialogue, avant la prochaine présidentielle, fixée, unilatéralement hélas, le 7 juin prochain ? Mais c’était bien avant cette rencontre que le ministre de la Communication, qui fait feu de tout bois (contrairement à son prédécesseur qui ne parlait que contraint et forcé), avait déjà fixé les règles du jeu. Le gouvernement d’union nationale et le report de l’élection, avait ainsi déclaré la voix de son maître, n’étaient pas négociables. On se demande, alors, que fait le président du Forum avec le Premier ministre. Que reste-t-il donc à discuter ? Sauf à vouloir donner l’impression que c’est lui qui tend la main à ceux qui la refusent, on peut difficilement s’expliquer l’attitude d’un  pouvoir  qui a toutes les cartes en main. Et refuse de lâcher du lest. On se rappelle, encore, du mini-dialogue qui avait eu lieu, juste avant les élections législatives et municipales de novembre dernier, lorsque la COD voulait discuter des conditions pouvant garantir un scrutin libre et transparent. Les représentants de la majorité n’avaient accepté de concéder qu’un report de deux semaines, tout au plus. Et la réunion avait tourné court. L’opposition maintenant, en conséquence, son mot d’ordre de boycott et le gouvernement s’entêtant à organiser un pastiche d’élections. Qui ont donné cette assemblée dont la qualité des membres tranche nettement avec celle qui l’a précédée.
A quoi faut-il s’attendre, maintenant, d’une élection qui s’annonce sans enjeu, en l’absence de challengers sérieux ? Comment peut-on se mesurer à un président en campagne depuis six ans et dont la parentèle a fait main basse sur le pays, ses marchés et ses ressources ? N’y a-t-il pas un risque, comme en 2009, de crédibiliser un processus sur lequel on n’a aucune prise ?
Si un véritable dialogue est amorcé, par quel miracle l’opposition pourra-t-elle influer sur le cours des choses, à deux mois du scrutin ? Avec quels moyens va-t-elle se lancer dans la bataille ? Et nous voici revenus à la même rengaine qui fonde notre pesant et archaïque mode de dévolution du pouvoir : il est illusoire de prétendre battre, par les urnes, le candidat du pouvoir. Le président dispose de tous les pouvoirs, civils et militaires, pour nommer, corrompre, limoger, promettre, etc. Dispose des marchés publics qu’il distribue à sa convenance. Recrute fonctionnaires, notables et chefs de tribu, tous à hue et à dia pour offrir, au candidat-maître de cérémonie, le meilleur score plébiscitaire, chacun dans sa localité. Camoufle, ainsi, son coup d’Etat permanent en campagne électorale continue, ne ratant aucune occasion de descendre sur le terrain… Je nous le recommandais, déjà, la semaine dernière : signons-lui, tout de suite et en blanc – il en fera, de toute façon, strictement à sa guise – son chèque pour un nouveau mandat. On aura au moins fait l’économie d’une élection jouée d’avance… et attendons le prochain providentiel rectificateur de notre démogâchis…
                                                                                                     Ahmed Ould Cheikh