mercredi 24 août 2011

Editorial : Messieurs les politiques, allez à l’essentiel !

Une partie de l’opposition qui dit oui, une autre qui dit non, une majorité qui ne sait plus quoi dire, attendant un signal d’en haut. Le dialogue politique inclusif, que tout le monde appelle de ses vœux et qui figurait, en bonne place, dans les fameux Accords de Dakar, risque de ne jamais voir le jour. Pourtant, cela fait des mois, que des partis et des hommes politiques, tout ce qu’il y a de plus sérieux, planchent dessus. Entre rencontres, audiences, réunions-marathons, retouches pour un mot ou pour deux, déclarations de bonne intention, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Et n’a rien charrié. Si ce n’est une mésentente, pas tout à fait cordiale, entre un pouvoir qui dort sur les lauriers, aux commandes d’un navire qui tangue dangereusement, et une opposition, échaudée par l’expérience de 2009, lorsqu’elle fut roulée dans la farine, qui refuse de faire la moindre concession. Ses revendications sont, au demeurant, des plus légitimes. Elle demande, en premier lieu, l’ouverture des médias publics à tout le monde. Il n’est, en effet, pas normal que, dans un pays qui se veut démocratique, les organes de presse officiels soient transformés en outils de propagande, au seul profit du pouvoir en place. Il faut aller en Corée du Nord, en Birmanie ou en Libye de Kadhafi – encore qu’il faille, en ce dernier cas, se dépêcher – pour voir encore une telle bêtise humaine. La télévision et la radio fonctionnent avec l’argent du contribuable, donc, de tout un chacun, et doivent, de ce fait, refléter l’avis de tous. Comment incriminer l’opposition, si elle réclame un temps de parole, alors que le problème ne devrait, même pas, être posé? Dans une démocratie qui se respecte, ce genre de détails ne doit pas faire l’objet de discussions. Il coule de source, normalement. Tout comme un code électoral consensuel, une CENI indépendante et une administration neutre. C’est ce qu’on appelle, communément, les fondamentaux de la démocratie.
Si le pouvoir est sincère dans sa volonté de dialogue et s’il tient à respecter l’Accord qu’il a signé sous l’égide de la communauté internationale, tout devrait rentrer dans l’ordre. Au bénéfice de tous: du pouvoir, qui fera preuve d’ouverture, et de l’opposition, qui évoluera, désormais, dans une scène politique apaisée et pourra se consacrer à autre chose que ses querelles de clocher. Faute de quoi, on irait vers des élections organisées unilatéralement, sans aucune crédibilité. La tension augmenterait, alors, d’un cran. Ce qui, avec les autres foyers de tension, à l’intérieur et à l’extérieur, risque d’être du plus mauvais effet, sur un pays qui vit, déjà, des moments difficiles. La de plus en plus probable et imminente chute du Grand Guide libyen, en dépit de ses milliards et de ses monumentaux arsenaux, devrait donner à réfléchir à notre raïs qui aurait grand tort de minimiser le ras-le-bol populaire, en cette affaire comme en d’autres. Trop plein que tous nos politiques semblent avoir perdu de vue. Ils auraient, pourtant, le plus grand intérêt à couper court et aller, directement, à l’essentiel. Ou déclarer leur incapacité. Et partir. Tous. Sans exception.
Ahmed Ould Cheikh

mercredi 17 août 2011

Editorial : Parlons chiffres!

Lors de sa dernière prestation télévisée, le 6 août dernier, à l’occasion du deuxième anniversaire de son investiture à la tête de l’Etat, le président a beaucoup parlé. Quatre heures d’horloge lui ont à peine suffi, pour faire passer son message. Quatre heures au cours desquelles il a donné très peu de chiffres alors que, normalement, il faisait le bilan de ses trois ans passés à la tête de l’Etat. Il nous a juste appris qu’il est intervenu, une fois, dans un processus d’attribution de marché public au profit d’une société nationale, en l’occurrence ATTM. Ce qui constitue, si notre guide éclairé ne le sait pas, une violation du code des marchés publics, punie par la loi. La Banque Mondiale, un de nos principaux partenaires au développement, traite de «manœuvre frauduleuse» toute tentative d’intervention d’un agent public ou privé, dans un marché en cours. Le président, qui avait reconnu, l’année dernière, qu’il violait la Loi des finances, en dépensant de l’argent hors budget, revient, de nouveau, à la charge. La loi est faite pour être violée, non? Et si l’exemple vient d’en haut…
Ould Abdel Aziz a, ensuite, fait parler la poudre, en nous jetant, à la figure, des chiffres censés nous prouver que notre économie se porte comme un charme: 500 millions de dollars d’avoirs, en devises, et un compte du Trésor, à la BCM, créditeur de 37 milliards d‘ouguiyas. En cette période de récession, les Etats-Unis pourraient difficilement faire mieux. Mais ce qu’ignore le commun des mortels, ébahi devant un tel étalage de richesse, c’est qu’il ne s’agit, là, que d’une vérité tronquée. A quoi sert-il de posséder 500 millions de dollars, quand vos engagements dépassent le milliard ? Que représentent 37 milliards d’ouguiyas, face à une dette intérieure de plus de 120 milliards? Un des plus grands acquis de la Transition 2005/2007 est qu’elle a soldé toute la dette intérieure. Et, depuis 2008, l’Etat n’a fait que vivre sur le dos de ses créanciers, battant des records d’insolvabilité. On ne cesse, pourtant, de nous chanter que la lutte contre la gabegie a porté ses fruits, que les dépenses ont été maitrisées et que l’Etat ne vit plus au dessus de ses moyens. Que l’Etat ne vit plus avec ses moyens mais les thésaurise, devrait-on dire. Cet argent devait, normalement, servir à faire face aux engagements, renflouer les sociétés d’Etat qui croulent sous les déficits et soutenir l’ouguiya qui s’effondre, face aux devises étrangères. Le compte du Trésor, à la Banque centrale, n’a besoin de tout cet argent, il pourrait même être débiteur, à la limite. Ce n’est, pas nécessairement, un signe de bonne santé économique ni de bonne gestion d’accumuler autant d’argent. Sauf à vouloir s’en vanter.
Dans une économie aussi fragile que la nôtre, où tout dépend de l’Etat, fermer les vannes du robinet pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Il s’agirait, plutôt, d’édicter des règles strictes de gestion, choisir les hommes qu’il faut et laisser l’Etat jouer son rôle de régulateur. Il n’est pas possible pour une seule personne, fut-elle président, de régenter toute une économie, de la plus petite dépense jusqu’aux grands équilibres macro-économiques. Les Mauritaniens seraient-ils à ce point peu dignes de confiance? A vous de juger!

AOC

dimanche 14 août 2011

Editorial : Miroir, mon beau miroir…

Ould Abdel Aziz a parlé. Trois ans après son accession au pouvoir par les armes et deux ans après son investiture à la présidence de la République, le chef de l’Etat s’est prêté aux jeux des questions/réponses avec des journalistes et des citoyens triés sur le volet. Au Palais des Congrès – transformé en palais des Complots, par un jeu de mots, involontaire, d’une speakerine arabophone – il y avait grande foule pour écouter les présidentielles déclarations. La TVM et la Radio ont sorti les gros moyens, pour amener la «bonne parole» aux quatre coins du pays et, même, à l’extérieur. L’événement était, certes, important. Ce n’est pas tous les jours qu’un président mauritanien accepte de descendre dans l’arène pour s’expliquer. En trente-deux ans de régime militaire, le silence-radio, devant les médias nationaux, était devenu la règle. C’est à la limite si la presse indépendante n’était pas traitée avec mépris.
Pour en revenir au débat où, soit dit en passant, «Le Calame» n’était pas invité – une reconnaissance en creux de notre indépendance, je présume – le président est apparu décontracté; au début. Il se crispera rapidement: dès la deuxième question d’un journaliste relative au sentiment de malaise qui prévaut dans le pays et que partagent aussi bien la majorité que l’opposition. «Ce genre de questions ne me dérange pas», dira-t-il, comme si cela n’allait pas de soi. Avant de se rattraper et faire preuve de beaucoup de sang-froid, malgré un feu, nourri, de questions dont certaines décontenanceraient plus d’un. Et de planter le décor, piquant, avec hardiesse, l’opposition qui pose, selon lui, des conditions au dialogue, alors que ce sont ses préalables qui doivent être l’objet du débat. Sur d’autres points, le public restera sur sa faim. Le président ne donnera pas de détails sur sa déclaration de patrimoine – se contentant de dire qu’il «n’a jamais rien géré avant d’être président» – ni sur les sociétés, fondées par ses proches, qui commencent à engranger, par miracle, marché sur marché. Et de défendre, becs et ongles, la convention de pêche, signée avec la société chinoise Poly Hondone, sans, toutefois, donner de détails sur ce qu’elle va apporter à l’Etat, en dehors de 2.000 emplois et d’un investissement de 100 millions de dollars.
On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Méfiant, dit-on, à l’égard de ses laudateurs patentés, Ould Abdel Aziz aime, manifestement, se tresser sa propre couronne de lauriers. Il évoque, avec un délice non dissimulé, ses autosatisfactions, son bilan, la lutte contre la gabegie et contre AQMI, l’Armée, les routes, les équipements, les subventions aux produits alimentaires et aux hydrocarbures, les réserves en devises et en ouguiyas. Un tableau idyllique fort éloigné, tout de même, de ce que vit, quotidiennement, le citoyen lambda: la vie de plus en plus chère, la stagnation des salaires, la précarité banalisée, la queue du diable tant recherchée que le pauvre n’aura bientôt plus que le palais gris pour abriter son caudal appendice. Nul doute qu’il y trouve matière à tenter son narcissique hôte, fondu d’admiration devant le miroir de ses œuvres: en seulement trois ans de pouvoir, c’est, déjà, une bien inquiétante prouesse.

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 3 août 2011

Editorial : Attachez vos ceintures!

Le dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition, tout le monde l’appelle de ses vœux. Verra-t-il jamais le jour, tant les peaux de banane jonchent, nombreuses, son chemin? Ould Abdel Aziz vient de recevoir, pour la énième fois, Messaoud Ould Boulkheir. Le leader de l’APP remettait, au président de la République la réponse, amendée, de la COD, à sa proposition de dialogue. Fait nouveau : Messaoud était accompagné, cette fois, du président de la Convergence Démocratique Nationale, maître Mahfoudh Ould Bettah. La presse nationale s’est largement fait l’écho de la teneur des entretiens entre les trois hommes, qui s’apparentent, déjà, à un dialogue de sourds. Jugez-en vous-mêmes. Prenant la parole en premier, maître Bettah expose ce que l’opposition considère comme des préalables au dialogue. Ould Abdel Aziz lui répond, du tac au tac, que les médias publics sont ouverts mais qu’ils ne peuvent obliger personne à y intervenir ; que la justice est indépendante ; que les nominations aux hautes fonctions ne dépendent pas de l’appartenance à tel ou tel camp politique ; qu’une seule manifestation a été réprimée, depuis son accession au pouvoir ; que l’administration et l’Armée sont neutres et que c’est l’opposition qui entrave le dialogue. Et le président, visiblement agacé, d’enchaîner: «Nous avons reporté, en réponse à votre demande, les élections pour le renouvellement au tiers du Sénat mais vous ne semblez pas apprécier ce geste à sa juste valeur. En conséquence, nous avons décidé d’organiser les élections législatives et municipales, dans les délais prévus par la loi.»
La réunion finira en queue de poisson, sans que les deux parties ne conviennent d’un nouveau rendez-vous. Pire, le conseil des ministres décide, lors de sa réunion hebdomadaire, que les élections auront bien lieu en octobre. Faut-il en déduire que le dialogue est enterré? Etait-ce se réjouir un peu tôt d’enfin connaître une scène politique apaisée? Tout ce tintamarre n’était, donc, qu’une manœuvre du pouvoir, pour «démontrer» le refus de l’opposition au dialogue? Cette dernière freinerait-elle, des deux pieds, multipliant les chausse-trappes, pour ne pas légitimer Ould Abdel Aziz en dialoguant avec lui? Bref: notre majorité et notre opposition nous tourneraient-elles en bourriques?
Il ne sert à rien, en tout cas :
- d’organiser des élections sans une CENI et un code électoral consensuels
- de fixer les règles du jeu en l’absence de l’adversaire
- de prétendre à la neutralité, en s’érigeant juge et partie
Voilà un Ramadan qui s’annonce bien maussade, à moins d’un trimestre d’échéances qui qualifieront, de toute manière, le pouvoir. Discrétionnaire, en attendant les classiques dérapages du despote de moins en moins éclairé? Ou consensuel, enfin, au risque d’une alternance que le traitement lamentablement approximatif de la conjoncture rend de plus en plus probable? Il semble bien que ce Ramadan ne soit qu’un avant-goût, hélas, d’un bouclage permanent de ceinture. Mais pas pour des envols vers des lendemains radieux…

Ahmed Ould Cheikh